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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Louis Rivet, « Le guetteur », chef du Service de Renseignement français de l'Armée de Terre.
Quelques écrits. (2024)
Présentation


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Michel BERGÈS, Louis Rivet, « Le guetteur », chef du Service de Renseignement français de l'Armée de Terre. Quelques écrits. Chicoutimi, Qc.: Les Classiques des sciences sociales, janvier 2024, 239 pp. [Autorisation formelle accordée par l’auteur le 9 janvier 2024 de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

Présentation

Le présent ouvrage a pour origine un enseignement de Science politique aux Universités de Bordeaux et Toulouse sur l’histoire de l’administration et de la police en France, entre 1852 et 1944 [1]. Par devoir pédagogique, la publication ci-après sauvegarde quelques écrits de Louis Rivet (1883-1958), chef du Service de Renseignements de l’Armée de Terre (« Srt ») de juin 1936 à avril 1944.

Rappelons les étapes de sa carrière (I.), avant une présentation de ces textes (II.). Ils concernent les rapports du 2ème Bureau (« 2B ») et du Srt avec « la politique » haute et basse de factions parvenues au sommet d’un État-fantôme de Vichy immobilisé puis broyé par les glaces, après avoir garrotté le pays avant leur fuite honteuse vers Sigmaringen. À l’opposé des agents, des sous-officiers et officiers du Srt dont certains « finiront la tête haute sous les balles des pelotons d’exécution, ou dans ces camps atroces d’où l’on ne revenait plus », qui, entre « obéissance aux ordres » et « devoir », – question « webérienne » s’il en était [2] – « saisirent la bouée libre de l’honneur » (sic), respectant ce principe exigé par Rivet de ses hommes :

« Le Sr n’accepte pas la défaite. […] L’activité du Sr étant par essence continuellement offensive, le terme de “Résistance” est impropre à la désigner [3]. »

En considérant ici humblement comme notre seul dû son apostrophe ex ante :

« Au fond de sa province, dans la sérénité d’une paix revenue, quelque historien nonchalant cédera peut-être à l’appel des perfides sirènes et s’en ira butiner sur les sentiers du Renseignement. Nous souhaitons que le merle moqueur, dans le voisinage perché, ne lui fasse point tenir pour vain ce divertissement. » [Louis Rivet, Le Sr de 1940-1944, infra, p. 87.]

I. – L’homme et sa carrière

Louis Rivet naquit à 9 heures du soir le mercredi 3 janvier 1883 à Montalieu-Vercieu, canton de Morestel, dans le département de l’Isère. Son père, Louis, âgé de 30 ans, menuisier, au nom aussi de sa mère, Marie Anthelmette Berthet, 26 ans, ménagère de profession, le déclara à l’état civil de sa commune. En présence de deux témoins : l’un tailleur de pierre, l’autre d’habits, tous deux amis et habitants de cette commune de 2100 habitants à son époque.

Pensons à une enfance heureuse aux bords du Rhône, juste en face du département de l’Ain, à une cinquantaine de kilomètres au nord de Grenoble et à l’ouest des derniers contreforts du Jura, proche à vol d’oiseau d’Aix-les-Bains, d’Annecy, et finalement de la mythique Genève. Là s’égrenèrent les premières séquences de vie, en leurs pratiques catholiques ancrées dans de plus anciennes, liées aux mœurs traditionnelles d’un « Dauphiné » dont le grand ethnologue Arnold Van Gennep a décrit rites et mythes des femmes et des hommes de tous âges, « du berceau à la tombe », dans cent quatre-vingt-une communes de cette province, témoins de bien des choses antérieures même aux conquêtes de la Gaule par les Romains [4].

Espace où s’épanouirent à « la communale » les avancées républicaines culturelles et pédagogiques d’alors, partagées notamment avec un frère qui deviendra plus tard instituteur. Aux valeurs alternées par les cueillettes des noix ou des champignons, par les jeux avec les copains de l’École dans la pénombre de bois entrecoupés de clairs pâturages d’élevages, de plaines ou de pentes dans  les herbes d’été ou les vieilles carrières proches de la cité.

Après trois années d’apprentissage dans l’atelier paternel de menuiserie, sachant « lire et écrire » au regard de son premier livret militaire [5], inscrit sur la liste de recrutement de la subdivision départementale de Bourgoin-Jallieu sous le n° 54 du tirage de son canton pour la « classe 1903 », le jeune volontaire « de l’an III » du XXe siècle s’engagea à 20 ans, le vendredi 14 novembre 1902 à Grenoble, au « 140e Régiment d’Infanterie ». Théoriquement pour quatre années …


Le tableau ci-dessous distingue cinq étapes d’un parcours alternant périodes de formation et de campagnes, aux aléas d’une vie militaire et personnelle qui firent émerger les qualités d’un homme sorti du rang, au profil exemplaire à tous les postes occupés au gré des décisions ministérielles, prêt à répondre aux besoins de l’armée d’alors.

En les pénuries, les compétences, les logiques parcimonieuses de promotion, de permissions, et de détachements « pour ordre » de celle-ci, d’un régiment, d’un bataillon, d’une scène d’action à l’autre. D’évidence, ces données ramassées n’indiquent que les principaux repères professionnels, sans épuiser le contenu des fonctions de celui qui, après un long parcours, allait devenir le chef du Sr français de l’Armée de Terre.

Périodes

Fonctions

Campagnes

Grade et décorations

– 1903-1914

Soldat engagé volontaire dans des régiments d’infanterie

Formation et campagne à Grenoble, Annecy …

soldat de 2ème classe, le 14/11/1902

caporal, le 16/05/1903

– Admis à l’École des de Saint-Maixent (Deux-Sèvres) : élève officier du 16/10/1908 au 01/01/1909

Classé 56ème sur 163, avec cette appréciation :

sergent fourrier, le 19/07/1904

« A de la vigueur, de l’activité, une belle attitude. Beaucoup de conscience et de dévouement à ses devoirs. Caractère sérieux et ferme. Esprit ouvert et très travailleur. Instruction militaire très satisfaisante. Aura du calme et de l’autorité dans le commandement. Noté comme un officier de compagnie hors de pair. »

– nommé sergent le 02/02/1909

– nommé sous-lieutenant le 01/10/1909

– 30e Régiment d’Infanterie en Algérie (01/10/1909-au 27/03/1913

– promu lieutenant le 01/10/1911

– 2ème Régiment des Tirailleurs algériens (par décision ministérielle du 28/03/1913).

– 1914-1918

– Brève guerre de 14 : attaque du Pont de Rammes, à l’est de Charleroi), combat d’Oret (Belgique) ; Combat de repli au nord de Florennes (en Wallonie, Belgique)

– blessé gravement le 24/08/1914, d’un shrapnell à la poitrine et d’une balle au bras droit

– fait prisonnier en Allemagne du 24/08/1914 au 25/09/1918

– promu au grade de  capitaine (blessé) à titre définitif le 26/12/1915

Interné successivement dans deux régions allemandes : Göttingen (Basse-Saxe), Münden (Basse-Saxe), Mayence, Wiesa près d’Annaberg (Saxe), Heidelberg (Bade-Wurtemberg)

Interné en Suisse du 25/09/1918 au 19/11/1918

* Croix de Guerre avec Palme

– 1919-1936

– Rapatrié de Suisse et affecté à la 101e Compagnie le 12/02/1919

– à l’Hôpital temporaire d’Arzea du 29/07/1919 au 05/08/1919, passe de la 101e Cie à la 109e Cie le 01/10/1919

– Saint-Leu, Azera
Mostaganem

– 1919-1920

Mission d’instruction et de campagne au 2ème Régiment de Tirailleurs algériens du 24/10/1919 au 06/01/1920

– Promu Chef de Bataillon

– Le 29/12/1919, détaché au SR de l’État-Major de l’Armée (EMA) à Paris

– Passe au 103e Régiment d’Infanterie détaché au SR par décision ministérielle du 05/01/1920

– Spécialiste du renseignement de terrain

(Pologne, Allemagne, France, Luxembourg, Belgique, Frontières nord et nord-est…)

1920-1936 :

– En poste de renseignement à l’EM de la mission française Varsovie (armée Weygand – comme De Gaulle), du 20/12/1920 au 21/06/1922

* Chevalier de la Légion d’honneur « pour faits de guerre » (décret du 16/06/1920)

– Poste de renseignement à Berlin – du 23/06/1924 au 12/08/1926)

– Poste à Paris ; Mayence ; Aix-La-Chapelle ; Belfort (de 19-05-1928 au 01/03/1933) ; « Bureau d’Études » du Nord-Est (du 02/03/1933 au 27/03/1935)

* Témoignage de satisfaction du Ministre de la Guerre du 25/11/1930

– Détaché à l’EM de l’Infanterie du 28/02/ au 10/11/1935, puis au 2e Bureau de l’EM de l’Armée du 11/11/1935 au 09/05/1936

– Promu au grade de Lieutenant-Colonel par décret du 25/12/1935

– Nommé chef du SR par le chef d’État-Major de l’armée, le général Colson, par décret ministériel à partir du 10/06/1936, sur proposition de son prédécesseur, le colonel Henri Roux

– Mis en retraite par limite d’âge par décret du 02/08/1940, décision rapportée le 20/08/1940

– 1936- 1942

Nommé par ses chefs responsables du SR de l’Armée de Terre à Paris (juin 1936), puis à Vichy (septembre1940-08/11/ 1942).

– Chef du SR de l’Armée de Terre

Le maintien du Service est décidé par le Grl. Maxime Weygand (note secrète du 4 septembre 1940), maintenu un temps et le ministre de la Guerre, Louis Colson, confirmé par son successeur 06/09/1940 : Charles Huntziger († le 24/11/1941).

* Officier de la Légion d’honneur (par décret du 10/12/1936)

– Nommé colonel par décret du 26/12/1939

Se heurte à la volonté de dissolution de son service de la part de Darlan d’abord, puis de Laval, qui parvient à ses fins à l’été 1942. Joue habilement Darlan contre Laval, appuyé par ses supérieurs de l’armée de Terre (les généraux Picquendar et Revers).

Les menaces s’accélèrent sous le successeur d’Huntziger, Bridoux homme de Laval, revenu lui au pouvoir le 28/04/1942 après des manœuvres déployées dès fin décembre 1940 grâce au puissant appui de l’ambassadeur du Reich à Paris, Otto Abetz.

– 1942-1944

– Départ pour Alger dès le 08/11/1942

Chef d’un nouveau service, le SR-SSM, sous la coupe du général Giraud

En conflit avec l’organisation gaulliste des services, démissionne le 23/12/1943

Replacé en activité pour la durée de la guerre en tant que chef du SR par décision du 09/11/1942, confirmé le 17/11/1942 par l’Amiral de la Flotte Darlan, Haut Commandant de l’Afrique du Nord

– nommé général de Brigade par décret du 13/03/1944

Cessation d’activité le 15/04/1944

* Commandeur :

– de la Legion of Merite (décernée par le Président Roosevelt)

– de la Légion d’honneur (décret du 03/02/1955)

Décès à Paris le 12/12/1958



En compulsant le dossier militaire de Louis Rivet, redondantes apparaissent les appréciations positives de ses différents chefs hiérarchiques, au long des séquences de sa vie professionnelle [6]. Mais le déroulement de sa spécialisation hors du commun dans le renseignement ne s’exerça pas sans quelques hiatus.

Les obstacles ne manquèrent pas, ni non plus les retards promotionnels de cet officier « par la voie lente », forgé sur le terrain. Il ne profita point des ascenseurs « politiques » et sociaux ouvrant par la fréquentation de salons mondains des accès rapides aux strates « du dessus ». Seules jouèrent vraiment ses qualités personnelles, lui qui n’était pas sorti des grandes Écoles de la filière de fabrication de la hiérarchie militaire (Polytechnique, Saint-Cyr, l’École supérieure de Guerre), à l’instar de nombre de ses subordonnés ultérieurs. Olivier Forcade note à ce propos :

« À 40 ans, l’atypisme de son parcours militaire se donne à voir ici, car le commandement d’une compagnie vient en règle générale au moins dix ans plus tôt chez un officier des armes, en dépit du retard de carrière des officiers qui ont pu être faits prisonniers en temps de guerre. Il faut y voir la particularité de la filière du renseignement qui lui fit faire l’impasse sur la préparation du concours de l’École supérieure de guerre, à un âge où les officiers aspirent à prendre le commandement d’un régiment. Certes, la carrière était encore longue sous la IIIe République, et l’accès aux grades supérieurs très lent, reposant toujours sur la loi du 19 mai 1834 sur l’état des officiers. Il a aussi été défavorisé dans son avancement par sa longue captivité en Allemagne pendant la guerre de 1914-1918 [7] »

Les lenteurs en question apparaissent paradoxales au regard des qualités morales de cet officier, de son courage, de son sacrifice dans l’exercice des devoirs et l’exécution des tâches assignées, notés par ses  supérieurs. En plus d’une discrétion alliée à un art inné du commandement, ceux-ci retinrent un esprit de corps et une intelligence enrichie par des lectures historiques. Par la pratique de plusieurs langues aussi : couramment, l’allemande – prisonnier pendant cinq ans in situ ! –, l’anglaise, complétées par le polonais de base, et –  précieux dans son cheminement –, par l’arabe populaire appris dans les bataillons d’Algérie. Tout cela au bénéfice de missions très diversifiées.

Là, un exemple résume l’homme en poste.

 Le 19 juillet 1926, l’Ambassadeur de France à Berlin, Pierre de Margerie, transmit cette lettre de recommandation dûment argumentée au président du Conseil et ministre des Affaires étrangères, Édouard Herriot :

« Au moment où rentre en France le personnel de la Mission de Recherches des Disparus, constituée en vertu de l’article 226 du Traité de Versailles, je tiens à attirer l’attention du Département sur les services rendus par son chef M. le Capitaine Rivet.

Cette mission a eu à assurer en l’espace de six ans environ 400 000 exhumations. Malgré des conditions souvent difficiles, le chef de la Mission et ses collaborateurs se sont acquittés de cette tâche de la manière la plus satisfaisante et sans jamais donner lieu au moindre incident. M. le Capitaine Rivet était en outre chargé d’assurer la liaison entre la Commission militaire interalliée de Contrôle et l’ambassade ; l’une et l’autre n’ont eu qu’à se louer de ses offices.

Votre Excellence n’ignore pas qu’aux occupations définies par le Traité de Paix, la Mission de Recherche des Disparus ajoutait d’autres soins  plus délicats encore. En l’absence d’un Attaché militaire, M. le Capitaine Rivet a eu à recueillir pour le compte du 2ème Bureau du Ministère de la Guerre, des informations confidentielles, et à diriger sur les territoires occupés des agents destinés à entrer en rapport avec nos services. Autant qu’il m’a été possible d’en juger, M. Rivet a fait preuve, dans cette mission, de beaucoup de prudence et de la discrétion que commandait le caractère officiel dont il était revêtu par ailleurs aux yeux des autorités allemandes.

M. Rivet a été nommé Capitaine le 26 Décembre 1925, et Chevalier de la Légion d’Honneur pour faits de guerre le 16 juin 1920. Les services de cet officier justifieraient une promotion au grade supérieur.

J’attacherais du prix à ce que Votre Excellence voulût bien communiquer la présente lettre à M. Le Ministre de la Guerre [8]. »

Ajoutons que Louis Rivet fut choisi directeur du Sr en juin 1936 par décision de son prédécesseur, le colonel Henri Roux (de 1934 à 1936), en dehors de toute influence politique, même si cela se réalisa sous le gouvernement Léon Blum, dans l’atmosphère enthousiasmante pour les classes les plus humbles du pays, attachées à « la belle illusion » du « Front populaire ».

Rivet avait jusque-là assumé en parallèle une vie de famille inaugurée par son mariage le 12 octobre 1921 dans le 7ème arrondissement de Lyon avec Marie-Hélène Guichardet. Celle-ci avait passé toute sa jeunesse dans la capitale des Gaules, étant née en 1893 à Thônes, dans la Haute-Savoie proche, fille de Gustave François Guichardet et de feu Rose-Blanche Marinet. Cérémonie rendue possible grâce à une permission accordée depuis Varsovie où Louis Rivet se trouvait en poste, par le général Niessen, responsable de la Mission précitée d’accompagnement des armées blanches de la Russie vaincue. Trois enfants naquirent : deux fils, Jacques (engagé dans la Résistance à Londres en 1942) et Pierre, puis, plus tardivement, une fille, Monique, née le 10 avril 1931, future agrégée de lettres, enseignante désignée d’office à Sidi-Bel-Abès en Algérie coloniale de 1956 à 1960, puis en France et aux États-Unis, romancière célèbre par la suite – décédée en 2021.

Dans un témoignage rédigé, cette dernière raconte qu’elle conservait encore en mémoire de son enfance des noms et des visages des collègues de travail de son père dans « le renseignement d’avant 1940 » : ceux du second de Rivet, le lieutenant-colonel Jacques Malraison, de Maurice-Henri Gauché, du 2ème Bureau, du lieutenant-colonel Georges Ronin – dénommé « l’aviateur », ce qu’il était. Mais encore ceux de plus jeunes sous-officiers invités volontiers dans l’appartement familial de Paris – « bourgeoisement meublé et confortable » : tels Guy Schlesser (aviateur d’origine alsacienne aux beaux yeux bleus), Henri Navarre ou Paul Paillole, qui continueront ensemble l’aventure « sous Vichy » à des fonctions importantes, avec plus ou moins de bonheur autour de leur chef [9].

– À ce propos, remarquons au passage comment un journaliste ultérieur, brillant et curieux, Arthur Conte, a décrit l’ambiance vécue par ladite équipe dans son « lieu de travail » (n’aurait-il pas recueilli les témoignages de certains de ses membres ?).

Nous voici soudain – reportage dérobé – au cœur de leur « caserne secrète », stylo et appareil photo en mains, en pleine « drôle de guerre » de 1939-1940. C’est-à-dire à un moment où le moral des Français comme celui des dirigeants abracadabrantesques d’alors n’allait pas très fort, à Paris comme dans le pays :

« Il n’y a plus à peu près que “le 2 bis” qui garde quelque sens des réalités et des dangers.

“Le 2 bis”, c’est le 2 bis de l’avenue de Tourville.

Notre Service de Renseignements — qui tient tout le rôle du mythique “deuxième bureau” cher aux films de cinéma — y est logé.

Supervisé de La Ferté-sous-Jouarre jusqu’ici par le colonel Gauché et son adjoint, le commandant Baril, il est dirigé et animé par des officiers d’élite qui ont réussi à lui donner le sens le plus élevé de sa mission. Du coup, parmi le sommeil de toute la nation et de l’armée, il tranche par son allant et son efficacité. On croit retrouver un autre univers.

C’est le colonel Rivet qui dirige l’ensemble, assisté par le lieutenant-colonel de Malraison. Ancien blessé de Charleroi, ancien prisonnier de la Grande Guerre, rude baroudeur de quelque cinquante-six ans, avare de ses mots, incorrigible fumeur de ninas, totalement voué à son travail, impressionnant avec son regard perçant, son visage buriné et sa mâchoire énergique, il est debout dès 6 heures en son appartement du square de Latour-Maubourg, et dès 7 heures surgit à son bureau du 2 bis. Non seulement il est depuis six ans le véritable “architecte” de la maison, mais il est aujourd’hui le Français à mieux connaître les forces de la vie mondiale et les acteurs qui la déterminent. Ainsi d’ailleurs a-t-il pu prévenir le haut commandement des grandes alertes du 20 novembre et du 11 décembre, et peut-il maintenant lui révéler que, sauf incident imprévisible, Hitler pourrait attaquer dès le 5 janvier sur la Belgique et la Hollande.

Une trentaine d’officiers et une soixantaine seulement de sous-officiers et d’employés civils secondent le “patron”, le S.R. proprement dit (Service de Renseignements) occupant l’ensemble du rez-de-chaussée de l’immeuble, sous le commandement du commandant Perruche, esprit distingué entre tous, excellent musicien, éminent archéologue, né pour un tel travail. Le commandant de cavalerie breveté d’état-major Henri Navarre, avec pour adjoint l’ancien aide de camp de Weygand, le capitaine Gasser, a la responsabilité de la “section allemande”. Ancien saint-cyrien et officier du 11e Cuirassiers, futur réorganisateur du Service de Renseignements et de contre-espionnage en France occupée, et futur commandant en chef en Indochine, il anime depuis quelques années un réseau actif d’un millier d’agents avec pour principales antennes “Alex” à Lindau, “Max” sur Cologne, “Jung”, agent radio du poste de Munster, et un ancien professeur de Vienne, “Martin”, qui, embauché comme cheminot à Budapest, entretient une liaison directe avec un ami officier supérieur antinazi du haut commandement allemand.

Le commandant Jossé, notre ancien attaché militaire en Turquie, avec pour adjoint un civil, Delimarski, est à la tête de la “section soviétique”, qui a redoublé d’importance depuis la conclusion du pacte germano-russe et l’offensive de l’Armée Rouge en Finlande.

Le capitaine Le Troller détient toute la responsabilité sur la “section italienne”, laquelle contrôle aussi toute l’activité du S.R. vis-à-vis de l’Espagne.

Une importante section technique, le M.G. Avia, installé dans l’immeuble tout voisin du “2 ter” et dirigée par le commandant Brochu, ancien polytechnicien, solide sapeur au savoureux accent méridional, qu’assiste le commandant aviateur Ferrand, a la charge d’inventorier les usines étrangères, le rythme de leur production et les caractéristiques des matériels nouveaux.

Le capitaine Cazin d’Honincthun dirige le service des “interruptions spécialisées”, dit “Service Nemo”.

Le commandant Bertrand est au gouvernail du service chargé de décrypter les messages et, soutenu par de remarquables officiers tels que le commandant du Crest de Villeneuve ou le capitaine Laffont, un des meilleurs “officiers traitants” de la boutique, assure la liaison avec nos principales antennes de l’intérieur ou des pays neutres voisins, Mangès à Metz, Truttat à La Haye, un officier camouflé en marchand de vins et liqueurs au Luxembourg, le capitaine Bernier à Liège, pour contrôler la frontière germano-hollandaise avec les intrépides lieutenants Scheider et Perrin, le commandant Lombard à Belfort, d’où, avec les capitaines Schmidt, Maures et Sérot, il essaie de “pénétrer” les services allemands en Suisse, le lieutenant-colonel Robert Dumas à Lille avec charge de faire “pénétrer” par les lieutenants Bertrand et Rigaud les services allemands de Bruxelles, et le capitaine Guiraud à Marseille, en concurrence permanente avec le S.I.M. et l’O.V.R.A italiens, mais aussi avec des antennes importantes en Allemagne, Vienne, Budapest, Alger, Rabat, Tien-tsin et Djibouti.

En liaison avec le ministère de l’Intérieur et avec la section P.R., “Propagandistes révolutionnaires”, qui travaille à l’échelon même de Daladier et que dirigent le commandant Serre et le capitaine Jacquot, lequel est devenu dès lors l’un des conseillers les plus écoutés du président du Conseil, un puissant service de contre-espionnage, le CE., est superbement conduit par le chef d’escadron Guy Schlesser, “le beau Guy”, quarante-quatre ans, saint-cyrien, officier héroïque de la Grande Guerre, fantassin à Verdun, aviateur plus tard, enfin spécialisé dans le renseignement, qui, organisateur de génie, se révèle rapidement d’une exceptionnelle efficacité.

Un civil, Castaing, à la tête de la section de la surveillance du territoire, a le difficile devoir d’éviter que la France soit, comme durant les années 35, 36 et 37, “le paradis de l’espionnage”.

L’ensemble obtient d’importants résultats.

On ne se contente pas de compter des trains.

On ne se satisfait pas non plus de regrouper les premiers renseignements financiers et économiques qui parviennent d’un réseau intelligemment installé d'”honorables correspondants” dont le service est bénévole.

On est rapidement arrivé à exactement à situer le dispositif ennemi, avec toutes les précisions requises : vingt divisions d’infanterie sur la Sarre et le Palatinat ; douze dans le Bade ; dix-huit face au Luxembourg et à la Belgique, douze sur le front hollandais ; cinq à six dans la réserve générale avec les “Panzerdivisionen” et les divisions cuirassées cantonnées dans la région de la Lahn.

On a acquis une valeur identique à celle de l’Intelligence Service, du service de sécurité du parti nazi dirigé par le général S.S. Heydrich, ou même de l’Abwehr que conduit l’amiral Canaris depuis son bureau berlinois du 74-76 Tirpitzufer.

On a réussi à fortement “contrer” l’espionnage allemand qui s’exerce le plus directement à partir de Wiesbaden, Lindau, Stuttgart et Luxembourg. Il y a quelques semaines, on a ainsi démasqué le capitaine de réserve de l’armée de l’air Masson, passé à l’ennemi, en poste à Stuttgart, repéré par le lieutenant Doudot, identifié par le commandant Sérot, piégé à Tunis, traduit en conseil de guerre et condamné à mort. On a aussi “désamorcé” Besson, un inspecteur de police affecté au commissariat spécial de Longwy, débauché par les services de l’Abwehr, “piégé” en Lorraine et condamné à vingt ans de travaux forcés. On a déjà mis hors de combat quelque 400 agents de l’Abwehr, dont “de beaux poissons”, tels un journaliste danois d’origine russe, le baron de Stackelberg, ou un journaliste trop imprudent du journal Le Temps. On sait parfaitement à quoi s’en tenir sur l’activité déployée par Canaris sur les bases anglaises, avec les plus redoutables “agents doubles” ou de belles espionnes, dressées dans la tradition de Mata Hari, telles que Vera de Witte, dite “la Comtesse”, fille d’un aristocrate balte qui fut officier du tsar, familière des bars de Montparnasse, d’abord plus ou moins “manipulée” par la Guépéou, depuis peu entre les mains de l’un des meilleurs collaborateurs de Canaris à Hambourg, Nikolaus Ritter, la ravissante May Crikson, en nom de code “Lady May”, ravissante divorcée de quarante ans, brune aux yeux pétillants, installée à Stockholm, gouvernante chez un capitaine britannique de l’aéronavale, ou la duchesse Montabelli di Codo, joyeuse veuve écossaise, dite en code “duchesse de Château-Thierry”. On a même commencé à suivre à la trace, avec les meilleurs agents de l’Intelligence Service, un certain Karl Alfred Reuper, “citoyen américain de Hambourg”, arrivé à temps pour fêter Noël à New York, rapidement embauché dans la société Air Associates de Bendix dans le New Jersey, dont tout indique qu’il est chargé d’organiser l’espionnage allemand sur l’ensemble des États-Unis [10]. »

En complément, voici comment, de façon plus froide, un des adjoints de Rivet précité, Henri Navarre, décrit son chef au sein de son service d’avant-guerre, dans ses mémoires :

« Entré au SR, en juin 1936, comme adjoint du commandant Perruche, chef de la section allemande, je le remplaçai quelques mois plus tard à la tête de cette section, quand il partit faire son temps de troupe.

Trois personnalités émergeaient alors parmi le haut personnel du service.

D’abord son chef, le colonel Rivet. Il avait fait dans le renseignement, depuis 1918, à peu près toute sa carrière, et avait acquis un métier et un flair tout à fait exceptionnels qui, joints à de très grandes qualités de bon sens, d’équilibre et de caractère, en faisaient un remarquable chef du SR. C’était de plus un homme d’une grande élévation morale et d’une scrupuleuse honnêteté intellectuelle.

Une autre personnalité de premier plan était le chef d’escadrons Schlesser. Celui-ci avait appartenu au SR une première fois comme chef de la section allemande. Il l’avait quitté pour, faire son temps de commandement au 11e Cuirassiers où j’avais été sous ses ordres. Il était ensuite revenu au SR en 1935 pour prendre la direction du contre-espionnage. C’était un chef d’un très grand dynamisme qui fit faire à nos services de CE des progrès extraordinaires et obtint, au cours des quatre ans pendant lesquels il les dirigea, à la veille de la guerre, des résultats aussi bons qu’il était possible dans l’ambiance de l’époque.

Mon chef direct, le commandant Perruche, était un homme d’une grande culture, artiste, curieux de tout, un peu sceptique, mais ayant au plus haut point le sens du renseignement.

Autour de ces trois “cracks”, il y avait à la centrale du SR une équipe d’officiers de valeur inégale, mais tous connaissant à fond leur métier.

Au total, la Centrale du SR Guerre comprenait une trentaine d’officiers et une cinquantaine de sous-officiers et fonctionnaires civils. C’était infime, en comparaison des effectifs des SR italien et surtout allemand.

Le SR Air, qui travaillait dans l’orbite du SR Guerre, avait à sa tête le colonel Ronin. Le SR Marine, qui formait une section du 2e Bureau Marine, était tout à fait indépendant, ainsi que le SR Intercolonial.

Les grands postes SR en territoire national fonctionnaient : sur l’Allemagne à Lille, Metz et Belfort ; sur l’Italie à Marseille, Tunis et Alger : sur l’Espagne (1) [Note 1. Les postes SR travaillant sur l’Espagne avaient comme mission principale la recherche du renseignement sur les formations allemandes et italiennes engagées dans le camp franquiste.], à Toulouse et Rabat. Tous avaient à leur tête des officiers supérieurs de grandes qualités, vieux routiers du renseignement. Des officiers des SR Air et Marine étaient intégrés dans certains d’entre eux.

Les principaux postes SR à l’étranger se situaient à La Haye, Luxembourg, Berne, Belgrade, Berlin, Prague, Budapest, Bucarest et Varsovie.

Dans son ensemble, le SR français était une organisation très solide, composée d’équipes compétentes, passionnément attachées à leur tâche et, à tous points de vue, d’une grande honnêteté. L’honnêteté intellectuelle et l’honnêteté tout court étaient d’ailleurs, aux yeux du colonel Rivet, des qualités primordiales. Il est en effet évident que des officiers et fonctionnaires qui manient des agents et emploient des fonds sans contrôle sérieux possible doivent être moralement dignes de la plus absolue confiance. C’est la même idée que Churchill exprimait sous forme humoristique en disant : “L’Intelligence Service est un métier tellement sale qu’il ne faut le confier qu’à des gentlemen.”

Ce qui empêchait le SR d’atteindre sa pleine efficacité était d’abord le fait qu’il était trop strictement spécialisé dans le domaine militaire. C’était aussi l’étroitesse de ses moyens matériels : son budget (une quinzaine de millions) était ridiculement faible. Mais c’était surtout l’absence de toute impulsion de la part du Haut Commandement. Celui-ci, paralysé par les consignes de prudence du Gouvernement et par la hantise du moindre incident diplomatique, ne savait guère que freiner l’action des services secrets [11]. » [Souligné par nous.]

Nous sommes là à la veille de la défaite de mai-juin 40 … Respect envers ce Srt, optimisme de bon aloi, résultats effectifs d’un côté, mais, de l’autre perception de limites, notamment de moyens, et, plus grave, d’une distance voire d’une hypohiérarchisation ou d’un mépris par rapport aux fonctions comme à la carrière, impliqués quand on entrait dans ce parent pauvre de l’armée … Navarre ajoute au début d’un chapitre de ses souvenirs personnels :

« Le SR était en effet regardé dans les hautes sphères militaires, comme un organisme de deuxième zone, presque indigne d’un officier breveté d’état-major [12]. »

– Louis Rivet –pour en revenir à lui – avait connu jusque-là une vie de déplacements obligés, dure pour sa famille, avec trois enfants ballottés d’une garnison à l’autre, dans des habitations sans cesse changeantes, jusqu’à une installation plus stable à Paris, au tournant des années trente.

Des traces de soucis occasionnés, liés aux responsabilités assumées, sont par exemple perceptibles dans cette lettre du 20 septembre 1926 adressée au lieutenant-colonel Lainey, chef du Sr et du Scr auprès de l’État-Major de l’Armée au ministère de la Guerre :

« Désireux de parfaire mon temps de commandement, j’ai l’honneur de vous prier de bien vouloir transmettre la demande ci-après, tendant à me faire affecter à l’un des corps ci-dessous, par ordre de préférence :

– 28e bataillon de chasseurs à Thionville ;
– 1 régiment d’Infanterie de la garnison de Paris ;
– 1 régiment d’Infanterie de la garnison de Lyon.

Mes préférences pour le 26e Bat° de chasseurs sont motivées pour les raisons ci-après :

Proximité des pays allemands et possibilité pour l’E.M.A. d’utiliser éventuellement mes services au profit du 2e Bureau comme au cours de mes missions antérieures.

Possibilité d’installer ma famille dans des conditions moins onéreuses que dans une garnison plus importante.

Possibilité de me déplacer à moindres frais à la fin de mon temps de commandement, en vue de mon rattachement éventuel à un poste-frontière dépendant de l’E.M.A.

Ma permission expire le 14 octobre 1926.

L. Rivet ». [Souligné par nous.]

La réalité allait bien sûr se durcir pendant l’Occupation. Elle occasionna pour le Chef du Srt des conditions plus pénibles que les précédentes par rapport à son univers familial. À sa lourde tâche professionnelle, conduite dans des conditions nouvelles après le repli vers Agen (sa fameuse halte avec son équipe regroupée à Bon-Encontre) d’après le 22 juin 1940, allait s’ajouter une séparation forcée pour son épouse et ses enfants, contraints de leur côté de suivre « la voie de l’exode » depuis Paris. Ce n’est que début juillet 1940 que par un ami – l’Abbé Vorage, dont nous reparlerons infra – que Rivet apprit qu’ils avaient donné de leurs nouvelles, du lieu où ils s’étaient réfugiés dans l’Indre, à Martizet [13].

La famille allait se trouver de fait séparée du père, dont elle ne sut que peu de ses responsabilités. Hélène Rivet pensa au début que son époux pourrait bientôt les rejoindre. En vain, malgré l’espoir que lui apporta un bref instant la décision temporaire de l’amiral Darlan de dissoudre le Service (« faux poisson d’avril » de 1942 [14]), les mêmes mesures ayant été escomptées ensuite par Laval.

Mais après coup, la fille du couple, Monique, a estimé que si son père était resté après le 8 novembre 1942, date du débarquement américain en Afrique du Nord, les Allemands, « qui souillaient la France », l’auraient vraisemblablement arrêté. La Gestapo ne fit-elle pas une incursion inopinée dans leur immeuble à Lyon le jour de sa Communion, en plein repas de famille, le 13 mai 1942 – pour simple « contrôle d’identité » dans l’immeuble où ils résidaient [15] ?

Et surtout, pendant de long mois, à part de très rares et discrètes visites de leur père, les enfants se retrouvèrent seuls avec leur mère, sans téléphone, sans courrier régulier évidemment, « secret » oblige. Comme pour l’ensemble des Français, à la privation de présence et d’affection, s’ajouta celle de la liberté ordinaire de la vie dans cette capitale de la Résistance du Sud, sous la botte. Avec en plus, les coupures de gaz l’après-midi et la nuit pendant l’hiver, la rareté du bois et du charbon, les difficultés de ravitaillement avec pénuries d’aliments régulières et obsédantes. Sans oublier le manque de tissu qui obligera la mère à tailler pour les deux garçons des vêtements dans la belle cape militaire de satin noir de leur père – mais sans toucher au pantalon d’apparat, trop étroit [16]….

Accaparé jour et nuit par « le Service », conscient de ces difficultés, Louis Rivet culpabilisa et ressentit fortement qu’il partageait mal les soucis vécus par son épouse qui l’attendait sans cesse, guettant sa venue, et le vécut mal [17].

Grâce aux extraits des lettres de ses parents délivrées par Monique Rivet, et malgré une prudence qui exigeait retenue et autocensure, on découvre ce que pensa au jour le jour le chef du Sr de « la situation » du pays. C’est-à-dire de la vie des autres et du Monde autour de lui, qui n’arrêtaient pas de tourner, sans parler de ses soucis professionnels …

On devine ses impressions personnelles, réalistes sur la politique, mais aussi pleines d’incertitudes quant à l’avenir. Cela, dans un respect relatif du « système » de commandement placé au-dessus de lui, comme du Maréchal Pétain – qu’il ne rencontra pour la première fois que le 27 juin 1939, présenté à lui par le ministre de la Guerre, le général Colson, et qui d’ailleurs ne l’interrogea que sur des questions de renseignements concernant le contrôle par ses services de l’Espagne, avant de le rencontrer rarement, aidé par les fiches de synthèse du « 2B », pour lui rendre compte de la situation de la géopolitique et de l’avancée du conflit mondial [18].

Des autorités admises en militaire de métier au départ du moins, mais qui le rendirent au fil des semaines et des premiers mois, sceptique, puis critique, encouragé en cela notamment par le chef du « 2B », son ami Louis Baril, antivichyssois avéré. Avant tout, on le sent attentif aux événements pesant sur le pays, avant de prendre personnellement la voie du doute, de la rupture irréfragable. Qu’on apprécie ces évolutions en pensée ici :

« * 10 janvier 1941 – Les Français doivent s’attendre à perdre ce qu’il leur reste d’indépendance. Si aucune concession sensationnelle n’est faite à nos adversaires dans le domaine de notre politique franco-allemande, et singulièrement dans le choix des personnes, je ne vois pas ce qui pourrait les faire reculer.

* 13 février – Ce récent remaniement opéré par le maréchal est en général bien accueilli et considéré comme une préface rassurante aux prochains événements. Mais c’est, dit-on, une transition. Vers quoi ? Motus. On ne le voit pas très bien.

* 24 avril 1941 – Nous vivons une époque exceptionnelle et une très lourde épreuve. Être vaincu c’est un long drame qui pèse sur chacun des actes de nos chefs, qui entrave toutes nos velléités d’action personnelle, et qui prétend ligoter jusqu’à notre pensée. Ce n’est pas d’être vaincu qui est effroyable, c’est de l’avoir été d’une certaine manière et surtout d’en subir les humiliants effets. Nous sommes loin de la fin, je veux dire loin du commencement de notre indépendance. Les Allemands qui cependant commettent une erreur fatale en prenant pour décisives des victoires qui ne sont que des étapes vers leurs pertes, iront en accentuant leurs exigences sur notre pays.

* 11 mai 1941 – J’ai peur que, la souffrance et les privations aidant, nous n’arrivions à accepter tout ce que repoussent la dignité et l’honneur. Ce jour-là la guerre serait vraiment perdue.

* 26 juin 1941 – Le radeau allemand s’enfonce de plus en plus. Bainville n’a-t-il pas dit de Napoléon, à propos de ses guerres, qu’il n’arrivait jamais à jeter l’ancre et qu’ainsi sa barque devait un jouer sombrer ?

* 26 janvier 1942 : J’ai trouvé à Vichy une neige qui se dissolvait dans la boue et des gens qui maugréaient contre la carence de la voirie, d’autres qui s’inquiétaient de l’avance bolchevique et du chancellement imprévu des dieux wagnériens. Tant il est vrai qu’il faut consommer un poids incalculable de navets et de rutabagas avant de comprendre le premier article de notre intérêt.

* 23 mars 1942 : Après quarante ans d’une carrière qu’on s’accorde à reconnaître droite, et six ans d’un commandement qui s’inscrira dans le décor sombre de notre défaite, parmi les rares flambeaux qui essayèrent de guider les décisions de nos chefs et d’alerter l’âme de la France, j’estime avec l’amiral que j’ai le droit, et qu’il est l’heure, de rentrer dans l’ombre [19].

* 7 novembre 1942 : [Le débarquement anglo-américain en Afrique du Nord est imminent] : nous sommes un certain nombre à prendre des dispositions pour passer la mer et aller nous ranger sous une autorité suprême qui parlera et agira à ce moment au nom de l’unanimité du pays.

* 9 novembre 1942 – Nous voici coupés de notre Afrique du Nord. Le Boche, pour se cramponner en Méditerranée, ne trouve rien de mieux que de s’installer sur nos terrains de Tunisie (avec notre autorisation, bien entendu) [20]. »

La famille apprit le 14 novembre 1942, par un télégramme anodin, que leur père était arrivé sans encombre en avion à Biskra à 400 km au sud-est d’Alger. Dès lors, un courrier encore plus espacé, transmis indirectement chez des amis par un canal très discret, distilla quelques nouvelles en appliquant un code convenu (Louis Rivet se faisait passer pour un « industriel » – ce qu’il tentera de devenir après avoir quitté l’armée en 1944). Puis son fils Jacques, grâce à une antenne du Srt-Ce de Marseille, partit à son tour clandestinement de la côte varoise près de Ramatuelle entre le cap Camarat et le cap Taillat à bord du sous-marin « L’Aréthuse » en août 1943. En quatre jours et cinq nuits, il fut déposé enfin à Alger. De là, Jacques gagnera Londres pour se battre à son tour, à l’image de son père [21]. Au service du pays, le noyau familial s’était ainsi rétréci, « attendant » dans les incertitudes de l’absence, dans l’espoir, « l’après-la-guerre ».

Deux extraits d’un courrier familial raréfié par nécessité, miraculeusement conservés, éclairent en filigrane les valeurs personnelles de Louis Rivet.

Le premier est celui d’une lettre du 6 août 1914. Se trouvaient à bord du bateau (Le Duc d’Aumale) le tout jeune lieutenant et ses tirailleurs algériens voguant vers la Métropole, embarqués pour aller se battre contre l’Allemand, « la baïonnette haute ». Enfin « le vrai combat » au corps à corps avec cet ennemi de toujours, qui avait volé l’Alsace et la Lorraine. Fièvre et sentiment de fierté patriotique envahirent cet officier rassuré par la présence proche d’une escadre de cuirassés et de croiseurs encadrant le convoi. On devine qu’il avait conservé la foi chrétienne de son enfance, même si, en cette veille de guerre pouvait surgir en filigrane l’angoisse d’une mort possible, auprès de ses camarades soldats. Il écrit :

« Avec moi, j’ai une cantine très garnie avec un chapelet de Lourdes (souvenir de tante Fanny) et deux portefeuilles dont l’un, don de Louise, contient un Saint George porte-bonheur. Avec cela, on peut aller au bout du monde. […] Les cœurs bondissent d’espérances et brûlent de légitimes revanches. À côté de nous, zouaves et tirailleurs chantent nos vieilles chansons patriotiques, les musiques jouent et répètent La Marseillaise et le Chant du départ [22]. »

Départ « d’un bon pas », mais dans le souvenir et avec les fétiches des proches et des ancêtres, vers le feu et « les Croix de bois » du néant accompagnant cette « Grande Guerre », les proches familiaux revenant en pensée à bord du lourd vaisseau.

On sait (cf. tableau précité) que ce soldat croyant et fougueux sera blessé gravement quelques jours plus tard par un shrapnell allemand ayant perforé son poumon gauche et une balle traversé son bras droit. On peut lire dans sa citation à l’Ordre de l’Armée parue dans le Journal officiel du 16 octobre 1919, concernant celui qui a toujours considéré que le mot le plus important était celui de « Patrie » (dixit sa fille) :

« Officier d’un allant remarquable et d’un moral à toute épreuve. Le 24 août 1914, au cours d’un combat acharné de repli dans le Bois de Florennes, a conduit sa Compagnie avec une superbe énergie, et un magnifique mépris du danger, jusqu’à ce qu’il soit tombé, frappé par deux blessures [23]… »

Le second extrait est celui du même témoignage écrit de Monique, concernant la mort du frère de son père, ancien instituteur et sympathisant communiste :

« En février 1944 nous enterrons un frère de mon père, mon oncle Gustave, instituteur [mort de maladie]. Sans n’avoir jamais, que je sache, adhéré formellement au parti communiste, il avait eu toute sa vie pour le communisme et l’Urss une sympathie qu’il argumentait volontiers à l’intention de ses proches. Mon père apprend cette mort, qui le bouleverse, plus de cinq semaines après l’événement.

“Mon pauvre cher frère ! écrit-il à Jacques, qui se trouve à Londres. Lui qui était si grand par le cœur, par toutes les qualités de son âme … Pauvre cher Gustave ! J’ai eu tort parfois de combattre sévèrement ses constructions d’avenir. Bien sûr, certaines réalités lui échappaient … Mais son isolement et son éloignement de la brutalité des faits servaient peut-être davantage son jugement que leur contact quotidien n’éclairait parfaitement le nôtre. Il voyait tout à travers le prisme d’une âme très belle. Et c’est là que malgré tout il avait raison sur les autres, dont la conception des rapports sociaux s’inspire trop souvent des imperfections qui sont en nous.”

Et il ajoute :

“Je ressens cette mort … comme un meurtre ajouté à tant d’autres commis par l’Allemand sur les nôtres. La souffrance quotidienne de cette immense prison qu’est la France occupée détruit l’homme, achève les malades, creuse d’innombrables tombes” [24]. »

Concernant ces sentiments chrétiens discrètement et diversement exprimés dans de tels passages, on les retrouve dans l’amitié durable et ancienne avec l’abbé Hubert Vorage (1894-1959), cité maintes fois dans les Carnets professionnels du chef du Srt.

 Quelques mots sur ce dernier s’imposent ici, brièvement – trop, peut-être –, car il s’agit d’un homme d’Église exceptionnel d’humanité. Il reste proche précisément, de par son histoire, du « monde du renseignement ». Et ne deviendra-t-il pas notamment après la guerre de 39-45, l’aumônier de l’Association des anciens des services spéciaux de la Défense nationale (Aassdn), fondée par le colonel Paul Paillole qui lui a rendu hommage dans le Bulletin de cette dernière ?

– L’abbé Pierre Hubert Vorage naquit de parents allemands au village de Meusenhof, dans leur métairie près de Uedem, district de Clèves en Rhénanie-Nord-Westphalie. Il gagna ensuite à l’âge de deux ans le village de Cadier en Keer dans le Limbourg près de Maastricht, au sud de la Hollande, puis fréquenta l’école primaire des franciscains français qui y tenaient monastère. Il acheva ses études sacerdotales à Bastogne, parlant le néerlandais, l’allemand (avec de nombreux de dialectes de Rhénanie, dont ceux d’Aix-la-Chapelle, de Cologne, de la Ruhr, du Palatinat), ainsi que le français. Pourquoi ?

D’origine familiale française (de forgerons émigrés anciennement), il considéra la France, « transmise » par les frères franciscains français de sa formation, comme sa vraie patrie. Aussi, début août 1914 décida-t-il à 20 ans de s’engager soldat auprès du consulat de France à Rotterdam. Interrogé sur ses motivations, l’employé qui le reçut remarqua son intelligence et son sens de l’observation. Il le recommanda aussitôt à un officier du Sr présent, qui lui proposa un autre type « d’engagement » que celui de troupier. Avec l’accord de son supérieur religieux contacté, après avoir fait ses preuves « sur le terrain », il devint l’agent « 37 bis » du Srt. Et obtint dans ses déplacements programmés, toujours risqués en Allemagne où il évoluait comme un poisson dans l’eau, des renseignements de première main, souvent sensationnels pour la centrale française. Dont le repérage des unités allemandes et de leurs déplacements, des industries militaires (par exemple la découverte d’une usine de production de pièces détachées pour  sous-marin, des précisions en janvier 1915 sur l’industrialisation et l’usage de gaz de combat) ; ou encore des observations sur la densité de population, les bunkers et leur armement, l’épaisseur de leur béton sur toute  la « ligne Hindenburg » de 160 kilomètres, infranchissables pour les non-Allemands. Sans oublier des données régulières sur l’évaluation du moral des troupes, leur âge, la durée de leur formation … Vorage frôla la condamnation à mort après une arrestation dans le Reich, dont, par persuasion de ses geôliers, il réussit à se sortir …

Après l’Armistice de novembre 1918, il poursuivit ses études chez les franciscains de Kergrade qui l’envoyèrent bientôt au grand séminaire de Versailles auprès de l’archevêque Mgr Gibier. Soutien de plusieurs paroisses, sous-diacre le 21 décembre 1921, diacre le 11 mars 1922, on l’ordonna prêtre le 29 juin 1922 à Châlons-sur-Marne. Il célébra sa première messe en l’église Saint-Lambert de Kerkrade le 2 juillet 1922 en présence de sa famille – dont son frère aîné, devenu lazariste.

Tout en assurant le pastorat dans des paroisses sans prêtres de la vallée de Chevreuse, on lui confia des cours au collège épiscopal du diocèse, ce qui lui permit de recruter des jeunes prêtres hollandais pour le grand et le petit Séminaire. L’archevêque de Versailles le nomma bientôt curé des Molières le 4 juillet 1928, un hameau de 450 habitants au sud de Paris, dans une commune où ses prédécesseurs ne s’étaient pas attardés, car elle comptait plus de communistes que de catholiques. Le 18 juin 1931, avec le maire, il reçut en visite la reine Wihelmine de Hollande. Sous le patronage de Sainte-Marie Madeleine, l’Église se trouvait démunie et en piteux état : toiture ouverte, murs délabrés, absence et pauvreté de tout … La commune et Vorage s’accordèrent en 1935 sur sa restauration (murs, toit, chauffage, électricité, mobilier, tribune, façade percée d’un vitrail représentant la Trinité …). Là, il obtint le respect affectueux des croyants et de toute la population.

Sans avoir pu les publier avant sa mort en 1959, Hubert Vorage a retracé dans deux manuscrits les étapes de son existence mouvementée d’agent français de 1914 à 1918 : un véritable « Don Camillo », fort d’1 m 85 de carrure, polyglotte, toujours prêt à rendre service et à bondir pour un engagement patriotique total – rare par rapport à de nombreux ecclésiastiques et serviteurs français de l’Église dans la période.

Ses décorations, si elles pouvaient parler, plaident pour lui d’ailleurs : Croix de Guerre 14-18 (pour missions dangereuses accomplies avec modestie désintéressée et bravoure) et Croix de Guerre 39-45. Grade de chevalier de la Légion d’honneur le 28 mars 1930, dans le contingent du ministère des Affaires étrangères, Médaille de la Résistance attribuée par le général de Gaulle, Médaille des évadés …

Continua-t-il à être « agent » ou simple « HC » (« honorable correspondant ») du Srt des années 1936 à 1943 ? Les deux « à la fois » ? La consultation des précieux Carnets de Louis Rivet indique les rencontres suivantes avec lui – hors réunions collectives éventuelles :

* En 1936 : 2 visites, les 7 et 28 décembre.

* En 1937 : 6 visites, les 3 février, 16 mars, 13 mai, 19 juillet, 22 août, 22 novembre.

Juste pour des questions de « naturalisation » d’un informateur, pour un déjeuner avec Maurice Dejean du Quai d’Orsay, la libération du frère de ce dernier fêtée par un repas en présence du chef du Bureau d’Études du Nord-Est, le lieutenant Pierre Mangès (qui avait géré l’agent 37 bis).

* En 1938 : 5 rencontres, les 18 mai, 21 août, 8 septembre, 18 octobre, 24 octobre.

En dehors de questions personnelles liées à des ennuis et à une arrestation provisoire à la frontière hollandaise à cause d’affaires en cours concernant l’Allemagne, ces problèmes entraînèrent une rencontre de Rivet avec son vis-à-vis hollandais, le Major Brantsen, le 24 octobre.

* En 1939 : 7 contacts les 14 janvier, 23 mars, 30 mars, 20 juin, 4 juillet, 8 juillet, 7 août.

Le plus souvent, en dehors d’une discussion personnelle, il s’agissait de questions de nationalité (dont celle même de l’Abbé).

* En 1940 : 3 retrouvailles en plein exode … 2 juillet, 4 au 6 juillet, 8 octobre.

Et une surprise – noté supra – : le 2 juillet, Vorage parvint à faire savoir à Rivet qu’il avait pu entrer en contact avec sa famille qu’il connaissait aussi, fait confirmé le 6 par un passage de Rivet à Sainte-Anthème dans le  Puy-de-Dôme. Les siens, pris dans les flots de l’exode, se trouvaient effectivement réfugiés près de la région de la Brenne, dans l’Indre, à Martizet.

Le 8 octobre, le chef du Srt, confirmé dans ses fonctions, rencontra son ami Vorage qui lui révéla son nouveau pseudonyme d’« Abbé Desgouttes » et échangea avec lui, notamment sur sa situation : le Sd ou l’Abwehr avaient mis sa tête à prix (récompense de 10 000 marks), car on l’avait condamné à mort pour espionnage par contumace en tant qu’agent « historique » du Srt contre l’Allemagne. Dès juin 1940 à cause de cette donnée, il fut envoyé par son diocèse … dans le hameau de Medeyrolles du Puy-de-Dôme, en zone très montagneuse, présenté à des habitants sans prêtre depuis quelque temps sous le prétexte qu’il était surmené et avait besoin « d’air pur ».

Là, Rivet lui fixa deux tâches : aider clandestinement, dans la mesure du possible, au ravitaillement difficile et même interdit des officiers et de leurs familles conservés dans les services recomposés du 2e Bureau (transformé en 5e Bureau en législation de guerre) et du Srt du triangle Royat-Vichy-Lyon. Il fallait aider notamment à l’abattage de cochons, à la livraison de tonnes de pommes de terre, de beurre, de fromages. Ce, grâce à la complicité locale des dirigeants des chemins de fer du triage de Saint-Flour qui se chargèrent de détourner maintes denrées destinées au départ … pour l’armée allemande. Autre mission : dissimuler des documents précieux pour le Srt.

Ainsi, courant décembre 1940, arriva à la tombée de la nuit au presbytère de Medeyrolles un camion militaire chargé de cartons de « pièces » issues des ministères de la Guerre et des Affaires étrangères, avec une lettre d’accompagnement donnant ordre de destruction en cas de danger imminent. L’Abbé les rangea dans quatorze cercueils entreposés dans une pièce attenante dont il possédait toujours la clé sur lui. Ceux-ci furent ensuite cachés dans un refuge de montagne … introuvable jusqu’à la Libération.

Notons – fait significatif – qu’à Pâques, du 13 au 17 avril 1941, Louis Rivet amena toute sa famille à Medeyrolles partager un moment de retrouvailles et de joie montagnarde discrète, promenades comprises, auprès d’Hubert Vorage, ce compagnon ami très proche du « Colonel ». Peut-être aussi parfois un confident, voire un directeur de conscience, mais l’échange fonctionna à coup sûr dans les deux sens en un encouragement patriotique réciproque.

Précaution sage concernant les documents à dissimuler, car le dimanche 4 juillet 1943 – et alors que Rivet était parti depuis novembre 1942 en Algérie – avant la messe dont il avait comme par prémonition décalé l’horaire à 9 heures, une voiture de la police allemande se présenta, avec quatre agents, dont une femme. Repéré, après maints efforts de recherche par l’ennemi (le Sd étant actif à cette date autour de Lyon et de Vichy), on venait l’arrêter. Mais, au bruit de l’arrivée intempestive d’une auto aux portes qui claquent, il eut le réflexe de s’enfuir par les derrières du presbytère. Puis, prenant un chemin creux, il se cacha dans une grotte au-dessus, où on ne le rechercha pas, son entourage secoué par les intrus, s’étant empressé d’avouer son absence. Ceux-ci, agités et dépités à la fois, ramassèrent tout ce qu’ils trouvèrent à emporter (faux et vrais papiers, couverts, argents, linge …). Ils firent prisonnier l’assistant fidèle du prêtre, Henri Mortier, qui l’avait suivi à Medeyrolles depuis une paroisse de la vallée de Chevreuse, lui qui à côté de sa mère et de la sœur de l’abbé, Julia Maria, l’aidait dans les tâches de la vie quotidienne et lui servait aussi de chauffeur. Arrêté immédiatement puis déporté, il revint d’Allemagne, et témoigna. Après l’arrestation, l’ami de Rivet se réfugia pendant trois mois grâce à son large réseau de relations dans le maquis de Saint-Flour. Il y accompagnera et suscitera aussi divers sabotages (lignes téléphoniques souterraines « désactivées », explosion de dépôts de tonnes d’essence, détournement de coffres-forts allemands …).

Les Sr (Terre et/ou Air, semble-t-il) depuis Alger et par les relais de leurs agents en métropole, obtinrent des Anglais l’exfiltration du dangereux ecclésiastique de plus en plus recherché par le Sd. L’opération eut lieu par Piper-Cubs dans la nuit du 17 octobre 1943. Arrivée à bon port, le 18, Rivet en fut informé aussitôt [25]. Vorage se rendit ensuite quelque temps de Londres à Alger, où il fut informé des difficultés de la réorganisation des « services de Renseignements, opposant Rivet à un Jacques Soustelle chargé par De Gaulle de siphonner les anciens services en fonction de la nouvelle donne. Puis, le 26 décembre 1943, Vorage repartit pour l’Angleterre. [26] Là, on lui proposa un poste d’aumônier des équipages français de la Raf, mais un mois après, il décida de se relancer dans l’action humaine et de terrain, qui lui manquait. Un avion le largua au-dessus de la Normandie. Caché dans une maison assurée par le réseau franciscain des lieux, il regagna ensuite la région proche de Vichy. Avec les maquis recontactés, il participa à la Libération de ladite cité – se vantant même, après guerre, d’avoir participé à la neutralisation armée de la Gestapo de Vichy et même de s’être emparé d’un trophée : un buste de Goering … détourné des locaux d’un aérodrome nazi du coin.

Bref, une amitié réelle, aux valeurs partagées ensemble, spirituelle et activiste, contre l’ennemi d’alors, avec le chef du Srt parti « au loin » – heureusement pour lui [27]

– Une autre trace de ce « rappel » du catholicisme de son enfance pour Louis Rivet peut être trouvée dans un extrait de ses Carnets sur la séquence algérienne. Au moment de discussions très âpres au sujet de la réorganisation du nouveau Sr en Afrique du nord, le fondateur du mouvement résistant Combat, Henri Frenay, avec quelques amis – dont l’épouse du colonel Louis Baril –, encouragea Rivet à prendre langue à ce propos avec des gaullistes, ce qu’il refusait jusque-là. On peut lire à la date du 14 août 1944 ce flash :

« Mme Baril insiste pour que j’accepte, au nom des sentiments chrétiens … que nous avons tous [28]… »

Quant à Henri Frenay, justement, on ne peut oublier un passage des mémoires d’un des premiers chefs de la résistance française, issu lui-même de l’armée et qu’il avait  quittée pour s’engager dans une action patriotique hors du commun : celui où il décrit sa première rencontre avec « le colonel », à Lyon à la mi-juin 1941. À un moment important, en pleine guerre anglo-gaulliste contre Vichy en Syrie, bien avant leur travail en commun et leur amitié quand ils se retrouvèrent plus tard à Alger, on découvre cette description qui permet de juger les hommes, au-delà « du reste » :

« […] En rentrant à Lyon, j’apprends que le colonel Rivet, chef du S.R. français, souhaite me voir rapidement. Arrivé à Vichy, je me rends immédiatement à son bureau. Il m’attend sous le nom de Jean Molin [sic]. À peine suis-je annoncé qu’il me reçoit.

J’évoque toujours la mémoire du “père” Rivet avec une certaine tendresse ; il était un homme connaissant son métier et l’aimant passionnément. Peut-être, sans doute même, n’avait-il pas exactement mesuré le caractère nouveau de la guerre qu’Hitler faisait au monde. C’est quinze ans plus tard seulement que les militaires ont eu conscience de ce qu’était la “guerre révolutionnaire”, qu’ils en ont découvert le terme et démonté le mécanisme. Peut-être donc le chef du S.R. n’avait-il pas adapté ses méthodes de travail à cette réalité nouvelle, mais il était un patriote intransigeant, un grand honnête homme, un fidèle serviteur de l’État.

À Alger, trente mois plus tard, je le dirai, mais les Services Spéciaux de De Gaulle ne m’en sauront aucun gré.

Nous sommes seuls dans son bureau, c’est pour cela qu’il m’appelle par mon nom :

— Frenay, je sais ce que vous faites. Ça se voit un peu partout et je vous en félicite. En plusieurs endroits de zone libre et de zone occupée, mes hommes entendent parler de vous et de votre mouvement. Vous semblez faire du bon travail et … vous allez vite !

— Je vous remercie, mon colonel, de votre jugement, mais moi, je ne suis pas satisfait. Bien sûr, de mois en mois nous faisons des progrès, mais ils ne sont rien, rien, rien par rapport à ce que je voudrais. Avec plus d’hommes et d’argent, ce serait autre chose ! Entendez-moi bien, je suis venu ici parce que vous m’avez appelé et non pour vous taper …

— Voilà un certain temps en effet que je voulais vous rencontrer, vous voulez savoir pourquoi ... ? Eh bien, c’est simple ! Je trouve dommage que vous et nous, travaillions en ordre dispersé. Il saute aux yeux que vos moyens et les nôtres sont complémentaires et que, par conséquent, une action réellement coordonnée serait beaucoup plus efficace. Ce que vous ne pouvez faire, parfois nous le pourrions et réciproquement. Des moyens, nous pouvons vous en fournir et des hommes aussi. Et puis, n’êtes-vous pas l’un des nôtres ? Il y a quelques mois vous étiez au 2e Bureau … Alors pourquoi ne seriez-vous pas en quelque sorte une antenne très avancée, spécialisée, très secrète de notre Service ?”

Si je n’avais bien connu l’armée, si je n’avais pas été ici même, à Vichy, pendant plus de deux mois, si ensuite je n’avais mesuré les abandons du gouvernement, l’offre serait tentante. En tout cas, elle est sincère. Je suis embarrassé. Une chose est sûre, je ne peux accepter. Seulement je sais que mes raisons vont peiner ce vieux soldat que j’estime. Tant pis, il ne doit subsister aucune équivoque entre nous :

— Mon colonel, je connais le bon travail accompli par certains de vos services et, d’ailleurs, vous le savez, mes relations avec la section allemande du 2e Bureau sont étroites et amicales. Je connais aussi les efforts d’une partie de l’État-Major de l’armée pour en appeler de la défaite. Cependant, je ne peux accepter votre proposition. Cela équivaudrait à me replacer, au moins moralement, dans l’état militaire. Or, si je l’ai quitté, c’est parce que je ne veux pas avoir, un jour, en moi, un conflit entre le devoir d’obéissance et les devoirs que me commandera probablement l’action que j’ai entreprise. Je suis prêt, si nécessaire, à la rébellion contre le pouvoir et je me sens, en conscience, libre de le faire, le cas échéant. Et, vous le savez bien, je suis un rebelle puisque les policiers de mon pays sont déjà à mes trousses et que je vis dans la clandestinité.

“Vous, mon colonel, comme tous les officiers, vous obéirez, parce que, sous l’uniforme, vous ne devez et ne pouvez faire autrement. Alors, sera perdu tout ce que l’armée aura fait, tenté ou simplement espéré. Comprenez-moi, mon colonel … et ne m’en veuillez pas.”

Il ne m'en veut pas, c’est évident, son œil me le dit, mais il ne comprend pas :

— Voyons, Frenay, comment pouvez-vous penser que le Maréchal, le général Huntziger tolérerait et, peut-être même, provoqueraient un divorce entre le devoir d’obéissance et le devoir patriotique ?

Hélas ! je le pense, car la fatalité de cette guerre qui dure et s’amplifie conduit tout droit à ce drame mon interlocuteur et avec lui l’armée.

En rentrant de Berchtesgaden où il avait subi une furieuse pression d’Hitler, Darlan s’est adressé au pays par radio et nous n’avons pas oublié ses accents :

 “C’était pour la France la vie ou la mort, j’ai choisi la vie.”

D’autres pressions auront lieu et d’autres capitulations !

Je quitte le colonel Rivet. Il me prend la main dans les siennes, me regarde et, peut-être un peu ému :

— Je pense, et surtout j’espère que vous vous trompez. L’avenir nous départagera … Je vous aime bien quand même. Bonne chance !”

Par le train je rentre à Lyon. Ai-je bien fait de refuser cette offre ? Tout aurait été plus facile pour moi et moralement plus confortable. Non ! je ne pouvais accepter. N’y pensons plus.

Je chasse le doute de mon esprit, car c’est faiblesse que de regretter une décision irrévocable [29]. » [Souligné par nous.]

Sans insister ici sur la question, on sait que le chemin professionnel de Louis Rivet n’était point achevé. Il allait le poursuivre en Algérie, miraculeusement  inamovible en son poste, contre les politiciens vichyssois de la Métropole (le Ganelon Laval en tête) qui, faute de ne pas avoir essayé n’arrivèrent pas à le déboulonner. Dans un contexte certes explosif, de novembre 1942 à avril 1944, bien repéré par l’historien des idées politiques, Sébastien Laurent après Gérald Arboit [30].

La rencontre attendue avec De Gaulle, sans cesse « arrangée », soufflée par le Résistant Henri Frenay replié un temps à Alger, désolé de ces « guéguerres » picrocholines entre Sr et Bcra, qui prônait un nécessaire rapprochement pour la transmission des relais et l’union de la Nation en guerre, eut lieu en la vieille de Noël 1943. « Le colonel », ce « brave homme » (dixit Édouard Daladier lors du procès de Riom, proche de l’avis d’Henri Frenay) décrit ainsi le face-à-face :

« Convoqué par le général De Gaulle qui me prie de lui exposer la situation du SR et ses difficultés. Conversation d’une heure. Ton calme de De Gaulle, qui m’écoute en m’interrompant parfois pour demander une précision ou lancer une pointe méfiante. Exploration complète de l’activité de ma maison. Nombreuses questions du général concernant nos actes antérieurs et nos actes présents. Il évoque des faits à l’actif de la SM [Sécurité militaire] qui lui ont été rapportés inexactement et comme dirigés contre les services de Gaulle. Je rectifie. Un mot ou une attitude du général semble indiquer qu’il n’est pas convaincu. Le souvenir de notre longue présence à Vichy ne le rassure pas. Il estime qu’on s’y est corrompu. Je proteste véhémentement contre cette suspicion de principe qu’un entourage mal intentionné a propagé. Je fais observer qu’il était plus difficile de lutter à Vichy qu’à Londres et qu’un service comme le nôtre a dû ruser et mentir bien souvent à ses chefs du moment pour se maintenir et pour empêcher les meilleurs Français de dérailler derrière un gouvernement de trahison. Ce qui surprend chez De Gaulle, c’est l’importance qu’il attache aux ragots, aux petits faits qui lui ont été inexactement ou tendancieusement présentés. Ils font loi dans son esprit. Il juge d’après eux. À Alger même, on l’a instruit de certaines missions confiées par Giraud à des personnages “louches”. Il a en tête que le SR a organisé et conduit ces missions (Goulin, Leguyon, etc.). J’ai beau lui dire que nous n’y sommes pour rien, il n’est pas convaincu. Voilà dans quelle situation nous place le “SR Giraud”. En résumé, j’ai énoncé mes difficultés à De Gaulle. La plus actuelle et la plus importante, c’est l’intervention du comité d’action et du BCRA sur notre route, c’est le décret du 20 novembre que je qualifie d’absurde au point de vue SR. De Gaulle en paraît très ennuyé et me dit à plusieurs reprises : “Il faut conclure.” – Oui, dis-je. C’est à vous de conclure et de donner des instructions pour revenir à l’ordre sain des choses.” “J’ai proposé deux formules : statu quo provisoire avec entraide ou intégration de la fraction militaire du BCRA dans le SR. De Gaulle me dit que c’est difficile parce qu’il a, dans la personne de ses agents, une tâche politique et une mission militaire à accomplir, ces agents assurant les deux simultanément. Je maintiens que nous n’en sortirons pas autrement et qu’il faut faire confiance au vieux et toujours ferme SR. Je quitte le général. Je ne puis dire que les choses soient plus claires et plus avancées. Mais j’ai noté l’embarras où des décisions irréfléchies et partisanes l’ont placé [31]. »

Tâches militaires et politiques confrontées ainsi, dans une nouvelle « combinaison » incompatible mêlant pour le pire aux yeux de Rivet Renseignement et Politique … En l’instant, mais aussi pour longtemps. Quant à l’historien de référence du Renseignement, Gérald Arboit, il n’hésite pas à juger négativement Rivet et à approuver la position de Soustelle et de De Gaulle (à tort ou à raison, vue la mondialisation géopolitique alors en cours ?) [32].

– Enfin, comme pour répondre à Frenay par témoignage interposé, on peut citer de sa fille une réflexion plus large. Elle concerne cette fois le sens du combat professionnel de Rivet contre un Hitler auquel son Srt porta des coups terribles. Cela, en ses propres valeurs chrétiennes, manichéennes, mais réalistes quant à son appréciation des enjeux civilisationnels engagés « au cœur de la bataille » menée en son for intérieur depuis longtemps. Face à un ennemi qui révélait  ce qu’était sur le fond une large partie de l’Allemagne wihelmienne, déjà antisémite, « hyper-militariste » et « prussianiste » — si l’on reprend les termes à la fois de Georges Bulit dans sa thèse remarquable sur le sujet, soutenue en Sorbonne, mais aussi, déjà explorée par Edmond Vermeil dans son ouvrage de référence : « Les Doctrinaires de la Révolution allemande », paru en 1938, qu’avait lu un Louis Rivet qui avait fait de ce germaniste de la Sorbonne lui aussi, un honorable correspondant de son Srt [33]. Une politique germano-nazie qui venait donc de loin, en effet, que perçut à sa façon Monique Rivet concernant la conception de l’Allemagne que se faisait son père – et que l’on retrouve dans plusieurs passages des écrits de celui-ci présentés ci-après :

« Je crois que pour mon père Hitler n’était pas, ou pas seulement, le produit de circonstances historiques, mais au moins autant l’émanation de ce quelque chose de sombre et de sauvage qui lui semblait caractériser, pour une part, le génie allemand : “le sombre somnambule [qui] est maître du Reich et de ses destins” dit-il dans l’une de ses lettres. Et s’il n’a jamais, même aux pires moments de la défaite, accepté la victoire de l’Allemagne, c’est qu’il ne pouvait admettre cette sorte de victoire suprême des ténèbres qu’elle aurait été à ses yeux [34]. »

Ecce homo. Des ténèbres, effectivement, réalité bien perçue par Edmond Vermeil dans son ouvrage sur Hitler et le christianisme, précité, publié en 1939 chez Gallimard à la Nrf …

Concernant cette nouvelle Guerre de 40 (« la Petite » ?) qui sera suivie à partir de juillet suivant de celle intérieure rappelant à certains l’ancienne rupture  « entre Armagnacs et Bourguignons », cette « révélation » nous invite à ne pas oublier les valeurs exprimées par un fonctionnaire resté en poste dans la tourmente de la Seconde Guerre mondiale, ballotté entre des chefs et des politiciens qu’il ne fut pas facile de supporter – ceci est visible à la lecture de l’historique dressé par Rivet.

Quant aux conditions de surgissement de son essai et de ses écrits, quelques éléments d’informations permettront de reculer l’oubli qui, comme dans le cas de nombreux témoignages, a pu les recouvrir jusqu’ici.

II. Les écrits choisis de Louis Rivet

Alors que le nom et les fonctions du chef du Service de Renseignements de l’Armée de Terre de juin 1936 à avril 1944 sont connus et commentés – lui dont les Carnets professionnels ont fait l’objet d’une édition particulièrement heuristique en 2010, combat contre l’entropie [35] –, un double paradoxe apparaît.

D’abord ses écrits personnels sur la période controversée de l’Occupation du pays (de juin 1940 à août 1945) n’ont pas souvent, voire jamais, été compulsés par la théorie d’essayistes et d’historiens intéressés par le sujet.

Ensuite les textes en question se trouvent accessibles et sont numérisés en libre consultation. Cette opportunité – rarissime en France – fut rendue possible grâce à leur recueil dans les années 1948-1951 par l’ancien Comité d’Histoire de la Seconde Guerre mondiale, rattaché à la Présidence du Conseil, impulsé par l’historien Henri Michel, accompagné de collègues motivés pour rassembler témoignages et documents d’acteurs majeurs de la Résistance française. On dispose là d’études précises sur les conditions d’émergence et de fonctionnement dudit Comité – auquel participa en tant qu’historienne enquêtrice notamment Marie Granet, épouse du spécialiste de l’ancienne Chine au sein de l’École durkheimienne de L’Année sociologique, l’ethnologue Marcel Granet – mort à cause de Vichy, le 25 novembre 1940 [36].

Il apparaît donc utile de rassembler en premier lieu le récit dressé par Louis Rivet recueilli dans le cadre dudit Comité confié à Henri Michel (lui-même résistant socialiste et historien), complétés par les écrits de ce chef militaire.

L’ensemble retenu ci-après comprend deux parties.

– Dans un premier temps est présenté l’essai rédigé par le Général Rivet, confié au Comité précité et dont la publication fut initialement interdite, nous y reviendrons. Les commentaires et souvenirs exposés y couvrent la période de juin 1940 à avril 1944. L’auteur s’est appuyé aussi sur les notes de ses Carnets professionnels (publiés dans une édition commentée en 2010, précitée) : il en résume certains passages et en reprend l’agenda dans la partie consacrée à ses activités à Alger à partir de novembre 1943 (cf. infra, p. 88). Mais par rapport au journal, l’essai dénote un travail de réflexion et d’écriture très abouti. Un doute subsiste quant à la date, tant de sa rédaction (non indiquée dans le tapuscrit en question), que de son dépôt « aux archives ». De plus, en exergue apparaît dans son en-tête le titre : « Deuxième partie », ce qui laisserait supposer qu’il y en avait une première, non recueillie ou non encore rédigée …

Un indice apparaît pourtant : à la lecture des mémoires d’action d’un des subordonnés de travail de Louis Rivet, Gustave Bertrand, chef de la « Section D » du Srt (concernant notamment les écoutes et les déchiffrements des codes ennemis de la machine de chiffrage prétendue inviolable « Enigma », réfugié avec son équipe de 32 personnes dans la base « Cadix » dans le Gard), nous disposons d’une information quant à la date et au lieu de rédaction de l’essai en question : « février 1944 à Alger ». L’on peut lire, à la page 103 de cet ouvrage prosopographique, aujourd’hui peu accessible, voire « oublié », mais le meilleur, sans doute, de la littérature du genre :

« Simple remarque – Dans son “Historique du S.R. de l’armée”, document secret établi par son Chef lui-même (le colonel Rivet, à Alger), en février 1944 –  l’auteur précisera :

“Sans donner la parole aux Archives, aussi parfaitement éloquentes que muettes, qu’il suffise de dire : […]

“– 3°) que, pendant la période de septembre 1939 à juin 1940, l’Ordre de Bataille allemand fut, sans interruption, tenu à jour et qu’une réussite exceptionnelle permit de décrypter les ordres du Haut-Commandement allemand et d’annoncer ainsi nombre d’opérations qu’il exécuta contre les forces françaises” [37]. »

Et Bertrand  – critique parfois envers « son Chef » et indépendant d’esprit – de commenter – car une telle  reconnaissance concernait son propre service technique de décryptage des messages ennemis :

« Cela fait toujours plaisir ! ».

– La seconde partie du présent ouvrage est composée de sept publications de Louis Rivet, réalisées après la Guerre, sous forme d’articles divers qui complètent parfaitement son essai principal, et surtout, qui livrent sa conception très « militaire » de ses hautes fonctions, même si sa propre représentation de « l’ennemi » allemand reconnut bien les déterminants idéologiques des chefs nazis dans leur façon de concevoir  « une guerre totale ». Ce que Frenay ne pouvait savoir, et ce que le témoignage de Monique Rivet cité plus haut appui comme idée d’une certaine façon, sans en avoir été informée elle non plus, c’est que Louis Rivet avait pour « honorable correspondant » le professeur en Sorbonne Edmond Vermeil, qui réalisa d’ailleurs dans les débuts maintes missions d’« exploration » dans le Reich. Or, Rivet et Perruche – membre alors, lui, de la Section allemande du Srt – avaient rencontré ce dernier et lui avaient même permis de suivre « une période » de formation adaptée dans le Service le 1er octobre 1937. Tous deux et Malraison déjeunèrent avec lui le 7 octobre suivant [38].

Les ouvrages célèbres d’avant 1940 de Vermeil avaient abordé les problèmes concernant ce que Frenay reprocha à Rivet en juin 1941 : de ne pas avoir perçu les méthodes révolutionnaires du nazisme, le considérant seulement comme dépassé par les événements, nous l’avons noté supra (« Peut-être, sans doute même, n’avait-il pas exactement mesuré le caractère nouveau de la guerre qu’Hitler faisait au monde. C’est quinze ans plus tard seulement que les militaires ont eu conscience de ce qu’était la “guerre révolutionnaire”, qu’ils en ont découvert le terme et démonté le mécanisme. Peut-être donc le chef du S.R. n’avait-il pas adapté ses méthodes de travail à cette réalité nouvelle » …).

Mais c’était bien à tort, car Vermeil, dans des brochures grand public de surcroît, avait présenté les moyens inédits introduits par le nazisme concernant les multiples ressorts de « la guerre par la propagande » par exemple. Il est plus que vraisemblable que le germaniste protestant qu’était Vermeil devint un des vis-à-vis intellectuels de Louis Rivet, comme du commandant Perruche (mais sans données plus précises, il est difficile de parler d’amitié entre eux) [39].

Remarquons encore au passage que certains articles d’après-guerre de Rivet ont été influencés par les apports du procès de Nuremberg suivis par lui de très près, éclairés notamment par l’ouvrage de Raymond Cartier [40] qui avait dépouillé en plus des débats et des documents annexés dudit procès, les archives américaines. Notons aussi l’influence sur le chef du Srt des travaux d’un jeune chercheur qui était allé lui-même interroger certains inculpés de Nuremberg. De qui s’agissait-il ?

Ayant bénéficié de la confiance du colonel Rivet comme de celle du Pr. Henri Michel historien de Vichy, alors en charge auprès de la Présidence du Conseil de la direction du Comité d’Histoire de la Seconde Guerre mondiale, on doit beaucoup en effet dans la transmission de documents et écrits ci-après à la thèse d’un jeune étudiant en histoire d’alors, Georges Castellan (1920-2014), devenu spécialiste des questions militaires, puis de l’histoire de l’Allemagne, des pays du Danube et de l’Europe centrale.

Un mot à ce propos.

– On note en exergue du tapuscrit reproduit dans la première partie de l’essai historique de Louis Rivet l’indication suivante :

« Ce texte est du Général Rivet.

C’est un résumé de toute l’histoire du Srt de 1940 à 1944.

Le général a pensé un moment à le publier, d’où la présentation et le style. On l’en a dissuadé. Il ne verra sans doute jamais le jour.

Il devient ainsi un document d’archives. » [souligné par nous].

Cette information confirme les précautions oratoires du capitaine Bertrand devenu général après la guerre de par son engagement dans la Résistance effective, qui qualifia bien ce document de « secret ». Celui-ci est conservé dans le dossier « 72 AJ/82/I/ Pièce 2 » des Archives de France, dans le fonds privé du Comité d’Histoire de la Seconde Guerre mondiale, avec d’autres, dont l’un, intitulé « Défense du S.R. français. Une réplique », rédigé et signé par Louis Rivet (révélé ci-après) déposé à la date de décembre 1951. Ces éléments dudit fonds, marqués comme « dépôt de M. Castellan », ont été en réalité confiés à ce dernier par Louis Rivet pour l’aider dans ses travaux de recherche et faire connaître l’action du Srt aux historiens, lui servant ainsi dans les deux sens de truchement avec le Comité d’Henri Michel.

En effet,  Georges Castellan soutint en 1952 sa thèse en Sorbonne sous la direction du Pr. Pierre Renouvin, intitulée Le Réarmement clandestin du Reich (1930-mars 1935). Vu par le 2e Bureau de l’État-Major français.

Réalisée à partir des archives du service désigné – fait unique qui resta longtemps sans successeurs universitaires –, cette thèse, préfacée par le général Weygand, sera publiée sans notes ni tableaux techniques et statistiques aux Éditions Plon en 1954. Comme l’indique l’auteur, qui a rencontré encore de nombreux officiers, le général Rivet fut pour lui « le guide le plus précieux et le plus sûr », à l’instar aussi de l’ancien ambassadeur à Berlin de 1931 à 1938, André François-Poncet. Du côté universitaire, son jury comprenait son directeur, Pierre Renouvin, Edmond Vermeil, professeur de germanistique en Sorbonne, Ernest Labrousse, professeur d’histoire en Sorbonne, ainsi que Maurice Baumont.

Ce dernier, professeur au Cnam de 1941 à 1951, puis à la Sorbonne (Renouvin avait créé un poste ad hoc pour lui en raison de ses compétences), enseignait en géographie industrielle et commerciale. Un temps secrétaire de la Société des Nations pour les affaires économiques, ce connaisseur de l’Allemagne et de son industrie rédigea encore de nombreux ouvrages sur ce sujet. Connu aussi pour ses deux volumes sur « La Faillite de la Paix » dans la collection « Peuple et Civilisation » aux Presses universitaires de France, il fut proche d’Aristide Briand, de l’historien Lucien Febvre, d’André François Poncet … et vraisemblablement du général Rivet, car tous deux avaient traversé un destin commun lors de la Grande Guerre (grièvement blessés, puis cinq ans prisonniers en Allemagne …) [41].

Dans l’introduction méthodologique de sa thèse, Georges Castellan, piloté à propos par Louis Rivet, distingua bien sûr le Sr du 2e Bureau, mais surtout, il s’attacha à différencier l’« information » du« renseignement », démarche utile, et fondamentale. Voici ce qu’écrivit le jeune docteur à ce sujet :

« La première question qui se pose est donc : Qu’est-ce que le renseignement ?

La Cour suprême de Leipzig, en 1931, le définissait ainsi : “On entend par renseignements (Nachrichten) des communications écrites ou imprimées relatives à des faits au sens le plus large dans le passé, le présent, l’avenir, sur des événements, des changements, des états de fait, des mesures ou des organisations.” Définition extrêmement large, on le voit, et qui ne tient aucun compte du caractère secret ou non du fait envisagé.

Les techniciens ont tendance en France à distinguer :

– Le renseignement, à proprement parler, qui a un caractère secret, c’est-à-dire, suivant une deuxième définition de la Cour de Leipzig, “qui n’est pas de notoriété publique”.

L’information, au sens de la nouvelle de presse, par exemple. Le renseignement c’est-à-dire la recherche de ce qui est caché est l’objet propre des Services secrets, c’est leur raison d’être.

L’information par contre peut être glanée dans la presse, parmi les émissions radiophoniques, etc.

En fait, la distinction est assez formelle. Je la signale simplement pour détruire une idée fausse assez répandue : le 2e Bureau, organe d’exploitation et de recherche, tout à fait distinct du S.R., ne travaille pas seulement sur des matières secrètes. Alors que le S.R. se cache et fuit les indiscrets, le 2e Bureau a pignon sur rue : sa composition, son adresse, son numéro de téléphone figurent sur tous les annuaires militaires. Dans sa mission qui est d’éclairer le commandement, il se sert de tout : renseignements de S.R. en premier lieu, mais aussi informations de ses représentants auprès des armées étrangères que sont les attachés militaires, informations de la presse, des revues, des livres (et le 2e Bureau souscrit toujours à de nombreux abonnements) !

Il faut donc en ouvrant mon livre abandonner tout souvenir des romans d’espionnage. Le briquet-appareil photographique, la pipe creuse pour passer les documents n’y ont pas leur place.

Le lecteur remarquera d’ailleurs que la plupart des références de mon étude renvoient non à des renseignements au sens étroit — livraisons brutes du S.R. — mais à des synthèses du 2e Bureau. Ce sont des travaux de reconstruction, rapprochant et recoupant (critique interne) des renseignements de détails auxquels le S.R. se contentait d’affecter un coefficient de crédibilité suivant la source : l’agent (critique externe). Les renseignements bruts que je cite sont ceux que le 2e Bureau a transmis directement au Commandement, par exemple, dans les rapports au ministre. Ces renseignements au sens étroit concernent presque tous la technique militaire pure : composition des unités, armements, etc. Ils parvenaient à notre S.R. sous deux formes principales : comptes rendus d’agents et copies ou photocopies de documents.

À côté de cela, les informations. On peut ranger dans cette catégorie toute la correspondance des attachés militaires, toujours rédigée en clair : conversations, articles de presse, commentaires en constituent l’essentiel. C’est une source de documentation qui ne se distingue en rien, par sa nature, des dépêches diplomatiques, l’historien se retrouve là en terrain connu.

Enfin, il y a, toujours dans les informations, les études du 2e Bureau faites à partir de publications (journaux, revues, ouvrages). Seule une connaissance superficielle des réalités militaires permettrait de considérer qu’il s’agit là d’une documentation d’intérêt médiocre. Dans tous les pays, même les plus fermés, la presse bavarde. Ainsi l’ordre de bataille de l’armée allemande, pendant la période étudiée, était essentiellement dressé à partir du carnet mondain des journaux de province : mariage du lieutenant X, de la 4e compagnie du 170e R. I. à Kustrin ; naissance de Lisel, seconde fille du commandant Y, état-major du 24e R. A. à Munich, etc. Au bout de quelques années de ce travail de patience, toutes les compagnies, toutes les batteries avaient été localisées. Il s’agissait là de faits de notoriété publique, et pourtant l’agent chez qui, en Allemagne, aurait été découvert un fichier complet résultant de ces dépouillements risquait certainement d’être décapité à la hache. Même chose dans le domaine économique : chacun sait où se trouve telle usine électrique, mais si l’on s’avise de dresser le répertoire de toutes les usines de France avec le schéma du réseau, il y a de grandes chances d’intéresser la D.S.T. [Direction de la Sûreté du Territoire] et de l’amener à demander quelques précisions !

Entre ce qui est “secret” et ce qui, de “notoriété publique”, permet de pénétrer un secret de défense nationale, la frontière est incertaine. La définition de la Cour de Leipzig n’est pas à rejeter. Ce sont tous ces renseignements, au sens des juges allemands, qui constituent la documentation de mon livre [42]. »

Un dernier mot, enfin, sur le support en tant que tel de l’essai de Louis Rivet portant sur l’histoire du Sr de 1940 à 1944.

Concernant l’édition suivante de ce tapuscrit original « relevant des archives », une première indication : les mots soulignés dans le texte le sont typographiquement par son auteur, comme à son habitude dans ses notes et rapports.

Au texte original, n’a été ajoutée dans cette édition pédagogique que la note 80 (p. 106), nécessaire pour éclairer une référence historique « pointue » à laquelle fait allusion Louis Rivet. Celle-ci est indiquée entre crochets […], précédée du signe « * ». Toutes les autres sont du colonel Rivet et datent de février 1944.

L’essai fut donc interdit de publication sous l’influence de hautes instances, comme ceci est explicitement indiqué. Sans précision, mais on peut supposer que cette notification émana soit du corps des officiers d’État-Major, soit de la direction des services de renseignements d’après-guerre, contemporains ou antérieurs après 1944 (notons que l’ex-capitaine Bertrand fut directeur général adjoint du Service de Documentation extérieure et de contre-espionnage). Voire sur ordre direct du ministre de la Défense d’alors – mais lequel ? Il y en eut treize entre 1944 et 1952 … La lecture de l’ouvrage écarte quelques secrets qui le resteront jusqu’aux années 1970 et plus tard.

Il est vrai que la lecture de l’ouvrage – même amputé d’une première partie possible concernant certains secrets qu’il fallait encore préserver et qui le resteront, d’ailleurs jusqu’aux années 60-80 – permet de comprendre pourquoi.

Le texte en tant que tel est rédigé en un style « à l’ancienne », rappelant parfois, à la fin, certains accents de Charles Péguy ou de Maurice Barrès. Il sert la mémoire de ce haut fonctionnaire militaire conscient du devoir de transmettre les leçons des événements exceptionnels qu’il traversa et il illustre aussi la conception du renseignement à tout prix « indépendante de la politique » – comme si cela était possible dans un contexte devenu mondial. Cependant, au service du Pays, c’est-à-dire, à ses yeux, de « la Patrie », sommet de ses valeurs.

Cet essai est donc resté ignoré de la postérité. De très brefs extraits – jamais cités en référence par l’historiographie non plus – ont fait l’objet de pages éparses dans les premiers numéros assez confidentiels à l’époque du Bulletin de l’Aassdn (Association des Anciens des Services secrets de la Défense nationale), dont le général Rivet fut un temps Président d’honneur. Mais les choix retenus n’ont pas été précisés, alors qu’ils furent tirés de ce document. De plus, certains passages sont quelque peu différents du texte original déposé auprès du Comité d’Histoire.

Ou du moins, semblables au style du général Rivet, ils ont été ajoutés (par lui) pour apporter quelques précisions. Peu nombreux, ils sont donc intégrés ici, et marqués dans le texte présenté entre crochets, soulignés en grisé, après ceux qui leur correspondent dans l’original, même si quelques lignes apparaissent parfois redondantes.

Louis Rivet, féru d’histoire, évoque à la fin de son essai le Jacques Bonhomme, celui menuisier comme son père, i.e. l’immémorial paysan, citoyen, ouvrier, instituteur…, ceux de toutes les dragonnades, de toutes les révoltes, de toutes les « Républiques » populaires. Celles de l’Ormée de Bordeaux en l’été 1653 (menée par le boucher Dureteste), de 1789-1792, de la Vendée des « Chouans », de la Commune … Celles qui resurgiront en leurs qualités et leurs manquements de 1871 à 1944. Finalement, face au nazisme, il pensa être « leur guetteur » …

&



[1] Cf. Michel Bergès :

– Le Syndicalisme policier en France, Paris, L’Harmattan, col. « Sécurité et Société », 1995. Consultable sur le site des Classiques des Sciences sociales : URL.

– La Vérité n’intéressait personne. Entretien avec Maurice Papon sur un procès contre la Mémoire, Paris, Éditions François-Xavier de Guibert, Paris, 1999. URL.

[2] Référence là à l’historien, économiste et sociologue allemand Max Weber (1864-1920), théoricien du mode de domination « (néo)patrimonial », auquel appartient le « fascisme » (au sens générique), ainsi que du « factionnalisme » (lutte entre les élites au pouvoir).

[3] Cf. supra, p. 40, note 1.

[4] Cf. Arnold Van Gennep, Le Folklore du Dauphiné (Isère). Étude descriptive et comparée de psychologie populaire, Paris, Librairie Orientale et Américaine, 2 volumes, Paris, G.P Maisonneuve, 1932-1933.

[5] A été compulsé ici, grâce à l’obligeance de Gérald Arboit, le dossier de Louis Rivet déposé au Service historique de l’Armée de Terre – Shat de Vincennes – aujourd’hui Shd, Service historique de la Défense nationale (cote « 13 Yd 1345 Rivet »). Il comprend notamment ses « fiches de position », son « carnet de sous-officier », son « feuillet individuel de campagne », son « relevé de notes », son « livret matricule d’officier », son « bordereau du personnel des officiers généraux ».

[6] Sur Louis Rivet, on peut se référer dans une approche de longue durée aux deux ouvrages suivants de Gérald Arboit, issus de ses travaux de Thèse et d’Habilitation à diriger des Recherches (« Hdr) » sous la direction du professeur Laurent Césari à l’Université d’Artois, commencés dans les années 1970 :

– Des services secrets pour la France. Du “Dépôt de la Guerre” à la “Dgse”, 1856-2013, Préface du général Michel Masson, Paris, Cnrs Éditions, 2014. L’auteur élargit l’analyse de la période 1920-1940 p. 173-227.

– Au cœur des services secrets. Idées reçues sur le renseignement, Strasbourg, Cavalier bleu, 2013.

Cf. aussi à ce propos, Olivier Forcade, « Louis Rivet (1883-1958). Une carrière d’officier dans le demi-siècle », in Louis Rivet, Carnets du Chef des Services secrets (1936-1944), Paris, Nouveau Monde Éditions, 2010 – ouvrage piloté par cet historien du Renseignement, assisté du Pr. Sébastien Lauent, qui nous a succédé au poste universitaire de Bordeaux. Forcade apporte toutes les précisions utiles sur le dossier militaire de Louis Rivet (cote précitée) au Shdn.

Il a cependant introduit une erreur quant au lieu de détention de Louis Rivet en Allemagne de 1914 à 1918, qu’il situe faussement et uniquement à Mondorf, près de Bonn, en Rhénanie-Nord-Westphalie.

[7] Olivier Forcade, ibidem, p. 16. Du même auteur, cf. également, pour la période jusqu’à 1940, tiré de sa Thèse en Sorbonne, son ouvrage de référence La République secrète. Histoire des Services spéciaux de 1918 à 1939, Paris, Nouveau Monde Éditions, col. « Le Grand Jeu », 2008.

[8] Source : Archives du Shd, côte « 13 Yd 1345 Rivet ».

[9] Monique Rivet, « Témoignages », in Louis Rivet, Carnets du chef des Services secrets (1936-1944), op. cit., p. 907-926.

[10] Arthur Conte, Le Premier Janvier 1940, Paris, Plon, 1977, p. 144-147. On peut compulser également l’ouvrage du même auteur, La Drôle de guerre. Août 1939-10 mai 1940, Paris, Plon, 1999. Au chapitre 38, l’auteur décrit, à sa façon et selon son information, « les affolements du 2e Bureau » (p. 283-287).

[11] Henri Navarre, Le Temps des Vérités, Paris, Plon, 1979, p. 49-51.

[12] Ibidem, p. 41.

[13] Cf. à ce propos le témoignage de Monique Rivet précité, in Louis Rivet, Carnets du chef des Services secrets (1936-1944), p. 907-926.

[14] Ibidem, p. 912.

[15] Ibidem, p. 916.

[16] Ibidem, p. 913-914.

[17] Ibidem, p. 915.

[18] Cf. Louis Rivet, Carnets …, à la date du 27 juin 1939, p. 329.

[19] Ibidem …, p. 506, note 961.

[20] Monique Rivet, ibidem, p. 915-916.

[21] Témoignage de Jacques Rivet, ibidem, p. 927-932.

[22] Monique Rivet, ibidem, p. 907-908.

[23] Extrait du dossier d’officier précité au Shd de Vincennes.

[24] Monique Rivet, « Témoignage », ibidem, p. 919.

[25] Louis Rivet, Carnets, ibidem, p. 649.

[26] Ibidem, p. 668, 673.

[27] En dehors des Carnets, cf. quelques extraits éventuellement toujours disponibles dans le Bulletin de l’Association des Anciens des Services spéciaux de la Défense nationale de Prêtre et soldat (1 et 2), l’ouvrage de l’Abbé Hubert Vorage.

Cf. également l’article en hollandais du mercredi, 24 juin 2020 de la Newsletter de Heerlen par Martin van der Weerden, sur l’Abbé Vorage, consultable ainsi : https://www.limburger.nl/cnt/dmf20200617_00164542

Important est l’article paru aussi en hollandais de Harry HM. Beckers et Jo Purnot : « Agent secret “37 bis”, alias “Norbert” », sur le site Internet  suivant :

– https://historischekringcadierenkeer.nl/historie/121-laatste-nieuws/laatste-nieuws/2321-hubert-vorage-een-franse-verzetsstrijder-geboren-op-de-meusenhof.html

[28] Louis Rivet, Carnets secrets …, op. cit., p. 723.

[29] Henri Frenay, La Nuit finira, Paris, Robert Laffont, 1973, p. 97-99.

[30] Cf. les deux références suivantes :

– Gérald Arboit, Des services secrets pour la France. Du Dépôt de la Guerre à la Dgse, 1856-2013, op. cit., note 5, cf. le chapitre 8, « Des crises à la guerre : la part du renseignement en France », notamment les p. 232-259.

– Louis Rivet, Carnets …, op. cit., contribution de Sébastien Laurent, « Les guerres des services spéciaux en Afrique du Nord (novembre-1942-novembre 1944) », p. 543-567.

[31] Louis Rivet, Les Carnets secrets …, op. cit., p. 672-673.

[32] Gérald Arbois, Des Services secrets pour la France, op. cit. L’auteur écrit p. 239 :

« L’aveuglement de Rivet et de ses hommes face à une mutation culturelle fondamentale du renseignement se poursuivait au-delà des réalités. Le 20 novembre 1944, comprenant que l’évolution lui donnait tort, le chef d’escadron de gendarmerie mobile Paillole démissionnait, bien décidé à poursuivre l’espérance de son chef par d’autres moyens. En 1953, il contacta les généraux Rivet, Navarre et Schlesser pour constituer une amicale des anciens des Services de sécurité militaire et des réseaux TR, vouée à entretenir et transmettre la “sacrée vérité”, ainsi que le soulignait une rubrique du Bulletin publié à partir de mars 1954. Ronin préféra rester à l’écart de cette entreprise hagiographique dont les points forts furent le contesté ouvrage de Paillole, Services spéciaux. 1939-1945, et l’essai de rectification de Navarre, à partir de témoignages d’anciens des services spéciaux, Le Service de renseignements, 1871-1944. Les deux étaient bâtis sur la même idée que le gaullisme avait politisé, et donc détruit, les services. »

[33] Cf. de Georges Bulit, Prussianisme et nazisme, avec le regard des intellectuels français sur l’identité nazie de 1933 à 1940, Édilivre à Paris, 2010. Et d’Edmond Vermeil, Doctrinaires de la révolution allemande de 1918 à 1938. W. Rathenau, Keyserling, Th. Mann, O. Spengler, Moeller van den Bruck, le groupe de la « Tat », Hitler, A. Rosenberg, Gunther, Darré, G. Feder, R. Ley, Goebbels, Paris, Éditions Sorlot, 1938.

[34] Monique Rivet, ibidem, p. 912.

[35] Sur les conditions de publication desdits carnets précités supra (Louis Rivet, Carnets du Chef des Services secrets (1936-1944), cf. l’article de Sébastien Laurent qui a mené ce combat : « Le général Louis Rivet, chef des services spéciaux (1936-1944), diariste de la guerre, diariste de lui-même », p. 201-207, in Bertrand Fonck, Amable Sablon du Corail (dir.), 1940. L’empreinte de la défaite. Témoignages et archives, Rennes, Presses universitaires de Rennes et Service historique de la Défense, col. « Histoire », 2014. Consultables sur le site : URL.

[36] Cf. à ce propos, dans l’ouvrage cité à la note précédente, la contribution de Patricia Gillet, « Documenter la défaite. L’œuvre du Comité d’Histoire de la Seconde Guerre mondiale », p. 237-242, consultable sur le site préindiqué : URL.

Patricia Gillet cite en complément les précieuses contributions du colloque de Rennes, sous la direction du Pr. Laurent Douzou, « Faire de l’histoire de la Résistance. Actes du Colloque international (18-19 mars 2008), Rennes, Presses universitaires de Rennes, notamment les contributions de Guillaume Piketty, de Jacqueline Sainclivier, Dominique Veillon et Laurent Douzou à propos de l’Histoire du Comité considéré.

[37] Cf. Gustave Bertrand, Enigma, ou la plus grande énigme de la guerre 1939-1945, Paris, Plon, 1973, p. 103.

[38] Cf. Louis Rivet, Carnets …, op. cit., p. 162-164.

[39] Certains des écrits d’Edmond Vermeil d’avant 1940 se trouvent déjà en libre accès dans les Classiques des Sciences sociales dans la collection « Civilisations et Politique » :

– Hitler et le christianisme, Paris, Gallimard, Nrf, 1939 ; Le Racisme allemand. Essai de mise au point, Paris, Fernand Sorlot Éditeur, col. « Carnets de l’actualité », 1939 ; « La Propagande allemande (Ses principes, son organisation, ses méthodes) », in Revue Notre Combat, 20 octobre 1939, Première année, n° 5, p. 1-22 ; « La Notion de “Volk” et les origines du nationalisme hitlérien », Politique étrangère, 1937, col. 2, N° 1, p. 45-44.

[40] Cf. à ce sujet, de Raymond Cartier, Les Secrets de la Guerre dévoilés par Nuremberg, Paris, Arthème Fayard, 1946 – cité dans un de ses articles d’après-guerre ci après par Rivet –, édition revue et augmentée sous le titre Hitler et ses généraux, Paris, Fayard, coll. « Les Grandes Études contemporaines », 1962.

[41] Cf. l’hommage qu’a rendu à Maurice Baumont (1892-1981) le Pr. Jean-Baptiste Duroselle, in Publications de l’Institut national de recherche pédagogique, 1994, n° 19, p. 148-156, numéro thématique sur les professeurs du Conservatoire National des Arts et Métiers. Dictionnaire biographique, 1794-1955, t. 1.

[42] Georges Castellan, Le Réarmement clandestin du Reich (1930-1935) vu par le 2e Bureau de l’État-Major français, Paris, Plon, 1954, op. cit. supra dans le texte, p. 11-13. Rappelons que l’exemplaire dactylographié des volumes de la thèse, en texte complet, se trouve à la Bibliothèque générale de la Sorbonne sous la côte « W 1952 (9 1-3) ».



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 21 janvier 2024 20:24
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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