Avant-propos
La Guerre froide recommencée reprend le fil d'une même histoire quinze ans après la publication de La Guerre froide inachevée * Il ne s'agit toutefois pas du tome II d'un même livre. L'introduction de La Guerre froide recommencée rappelle en gros la méthode proposée dans le livre précédent et contient un sommaire de la Guerre froide dite « classique » pour les dix-sept années allant de la fin de la Deuxième Guerre mondiale (1945) à la crise de Cuba à l'automne 1962. En annexe, une chronologie en rappelle aussi les faits marquants. En outre, le chapitre premier reproduit, avec quelques coupures et des corrections de forme mineures, la présentation de la première phase de l'après-Guerre froide (1963-1970) qui terminait le livre de 1971. La lecture de La Guerre froide recommencée ne présuppose pas celle de La Guerre froide inachevée, bien que les deux ouvrages obéissent d'évidence à une même préoccupation de s'y reconnaître dans le monde international de l'après-guerre.
Le titre du présent ouvrage pourrait être affecté d'un point d'interrogation : La Guerre froide recommencée ? comme celui du précédent aurait pu être suivi d'un pointillé : La Guerre froide inachevée... La finale du livre reprend l'interrogation fondamentale d'une possible résurgence de la Guerre froide des plus mauvais jours et se termine sur les plus récentes tendances de l'histoire-se-faisant. Depuis que l'humanité s'est donné les moyens de se détruire des centaines de fois, il n'est nul besoin de démontrer l'importance d'une question qui relève du fond de l'angoisse existentielle de l'espèce. Mais cet ouvrage en traite sous la forme très concrète des conduites politico-diplomatiques des deux Grands et, principalement, des relations de puissance de l'un par rapport à l'autre.
Jamais autant qu'en cette année d'un autre centenaire * l'expression nietzschéenne sur « les monstres froids » n'est apparue appropriée. L'expression métaphorique de « guerre froide », ayant eu d'autres origines que celle-là et qui seront rappelées, convient toujours à l'évocation des risques de la grande explication entre les deux Grands, fort heureusement toujours ajournée. Il faut toutefois se garder de réifier la « guerre froide » du fait qu'on puisse l'analyser comme une espèce de système de compétition à l'échelle mondiale. S'abstenir aussi de lui donner une espèce d'existence symbolique comme le pourrait l'imaginaire d'un artiste visionnaire et tragique lui inspirant, par exemple, l'image d'une bête d'apocalypse sous la forme d'un dragon de glaciation, exhalant les plus basses températures imaginables jusqu'à « l'hiver nucléaire »... L'intention du propos est de procéder plus prosaïquement à l'analyse de politiques très concrètes, qui sont le fait d'hommes particularisés et placés, à tel moment, aux commandes décisionnelles très réelles de deux capitales d'empire. La « guerre froide » n'est finalement qu'une façon de parler des réseaux de puissance dans les relations soviéto-américaines.
Selon ses variantes dans le temps que qualifieront les titres de chapitres, la rivalité inter-Grands est faite d'attitudes et de situations plus ou moins changeantes et constituant, dirait-on, des « climats » diplomatiques plus ou moins frigorifiants. L'étude s'efforce de se dégager de l'actualité immédiate pour se donner du champ afin de saisir les grandes tendances jusqu'à la dernière en train de se produire. D'où une certaine systématisation afin d'évaluer les objets et de procéder à des découpages analytiques selon l'intention d'une démarche annoncée et devant assumer tous ses risques. La seule convention avec le lecteur est l'acceptation de principe du départ de la recherche proposée.
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Il n'y a pas de « grandes puissances » que les États-Unis et l'Union soviétique, mais ce sont les Grands par lesquels la « guerre froide », selon ses variantes successives, se livre encore après plus de quarante ans. Tout le temps, leurs rapports sont le facteur dominant, ce qui les range dans une classe à part, et les divers aspects de leur rivalité fondamentale constituent le sujet de l'investigation. Un parti pris analytique de cette nature commande des sélections d'objets propres (comme la course aux armements, les alliances, les conflits et différends) et des discriminations d'acteurs particuliers (à part les Grands, ceux des États qui sont touchés le plus directement par les politiques de leur rivalité). Autrement dit, pour générale ou globale qu'elle prétende être, une étude internationale à l'enseigne de la « guerre froide » doit laisser tomber plus de questions et de matières, objectivement importantes dans d'autres contextes, qu'elle n'en peut retenir.
Ainsi, une question aussi vaste que le développement attardé du tiers monde ou le dialogue Nord/Sud, pour tout dire la faim dans le monde qui est l'autre grand phénomène planétaire de l'époque, n'entre pas dans l'objet premier de l'étude. L'activité économique générale, ou les cruciales crises de l'énergie par exemple, non plus que d'autres grands chocs idéologiques à l'autre extrême, ne sont la matière immédiate du propos. En particulier, les crises « intra-blocs » ne sont guère évoquées que par leurs effets sur la rivalité « interblocs » ; de même en est-il pour les faits de politique intérieure et même extérieure des grands États européens, qui sont loin de ressortir tous au conflit Est-Ouest. En d'autres continents, des pays aussi importants que le Japon, l'Inde, le Nigéria ou le Brésil tiennent peu de place dans l'étude parce que n'apparaissant pas comme des théâtres premiers ou seconds de « guerre froide ».
Inversement, l'Europe ou la ligne entre les deux Europes est toujours un théâtre premier de « guerre froide ». La Corée avant hier, Cuba hier et encore aujourd'hui, maintenant l'Afghanistan et le Nicaragua sont des scènes premières de la rivalité entre les Grands. Des régions comme l'Afrique australe, la corne de l'Afrique ou l'Amérique centrale peuvent, un temps, devenir des théâtres du conflit fondamental, tout comme ces foyers d'instabilité que sont le Proche-Orient et la péninsule d'Indochine. Bref, un historique des rapports inter-Grands depuis 1963 est d'un objet moins large qu'une histoire générale du monde depuis cette date.
Traité en Épilogue, le sommet Reagan-Gorbatchev de novembre 1985 marque le terme chronologique de l'étude. Elle ne tient donc pas compte d'événements marquants des premiers mois 1986 : la crise lybienne, la détérioration rapide des rapports inter-Grands et la remise à plus tard d'une nouvelle rencontre d'abord prévue pour le mois de juin, de nouvelles propositions en matière de maîtrise des armements, les catastrophes technologiques de la navette Challenger et de Tchernobyl, la dernière phase d'évolution des questions du Proche-Orient, d'Afghanistan et du Nicaragua, les révolutions pacifiques aux Philippines et en Haïti, etc.
L'ouvrage est construit selon une succession de séquences chronologiques de durées inégales : de dix-sept ans, pour l'introduction historique, à quatre, pour le chapitre III. Les événements tournants, signalés par un lieu géographique, se retrouvent dans les titres des chapitres, ainsi que la durée de la phase en question. À l'exception de l'introduction, dont le schématisme obligé sert aussi de fond méthodologique pour le reste de l'étude, les tranches subséquentes couvrent des périodes relativement courtes de quatre à sept ans, déterminant des phases estimées significatives. Celles-ci sont étudiées en cinq niveaux d'objets distincts, auxquels correspondent autant de sections numérotées qui s'appellent et se complètent d'un chapitre à l'autre. Cette méthode est apparue plus appropriée pour saisir l'évolution générale du phénomène global en cause, que celle qui eût privilégié une division fonctionnelle par questions sur toute la durée de la période depuis 1963. Il va de soi que chaque matière, traitée entre deux intertitres d'un même chapitre, ne peut l'être aussi abondamment qu'un ouvrage spécialisé sur la question.
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Deux mots sur les sources. Les ouvrages de fond utilises (livres, rapports, revues spécialisées) sont trop nombreux pour prendre place en bibliographie générale. Par ailleurs, toutes les citations comportent leurs références exactes, y compris celles qui proviennent des journaux et qui sont naturellement fort abondantes. À côté de ces journaux de référence classiques que sont The New York Times et Le Monde, l'auteur utilise aussi les quotidiens français de Montréal et de Québec. Abonnés au service de l'Agence France Presse, ces derniers journaux condensent aussi les nouvelles fournies par les autres agences, principalement américaines et britanniques. Pour chaque citation, c'est la source paraissant la mieux appropriée au propos qui prévaut. D'autre part, il est aussi tenu compte des sources étrangères, soviétiques, chinoises, etc., telles qu'en font assez fréquemment état les agences de presse et les journaux occidentaux.
Ces précisions ne sont peut-être pas superflues si l'on veut bien ne pas oublier que le traitement de presse est la première dimension, au sens d'immédiatement accessible, des rapports internationaux et, en particulier, de cette chose qu'on baptisait vers 1947 de « guerre froide » et qui persiste sous différents vocables dérivés. Enfin, le lecteur trouvera à la fin de l'ouvrage un glossaire des sigles qui sont communément employés dans le langage de la course aux armements et de sa maîtrise (arms control). Ils symbolisent des expressions anglaises qu'ont utilisées généralement les Américains en premier et qui se sont imposées par la suite. Une traduction française en sera soumise ; mais elle ne remplace généralement pas les sigles anglais continuant à prévaloir dans les autres langues.
* Montréal, Les Presses de l'Université de Montréal, 1971.
* 1985, année du centenaire de la mort de Victor Hugo, marquait aussi le centenaire de l'ouvrage de Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra.
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