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Les rapports culturels entre le Québec
et les États-Unis.
Jean-Paul BERNARD, “Les idéologies québécoises et américaines au 19e siècle.” [41]
Commentaire, par André VACHET, “Post-scriptum à Jean-Paul Bernard : libéralisme ou pas [63]
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On m’a demandé de parler des idéologies québécoises et américaines au XIXe siècle : des travaux déjà faits, et particulièrement de l’influence de la Révolution américaine sur la pensée québécoise, de l’idéologie libérale et de la question de l’annexion.
Les travaux qui, de quelque manière, touchent à notre sujet sont beaucoup trop nombreux pour qu’on puisse en rendre compte ici. Il me paraît toutefois utile de rappeler l’époque de la naissance de la perspective continentaliste dans l’historiographie, il y a environ cinquante ans. Pour ce qui est de nos trois points particuliers (Révolution américaine, libéralisme et annexion), ils constituent autant d’occasions de voir les mérites de cette approche continentaliste et ils permettent de concentrer notre attention.
Dans un colloque sur « les relations culturelles » où on invite à scruter les « modes de vie », les « valeurs et attitudes », je comprends qu’on s’attende à ce que le sens donné au mot idéologie soit assez large pour inclure aussi ce que dans l’historiographie des États-Unis on retrouve parfois sous des expressions comme American Thought, Mind ou Character. À propos de la place des idées dans le processus historique, aussi bien le déclarer dès maintenant et tout net, je suis un peu en réaction ces temps-ci contre une division qui accorde à l’économie un caractère de réalité et tend à faire des idées quelque chose d’irréel ou de moins réel. Pour dire vite, j’emprunte les expressions de Pierre Bourdieu qui estime qu’à opposer réalité et représentation de la réalité, on manque de voir la réalité de la représentation, son poids réel dans les processus sociaux. Ceux-ci joueraient toujours deux fois : dans leur réalité première « objective » et dans la réalité des représentations.
Je choisis, pour ce qui est du Québec, de m’en tenir au Québec francophone. Je sais que cela implique des inconvénients et je n’ignore pas que sur le territoire québécois au XIXe siècle, comme maintenant, il ne se trouve pas que des Canadiens français. Mais avec l’observateur Joseph Samson (1817) je crois que « English Canada, and French Canada, are two different things [1] ». Si on prend cette affirmation au sérieux, on ne peut confondre les deux choses dans l’analyse. Dans un premier temps, une comparaison à deux (Canada français / États-Unis) me convient plus qu’une comparaison à trois (Canada français / Canada anglais / États-Unis) qui pourrait venir ultérieurement.
Pour rendre praticable le travail de comparaison, il faut simplifier les choses, constituer l’objet d’étude, postuler qu’il existe un ensemble idéel/moral étatsunien et un analogue québécois/canadien-français distinct. Des ensembles culturels dont les frontières externes, même poreuses, n’en existent pas moins. Le choix de ce niveau pour l’analyse implique aussi que, dans les deux cas, les divisions régionales ne soient pas au centre de l’attention. On trouvera par ailleurs que bien des forces qui s’exercent dans les deux cas sont identiques, mais alors, on se demandera surtout si elles occupent la même place.
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Reste à dire, à propos de la question qui nous occupe, quelques mots au sujet d’attitudes possibles chez les historiens devant le problème qu’il faut bien appeler celui de la différence, puisqu’il n’est pas facile de trouver un autre mot. Ce que je sais et ce que je pense me conduisent à croire que cette différence a existé de façon très significative, qu’elle doit beaucoup à l’histoire et qu’elle doit être expliquée historiquement. Ce serait me donner la part trop belle que de dire qu’en cela je ne fais que constater et expliquer, échappant ainsi aux travers de la valorisation, de la dépréciation et de la négation... De fait, comme dans la chanson à propos de « La vieille femme indigne », je me dis « faut-il pleurer, faut-il en rire, fait-elle envie ou bien pitié, je n’ai pas le coeur à le dire... ».
La perspective continentaliste
C’est plus particulièrement depuis les années 1930 qu’on insiste sur le fait élémentaire de l’appartenance nord-américaine du Canada et du Canada français, pour dire que la liaison à la Grande-Bretagne chez les anglophones et la liaison à la France chez les francophones ont laissé trop peu de place à la dimension continentale dans l’explication de l’évolution. Déjà, à la fin des années 1920, Keenleyside [2] publiait un ouvrage sur les relations entre le Canada et les États-Unis. Dans les années 1935-1945, c’est une véritable entreprise [3] que de faire ressortir l’importance de ce facteur qui avait été relativement négligé. On peut se faire rapidement une idée de l’esprit qui l’animait en lisant, par exemple, le compte rendu du colloque [4] de 1935 tenu à la St. Lawrence University (Canton) de l’État de New York.
Entre 1936 et 1945, sous le patronage de la « Dotation Carnegie pour la paix internationale » (section d’économie politique et d’histoire), paraissent vingt-cinq volumes qui portent sur les relations canado-américaines, et sur l’influence américaine au Canada. Pour notre propos, quelques remarques s’imposent au sujet des études de cette époque. D’abord, on constate la très nette prépondérance des études d’histoire économique (y compris, à la marge de l’économie, les conflits diplomatiques, les questions de frontières, etc.) et corrélativement le caractère restreint des études portant sur la culture ou les idéologies. Il est aussi intéressant de retenir que le célèbre livre synthèse de Brebner, North Atlantic Trianglef I78 [5], couronne la collection et que Brebner y reconnaît carrément que les rapports à deux (Canada / États-Unis) gagnent à être plutôt considérés dans un système de rapports à trois (Canada / États-Unis / Europe). Enfin, sauf dans quelques cas, comme celui du livre Les Canadiens français et leurs voisins du Sud, on remarque le caractère purement occasionnel des considérations sur le Canada français.
On était à peu près à l’époque de l’enquête de la Revue dominicaine (1937) sur l’américanisation du Québec. Cette année-là, l’historien Gustave Lanctôt aborde à la Société royale du Canada la question des influences américaines sur le Québec et, l’année suivante, le géographe Benoît Brouillette évoque la présence conquérante sur le territoire américain des traitants, explorateurs et missionnaires canadiens-français. Dans L'Action nationale, Lionel Groulx [6] traite de la question de l’annexion.
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Une courte contribution d’Édouard Montpetit [7] à l’étude entreprise, dans le cadre de la Fondation Carnegie, sur les attitudes canadiennes face aux États-Unis mérite d’être relue. Un beau texte, plein de distinctions et de nuances. Montpetit estime par exemple que le Canada français tient à son héritage culturel, mais sans être fermé au progrès tel qu’il se voit aux États-Unis ; qu’il voit les États-Unis de manière positive, mais que cela ne l’empêche pas de craindre pour lui le danger du melting pot. Il tente de distinguer les sentiments qui dominent respectivement dans les grandes villes, les villes et la campagne. Il distingue l’ensemble du peuple et « l’élite », estimant relativement à celle-ci que le traditionalisme défensif du groupe nationaliste n’occupe pas toute la place, qu’il y a aussi un groupe d’intellectuels qui valorisent essentiellement la liaison à la culture française, et un autre groupe, celui des professionnels et hommes d’affaires qui, un peu en dehors des discussions académiques, pratiquent les méthodes américaines et sont portés à les défendre. Dans l’enseignement supérieur, écrit Montpetit, l’influence américaine est presque nulle en théologie, philosophie, droit et lettres, mais largement répandue en sciences, médecine, génie, commerce, agriculture et sociologie.
En 1941, paraît au nom de Gustave Lanctôt le livre Les Canadiens français et leurs voisins du Sud [8]. Il nous intéresse particulièrement pour le XIXe siècle. En effet, on y trouve une cinquantaine de pages, respectivement, de Lanctôt pour la période 1760-1820, de Jean Bruchési pour les années 1820-1867 et de Lanctôt aussi pour la période après 1867.
Quelques années plus tard, l’historien américain Mason Wade [9] présente une solide étude sur les relations Canada français/États-Unis devant la Société historique du Canada, faisant son profil des travaux antérieurs et particulièrement du livre paru au nom de Lanctôt. Remarquons l’expression de la perspective continentaliste : des choses dans l’histoire du Canada français sont « not so much national as continental in character ». Et une affirmation, qui n’était pas une accusation mais qui, en certains milieux, fut perçue comme telle : « French Canada is the most deeply traditionalist section of the New World ». Le gros ouvrage de Wade, French Canadians 1760-1945, qui parut en 1955, eut alors beaucoup de retentissement.
Du côté canadien-français, la Revue d’histoire de l’Amérique française, dans son titre même, a quelque rapport avec le continentalisme (en français !) et les travaux des historiens de l’époque de la fondation des Instituts d’histoire et de géographie de l’Université Laval et de l’Université de Montréal n’ignorent pas la perspective continentale. A-t-on remarqué, par exemple, que le Louis XVI, le Congrès américain et le Canada de Marcel Trudel est de 1949 et que La Guerre de la Conquête (1955) de Guy Frégault repose sur une analyse continentale des enjeux et des événements ?
Il faut passer par dessus les travaux, nombreux, qui depuis ce moment manifestent ici l’intérêt qu’on accorde au rapport Canada français / États-Unis. À titre d’exemple, retenons seulement l’excellent livre d’Albert Faucher paru en 1973 : Québec en Amérique au XIXe siècle. Essai sur les caractères économiques de [46] la Laurentie. Aujourd’hui, la division du travail, la spécialisation dans la recherche, selon les instances ou selon les objets d’étude, favorisent, point par point, l’attention à l’analogue américain. Qu’il s’agisse, par exemple, de l’histoire de la culture, de l’histoire urbaine ou de l’histoire des femmes.
La Révolution américaine
et le Canada français
La Révolution américaine (1776-1783) conduit à l’indépendance, par rapport à la Grande-Bretagne, de 13 colonies qui se donnent un gouvernement commun. Révolution politique, sans doute, mais aussi, au moins potentiellement, révolution sociale. Si l’on peut considérer l’événement comme un accomplissement, il ne faut pas le voir comme une création pure. En amont, on peut voir les bases qui le rendent possible : une base démographique et économique, en même temps qu’une tradition politique et idéologique. En aval, la réussite des Franklin, Jefferson, Hamilton et Washington crée un précédent, constitue un point de repère, une source d’inspiration, un modèle. Triomphe de la liberté, de la démocratie, de l’homme américain ; l’image, pour s’imposer, n’a pas besoin de correspondre parfaitement à la réalité. Elle a, effectivement, quelque rapport à la réalité et pour le reste elle a sa vie propre, sa réalité propre. Le fait que les révolutionnaires français, dans un contexte bien différent, se réclament initialement de l’expérience américaine, ne serait-ce que pour mettre en question l’autorité royale, le montre bien. Une trentaine d’années plus tard, c’est aussi le cas des mouvements d’indépendance en Amérique latine. Tocqueville publie, partie en 1835, partie en 1840, La démocratie en Amérique, qu’il y a lieu de considérer non pas comme une œuvre isolée mais plutôt comme un exemple particulièrement bien réussi d’une réflexion sur la « liberté américaine ».
On n’a pas de mal à montrer qu’à la fin du XVIIIe siècle et dans la première moitié du XIXe le Canada français, intégré à l’Empire britannique depuis 1760- 1763, est lui aussi marqué par cet exemple. Mais peut-être ne faut-il pas oublier que ce qu’il faut surtout expliquer, c’est plutôt que ce peuple, américain lui aussi, n’ait pas voulu ou n’ait pas pu suivre la voie tracée par les États-Unis.
Durant la guerre d’indépendance, des émissaires américains tentèrent bien d’inviter les Canadiens à joindre les rangs des insurgés, mais s’ils purent provoquer quelque sympathie, ils échouèrent à les gagner à leur cause. Durant la guerre de 1812, les milices canadiennes défendent le sol canadien, et l’intégrité de l’Empire, contre l’envahisseur américain. La présence de l’armée anglaise n’explique pas tout. Ni le seul calcul des avantages du commerce avec la Grande-Bretagne.
Il faut lire le discours de Louis-Joseph Papineau en 1820, à l’occasion de la mort du roi George III, pour constater à quel point il était possible de parier alors plutôt sur la liaison à la Grande-Bretagne que sur l’exemple américain. Papineau se dit même heureux de rappeler que « la marine et les armées de la Grande-Bretagne ont été employées pour nous procurer une protection efficace contre tout danger extérieur » !
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Pourtant, durant les années 1834-1838, un mouvement naît, qui aboutit à la proclamation de l’indépendance du Bas-Canada, avec d’ailleurs une rhétorique qui s’inspire largement des États-Unis et l’espoir, un peu confus, d’un appui de la part des Américains. Les 92 Résolutions [10] de 1834 renvoient à l’expérience américaine et montrent ici et là que la fidélité à la Grande-Bretagne ne peut être que conditionnelle, qu’elle ne saurait être assurée sans la correction de griefs qui sont vivement ressentis. Les rébellions de 1837-1838 ne font pas que jouer l’Amérique contre la métropole européenne, elles se réclament de façon on ne peut plus claire des mots mêmes de l’Indépendance américaine.
Dans les Résolutions de Saint-Ours (15 mai 1837), on accuse le gouvernement de la Grande-Bretagne de violation du contrat social et on évoque l’aide contre lui qu’on cherchera du côté américain. L’Adresse des Fils de la Liberté (4 octobre 1837) à remarquer le nom même de cette association des jeunes gens de Montréal » dans son ensemble et dans sa structure, est inspirée de la Déclaration d’indépendance des États-Unis. Manifestement on a presque copié, mais, si on regarde de plus près les deux paragraphes inauguraux respectifs, on voit qu’ici on ne trouve pas « lois de la nature », « Dieu de la nature », « opinion du genre humain ». Les deux documents sortis de la grande assemblée de la Confédération des six comtés (octobre 1837) parlent des « sages et des héros » américains, des « sages et immortels rédacteurs de la DÉCLARATION DE L’INDÉPENDANCE AMÉRICAINE »... Plus représentative, il est vrai, d’une aile radicale que de l’ensemble du mouvement, la Déclaration d’indépendance du Bas-Canada (février 1838) commence par un préambule inspiré des États-Unis et poursuit, par exemple, par des articles qui proclament la république, la fin de toute union entre l’Église et l’État, et l’abolition de la tenure seigneuriale [11].
Un autre document [12], moins connu celui-là, en réponse à une lettre d’appui reçue de la Workingmen’s Association de Londres par le Comité central et permanent de Montréal, oppose aristocratie et démocratie. Plus précisément, l’aristocratie y est vue comme plaie de l’Europe, et cause de ses maux, et la démocratie, comme caractère fondamental de l’hémisphère américain.
Le mouvement de révolte est écrasé par l’armée anglaise. Le territoire des États-Unis sert de lieu de refuge pour des Patriotes en fuite. Mais le gouvernement américain et la Jacksonian Democracy ont d’autres priorités de relations avec l’Angleterre : l’appui un peu naïvement attendu n’aura pas lieu. À retenir, l’issue de la tentative. Le fait que l’échec, qui montre sans doute que l’indépendance ne va pas de soi, même en territoire américain, favorise le colonialisme de même que le conservatisme politique et social. Mais des choses sont antérieures à cet échec.
Considérons le Rapport Durham (1839) [13] autrement qu’on ne le fait généralement, pour l’analyse qu’il fait de la société canadienne-française, de ses caractéristiques et de ses conditions d’existence. De ses caractéristiques qui, pour l’essentiel, sont dues à ses conditions d’existence.
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Malgré le parti pris de son auteur, il pourrait s’y trouver quelque vérité. Voyons l’argument général de la description historique. Au point de départ, la colonisation française est implicitement comparée à la colonisation anglaise :
- Les institutions de la France durant la période de colonisation du Canada étaient... propres à étouffer l’intelligence et la liberté de la grande masse du peuple.
Mais si la France a changé, ce n’est pas le cas des Canadiens français :
- Ils demeurent une société vieille et retardataire dans un monde neuf et progressif. Essentiellement, ils sont encore Français, mais qui ne ressemblent pas du tout à ceux de France. Ils ressemblent plutôt aux Français de l’Ancien Régime.
La colonisation anglaise y a contribué à sa manière :
- ... la négligence continuelle du gouvernement britannique laissa la masse du peuple sans aucune des institutions qui l’eussent élevée à la liberté et à la civilisation.
Il y a eu injuste favoritisme, mais aussi concurrence naturelle intenable :
- L’ascendant qu’un injuste favoritisme avait contribué à donner à la race anglaise dans le gouvernement et dans les carrières de la magistrature, elle se l’est assuré par sa propre énergie supérieure, par son adresse et par ses capitaux dans toutes les branches de l’industrie. Elle a développé les ressources du pays, elle a construit ou amélioré les moyens de communications, elle a créé le commerce intérieur et extérieur. Le commerce en gros dans sa totalité, une grande partie du commerce de détail de la province et les fermes les plus avantageuses et les plus florissantes sont maintenant entre les mains de la minorité.
En principe, Durham répudie l’idée qu’une race puisse être considérée, comme telle, inférieure à une autre :
- Je suis loin d’encourager indistinctement ces prétentions à la supériorité de la part d’aucune race en particulier.
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Mais, dans le cas des Canadiens français, l’infériorité est une infériorité de situation :
- Je ne connais pas de distinctions nationales qui indiquent et entraînent une infériorité plus irrémédiable. La langue, les lois et le caractère du continent nord-américain sont anglais. Toute autre race que la race anglaise (j’applique ce mot à tous ceux qui parlent la langue anglaise) y apparaît dans un état d’infériorité.
Tocqueville, bien avant les événements de 1837, avait vu les États-Unis et le Canada. Il avait vu qu’au Canada la division linguistique avait des incidences sur les rapports de classes et il se disait inquiet de l’avenir du Canada français... Peuple « sans histoire », écrivait Durham. On n’a pas bien compris ici le sens de l’expression. Comme Fichte et Hegel, mais aussi comme Marx et Engels [14], Durham distingue les nations « historiques » des nations « sans histoire ». Sans histoire signifie bien plus sans État et sans avenir que sans passé ou sans passé écrit. La marche du progrès, de l’entreprise et du capitalisme condamnerait certaines nations, au profit d’autres nations...
Les fabricants d’idéologie des années après 1837 au Canada français ont pensé, non sans raison, que les moyens de la nation étaient limités et que son existence même était précaire. De là, par exemple, dans la dernière page de son Histoire du Canada, les mots souvent cités de Garneau :
- Que les Canadiens soient fidèles à eux-mêmes ; qu’ils soient sages et persévérants, qu’ils ne se laissent point séduire par le brillant des nouveautés politiques et sociales ! Ils ne sont pas assez forts pour se donner carrière sur ce point.
À peu près au même moment, aux États-Unis, l’historien George Bancroft [15] se réjouit de la bonne fortune américaine et célèbre, en même temps que le « common man » et le « common mind », la république et la démocratie. « Notre pays, écrit-il, a à montrer au monde la beauté exemplaire de la liberté ». On voit la différence de ton, la différence d’horizon.
Maintenant, on peut passer à une autre question, celle du libéralisme au XIXe siècle. On aura retenu de ce qui précède que quelque chose, dans les caractères et les conditions d’existence du Canada français, n’est pas très favorable à son épanouissement. À propos de 1837-1838, il faut souligner en passant que la thèse de Fernand Ouellet qui, grossièrement, accorde aux Patriotes d’être des libéraux politiques mais pas de vrais libéraux, ce qui aurait impliqué aussi l’économique et le social, n’est pas sans intéresser notre prochaine section.
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Le libéralisme, les États-Unis et le Québec
Avoir à définir d’abord le libéralisme nous oblige à un double mouvement de recherche, d’une part du côté de ce qui fait l’unité du concept et d’autre part du côté des formes particulières que la chose a prises selon la diversité des lieux et des temps. Vieux problème que, dans la philosophie qu’on m’a enseignée au collège, on résumait dans l’opposition compréhension / extension des concepts.
Dans son étude de l’idéologie libérale, centrée sur le libéralisme classique, celui des Physiocrates, de Locke, de Smith et des Encyclopédistes, André Vachet [16] montre à la fois la logique interne du discours des philosophes et des économistes, et les racines sociales auxquelles ce discours correspond. L’idéologie libérale aurait été la théorie d’une nouvelle société et, pour l’essentiel, serait apparue à la fin du XVIIe siècle et au XVIIIe siècle jusqu’à la Révolution française, avant que cette nouvelle société ne « naisse sociologiquement en Angleterre et en Amérique à la fin du XVIIIe siècle, puis en France et en Europe continentale au XIXe siècle.
On a affaire à une totalité conceptuelle, à un ensemble cohérent de principes, de thèmes et de thèses dont l’ordonnance définit une configuration dans laquelle la valorisation de l’individu et de sa propriété constituent les points clefs.
Je résume très brièvement ces principes qui sont :
- l’individualisme : le bien général est assuré par la concurrence des intérêts individuels, et non par la définition arbitraire d’un quelconque bien commun ;
- le naturalisme : le bonheur pour tous résulte du respect de la loi naturelle, et non de l’intervention d’une providence ordonnatrice ;
- le rationalisme : c’est dans sa propre raison que chacun doit trouver son guide moral et non dans des règles extérieures ;
- la liberté : le droit à la liberté, attribut de la volonté individuelle, est premier, antérieur à l’autorité politique et aux conventions sociales ;
- l’égalité : l’égalité de droit, égalité déclarée initiale et naturelle, implique une critique des privilèges juridiquement établis mais reconnaît les différences individuelles et y voit le fondement des différences sociales ;
- la propriété : le droit à la propriété privée permet à l’individu non seulement l’appropriation de biens mais aussi l’enrichissement et la libre disposition des richesses acquises ;
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- la sûreté : le droit à la sûreté donne à l’État le rôle de protecteur de l’individu, de gardien de ses droits, dont le droit de propriété.
Malgré des différences qui ne sont pas sans importance, C.B. Macpherson (The Political Theory of Possessive Individualism) [17], André Vachet (L’idéologie libérale. L'individu et sa propriété) et Louis Dumont (Homo aequalis. Genèse et épanouissement de l’idéologie économique) [18], pointent globalement la même chose. Voilà qui permet de distinguer heureusement libéralisme et progrès, libéralisme et ouverture d’esprit, libéralisme et démocratie ! Le libéralisme a quelque chose de tout cela mais dans un sens bien spécifique. C’est d’abord ce sens qu’il faut chercher si l’on veut parler de libéralisme. Convenons-en.
Pourtant, des précisions/précautions supplémentaires doivent être explicitées. On a là un libéralisme de théoriciens, voire une théorie faisant l’unité des théoriciens, et il ne faudrait pas croire possible de le retrouver tel quel dans l’action, dans l’histoire et dans les moeurs. Ensuite, par rapport au temps, il y a inévitablement transformation. Même chez les théoriciens, il y a une prise en compte de l’expérience historique. On distingue généralement libéralisme classique et libéralisme moderne ou contemporain. L’exclusive « wealth » a tendance à s’accompagner de la préoccupation « welfare »...
À prendre en considération aussi les espaces nationaux, qui correspondent à la fois à des rythmes différents d’évolution du capitalisme et à des cultures différentes. Ruggiero [19], Girvetz [20] ou Flamant [21] voient des histoires différentes du libéralisme selon qu’il s’agit du libéralisme en Angleterre, en France, en Italie ou aux États-Unis. Éric Hobsbawn [22], par exemple, a remarqué, comme dans le cas de l’Italie et du Mexique, la forte composante de l’anticléricalisme dans des mouvements libéraux de pays dont la situation au XIXe siècle était bien différente de celle de l’Angleterre... Dans le cas des États-Unis, des conditions particulières de développement du capitalisme expliqueraient, de l’avis de Marx lui-même, que l’économiste libéral américain Henry C. Carey (The Harmony of Interests, 1851) montre un optimisme qui n’est pas le fait des Ricardo et Malthus britanniques.
Voyons un peu ce libéralisme américain au XIXe siècle. Dès l’époque de la Révolution, donc en même temps qu’en France et en Angleterre, tout l’éventail des thèmes et des thèses du libéralisme (classique) sont à l’honneur aux États-Unis. On n’a pour le voir qu’à se reporter aux textes fondateurs et aux débats au cours desquels triomphent, en même temps que la Révolution, les principes « révolutionnaires ». À n’en pas douter, les Paine, Hamilton ou Madison sont des libéraux. Les conflits de tendance, ceux qu’on résume parfois en opposant les positions de Jefferson et celles de Hamilton, portent sur des questions d’accent et s’expriment comme à l’intérieur même du libéralisme. Contre la Grande-Bretagne, avec pour une bonne part des arguments de philosophes et essayistes anglais, l’affirmation des droits à la liberté de commerce des coloniaux s’appuie sur le droit à la liberté individuelle, à l’égalité et à la protection de l’État. L’État américain se définit [52] initialement comme un État de propriétaires, grands et petits, et se déclare respectueux de la loi naturelle et de la raison. Bien sûr, on pourra insister sur l’inspiration qu’on peut tirer de cette époque, ou sur le caractère illusoire de la promesse libérale américaine [23]. S’il y avait là contradiction, il s’agirait des contradictions mêmes du libéralisme.
L’époque dite de Jackson, celle du « common man », celle de la revendication de l’égalité, met l’Ouest sur la scène politique, mais aussi les villes ouvrières de l’Est. L’extension du recours au suffrage populaire n’empêche pas la concentration du pouvoir politique et économique. Dans La démocratie en Amérique, Tocqueville, observateur qui voit les choses d’un peu haut mais qui est perspicace, estime que pourrait bien naître une aristocratie de l’argent et de l’industrie.
Calvin Colton [24], publiciste whig, écrira que le travailleur américain est libre, que par son vote il s’est assuré ses intérêts et ses droits. Mieux, que si le gouvernement frappe le riche il atteint le pauvre. Chacun étant à sa façon un capitaliste, estime-t-il, dans un pays de self-made men, le capitalisme et les grandes compagnies sont bien adaptés à la démocratie.
La question de l’esclavage avait été abordée en 1787, mais les Constituants avaient cru bien faire en s’en remettant au temps et en abolissant seulement la traite à l’échéance de vingt ans. En cela, le droit de propriété l’emportait sur la liberté et l’égalité. Surtout après 1830, la question de la politique douanière, qui oppose le Nord et le Sud, celle de l’extension de l’esclavage dans les nouveaux États de l’Ouest et une campagne humanitaire pour l’abolition, qui touche l’opinion du Nord, conduisent à l’affrontement armé et au triomphe du Nord. Victoire de l’industrie du Nord sur l’agriculture du Sud, en même temps que des idées de liberté et d’égalité.
Cent ans après la naissance de l’État américain, on était passé de l’époque de l’agriculture et du commerce à celle de l’industrie. Andrew Carnegie publie Triumphant Democracy (1886), qui, de fait, est plutôt une défense des institutions républicaines, et « Wealth » [25] un article plus intéressant où l’individualisme et la propriété privée sont présentés comme les conditions premières du progrès. Il dira « The problem of our age is the proper administration of wealth, so that the ties of brotherhood may still bind together the rich and poor in harmonious relationship ». De là le devoir social de philanthropie.
Mais déjà l’idéologie de l’individualisme intégral, ce qu’on a appelé alors le darwinisme social, et le principe de non-intervention de l’État (v.g. Herbert Spencer, Man versus the State, 1884), étaient contestés de l’intérieur même du libéralisme. Avant même le milieu du siècle, l’Anglais John Stuart Mill exprimait des doutes sur l’à-propos de son application intégrale. Particulièrement dans les pays industrialisés, les principes avaient été doublement mis à l’épreuve de l’histoire : d’une part, on avait souvent cru opportun de ne pas les appliquer, et d’autre part on avait pu voir les misères qui ternissaient l’éclat de la richesse. Aux [53] États-Unis, la défense du libéralisme classique peut alors apparaître d’une certaine façon comme conservatrice. L’accommodement nécessaire prendra les noms de réformisme et de progressisme, dans un contexte où une opinion publique, rendue sceptique, ne donne qu’une confiance mitigée aux entreprises gouvernementales, souvent accusées de corruption et d’inefficacité.
Pour les États-Unis, au XIXe siècle, la place première de l’idéologie libérale ne fait pas de doute. Ce qui n’implique pas cependant l’absence de variantes à l’intérieur même du libéralisme, ni l’absence de mouvements autres. Mais c’est d’une tout autre situation qu’il s’agit pour le Québec ou le Canada français. Dans la configuration générale des forces idéologiques, il n’est pas du tout clair que le libéralisme soit prépondérant ; on a généralement pensé le contraire et on a même été jusqu’à nier au libéralisme toute existence significative. Depuis une bonne trentaine d’années un débat a cours sur la question de la modernité, puis sur celle du développement dans l’histoire du Canada français. Le débat sur le libéralisme renvoie à cet arrière-plan. Mais, si je ne me trompe pas, des équivoques jouent, sur lesquelles il y aurait d’abord lieu de se pencher. Je vais le faire, sans ressusciter toute l’historiographie, en examinant essentiellement deux textes.
En 1975, André Vachet [26] a proposé comme hypothèse générale que « l’idéologie libérale entendue dans son sens précis a toujours été absente de la pensée québécoise ». Mais en 1979, dans Histoire du Québec contemporain [27], on écrit plutôt que de 1867 à 1896 « Au Québec comme ailleurs, en cette seconde moitié du XIXe siècle, l’idéologie montante est certainement celle du libéralisme économique » ; et que dans la période suivante (1896-1929) le « libéralisme triomphant ne laisse à l’idéologie clérico-nationaliste que la position de résistance ». Il faut évidemment voir ce qu’il y a derrière des affirmations qui au premier abord peuvent paraître si opposées.
Ce qui n’existe pas, selon Vachet, monte à la fin du XIXe siècle et triomphe au début du XXe, selon Histoire du Québec contemporain. À moins qu’il ne s’agisse pas de la même chose. Que le libéralisme dans le secteur de l’économie dont il est question dans Histoire du Québec contemporain soit autre chose que l’idéologie libérale comme totalité impreignant l’ensemble de la vie sociale dans l’hypothèse de Vachet. Mais tenter ainsi de concilier vite les points de vue des deux textes est assez illusoire.
Vachet on est en 1975 a lu un certain nombre de travaux qui traitent du « libéralisme » au Canada français, et, si on se fie à ses notes de bas de page, surtout pour la période 1850-1900. Il relève la défense d’un certain nombre d’articles : suffrage universel, liberté de la presse, tolérance, séparation de l’Église et de l’État, représentation démocratique, principe des nationalités. Mais rien d’une défense cohérente des thèmes et des thèses de l’idéologie libérale. Il insiste sur ceci :
- ... ce qui frappe dans toute recherche pour trouver les fondements d’un libéralisme rigoureux dans la pensée québécoise, [54] c’est l’absence de la thèse de la propriété entendue dans son sens libéral et avec comme conséquence l'absence de toute pensée économique libéraliste... L’on trouve bien une défense de la propriété (d’ailleurs plus souvent et mieux exprimée au XXe siècle qu’au XIXe siècle), mais toujours comme propriété familiale, comme propriété rentière, comme petite propriété, comme catégorie morale tout autant ou plus qu’économique. La propriété libérale, c’est-à-dire la propriété productive et reproductive, la propriété capitaliste qui se reproduit et se multiplie par son usage est absente, totalement absente, non seulement chez ceux qui se sont réclamés du libéralisme, mais même dans l’ensemble de la pensée québécoise.
De la description, on passe à l’explication, dont le principal réside dans les rapports entre trois forces sociales : « une classe dominante, ayant comme base le pouvoir économique, ... essentiellement anglo-saxonne avec ses prolongements hors du Québec... ; deux classes en lutte pour le pouvoir politique, culturel ou spirituel, ... la bourgeoisie professionnelle... et le clergé ». Ainsi se comprendrait, par exemple, le fait qu’on ne puisse pas défendre le libéralisme économique et la propriété capitaliste, qui sont les armes de la classe anglo-saxonne dominante, de même qu’un nationalisme qui se présente comme principe de socialisation et qui remplace la concurrence des individus par celle des collectivités. De même la bourgeoisie francophone, affirmant l’importance du politique dans sa lutte contre le clergé, se coupe des sources théoriques du libéralisme. Triomphent alors le clergé et une conception du nationalisme marquée par lui.
Le point de vue qu’on trouve dans Histoire du Québec contemporain contraste avec celui-là. Les auteurs estiment que le fait d’avoir privilégié l’étude des extrêmes idéologiques et d’avoir mis l’accent sur l’affrontement entre les libéraux radicaux et les ultramontains [28], résultait d’une erreur de perspective dans l’étude des idéologies. On aurait été porté à le faire par facilité et parce qu’il y avait là une « forme extérieure plus articulée ». Discours, articles, sermons et conférences seraient « le fait de groupes minoritaires sans influence véritable sur l’opinion ». Les ultramontains seraient « quelques fanatiques » et ce qui est là enjeu concernerait des idéologies marginales, même si de nombreux historiens et sociologues s’y sont trompés.
La nouvelle thèse insiste sur le fait du développement du capitalisme au Québec dans les années 1867-1896, estime qu’il faut « se garder de parler d’unanimité » (idéologique) et définit une idéologie libérale et une idéologie de conservation :
- L’idéologie libérale est celle de la bourgeoisie, tant anglophone que francophone, et d’une fraction de la petite bourgeoisie. Elle se caractérise par l’adhésion aux principes du [55] libéralisme économique et par un conservatisme sur le plan socio-politique... Le nationalisme tient une place importante... chez les francophones (il y a) valorisation d’un nationalisme culturel.
- L’idéologie de conservation est véhiculée par le clergé et par une partie de la petite bourgeoisie. Elle est centrée sur le nationalisme canadien-français dont les composantes principales sont la langue et les coutumes françaises, la religion catholique et le mode de vie rural. Elle prône un ordre social catholique où l’Eglise a un rôle de direction et de contrôle. La minorité ultramontaine veut même étendre ce contrôle aux activités politiques.
On remarquera que, dans ce cas-ci, dans la bourgeoisie dont il s’agit, il y a anglophones et francophones. Ce qu’il faudrait voir, c’est un libéralisme modéré qui fait son chemin malgré l’échec du libéralisme radical, qui au Canada français était caractérisé par l’anticléricalisme.
Un certain nombre de commentaires sur l’une et l’autre thèse (surtout sur la seconde, plus nouvelle) pourraient, il me semble, être utiles pour qui essaie de s’y retrouver dans ce qu’on dit sur les idéologies et la culture québécoises au XIXe siècle. On a, dans Histoire du Québec contemporain, sur les idéologies et la culture, deux sections qui reposent respectivement sur une division puis sur l’abandon de celle-ci. On passe du libéralisme montant dans le domaine économique de la période 1867-1896, au libéralisme tout court, triomphant, de la période 1896-1929. La différence de traitement dans les deux chapitres permet d’une part (section 1867-1896) d’insister sur la normalité de la prépondérance du libéralisme économique dans une société où se développe le capitalisme et de ne pas insister sur le fait, qu’on admet, que le conservatisme semble primer dans le tiroir politique/ institutionnel et dans le tiroir national. Ce qui laisse entier le problème de la dominance. D’autre part, changeant de base, les tiroirs disparaissent dans la deuxième section (1896-1929), et on peut parler du libéralisme triomphant (libéralisme tout court, ici). La logique du capital, après s’être imposée dans les esprits de façon sectorielle (dans l’économie), se serait imposée dans tout le social, naturellement. Dans le cas du Canada français, c’est précisément ce que refuse Vachet.
À l’appui de la thèse nouvelle, on trouve trois choses principales : des « recherches récentes » ; l’argument de la plus grande diffusion et de l’influence sur l’opinion ; et le comportement du peuple lui-même.
Une étude de Marcel Hamelin [29] aurait montré que c’est la « rationalité économique » qui a inspiré les premiers parlementaires provinciaux. L’analyse par Saint-Germain [30] de la presse d’affaires francophone aurait montré qu’on y est ouvert au progrès. Et l’étude de Heintzman [31] sur La Presse aurait montré l’importance de la presse à grand tirage dès la fin du XIXe siècle. À quoi il faut sans doute [56] ajouter l’information dont un des auteurs d’Histoire du Québec contemporain allait bientôt rendre compte dans un livre sur la ville de Maisonneuve [32]. Le discours sur la collectivité nationale n’aurait pas eu de prise sur l’évolution sociale, à preuve la réalité de l’industrialisation et de l’urbanisation, et le fait que l’émigration tant décriée l’emporte sur la colonisation tant vantée. Quelque chose de tout cela est à retenir.
Mais, quant aux parlementaires et à la presse des milieux d’affaires, la question est-elle pour nous de savoir s’ils n’étaient pas ignorants de la « rationalité économique », ou de savoir où prenait fin pour eux le champ de cette rationalité ? Quelle est, avant 1896, la place relative [33] de la presse à grand tirage ? Et quelle est la place de ce moule idéologique dans un ensemble d’appareils ? Que dit-on à la petite école, dans les cours de philosophie [34] au collège classique, à l’église ; qu’en est-il du droit, des services de santé et de bien-être ? Quelle sorte de littérature et d’histoire [35] alors ? Est-ce que le match émigration/colonisation qui est évoqué ne renvoie vraiment qu’à un autre match, idéologie libérale/idéologie de conservation [36] ?
Certaines choses, ailleurs dans le livre, sont difficiles à concilier avec cette section sur les idéologies de 1867 à 1896. Tel est le cas du chapitre où l’on parle d’une « Eglise catholique conquérante », « en pleine remontée », forte d’un renouveau de prestige et de pouvoir, très près de la vie quotidienne des gens. Pourrait-on voir là, dans le fait qu’un autre pouvoir social que celui de la bourgeoisie est lui aussi montant, de quoi questionner une définition de la configuration des pouvoirs idéologiques mise de l’avant ?
Si on prenait le libéralisme modéré de la problématique de Histoire du Québec contemporain pour le placer dans celle de Vachet, peut-être verrait-on dans la modération plus qu’une affaire de ton et de capacité de compromis : une différence d’horizon, une limite à la logique libérale de s’emparer, au-delà de l’économique, aussi du politique et de la culture.
Le pouvoir moral du clergé y est pour quelque chose. Mais il faut bien voir que, si l’Eglise catholique dénonce en 1864 « le progrès, le libéralisme et la civilisation moderne », c’est l’idéologie libérale qu’elle vise, et pas vraiment « les découvertes de la science et de l’industrie modernes, les chemins de fer, les télégraphes électriques, la photographie... les machines à vapeur et l’éclairage au gaz [37] ». Un clerc qui s’était illustré dans la lutte contre les Rouges [38] à l’époque de la Confédération estimait en 1872 qu’il n’y avait pas (ou plus ?) ici de « libéralisme dans le sens condamné par l’Église ».
L’hypothèse lancée par Vachet n’était appuyée, dans son texte, que sur une relecture de travaux faits dans une autre perspective, et qui de ce fait pouvaient mal lui permettre de conclure. Mais on voudra, j’espère, relever son défi en questionnant de nouveau la documentation elle-même. Pour sa part, Histoire du Québec contemporain apporte des informations neuves et dérange ce qui, peut-être, était trop facilement considéré comme allant de soi. Parions sur l’avenir, sur la réflexion [57] et sur la recherche. Faut-il dire que des débats aux États-Unis [39], débats que nous n’avons pas le temps d’aborder mais aussi au Canada anglais [40], pourraient nous intéresser ?
J’ai pensé à Joseph-Guillaume Barthe qui déjà en 1855 reprochait aux récits de voyage de « nous représenter comme un peu trop fossiles... un peu trop moyen âge », et d’évoquer trop simplement l’image d’« un troupeau pastoralement soumis à un joug doux et léger » [41]. Barthe visait des auteurs comme Marmier et Ampère. Mais, en visite au Québec (1850), l’Américain Henry D. Thoreau, l’auteur de Essay on Civil Disobedience et l’ami du grand philosophe Emerson, a lui aussi « l’impression d’un pays plus vieux que les États-Unis » [42]. C’est pour sortir de cette condition que les Rouges du milieu du XIXe siècle, mes libéraux à moi en 1971, mais qui n’en étaient peut-être pas si je me fie au collègue Vachet, préconisèrent l’annexion aux États-Unis.
Le recours à l’annexion
Je termine rapidement avec cette question de l’annexion aux États-Unis, dans la seule perspective de ce qui précède et sur un autre ton. Par la route du Richelieu et du lac Champlain, par exemple, un commerce avec les États-Unis existait traditionnellement. Les Patriotes préconisent la contrebande, qui n’a de sens qu’avec les États-Unis. Les Rouges saisissent l’occasion de l’abandon par la métropole britannique d’une politique douanière favorisant les produits coloniaux pour souligner le caractère naturel du commerce avec les États-Unis. C’est donc commerce et capitaux britanniques ou commerce et capitaux américains. Le détail de la longue histoire des discussions diplomatiques, des traités et ententes commerciales qui jalonnent la période 1846-1911 [43] concerne peut-être moins notre propos que le fait qu’entre 1848 et 1851 les Rouges soient allés jusqu’à préconiser l’annexion, alors qu’ultérieurement il n’y a pas de véritable mouvement au Canada français qui aille jusqu’au bout de la logique du rapprochement avec le voisin américain.
S’adressant au peuple du comté de Champlain, Jean-Baptiste-Éric Dorion disait : « Vous donnez DEUX minots d’avoine pour la même verge d’étoffe américaine que l’américain peut obtenir pour UN MINOT [44] ». Joseph Doutre, lui, dans le beau texte suivant, parlait du peuple qui, si on se fie à lui, aurait vu cela et beaucoup plus :
- En demandant la séparation, le peuple avait discuté les avantages d’une annexion. Les progrès immenses et en tous genres qui s’étaient opérés et s’accomplissaient tous les jours chez ce grand peuple, l’état avancé de son éducation, le succès infaillible de toutes les entreprises publiques et privées, l’accroissement rapide et prodigieux de la valeur des propriétés mobilières et immobilières, les manufactures qui [58] utilisent tous les cours d’eau américains, enfin, et par dessus tout, la liberté politique dans la plus haute et la plus fidèle acception du mot..., tout cela s’offrant à nous en perspective démontrait l’opportunité, la nécessité de l’Annexion. Le peuple voyait dans l’état politique de l’Union Américaine, l’apogée de la grandeur nationale, le plus haut degré de puissance individuelle, toutes les carrières ouvertes à la jeunesse, enfin la clef du bonheur domestique et de la prospérité sociale [45].
Le journaliste du Fantasque, auquel L'Avenir emprunte ces lignes, ne parlait que de lui-même :
- Chacun son goût : pour moi je ne serai jamais anglomane ; car à l’épais John Bull à l’abdomen proéminent, à mine renfrognée et hargneuse, à l’air hautain et aristocratique, je préfère Brother Jonathan à l’œil intelligent, à manière sans gêne et à principes d’égalité [46].
Qu’en était-il chez Jean-Baptiste ?
Ce qui allait se réaliser, plutôt que l’intégration du Canada français aux États-Unis, c’est son intégration à un ensemble fédéral britannique et lié à la Grande-Bretagne. Déjà en ces années 1848-1851, l’idée n’en était pas nouvelle. Sans doute serait-il trop simple de dire que, tout bien compté, Jean-Baptiste a préféré autre chose à l’annexion. Avait-il le choix ? Quel rapport entre lui et les jeux qui se jouent en se réclamant de lui ? Quel rapport entre l’idéologie et la culture populaire ? La première est d’abord affaire d’intellectuels et entre elle et la culture populaire il y a certes bien plus qu’un problème de diffusion : un problème de correspondances dans lequel Jean-Baptiste n’est pas purement passif. Nous savons qu’il sait compter, mais savons-nous ce qu’il comptait ?
Les choses sont plus faciles à connaître à l'autre niveau, celui où quelques-uns s’essaient à dire dans quel sens serait le bien de tous. On peut les considérer comme des vendeurs d’idées, intéressés, cela va de soi. Ainsi, dans les cas des Rouges, leur défense du progrès économique américain et de la liberté américaine est en même temps un plaidoyer pour une société dans laquelle tout l’équilibre des pouvoirs sociaux aurait été changé, et en particulier la place du clergé. Mais si on les prend plutôt comme témoins, on trouve qu’il y a eu au Canada français au milieu du XIXe siècle des gens pour dire que les forces du conservatisme social et du cléricalisme étaient telles que seule l’extraordinaire solution de l’annexion aux États-Unis pouvait permettre de les vaincre.
L’annexion n’aura pas lieu, ni à ce moment-là ni plus tard, n’en déplaise à Engels [47] qui étant passé de Toronto à Montréal parle du Canada comme d’un pays endormi, mûr pour l’annexion, un pays dont l'état contraste avec celui des États-Unis, [59] où la production capitaliste et l’esprit d’entreprise font des merveilles pour le développement.
Mais des milliers et des milliers de Canadiens français, comme d’autres Canadiens, émigreront aux États-Unis. Le mécanisme du marché du travail est bien facile à comprendre. Mais ils sont suivis de leurs curés, ou ils veulent parfois que leurs curés les suivent, et cela, c’est autre chose. Bien sûr, ils vont s’adapter au milieu américain, mais on n’a qu’à comparer les articles « French » et « French Canadians » de la Harvard Encyclopedia of American Ethnic Groups [48] pour voir que l’adaptation dans les deux cas n’est pas la même. Il est curieux de voir que, si on adopte une perspective continentaliste étroite, ce sont plutôt les Français de France qui s’assimilent vite et qui s’intègrent dans le haut de la société américaine. Si seule était en cause l’expérience de la géographie américaine, les choses ne pourraient pas être telles.
Conclusion
Faut-il résumer ? La perspective continentaliste n’est pas de notre invention. L’influence de l’idée de l’Indépendance américaine, bien réelle au Canada français, surtout dans la première moitié du XIXe siècle, s’accordait mal avec ses conditions d’existence. La place de l’idéologie libérale dans la société canadienne-française du siècle dernier n’est pas résolue. Le seul mouvement significatif en faveur de l’annexion aux États-Unis montre le libéralisme de ses promoteurs, mais tout autant la faiblesse relative de ceux-ci dans l’équilibre des pouvoirs sociaux.
[60]
NOTES du chapitre 2
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[62]
[63]
COMMENTAIRE
Post-scriptum à Jean-Paul Bernard
Libéralisme ou pas...
Par André VACHER
Professeur émérite, Études politiques, Faculté des sciences,
Université d'Ottawa
Commenter la présentation de Jean-Paul Bernard n’est pas facile à cause de la qualité de son texte, de la diversité des thèmes abordés et surtout de sa nature propre qui la centre plus sur le factuel que sur l’interprétation. La critique n’y trouve pas facilement prise. D’ailleurs, je n’ai pas l’intention de m’y livrer, sinon pour signaler quelques divergences mineures. Il me semble qu’il serait plus fécond de tenter d’ajouter quelques précisions à un texte qui fait moins problème par ce qu’il dit que par ce qu’il résiste à expliciter, moins problème par ses conclusions que par leur portée peut-être trop prudemment restreinte. Pour l’essentiel, je voudrais me limiter à remettre en perspective la question du libéralisme dans le paysage idéologique du Québec.
D’abord, finissons-en avec les réserves. En premier lieu, la limite que l’auteur s’impose de s’en tenir au Québec francophone. Restriction en apparence légitime d’un champ d’analyse déjà trop vaste, mais qui ne va pas sans conséquences. Et cela doublement. D’une part, en tant que l’idéologie est toujours un phénomène global qui se donne comme l’expression et la représentation universelles d’un ensemble social concret dont les composantes linguistiques ou les composantes économiques, etc. ne sont pas nécessairement déterminantes. D’autre part, en tant qu’elle est toujours l’expression et la justification d’un groupe spécifique ou d’une force sociale particulière qui lui donne naissance. Ainsi, l’analyse idéologique doit être référée à l’ensemble idéologique d’une société donnée et à l’ensemble des rapports des forces sociales en présence dans cette société. Rendre compte de la situation idéologique du Québec et des influences reçues en mettant entre parenthèses sa composante anglophone risque de rendre obscures les voies de la transmission idéologique et ses médiations, et aussi surtout de rendre incompréhensibles les blocages, les déviations, les modifications qu’elles font subir à l’idéologie et qui peuvent en changer la nature. De plus, en perdant son contexte dynamique, l’analyse de l’idéologie risque de se limiter à une analyse par analogie, par analogie des parties et des éléments qu’il ne reste ensuite qu’à additionner en postulant que la somme fait la totalité. Conséquence : la réduction de l’analyse à une mécanique assez facile où le fait de retrouver plus ou moins analogiquement, au Québec francophone, tel ou tel thème (le droit de vote, la liberté, etc.) reconnu comme élément de la pensée américaine semble justifier de [64] postuler une filiation sans se préoccuper de la cohérence logique particulière, ni de l'arrangement concret des ensembles idéologiques et des forces sociales. De l’analogie entre les parties, on déduit le tout, a priori, sans autre examen. En fait, c’est toute l’approche continentaliste qui est peut-être grevée par cette lacune méthodologique. Si l’on en reste là, il apparaît difficile de savoir si les thèmes ainsi retrouvés sont, ou pas, des éléments intégrés à un tout, ou des fragments isolés et modifiés, des fragments détachés d’une autre source, européenne par exemple. Ici, il faudrait revoir les remarques méthodologiques pertinentes qui introduisent à l’étude de L’apolitisme des idéologies québécoises d’André-J. Bélanger (Québec, Presses de l’Université Laval, 1974).
En résumé et plus simplement, l’ignorance de la pensée anglo-québécoise et celle du Canada anglophone risquent de donner un air surréaliste, ou du moins impressionniste, à notre reconstitution du paysage idéologique du Québec (et cela, peut-être encore plus au XIXe siècle qu’au XXe) et risquent de marquer de joyeuses fantaisies toute notre analyse des influences américaines. Mais, encore plus spécifiquement, il me semble que ce découpage rend inextricable le problème du statut du libéralisme au Québec. J’y reviendrai.
Deuxième réserve, l’élasticité des concepts clefs : idéologie et libéralisme. On peut, peut-être, choisir de définir « ses » thèmes comme on l’entend et leur donner toute l’étroitesse, toute la largeur ou la souplesse désirées, mais il y a un prix. En effet, la souplesse peut se payer en rigueur et en précision de la connaissance. Identifier l’idéologie avec la pensée, la mentalité ou la vision du monde (la Weltanschauung des Allemands) est probablement légitime au niveau du langage quotidien ou journalistique, mais, si on en reste là, on risque de laisser échapper le spécifique pour se contenter de notions vagues qui n’emportent qu’une réalité aussi vague et grossière. On peut résister à la réduction « économiste » de l’idéologie et j’en suis sans en faire une notion qui a la consistance du jello ou de la marmelade !
Les conséquences peuvent en être graves ; encore plus, peut-être, pour la connaissance du libéralisme si l’on n’en établit pas une définition rigoureuse et cohérente. Ainsi, à la limite, on peut en venir à considérer comme libérale toute aspiration à la liberté, toute défense de l’individualisme, etc., mais alors le libéralisme se retrouverait presque partout et de tout temps en Occident, au Québec et ailleurs ! Plus sérieusement, l’on risque, sans une définition précise du libéralisme, de le confondre avec ses formes historiques et surtout de lui attribuer les éléments d’autres théories ou formes conceptuelles avec lesquelles il a été associé historiquement. Ici je pense à la confusion si répandue du libéralisme et de la démocratie (confusion absente du texte de Jean-Paul Bernard, mais implicite chez ceux qu’il cite). J’y reviendrai encore.
Attention aussi à vérifier les créances pour ne pas accepter sans examen tous ceux qui empruntent une étiquette. L’habit ne fait pas nécessairement le moine, a-t-on répété. Mais là encore, on ne peut s’en rendre compte que si l’on connaît déjà [65] bien le moine ou du moins son prototype. Il est donc nécessaire de pouvoir distinguer ce qui est apparat, revêtement, forme historique, caractéristiques secondaires, et ce qui détermine l’essence. Dans l’idéologie et les idéologies, on ne peut rien conclure si l’on ne dégage pas les éléments essentiels constitutifs et surtout la cohérence qui les assemblent. Autrement dit, il ne s’agit pas d’additionner quelques éléments pour avoir une idéologie spécifique. Ainsi ce qui distingue le libéralisme et le socialisme, ce n’est pas l’aspiration à la liberté, à l’égalité, à la sûreté, à l’appropriation, à l’individualisme, mais la cohérence spécifique entre ces éléments qui font que certains sont des coefficients ou des déterminants des autres, ainsi réduits dans la totalité malgré leur prétention à l’absolu quand ils sont pris en eux-mêmes. Si l’on ne retient pas ces distinctions, on risque d’échapper à la spécificité des phénomènes idéologiques et aussi à celle des phénomènes sociaux qui y sont rattachés.
En effet n’oublions pas qu’une définition rigoureuse de l’idéologie la renvoie à une force sociale présente ou passée qu’elle exprime et justifie. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle elle ne peut s’identifier strictement avec une simple mentalité, vision du monde ou système de pensée sans perdre sa spécificité. C’est aussi la raison qui fait qu’on ne peut vraiment traiter de l’idéologie dans une société sans tenir compte de l’ensemble des forces sociales qui s’y affrontent, car sociologiquement une force sociale n’a de réalité que par référence à un rapport de forces.
Mettons fin à ces questions de méthode et venons-en spécifiquement au libéralisme. J’ai soutenu, il y a quelques années, qu’il était difficile de trouver une véritable expression de l’idéologie libérale dans la pensée sociale du Québec francophone. Des éléments constitutifs de l’idéologie libérale y apparaissaient absents, ce qui entraîne une cohérence spécifique et distincte. Une telle position, bien résumée par le texte de Jean-Paul Bernard, était, par le contexte, rapportée directement (mais pas exclusivement) au XIXe siècle. Elle était précédée d’un long exposé sur la nature et la logique du libéralisme telles que développées dans mon Idéologie libérale (Editions Anthropos, Paris, 1970). Suivait aussi une tentative d’explication à partir d’un examen rapide des forces sociales porteuses d’idéologies, examen qui permettait une interprétation au moins grossière des spécificités idéologiques propres au Québec.
N’ayant pas la prétention de travailler à partir des sources, exception faites des journaux ayant encore moins la prétention d’en avoir fait une analyse exhaustive, ma position ne pouvait qu’être une hypothèse heuristique invitant à la discussion et à la recherche.
C’est encore, à quelques nuances près, ce que je soutiens aujourd’hui, pour des raisons à peu près identiques. Car, s’il est juste, comme le signale encore bien Jean-Paul Bernard, que notre connaissance du passé idéologique du Québec se soit quelque peu développée et que des études récentes semblent pointer, ou mieux postuler, des directions contraires, il est aussi juste, sauf erreur, qu’aucune étude de [66] quelque ampleur ne porte spécifiquement sur l’idéologie libérale au Québec et ne propose une discussion rigoureuse de son statut, de sa nature et de sa cohérence propre. Dans ce sens, la thèse de doctorat qu’entreprend Fernande Roy, sur Le libéralisme au Québec : l’idéologie des milieux d’affaires québécois francophones, 1880-1914, m’apparaît constituer un pas de la plus haute importance.
Mais, c’est dire que, pour l’instant, le débat est en quelque sorte abstrait, ne faisant qu’énoncer soit des hypothèses soit des postulats assaisonnés d’une bonne dose de confusion théorique et méthodologique. C’est pourquoi à ce niveau, puisqu’on y engage la recherche, la définition des thèmes et des notions, je m’excuse d’y revenir, la position des problématiques, l’identification des logiques, y compris celles qui régissent les forces sociales, m’apparaissent absolument décisives. Or, pardonnez-moi de penser que, pour le moment, le postulat persistant du libéralisme (« montant », « triomphant » ou pas) repose sur un fond bien mouvant et semble traduire plutôt un a priori de l’idée que nous nous sommes faite de nous-mêmes à partir d’une imagerie qu’on voudrait valorisante. Il y a aussi peut-être une certaine paresse de l’esprit et de l’imagination qui, à droite comme à gauche, s’accommode assez bien de tout ce qui semble simple et permanent et qui ne demande pas de révision inquiétante. Le « libéralisme » de notre passé est peut-être un de ces mythes sécurisants dont la remise en question exigerait un trop grand effort théorique et une recherche trop pénible et incertaine. Il y a là une manifestation de fausse conscience.
Celle-ci, d’ailleurs, me semble transparaître dans les prétextes choisis pour justifier la réaffirmation du libéralisme sans vraiment la fonder. Ainsi cette distinction qui oppose le libéralisme des philosophes et des théoriciens à celui de l’action, des moeurs et de l’histoire, ou le libéralisme classique au libéralisme moderne, etc.
Ici, deux remarques. Au plan théorique le libéralisme, comme toutes les grandes théories sociales, est utopique. On a raison de noter qu’il n’est pas « possible de le retrouver tel quel dans l’action, dans l’histoire et dans les moeurs », comme aussi on est justifié de remarquer que, « par rapport au temps, il y a inévitablement transformation » (Jean-Paul Bernard, p. 51). Appliqué et vécu dans le temps et l’espace, le libéralisme est en retrait de sa théorie comme l’a bien expliqué Théodore Lowi dans une des meilleures études sur l’évolution du libéralisme américain (The End of Liberalism, Ideology, Policy and the Crisis of Public Authority (New York, Norton and Co., 1969). Théoriquement, le libéralisme est un modèle abstrait et intemporel, c’est une mesure et un idéal. Précisons aussi qu’il ne se retrouve même pas (contrairement au socialisme) de manière complète et cohérente chez aucun de ses théoriciens.
Mais la pratique historique, avec ses formes diverses en constante mutation, ne peut se rapporter au libéralisme que si elle contient les éléments essentiels réalisés idéalement dans le modèle, que si elle est d’une nature telle qu’elle puisse être mesurée par la mesure. Il faut cependant distinguer deux types de cohérence mettant en rapport la théorie et la pratique. Il y a une cohérence explicite, celle de [67] l’analyste qui vise à reconstituer l’idéal dans sa totalité et dont l’objectif est précisément d’éclairer, au besoin, de développer ce que le théoricien, l’idéologue ou la pratique laissent dans l’obscurité. Et il y a une cohérence implicite qu'impliquent les slogans, les modes d’organisation, les mouvements, les luttes et les aspirations qui déterminent les comportements concrets des individus et des groupes et qui constituent la ou les visions de chaque société. Mais dans l’un et l’autre cas, il doit y avoir cohérence et correspondance d’une cohérence à l’autre pour que soit légitime l’identification et la reconnaissance idéologique. Sinon il y a abus d’étiquette, fausse représentation et probablement ignorance. Qu’est-ce qu’on dirait d’un zoologiste qui, faisant l’étude de ce qu’on reconnaît habituellement être un chat, prétendrait en trouver un couvert de plumes avec seulement deux pattes, déclarant qu’il faut tenir compte de la différence entre le chat idéal ou théorique et le chat réel existant ?
Ainsi, dire qu’il y a des applications diverses du libéralisme dans le temps et dans l’espace est une évidence, mais ce ne doit pas être un sophisme qui soustrait cette autre évidence ou lapalissade qui veut encore que l’habit ne fasse pas nécessairement le moine et que, quelle que soit la forme, le contenu doive y être pour l’essentiel sans quoi il n’y a qu’apparence, illusion et tromperie ! Autrement dit, si le libéralisme trouve son essence dans « l’individualisme propriétaire » (« possessive individualism ») selon la belle expression de C.B. Macpherson ce qui qualifie le principe de liberté, d’égalité et de raison, etc., et ce qui pose la règle de l’État minimal, passif dans tout ce qui n’est pas déterminé par la propriété toute forme qui ne contiendra pas cette détermination spécifique sera autre chose que le libéralisme auquel elle ne pourra pas être rapportée légitimement.
Et ici, je me demande si ce qu’on a pris l’habitude d’attribuer au libéralisme n’appartient pas plutôt à une certaine vision de la démocratie qui s’accole peut-être au libéralisme, mais tardivement et avec des modifications significatives, comme l’a bien démontré encore C.B. Macpherson (Le véritable monde de la démocratie, Montréal, Presses de l’Université du Québec, 1976 ; The Democratic Theory, London, Oxford, 1977). Aussi des thèmes comme république, suffrage universel, représentation, système électoral, séparation de l’Église et de l’État, liberté de presse, etc., se rapportent plus à la théorie démocratique qu’au libéralisme, qui y a longtemps résisté. Il faut bien noter que la révolution américaine porte également en elle le libéralisme, la démocratie et un certain populisme plus ou moins lié à une religiosité dont on ne fait pas assez de cas.
Ainsi l’on pourrait même pousser l’audace jusqu’à se demander si l’influence américaine, celle, en particulier, qui a sa source dans la révolution américaine, ne transmet pas plus au Canada français un modèle de démocratie et un certain populisme qui laisse place à l’individualisme, plutôt qu’un modèle de libéralisme. Une telle transmission aurait été mieux accordée à la situation sociale et plus adéquate à ce que la société québécoise pouvait assimiler.
[68]
Ici, l’on pourrait se demander à quoi les Rouges (les « libéraux » de Jean-Paul Bernard !) se sont vraiment référés en s’identifiant comme libéraux ? Ne serait-ce pas plus à une certaine idée démocratique qu’à une vision du libéralisme, d’autant plus qu’au milieu du XIXe siècle, ce qui fait problème ou scandale, c’est moins le libéralisme, qui est déjà constitué comme idéologie, que ses liens avec la démocratie. L’aile éclairée du libéralisme, un John Stuart Mill par exemple, comprend alors que le libéralisme ne peut conserver ses acquis que s’il corrige et compense les lacunes que son fonctionnement entraîne et fait apparaître en contradiction avec son idéologie. L’attention, le débat porte alors sur l’aménagement libéral de la démocratie, plus ou moins identifiée au suffrage universel, à la représentation et à la responsabilité parlementaire, au système des partis, à l’autonomie du parlement, etc. Va s’y ajouter assez rapidement la question du « welfare State » dont Bismark, en Prusse, va poser les premiers éléments et dont John Stuart Mill avant Ferdinand Lasalle avait énoncé la théorie et la nécessité de l’application. À remarquer ici que la théorie démocratique peut s’accommoder d’un étatisme développé, comme on peut le voir dans le Jacobinisme mais aussi dans le Contrat social de Rousseau, ainsi que l’a démontré, par exemple, J.L. Talmon (Les origines de la démocratie totalitaire, Paris, Calmann-Lévy, 1966).
Une relecture attentive de l’ouvrage de Jean-Paul Bernard et de certains textes de Papineau m’incite à penser que les Rouges se sont essentiellement définis en fonction de cette problématique de la démocratie politique plutôt que du libéralisme lui-même. Ils s’arrêtent plus à cette enveloppe particulière dont le libéralisme va se recouvrir, sans tellement retenir le contenu que contredit l’état de la société et des luttes politiques. Ce serait là aussi le sens de l’interprétation de Fernand Ouellet à laquelle Bernard fait allusion : les patriotes de 1837-1838 auraient été des « libéraux politiques mais pas des vrais libéraux ». Ce qui me semble juste à condition de rapporter à la problématique démocratique cette appellation de « libéralisme politique » opposé au « vrai libéralisme ».
En effet, ce qui résiste au libéralisme chez les Rouges et dans le Québec francophone, c’est qu’il apparaît plus ou moins clairement que la voie politique, la voie étatique, contraire à la position libérale, est la voie privilégiée, sinon la seule voie de promotion sociale puisque la culture et le nationalisme sont conçus sur un mode conservatif et que le pouvoir économique est ailleurs, aux mains des « autres », et comme tel inaccessible. C’est d’ailleurs ce que Papineau, Buies et autres semblent avoir deviné longtemps avant les Lesage, Lévesque, etc. On peut ajouter aussi que le modèle libéral de la propriété, la propriété productive, en plus d’apparaître inaccessible sans médiation, en particulier éventuellement sans celle de l’État, rencontre la résistance d’un modèle plus statique venant de la religion, mais aussi du système juridique et du mode spécifique de vie et d’organisation sociale. Elle est une catégorie morale, juridique et au mieux sociologique avant d’être une catégorie économique. Il aurait sans doute beaucoup à tirer de l’histoire du système de propriété au Québec et des représentations sociales qui en découlent. Les hypothèses de Denis Monière sur le mode de production des petits propriétaires pourraient être particulièrement éclairantes ici si elles étaient développées, vérifiées [69] et complétées. Il me semble qu’en serait confirmée la résistance à une réelle implantation de l’idéologie libérale.
Toujours est-il, pour résumer, qu’il me semble, encore aujourd’hui, que le libéralisme, entendu dans un sens tant soit peu rigoureux, reçoit de faibles créances dans la pensée québécoise francophone du XIXe siècle et même dans celle du XXe siècle. La place accordée plus ou moins implicitement à l’État dans la lutte sociale et la représentation spécifique de la propriété familiale et rentière sur un mode défensif résistent à la cohérence libérale. Si cela est juste, l’influence américaine serait peu sensible de ce point de vue. Par contre, l’aspiration démocratique et un certain populisme auraient trouvé un sol plus fertile et mieux préparé par l’importance donnée à la chose politique par une partie de ce qu’on a nommé la petite bourgeoisie. Celle-ci y voyait des armes pour la lutte concrète qu’elle menait pour le contrôle du politique et de l’Éat, même si elle pouvait concevoir ce dernier selon un mode plus ou moins folklorique. Mais cette ouverture sera vivement combattue par le clergé et l’Église qui, pour un temps, l’emporteront avant qu’elle devienne dominante avec la « Révolution tranquille ». D’ailleurs, il est peut-être encore significatif que l’affrontement des « libéraux » et des « ultramontains », et cela pendant bien longtemps, implique plus ce qui tient de la démocratie que du libéralisme même si l’on n’en fait pas toujours le partage.
Enfin, une dernière remarque que me suggère le texte de Jean-Paul Bernard. Les appuis à la thèse du libéralisme « montant » ou « triomphant » apparaissent pour le moins faibles par le vague même de leur signification, comme si la rationalité et une certaine ouverture renvoyaient nécessairement au libéralisme qui, somme toute, est devenu un conservatisme au milieu du XIXe siècle. Mais cette faiblesse n’est pas que théorique et méthodologique, car il reste à démontrer quelles sont les forces qui définissent le progrès et imposent la rationalité économique et, avec elle, l’industrialisation et l’urbanisation. Comment aussi concilier le libéralisme « montant » ou « triomphant », comme se le demande Bernard, avec une « Église catholique conquérante » qui, il faut bien l’admettre, ne peut pas ne pas imposer son occupation une fois qu’elle a conquis ? À moins de postuler que les idéologies triomphent par leur puissance propre, on ne peut échapper à la question de la force qui assure la montée, puis le triomphe du libéralisme. Or si les ultramontains sont « quelques fanatiques », a-t-on vraiment dénombré la bourgeoisie francophone, même en y ajoutant une fraction de la petite bourgeoisie à laquelle on aura pris soin, tout au moins, de soustraire le clergé et ceux qui le prolongent ? Non seulement l’hypothèse du libéralisme est fragile, mais elle implique aussi de renverser ce que nous savons sur les rapports des groupes sociaux au XIXe siècle, domaine où nos connaissances semblent quelque peu plus assurées que celles qui portent sur les idéologies. En tout état de cause, il est difficile de ne pas revenir à l’idée d’un rapport entre trois forces sociales liées et en lutte, le clergé, la « petite bourgeoisie francophone » et québécoise et la bourgeoisie essentiellement anglophone et canadienne. Ce rapport définirait un espace global, terrain de luttes et de spécificités idéologiques autant que sociales.
[70]
Mais ces remarques demeurent problématiques car, encore une fois, malgré les études récentes, l’essentiel reste à faire pour vraiment révéler le paysage idéologique du Québec. Et au delà de la confrontation des hypothèses, une seule chose me semble certaine : l’on ne pourra conclure quoi que ce soit si l’on cultive le vague théorique, « l’à peu près » des définitions et le « je m’en foutisme » de la logique et de la cohérence. Nous pourrons peut-être alors continuer à tenir des colloques, mais notre connaissance de notre société continuera à faire du sur place, pataugeant dans une savante ignorance bien cultivée à l’ombre d’oripeaux et de bannières sur lesquels sont écrits nos couleurs, nos étiquettes et nos slogans garants de nos certitudes jamais remises en question !
[1] Joseph Samson, Sketches of Lower Canada, IX, cité par Stanley Bréhaut Ryerson, Unequal Union. Confederation and the Roots of Conflict in the Canadas, 1815-1873, Toronto, Progress Books, 1968.
[2] Hugh L. Keenleyside, Canada and the United States : Some Aspects of their Historical Relations, New York, 1929. Voir aussi A.L. Burt, The Old Province of Quebec, Toronto, 1933.
[3] Voir Carl C. Berger, « Internationalism, Continentalism and the Writing of History : Comments on the Carnegie Series on the Relations of Canada and the United States » et Preston, « A Plea for Comparative Studies of Canada and the United States and of the Effects of Assimilation on Canadian Development », in Preston, The Influence of the United States on Canadian Development. Eleven Case Studies (Durham (N.C.), Duke University Press, 1972) : 32-54 et 3-31.
[4] Albert Corey et al., ed.. Conference on Canadian-American Affairs. Proceedings, Ginn and Company, 1936.
[5] John Bartlet Brebner, North Atlantic Triangle. The Interplay of Canada, the United States and Great Britain, New York, Columbia University Press, 1945.
[6] Lionel Groulx, « L’annexionnisme au Canada », L’Action nationale, 17, 6 (juin 1941) : 43-455.
[7] H.F. Angus, ed., Canada and her Great Neighbor. Sociological Surveys of Opinions and Attitudes in Canada Concerning the United States, 1938, p. 30-40. De Montpetit, voir aussi Reflets d'Amérique, Montréal, 1941.
[8] Gustave Lanctôt, Les Canadiens français et leurs voisins du Sud, Montréal, Valiquette, 1941.
[9] Mason Wade, « Some Aspects of the Relations of French Canada with the United States », Rapports de la Société historique du Canada (1944) : 344-362.
[10] On peut trouver les 92 Résolutions (1834) dans T.-P. Bédard, Histoire de cinquante ans (1791-1841) (Québec, Brousseau, 1869) : 344-362.
[11] L’adresse de la Confédération des Six Comtés au Peuple du Canada (1837), de même que la Déclaration d’indépendance (1838) sont reproduites dans Daniel Latouche et Diane P. Bourassa, Le manuel de la parole, 1 (1760-1899), Québec, Boréal Express, 1977. Pour un examen des principales interprétations, voir Jean-Paul Bernard, Les Rébellions de 1837-1838 dans le Bas-Canada. Les Patriotes dans la mémoire collective et chez les historiens, Montréal, Boréal Express, 1983.
[12] Document reproduit dans Robert Christie, A History of the Late Province of Lower Canada, Parliamentary and Political, vol. V, p. 59-66.
[13] Les extraits sont empruntés à l’édition de Denis Bertrand, Desbiens et Lavallée, Le Rapport Durham, Montréal, Editions Sainte-Marie, 1969.
[14] Voir, par exemple, Miklos Molnar, Marx, Engels et la politique internationale, Gallimard, Idées no 337, 1975.
[15] George Bancroft, « On the Progress of Mankind », Bernard E. Brown, Great American Political Thinkers, Discus/Avon Books, vol. I, p. 424-428.
[16] André Vachet, L’idéologie libérale. L’individu et sa propriété, Paris, Anthropos, 1970.
[17] C.B. Macpherson, The Political Theory of Possessive Individualism. Hobbes to Locke, Oxford University Press, 1962.
[18] Louis Dumont, Homo aequalis. Genèse et épanouissement de l’idéologie économique, Paris, Gallimard, 1977. Ou From Mandeville to Marx. The Genesis and Triumph of Economiv Ideology, University of Chicago Press.
[19] Guido de Ruggiero, The History of European Liberalism (1927), Boston, Beacon Press, 1959.
[20] Harry K. Girvetz, The Evolution of Liberalism, Collier Books, 1966. Originellement From Wealth to Welfare (1950).
[21] Maurice Flamant, Le libéralisme, Paris, PUF, Que sais-je ? no 1797, 1979.
[22] E. J. Hobsbawm, The Age of Capital, 1848-1875 (London, Weidenfield and Nicolson, 1975) :272-273.
[23] Staughton Lynd, Intellectual Origins of American Radicalism, Harvard University Press, 1968. Elise Marienstras, Les mythes fondateurs de la nation américaine, Paris, 1976.
[24] Calvin Colton, « This is a country of self-made men », Edwin C. Rozwenc, Ideology and Power in the Age of Jackson (Anchor Books, 1964) : 346-359.
[25] Andrew Carnegie, « Wealth » (1839), in Brown, Great... II, p. 208-217.
[26] André Vachet, « L’idéologie libérale et la pensée sociale au Québec », C. Panaccio et P.-A. Quintin, Philosophie au Québec (Montréal, Bellarmin, 1976) : 113-126.
[27] Paul-André Linteau, René Durocher et Jean-Claude Robert, Histoire du Québec contemporain. De la Confédération à la crise (1867-1929), Montréal, Boréal Express, 1979.
[28] Entre autres travaux, Philippe Sylvain, « Libéralisme et ultramontanisme au Canada français : affrontement idéologique et doctrinal (1840-1865) », W.L. Morton (éd.), Le Bouclier d’Achille (Toronto, McClelland and Stewart, 1968) : 111-138 et 220-255. Fernand Dumont, « Idéologies au Canada français 1850-1900 : quelques réflexions d’ensemble », Fernand Dumont, « Idéologies... 1850-1900 », numéro spécial. Recherches sociographiques, 10, 2-3 (mai-déc. 1969) :145-156. Jean-Paul Bernard, Les Rouges. Libéralisme, nationalisme et anticléricalisme au milieu du XIXe siècle, Montréal, Boréal Express, 1973. Nadia Eid, Le clergé et le pouvoir politique au Québec. Une analyse de l’idéologie ultramontaine au milieu du XIXe siècle, Montréal, Hurtubise HMH, 1978.
[29] Marcel Hamelin, Les premières années du parlementarisme québécois (1867-1878), Québec, Presses de l’Université Laval, 1974.
[30] Yves Saint-Germain, The Genesis of the French Language Business Press and Journalists in Quebec, 1871-1914, thèse de Ph.D. (histoire), University of Delaware, 1974.
[31] Ralph R. Heintzman, The Struggle for Life : The French Daily Press of Montreal and the Problems of Economic Growth in the Age of Laurier, thèse de Ph.D. (histoire), York, 1977. J’avoue ne pas avoir lu cette thèse, mais j’ai lu du même auteur « Political Culture of Quebec, 1840-1960 », Canadian Journal of Political Science, 16, l (mars 1983) : 3-59. L’argument de l’article, qui lie patronage, sous-emploi et sous-développement, il me semble, n’est pas à mettre dans notre dossier du côté de ce qui plaide en faveur du libéralisme.
[32] Paul-André Linteau, Maisonneuve ou comment les promoteurs fabriquent une ville, Montréal, Boréal Express, 1981.
[33] Jean Hamelin et André Beaulieu, « Aperçu du journalisme québécois d’expression française ». Recherches sociographiques 7, 3 (1966) : 305-348.
[35] Serge Gagnon, Le Québec et ses historiens de 1840 à 1920, La Nouvelle France de Garneau à Groulx, Québec, Presses de l’Université Laval, 1978.
[36] Gabriel Dussault, Le Curé Labelle. Messianisme, utopie et colonisation au Québec, 1850-1900, Montréal, Hurtubise HMH, 1983.
[37] Mgr Dupanloup, in Jean-Robert Armogathe, Pie IX. Quanta Cura et Syllabus (Jean-Jacques Pau vert, éditeur, 1967) : 116.
[39] En particulier autour des thèses générales respectives de David Potter, People of Plenty, University of Chicago Press, 1954 ; de Louis Hartz, The Liberal Tradition in America et The Foundings of New Societies, New York, Hartcourt-Brace, 1955 et 1964 ; et de S.M. Lipset, The First New Nation. The United States in Historical and Comparative Perspective, New York, Basic Books, 1963.
[40] Au Canada anglais, la thèse de Hartz a servi de repoussoir. Gad Horowitz, « Conservatism, Liberalism and Socialism in Canada : An Interprétation », Canadian Journal of Economies and Political Science, 22, 2 (mai 1966) :143-171, la transforme radicalement. S.F. Wise la prend à parti dans « Liberal Consensus or Ideological Battleground : Some Reflections on the Hartz Thesis », CHAR (1974) : 1-14. W. Christian et C. Campbell, Political Parties and Idéologies in Canada, Toronto, McGraw Hill Ryerson, 1974 tentent aussi de montrer qu’il y a au Canada plus qu’une tradition libérale individualiste avec certaines « tory touches ». Une autre tradition, conservatrice, ne serait pas sans rapport avec la troisième, le socialisme.
[42] Henry D. Thoreau, Un Yankee au Canada, traduit par Adrien Thério, Montréal, Editions de l’Homme, 1962, p. 119.
[43] Résumé de la question et bibliographie dans D.C. Masters, Reciprocity, 1846-1911, The Canadian Historical Association on Booklets, no 12, 1961.
[44] Manifeste électoral de J.-B.-E. Dorion (1851), Les Rouges, p. 372.
[45] Joseph Doutre, dans l'introduction à Louis-Antoine Dessaulles, Six lectures sur l’annexion du Canada aux États-Unis, Montréal, 1851.
[47] Engels to Sorge, Montreal, September 10, 1888, in Marx and Engels, Letters to Americans 1848-1895, New York, International Publishers, p. 201-203.
[48] Stephen Thernstrom, Editor, Harvard Encyclopedia of American Ethnic Groups, Harvard University Press, 1980, p. 379-388 et 388-401.
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