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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

L'État du Québec en devenir. (1980)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre sous la direction de Gérard Bergeron et Réjean Pelletier, L'État du Québec en devenir. Montréal: Les Éditions du Boréal Express, 1980, 413 pp.  [Autorisation formelle accordée, le 12 avril 2005, par Mme Suzane Patry-Bergeron, épouse de feu M. Gérard Bergeron, propriétaire des droits d'auteur des ouvres de M. Gérard Bergeron]

[7]

L’ÉTAT DU QUÉBEC EN DEVENIR

Introduction

Par Gérard Bergeron


À l'origine du projet de recherche DYSEQ (Dynamique sociale de l'État au Québec), nous étions deux collègues à jongler avec les éléments majeurs d'une étude à mener dans laquelle société et État québécois formeraient le duo interactif d'une même dynamique. Nous nourrissions probablement quelque espoir de la trouver moins diffuse et plus propulsive qu'il n'est d'usage de la dire, surtout sous l'impulsion des impatiences accumulées de notre génération. C'était à l'été 1976. L'un d'entre nous commit l'imprudence d'en parler à trois collègues. Nous devenions cinq a vouloir nous engager dans cette recherche collective ; puis quelques semaines plus tard, l'équipe se gonflait à huit membres. Comme pour échapper à la grisaille d'un malaise institutionnel se prolongeant - la grève de quatre mois des professeurs de Laval à l'automne 1976 - cette huitaine de chercheurs commença à se réunir pour établir, d'abord assez péniblement, les bases d'une problématique d'ensemble. Au tournant de 1977, le nombre se stabilisait à dix chercheurs -enseignants auxquels allaient se joindre deux assistants. L'idée générale était suffisamment précisée pour faire acte de candidature à une subvention au programme FCAC (Formation de chercheurs et d'action concertée) du ministère de l'Éducation du Québec. Pendant deux autres années, l'équipe DYSEQ allait bénéficier d'une aide modeste mais indispensable. Aux auteurs du présent ouvrage collectif s'adjoignirent à l'occasion des collègues et des assistants de recherche, tous du Département de science politique de Laval, pour participer à une espèce de colloque permanent sur le thème inépuisable que nous avions choisi, pourtant, en pleine connaissance de cause.

Aucun chercheur ne voulant imposer son cadre analytique ni sa méthode propres, non plus que ramener tout le sujet à sa lecture personnelle privilégiée, les discussions pour une programmatique d'ensemble furent nombreuses et longues, parfois désordonnées : aléas de toute recherche du genre, semble-t-il, mettant en cause un si grand nombre de chercheurs aux centres d'intérêts et formations disparates. Mais sous le thème général, chacun pouvait en contrepartie se découper une tranche selon son intérêt propre et en faire part aux autres équipiers devant toute l'équipe ou dans des sous-groupes. [8] Discussions et critiques atteignirent parfois à l'épique. Le projet DYSEQ fut l'occasion et son équipe, le lieu de tenir une trentaine de réunions de tout niveau portant sur l'un ou l'autre aspect de cette dynamique sociale de l'État du Québec depuis 1960.

En avril 1978, l'équipe DYSEQ se manifesta pour la première fois en public en tenant un colloque d'orientation sur son objet et sur ses démarches - (l'expression au pluriel est volontaire) au Département de science politique de Laval *. Mais la pièce de résistance de l'équipe DYSEQ devait être la mise en oeuvre de l'ouvrage collectif que nous livrons maintenant au public. Le dessin général émergea de nos multiples discussions sur la problématique du sujet et de l'évaluation des contributions personnelles qui furent présentées entre nous. Après avoir esquissé un projet d'ensemble assez vaste prévoyant éventuellement des collaborations extérieures, le responsable de l'équipe nomma un trio composé de Réjean Pelletier, Antoine Ambroise et Louis Balthazar pour mettre au point un plan d'élaboration de l'ouvrage projeté.

Ce trio, sous la responsabilité première de Réjean Pelletier, qui sera jusqu'à ce jour co-responsable de cette publication, s'est réuni plusieurs fois, a produit des projets préliminaires d'où est sorti, précisé, le plan actuel, assignant à chaque auteur un sujet particulier à l'intérieur de telles limites pour l'équilibration de l'ensemble. Au niveau de toute l'équipe, ce plan fut discuté et précisé à nouveau, ainsi que furent présentés en première version la plupart des chapitres, tandis que les autres durent être examinés en groupes plus restreints pour sauver du temps. je voudrais remercier chaleureusement le partenaire de la première heure, Lionel Ouellet, et le trio concepteur de l'ouvrage pour son indispensable rôle. je remercie également Yvan Bouchard pour d'austères travaux de documentation à une phase préliminaire de nos travaux et Réjean Morrissette, véritable cheville ouvrière dans le fonctionnement de l'équipe DYSEQ et dans la collection et la révision des textes, ainsi qu'à la phase finale, Monique Brideau, dont nous avons pu apprécier les qualités techniques indispensables pour la mise au point des textes.

*   *   *

L'État du Québec en devenir est donc sorti du projet de recherches « Dynamique sociale de l'État au Québec ». Soit : dynamique, non seulement évolution générale, mais recherche des principes de fonctionnement pour le changement ou en vue de le provoquer, ce qui paraîtra plus apparent en certains chapitres ; sociale, cette dynamique trouvant dans la nouvelle société québécoise ses sources profondes avec ses nappes d'inertie, et surtout agissant sur cette société ; de l'État, considéré comme principe d'organisation, en [9] l'occurrence fédératif, impliquant contraintes et faisant surgir des problèmes spécifiques, mais surtout présenté comme agent global quoique non exclusif de transformation sociale ; au Québec, envisagé en tant que société spécifique, à la fois unitaire (à l'intérieur d'elle-même) et fédérée comme partie englobée dans un système fédératif, tout en s'ouvrant, par elle-même et pour son propre compte, sur le monde international.

La période historique considérée part de juin 1960 et va jusqu'à novembre 1976. Elle comprend d'abord la sous-période dite la Révolution tranquille, qu'on convienne de faire terminer celle-ci à juin 1966, moment de la prise du pouvoir par l'Union nationale, ou peu avant, au tournant de 1964-1965, ou peu après dans le régime qui l'aura prolongée en atténuation ou « digestion » jusqu'à 1970. Nos études poussent jusqu'à ce que l'indigence du langage permettrait d'appeler la post-Révolution tranquille et à cette autre sous-période, encore innommée (le label « les années bêtes » ne s'est pas encore imposé...) des années 1970. Quelques études s'étendent au-delà de la date du 15 novembre 1976, soit que le processus sous considération débordait de sa nature la date célèbre, soit qu'il fallait enregistrer une rupture ou signaler une continuité. La conclusion évoque l'événement du 20 mai 1980 qu'elle situe dans la perspective évolutionniste d'ensemble. Nous n'avons pas cru nous livrer à des fractionnements chronologiques excessifs.

Poser l'État en problématique générale, c'est aussi dire que les réalités sociales à observer lui sont reportées d'une façon ou de l'autre, quand elles ne sont pas des manifestations ou des objets de son action propre. Cette série d'études pourra paraître différente des travaux classiques de la science politique : critiques des institutions politiques et des courants idéologiques, analyse des partis et groupes représentatifs d'intérêts, etc. Elles ne s'axent pas sur les critiques d'inspiration marxiste traditionnelle selon lesquelles l'État, découlant du fait premier des structures économiques, qu'il occulte, n'a pas à être autrement mis en question et, finalement, n'est plus réellement objet d'investigation in se. Enfin, nous présentons autre chose que les analyses, en train de devenir classiques en sociologie historique, des sociétés ou phases pré-industrielles (ou traditionnelles), industrielles ou post-industrielles.

Les idées de modernisation, de développement ou de croissance ne conviendraient pas trop mal pour qualifier notre démarche pourvu qu'on retienne le doublet Society building process et State building process. En effet, en ces vingt dernières années, les Québécois ont sécularisé et remodelé leur image nationale en légitimant et, pour ainsi dire, en apprivoisant leur État (ou demi-État...) comme instrument d'action collective, ainsi qu'en modernisant et en développant les structures administratives et financières à un degré à peine concevable peu de temps auparavant. À mi-période des années 1970, plutôt qu'à la seule consolidation de l'acquis, on a assisté à une remise en question graduelle des consensus sociaux selon des poussées dynamiques inégales, intermittentes et assez désordonnées. Et c'est aussi en ce dernier sens qu'il faut entendre cette « dynamique sociale de l'État du Québec ».

[10]

Agent au moins intentionnel de changement global, l'État apparaît souvent comme créateur de maux spécifiques par ses structures à la fois proliférantes et carencielles, loin de pouvoir toujours agir comme efficace modernisateur de la société. L'État dont nous nous occupons n'est pas que celui qui décide - ou ne décide pas ! - par les modes des fonctionnements gouvernemental et législatif, ni que celui qui rétablit juridictictionnellement les situations irrégulières et contentieuses. C'est encore l'État administrant, car nous croyons que c'est dans le face à face administrateurs-administrés que se jouent les parties décisives de la présence étatique dans la société et que les travaux de notre discipline négligent manifestement. Plus récemment, par l'examen attentif des « politiques gouvernementales », on a commencé à réintroduire, dans l'étude du système politique global, la « geste » de l'administration publique comme fonction politique à part entière, à l'instar de (et en complément avec) la fonction gouvernementale, de la fonction législative et de la fonction juridictionnelle. N'est-ce pas par les contributions diverses du processus administratif que l'État se manifeste le plus multiple, le plus constant et le plus « voyant » dans le social quotidien ?

Nous ne sommes pas sûrs d'avoir réussi à répondre adéquatement à des interrogations fondamentales que nous nous posions au début de notre étude. Du moins, sommes-nous maintenant en position de les formuler différemment et d'en voir des composantes et prolongements qui nous échappaient. D'ailleurs, comment répondre, une fois pour toutes et en leur globalité, à des questions comme les suivantes ?

- Par une croissance, peut-être davantage improvisée que trop accélérée, l'État québécois est devenu créateur de crises spécifiques, qui semblent déplacer les problèmes sociaux plutôt que de les résoudre un à un.

- Même si le développement social avait correspondu de façon plus équilibrée à cette croissance étatique (qui n'est pas toujours un « développement » ou une « modernisation »), l'émergence de toujours nouvelles aspirations et le gonflement des anciennes se trouvent à rehausser les indices non atteints de satisfaction.

- Il y a eu des changements d'ordre quantitatif (masses fiscale ou salariale de la fonction publique, augmentation générale des finances publiques, croissances peut-être hypertrophique du personnel et des services administratifs) qui ont incité à conclure trop tôt à des changements structurels d'ordre qualitatif.

- Avoir fait la fonction publique et sa syndicalisation, en même temps et en un court temps, était peut-être une double tâche trop lourde pour la capacité systémique d'un État très insuffisamment développé en 1960 et toujours handicapé, comme facteur second, par une situation constitutionnelle de « demi-État ».

[11]

- L'État fédéral est un État fragmenté, ce qui comporte pour tous des limites objectives de système, quelles que soient les politiques mises en oeuvre ou les dispositions subjectives de ceux qui ont à décider à l'un ou l'autre niveau de décision.

- Les politiques de la Révolution tranquille ou celles qui, dans la suite, peuvent lui être assimilées ont, au moins en apparence, probablement autant accentué l'hétérogénéité sociale que produit des résultats de démocratisation et de plus grande égalité.

- La dialectisation du social-économique et du national-culturel demeure la base de la dynamique québécoise dans les phases de la « post-Révolution tranquille ».

- En sa plus profonde dimension, la « crise québécoise » en est peut-être davantage une d'identification collective que de participation ou de distribution - d'où son évolution en crise de légitimation politique mettant en cause le principe de légitimité de l'ensemble du système fédératif canadien.

*  *  *

Si chaque auteur avait donné son accord à l'élaboration générale du plan en acceptant de traiter la tranche qui lui était dévolue, il était entendu qu'il restait maître de son texte, gardant son droit de discriminer la pertinence des critiques soumises par les autres collaborateurs. Comme tout ouvrage a rédaction multiple, la personnalité et le niveau d'écriture varient d'un chapitre à l'autre. Il n'en pouvait être autrement. Aussi n'avons-nous pas tenté une impossible homonégéisation de l'ensemble ; mais nous avons visé à éviter le plus possible les redites ou les redondances. Il reste qu'à source multiple, l'ensemble prend une certaine allure d’œuvre faite mais dont les qualités d'intégration ne peuvent être exigées à l'instar de celles qu'on attend d'un auteur unique.

Il s'ensuit, en compensation, cet autre intérêt, de variété, d'approches diverses et de leur traitement particulier. Certains auteurs auront davantage porté attention à saisir des trames historiques (les chapitres 1, 4, 5, 11). D'autres auront insisté sur un encadrement théorique spécifique (les chapitres 3, 6, 7, 12). Enfin, ce sont les filiations idéologiques, au sens large, qu'auront tenté de retracer d'autres auteurs (les chapitres 2, 8, 9, 10). Ces choix analytiques n'étaient pas complètement libres dès lors que la matière à traiter le commandait en bonne partie et tout au moins dans la limite d'exiguïté d'un seul chapitre.

La « mise en situation historique » constitue la Première Partie, introductive. La Révolution tranquille n'est pas le fruit d'une génération spontanée. Quelque chose la préparait, l'annonçait et la réclamait même dans la [12] quinzaine d'années précédentes. Il fallait le rappeler car il s'agit d'une sous-période très peu connue de notre histoire récente. Ramenant à trois métaphores synthétiques les caractéristiques des années 1945-1960, l'auteur de ce premier chapitre écrit : « Ventilations à certains niveaux de la mentalité collective avec des ouvertures sur le monde et sur l'avenir ; rétrécissements par et à l'intérieur d'une politique officielle médiocre, sans envol et, pour tout dire, appauvrissante ; germinations lentes mais efficaces de divers projets socio-économico-culturels s'accomplissant hors de la politique ou à son encontre. Il n'était pas fatal, mais il apparut naturel que ce qu'on allait appeler la Révolution tranquille en sortît. »

Au chapitre 2, Louis Balthazar retrace les signes d'apparition du néo-nationalisme qui « sera la grande inspiration des réformes de la Révolution tranquille, voire de l'ensemble de la politique québécoise depuis 1960 ». Il les voit apparaître successivement dans la mobilisation sociale nouvelle d'un nationalisme moderne ; dans la sécularisation et le déclin ecclésial ; dans le Québec se posant, selon l'expression de Jean Lesage, comme « expression politique du Canada français » ; dans la concurrence où le pouvoir québécois allait se trouver avec le pouvoir central ; enfin, dans un pouvoir envahissant progressivement tous les niveaux de la société. La phrase la plus illuminante de cette étude est peut-être la suivante : « Le passage du collectivisme religieux au nationalisme est bien plus qu'un simple changement de religion ». En conclusion, l'auteur émet l'opinion qu'il « est fort plausible de soutenir que le Parti québécois (au moins tel que perçu par l'électorat) est bien davantage l'héritier de la Révolution tranquille que des mouvements indépendantistes. »

La Deuxième Partie est consacrée à l'auto-transformation de l'État québécois, à l'amplification et aux mutations de ses appareils de fonctionnement central. C'est d'abord du jumelage - inévitablement symbiotique - des appareils gouvernemental et législatif dont s'occupe Lionel Ouellet. Dans un texte d'une construction rigoureuse et détaillée, dont nous avons dû sacrifier nombre de pages et de représentations schématiques, l'auteur définit d'abord la nature et les tâches de la fonction gouvernementale. Puis, en deux grandes parties distinctes et complémentaires, il en étudie en premier lieu la modification des activités et l'évolution de ses institutions ou organes propres. La fonction gouvernementale s'occupe de trois sortes de politiques : les constitutives, les nationales ou les sectorielles. Elle le fait en adoptant des stratégies globales et en établissant des priorités, en répondant à des problèmes ponctuels comme ceux d'urgence et de sécurité, en affirmant sa responsabilité à l'égard du système politique en sa totalité. Les organes correspondant à ces tâches sont, soit de nature politique (au premier chef, le Conseil des ministres), soit de nature administrative générale (comme les services de soutien ou ceux qui sont de type ministériel), soit de nature administrative spéciale (livres blancs et verts, commissions d'enquête, sommets économiques). Le traitement de la fonction législative obéit aux mêmes principes [13] de division, son fonctionnement étant, du reste, en interaction constante avec le fonctionnement gouvernemental. L'auteur observe en conclusion que si le gouvernement Bourassa a été battu en 1976, c'est qu'il ne parvenait pas « à dégager une vision et un leadership capables de faire converger les forces du système politique et les mécanismes de son appareil institutionnel. Il est révélateur de voir que les premières mesures adoptées par le gouvernement Lévesque aient précisément porté sur les mécanismes décisionnels du cabinet ainsi que sur la réforme des institutions électorales et parlementaires ».

Le chapitre d'Antoine Ambroise et de Jocelyn Jacques porte sur le plan de l'exécution administrative et sur l'évolution proprement phénoménale de l'appareil administratif en ces deux dernières décennies. Dès le début des années 1960 s'est produite une véritable mutation du rôle de l'État devenant, « un acteur de plus en plus visible dans la vie de chaque citoyen ». L'étape suivante peut être qualifiée de modernisation générale de son appareil administratif (bureaucratisation des structures et des processus, introduction de méthodes et techniques modernes de gestion). Plus précisément, nous avons assisté au Québec à une systémisation de cet appareil administratif dans le but de « relier le politique et l'administratif » et de « harnacher d'une façon positive les interactions entre ces deux niveaux lors de l'élaboration des politiques publiques ». Quel contraste, en effet avec « l'administration de l'époque antérieure, [qui] était atrophiée, sous-développée, désarticulée et trop décentralisée » !

L'auteur du dernier chapitre de cette Deuxième Partie, portant sur l'appareil judiciaire, a dès le début senti le besoin de justifier l'insertion d'un pareil sujet dans un ouvrage de science politique. Il affirme que le politologue doit se rendre compte que le juriste du droit public « s'occupe autant du politique que lui-même, bien qu'avec une tendance naturelle à laisser en arrière-plan les aspects de la politique de ce politique-là », car « il s'agit toujours du même État ». Ce chapitre, qui apparaît « comme une espèce de chronique politique de voyage à travers le domaine de la justice québécoise des deux dernières décennies », a d'abord présenté des exposés de réforme générale comme le rapport de la Commission Prévost de 1969 et 1971 et le livre blanc sur le Justice contemporaine de 1975. La deuxième partie étudie l'évolution, comme corps, du Barreau et de la Magistrature. Constituent une troisième partie l'analyse des commissions spéciales d'enquête (Cliche et de la CECO) qui ont longtemps défrayé, et de façon spectaculaire, l'actualité des années 1970, ainsi que l'étude des services policiers en matière de sécurité, affaires qui allaient donner naissance aux commissions Mc Donald (fédérale) et Keable (québécoise). Enfin, une quatrième section traite des droits fondamentaux (Charte des droits et libertés de la personne) et de la sécurité judiciaire (Protecteur du citoyen, aide judiciaire, petites créances). Ainsi « on a pu vérifier à la trace que la Révolution tranquille de la justice québécoise s'est plutôt effectuée au tournant de la seconde décennie que dans les premières années [14] de la première ». Mais comme la justice est toujours révélatrice de plus que d'elle-même, il conviendra d'observer encore que « les retards qui lui semblent propres ne lui sont pas, non plus, exclusifs ».

La Troisième Partie de notre ouvrage collectif est consacrée à l'exploration des nouveaux modes d'intervention de l'État. Ils sont multiples et le recours à la grille de classification de Vincent Lemieux permet d'exposer la grande division de leurs antécédents et conséquences, en s'attachant « surtout aux phénomènes de pouvoir et plus précisément à la distribution du pouvoir entre les principaux antagonistes de la politique du Québec ». L'auteur propose ensuite une typologie élémentaire de cinq politiques gouvernementales (concession, acceptation, attribution, neutralisation, restriction) à entrecroiser avec trois catégories de pouvoir (positif, négatif, neutre). « Le bilan auquel nous arrivons, écrit l'auteur en finale, tend à appuyer notre postulat voulant que la part du pouvoir positif dans l'ensemble du pouvoir n'a pas augmenté, même si la répartition de cette part entre les principaux acteurs politiques a été modifiée. Le pouvoir positif des syndicats et des administrateurs aurait augmenté, celui des publics, des maires et des milieux d'affaires serait resté à peu près le même, tandis que le pouvoir politique des établissements et des partis gouvernementaux aurait diminué ».

Le problème énorme de « l'aménagement urbain et de l'autonomie locale » fait l'objet du chapitre 7, rédigé par Louise Quesnel-Ouellet. Après avoir défini les deux éléments du titre, l'auteur construit une matrice à quinze cases pour « l'analyse des politiques d'aménagement en fonction de l'autonomie locale » en tenant compte de trente projets élaborés ou réalisés par le gouvernement du Québec. L'étude se subdivise en quatre tranches, correspondant aux quatre ministères qui se sont succédés entre 1960 et 1980. La première phase de 1960-1966 peut être caractérisée comme celle d'une « prise de conscience du milieu urbain » ; la suivante, sous l'Union nationale entre 1966 et 1970, comme celle « d'une nouvelle vision de l'aménagement » ; la troisième, du gouvernement Bourassa, comme celle des « grands projets et des commissions d'étude » ; enfin, celle qui s'ouvre avec l'accession au pouvoir du Parti québécois, comme « l'aboutissement » (avec, comme principales mesures, la réforme fiscale remettant le champ de l'impôt foncier aux municipalités, les lois sur l'urbanisme, sur la protection du territoire agricole et pour la valorisation du pouvoir local). L'auteur conclut : « Sans pour autant avoir favorisé l'autonomie locale de fait, le Parti québécois semble, au terme de cette analyse, avoir été le producteur, des projets les plus globaux, alors que les gouvernements précédents s'étaient caractérisés par des interventions plus ponctuelles qui ont cependant contribué à « aménager » le territoire du Québec que nous connaissons aujourd'hui ».

Après l'étude de l'évolution et de la croissance des appareils d'État (Deuxième Partie) et des nouveaux modes d'intervention (Troisième Partie), on aborde en Quatrième Partie l'analyse de la transformation récente du rapport État et société. Au chapitre 8 portant sur les partis politiques, Réjean [15] Pelletier croit devoir privilégier l'analyse de leur programme, ce qui permet de « situer les partis au point de jonction du social et du politique », plutôt que celle de leur politique effective, qui manifesterait le même courant mais à l'inverse, « les partis comme points de jonction entre le politique et le social ». Du point de vue de cet auteur, 1968 marque la césure essentielle dans l'évolution de nos partis québécois et fédéraux : sont rappelés les événements marquants de cette année-charnière. Il construit des axes interventionnisme-non-interventionnisme, collectivisme-individualisme, indépendantisme-fédéralisme, pour illustrer les positions programmatiques des partis politiques québécois, car ces polarisations ont été significativement changeantes à diverses phases de la période considérée. En conclusion, on retiendra surtout les propositions suivantes : « En somme, la période 1960-1968 ne provoque pas une crise de légitimité ou une crise de système, mais plutôt une crise dans le système ou une crise de consensus qui mettait fin à l'unanimité artificielle des années antérieures », tandis « que la période qui s'étend de 1968 à 1976 a un impact canadien beaucoup plus important c'est alors le schéma national du nationalisme qui en vient à dominer en opposant les partis selon une dimension fédéraliste et indépendantiste ». Mais attention : c'est au moment où la question nationale polarise le débat entre fédéralistes et indépendantistes et où les partis ont en quelque sorte secondarisé la question nationale », que « les conflits sociaux surgissent de toutes parts et deviennent de plus en plus aigus [...] de sorte que les partis sont incapables de répondre adéquatement à la situation. Ce sont alors les groupes sociaux qui vont intervenir... »

C'est précisément « des groupes, de leurs tendances et déterminations » que traite Raymond Hudon au chapitre suivant. Après une série de remarques préliminaires sur « la portée théorique » de ses éléments d'analyse, l'auteur fait d'abord ressortir la tendance à la polarisation qui a marqué la multiplication nouvelle des groupes sociaux au Québec depuis 1960. Il tente ensuite de montrer comment cette polarisation s'est trouvée à orienter le débat sur la question nationale en référence au couple impérialisme-nationalisme. En une section suivante, l'auteur attire l'attention sur « l'aspect paradoxal d'une expansion du libéralisme au Québec simultanément à l'expression de demandes croissantes pour une intervention accentuée de l'État québécois ». À partir de ces tendances et de ces paradoxes, l'auteur s'emploie à saisir « le traitement plus essentiel de questions reliées au sens de la détermination des rapports entre le niveau proprement social de la collectivité québécoise et le niveau plus formellement politique de ses appareils étatiques », selon « la problématique de l'État structuré et de l'État structurant ». En finale, l'auteur s'applique à évaluer les efforts récents (depuis 1976) pour une meilleure concertation entre les groupes et entre l'État et certains groupes. Il conclut sur une note sombre : « Tout échec ou même un simple demi-succès dans ces efforts de concertation risquent cependant de provoquer des déceptions d'autant plus profondes qu'auraient été suscitées de très grandes attentes chez une bonne partie de l'électorat québécois ».

[16]

Le chapitre de Carol Levasseur, intitulé « De l'État-Providence à l'État disciplinaire » attire notre attention sur l'évolution de l'interventionnisme croissant de l'État québécois. Cette intensification de l'action du politique dans le social ne doit pas être comprise comme « une montée implacable et irréversible de l'étatisme per se mais plutôt [comme] l'émergence et le développement d'un État de type nouveau : le Welfare State ou l'État-Providence ». En ce sens, l'année 1960 constitue une coupure historique décisive dans l'évolution d'ensemble du Québec, dans la mesure où s'amorce un renouvellement radical des procédures et des mécanismes de régulation étatique des rapports sociaux. Au centre de ce renouvellement se trouvent l'élaboration et l'application graduelle, tout au long des décennies soixante et soixante-dix, d'un modèle disciplinaire de relations de travail fondé sur l'impératif de moderniser le mode de gestion et de régulation étatique du rapport salarial. C'est cette idée qui fait l'objet de la deuxième section du texte. L'auteur montre comment, en cinq étapes, le cadre institutionnel des relations de travail dans les secteurs de l'enseignement et de santé s'est modifié à mesure que l'État-Providence expérimentait les limites de son action. Finalement, il conclut que l'arrivée au pouvoir d'un gouvernement péquiste n'a en rien changé cette réalité qui apparaît maintenant comme étant irréversible, d'un État-patron disciplinaire prévalant sur l'État-Providence lorsque vient le moment de définir les priorités et les interventions de l'État québécois.

Avec la Cinquième et dernière Partie, nous arrivons à la place de l'État québécois dans son espace canadien et dans le plus large environnement international. L'auteur du onzième chapitre, portant sur l'évolution et les grandes tendances du fédéralisme canadien de 1960 à 1976 a présenté son étude sous trois chefs : d'abord, « l'ébranlement » du fédéralisme ; puis, les échecs des « tentatives de renouvellement » ; enfin, les « derniers efforts de relance depuis 1974 ». La première partie fait la narration des tentatives du gouvernement québécois pour se faire « une meilleure place » constitutionnelle et décisionnelle « au soleil » fédéraliste entre 1960 et 1966. Sous le régime de l'Union nationale, c'est la même dynamique qui continue sans guère plus de succès, mais l'ampleur et la gravité du problème sont posées. Les efforts portant sur les préalables à l’œuvre de révision elle-même (le rapatriement, les processus d'amendement) allaient échouer les uns après les autres. Le point culminant de cette histoire est certes le refus par le gouvernement du Québec des propositions fédérales contenues dans la Charte de Victoria en 197 1. Les dernières tentatives sous le nouveau ministère Trudeau de 1975 allaient connaître un sort identique pour des raisons diverses. L'auteur abandonne son étude par l'observation : « Une histoire qui commençait, il y a quinze ans, par le souci du Québec de rapatrier la Constitution canadienne et qui s'achevait par son quatrième refus à la proposition avancée est plutôt bizarre. Et le pays où cela se déroule en deux impératifs contradictoires, a un régime constitutionnel pour le moins aussi bizarre... »

Enfin, l'ouverture du Québec au monde est étudiée par Paul Painchaud dans le dernier chapitre : « L'État du Québec et le système international ». [17] L'auteur propose d'en faire la narration selon cinq catégories analytiques : définition d'une doctrine, élaboration d'une pensée stratégique ; mise en place des ressources, appropriation d'une espace international, formation d'un champ de politiques. Tout en signalant une certaine étanchéité entre ces catégories, il affirme que ces catégories permettent de « mettre de l'ordre dans un processus qui fut complexe et peu rationalisé par les participants eux-mêmes ». Avec la Révolution tranquille, « la politique internationale du Québec est érigée en champ permanent et hautement visible des politiques gouvernementales. » Après avoir retracé les diverses affirmations de la présence du Québec au monde extérieur au long des vingt dernières années, l'auteur conclut que « ce dossier sera une composante importante de tout arrangement constitutionnel à venir. Si le Québec devient souverain, les politiques déjà mises en oeuvre constitueront la genèse de sa politique étrangère ».

L'ouvrage se termine par une conclusion de Réjean Pelletier qui s'emploie à signaler principalement les points de rupture et les éléments de continuité dans la longue marche de « l'État du Québec en devenir ».

On ne résume pas un texte qui est lui-même une synthèse des grandes lignes d'évolution relevées et analysées dans les études précédentes selon l'objet et l'aspect propres de chacune. S'il fallait risquer une seule notation, ce serait peut-être celle-ci pour signifier une évolution à la verticale : la « dynamique sociale de l'État » est faite, depuis vingt ans, bien plus de continuités qui s'appellent que de ruptures désirées ou proclamées. Ou peut-être, selon une formulation de Bertrand de Jouvenel, cette autre notation pour signifier une interpénétration graduelle à l'horizontale : « Plus la Société se trouve "étatisée", moins il est possible que l'État reste "étatique". Il doit acquérir la complexité naturelle de ce qu'il absorbe. »

Gérard BERGERON
École nationale d'administration publique.



* Équipe DYSEQ : Dynamique sociale de l'État québécois (1970-1976), Série Notes et travaux de recherche, no 11, septembre 1978, Laboratoire d'études politiques et administratives du Département de science politique de l'Université Laval.



Retour au texte de l'auteur: Gérard Bergeron, politologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le dimanche 22 septembre 2013 8:04
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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