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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Jean Benoist, “OUVERTURE”. Un texte d’introduction à l’ouvrage Santé, société et cultures à la Réunion. Anthropologie médicale, psychiatrie. Textes coordonnés par Jean Benoist, pp. 5-9. AMADES-CERSOI-ARERP. Paris : Les Éditions Karthala, 2001, 150 pp. [Autorisation formelle accordée par l'auteur, le 17 juillet 2007 de diffuser, dans Les Classiques des sciences sociales, toutes ses publications.]

[5]

Jean Benoist

Ouverture”.

Un texte d’introduction à l’ouvrage Santé, société et cultures à la Réunion. Anthropologie médicale, psychiatrie. Textes coordonnés par Jean Benoist, pp. 5-9. AMADES-CERSOI-ARERP. Paris : Les Éditions Karthala, 2001, 150 pp.


En 1983 paraissait un ouvrage qui marqua d'une certaine façon un point de départ : Pour une anthropologie médicale en France [1]. L'intérêt des anthropologues pour le champ de la santé existait certes depuis longtemps en France, mais il n'était ni systématique, ni clairement exprimé. Il apparaissait dans divers travaux, au hasard des problèmes rencontrés.

Le monde médical était encore plus loin de toute idée d'une anthropologie médicale qui pourrait constituer pour lui un partenaire dans diverses situations concrètes. Pour une anthropologie médicale en France, accompagné de la parution du Bulletin d'ethnomédecine, suivi du grand colloque « Étiologie et perception de la maladie dans les sociétés modernes et traditionnelles » tenu au CNRS et publié à l'Harmattan sous la direction d'Anne Retel-Laurentin, a eu un rôle pionnier, et a amorcé un courant, des courants, qui n'ont cessé de se développer jusqu'à nos jours.

Des enseignants dans les universités, des chercheurs au CNRS ou à l'IRD, des collections spécialisées d'ouvrages d'anthropologie médicale [2] en témoignent. Depuis peu, les facultés de médecine elles-mêmes ont inscrit l'anthropologie médicale dans leur programme.

Aussi, en publiant ce volume, près de vingt ans plus tard, n'avons-nous plus le rôle un peu pionnier des années quatre-vingt. Car, à la Réunion aussi, l'anthropologie médicale existe, et elle a donné lieu à des travaux, des thèses, des publications ; elle irrigue la pensée de certains médecins et de certains responsables de la santé publique. Plusieurs des auteurs de ce volume sont parmi les acteurs de ce mouvement.

[6] Il nous a semblé toutefois utile de cristalliser quelque peu l'existant et d'ouvrir une réflexion prospective sur les questions et les besoins latents. Il nous est apparu qu'il manquait un espace commun capable d'aider ceux que ces questions intéressent à se situer, à la fois les uns par rapport aux autres, et tous dans le champ plus vaste de la recherche, qu'elle soit théorique ou appliquée.

Ce volume est donc avant tout un effort collectif en vue de tracer le profil des efforts déjà faits et des questions qui restent posées, de préciser les travaux à entreprendre et d'en offrir le tableau à tous. Il est destiné aussi à ceux qui sont moins familiers du domaine de l'anthropologie médicale mais qui pressentent son intérêt, et qui souhaitent participer à son essor. Premier bilan, donc, que trace la bibliographie finale, mais surtout panorama des questions et des perspectives. Un certain biais peut sembler influencer ce volume : la place prépondérante de la psychiatrie et de tout ce qui concerne les troubles du comportement. Mais, outre le fait que ces questions sont importantes à la Réunion et que la dimension anthropologique y est très présente, cela tient aussi à ce que la rencontre d'où est issu ce volume a été préparée avec un groupe de psychiatres et de psychologues particulièrement dynamiques.

*    *    *

Quel est le soignant, qui, un jour, n'a été propulsé au coeur de cet espace où se rencontrent la maladie, les religions, la quête de soin et celle de sens face à la douleur et à la menace de la mort ? Quel est l'ethnologue, l'historien ou même le responsable administratif ou politique qui n'y a pas lui-même été convié malgré lui ? Pour prendre en charge la maladie et la douleur, il y a certes les techniques de la médecine et de la santé publique, les paroles et les soins de la psychiatrie, les aides sociales et les actes humanitaires. Mais ne doit-on pas aussi pénétrer dans d'autres univers, faits de représentations, de craintes, de culpabilité et d'accusations ? Des univers où les bactéries, le stress, le chaud et le froid croisent les mauvais esprits, les accusations de sorcellerie, le poids inéluctable du destin, le fardeau de l'hérédité et celui de la faute, des univers où tout cela s'entremêle aux moments douloureux de la crainte du mal ou du constat de son inéluctable progression.

C'est un vaste brassage d'idées, de croyances, d'angoisses et de conduites qui, d'une façon apparemment inextricable, s'agence autour de la maladie, pour peu qu'elle soit grave ou qu'elle rechute à de multiples reprises... Le soignant qui entre, qu'il le veuille ou non, qu'il le sache ou non, dans cet entrelacs de réponses au malheur est aussitôt un partenaire sur cette scène ; il y tient un rôle. Mais connaît-il toute la scène, sait-il ce qui se passe derrière le décor et ce qui prépare la suite de ce qu'il voit ?

C'est l'effort de l'anthropologie médicale que d'aider à mettre de la clarté dans tout ce qui semble, en ces domaines, obscur, Non certes pour tout expliquer [7] mais pour dégager quelques principes qui restaurent un ordre intelligible au sein de ce qui paraît souvent confus et contradictoire dans les conduites et les propos de ceux qui sont confrontés à la maladie ou à la mort, pour eux-mêmes ou pour leurs proches.

À la Réunion, la prise en charge de la maladie est placée dans une situation assez exceptionnelle. D'une part, dans une île qui est pleinement un département français, les institutions médicales, les services publics et privés de soin, de gestion de la santé publique et de prévention, sont fort présents et de bon niveau. Le système de sécurité sociale fonctionne et il est bien rare qu'un malade ne puisse accéder aux soins médicaux faute de moyens économiques, ou simplement faute de leur disponibilité.

Et cependant les pratiques non-médicales face à la maladie sont foule. Les unes ont des visées préventives sous des formes conjuratoires, d'autres ont des objectifs explicitement thérapeutiques, et passent par une grande diversité de thérapeutes, de guérisseurs, de dispensateurs de plantes ou de prières, des plus ancrés dans les traditions locales à tous ceux que les modes contemporaines font accoster aux rivages de l'île. Le flux des grands courants religieux qui irriguent l'île véhicule des divinités, des formes de prières et d'exorcismes, de culpabilités et d'accusations. Mêlant en un seul ensemble les maladies mentales et les pathologies corporelles, ces pratiques reçoivent nombre de consultants. Elles ne combattent pas la médecine, certes, mais elles s'ajustent à elle, et apparaissent comme des réponses à une représentation du mal et de ses causes que la médecine ne reconnaît pas, et qui, indépendamment de son éventuelle validité factuelle, a une solide réalité culturelle. La densité de la vie religieuse elle-même tient pour beaucoup au fait que nombre de pratiques et de cultes ont une finalité de prévention ou de cure. Combien étroits sont les liens entre la quête de salut et la recherche de santé, au point que le « salut » et la « guérison » y semblent inséparables !

C'est ce côte à côte, bien plus qu'un face à face, de la médecine et des autres pratiques de soin qui forme le lot quotidien de la maladie, de son interprétation et de sa prise en charge. Connu de tous, vécu et accepté par beaucoup, il fait partie des évidences partagées. Seule, une fraction du corps médical, la plus extérieure à la culture quotidienne de l'île peut en sous-estimer l'importance, que lui masque la lourdeur de son travail professionnel.

Prétendre tracer ici un inventaire complet de tous ceux des volets de l'anthropologie médicale qui peuvent contribuer à la connaissance de la maladie dans l'île et qui aident à accéder à sa prévention ou à son traitement, serait présomptueux. On traversera grâce à ce livre quelques-uns des thèmes qui ont le plus de poids, mais il en est d'autres, et à la fin du volume nous avons esquissé, dans une démarche collective, une liste de questions de recherche, certes ni complète ni parfaite, qui ouvre le champ et qui incitera les bonnes volontés à s'attaquer à leur étude.

L'anthropologie médicale est un vaste domaine, dont au fond personne ne peut exactement tracer les frontières.

[8] Il y a d'abord dans ce domaine tout ce qui a trait à la connaissance de la part que des faits de société ou de culture prennent dans des questions qui préoccupent directement les médecins et les soignants en général. Les maladies héréditaires par exemple ne se manifestent pas à la même fréquence selon qu'une société est vaste ou petite, cloisonnée sur elle-même et hautement consanguine ou au contraire ouverte aux apports extérieurs, Et ces structures tiennent avant tout à des règles de parenté organisées au sein d'une histoire sociale.

D'autres dimensions, en apparence exclusivement biomédicales, s'articulent étroitement à la société et à la culture. Nous avions pu voilà longtemps lors des études menées au Laboratoire d'épidémiologie et d'hygiène du milieu en accompagnement aux campagnes de lutte de l'Association Réunionnaise d'Éducation Sanitaire et Sociale (ARESS), montrer combien la prévalence des parasitoses intestinales dans les divers quartiers de l'île dépendait de comportements façonnés par des valeurs culturelles. Il en va de même dans le domaine des choix alimentaires et de leur impact sur l'état nutritionnel. L'épidémiologie du sida, les conditions de sa transmission, de sa diffusion, dans une population tiennent moins aux caractéristiques du virus qu'à celle de la population elle-même, à travers ses valeurs, ses conduites sexuelles, ses attitudes face aux drogues injectables, et aussi face à son degré d'information.

Mais en ne saurait en rester là. L'anthropologie médicale, bien plus que sur ce qui se passe lorsque la médecine rencontre la vie de la société, exerce notre regard à connaître ce que fait la société lorsque la maladie se présente à elle. Comment définit-elle la maladie ? Comment explique-t-elle ses causes ? Par quelles voies entend-elle la prévenir, la traiter, et au-delà comment la société a-t-elle construit des institutions qui offrent lorsque survient le malheur des moyens de répondre à la douleur ou à la mort ?

Là, ce n'est pas la médecine qui se penche vers la société, mais c'est la société qui prend en charge ses membres, par des voies différentes de celles de la médecine, voies parfois concurrentes, parfois convergentes, souvent indépendantes, où se combinent le savoir-faire du quotidien et les références au religieux. Mais pour le médecin, ce domaine est aussi celui où prennent forme les symptômes et leur interprétation, celui où se construisent les manifestations qui lui seront présentées, en particulier, mais pas exclusivement, en pathologie mentale.

*    *    *

Une remarque, avant de terminer. Les textes rassemblés ici sont ceux que nous ont donné les auteurs d'un colloque. La politique que nous suivons en général est de ne jamais publier d'actes de colloque où figureraient toutes les communications présentées, mais d'effectuer une sélection sévère. Nous y avons fait exception ici, afin de marquer que le débat est ouvert. Cela n'implique toutefois pas que tous les textes soient à lire sans réserve et qu'ils représentent [9] « l'anthropologie médicale ». Certains sont des synthèses, d'autres des études, d'autres aussi des expressions plus personnelles que scientifiques. Mais mis ensemble, ils présentent sur cette scène à la fois étroite et riche qu'est la Réunion, un écho des démarches qui s'y déroulent, des pensées qui s'y entrecroisent et ils constituent ainsi une amorce pour que s'approfondisse la pensée sur les voies d'une anthropologie médicale appliquée à la Réunion.



[1] Anne Retel-Laurentin (sous la dir. de), Pour une Anthropologie médicale en France Paris, CNRS.

[2] En particulier les collections « Champs de la santé » aux PUF et « Médecines du monde » chez Karthala.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 24 mai 2011 13:13
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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