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Collection « Les sciences sociales contemporaines »
Marie-Andrée Bertrand, “Le rêve d’une société sans risque” (2005)
Introduction
Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Marie-Andrée Bertrand, “Le rêve d’une société sans risque”. Un article publié dans la revue Drogues, santé et société, vol. 4, no 2, décembre 2005, pp. 9-41. [Autorisation formelle accordée par Mme Marie-Andrée Bertrand de diffuser cet article, le 9 juillet 2006.]
Introduction
Observateurs quotidiens des dangers qui menacent la sécurité individuelle et collective, les chercheurs et les professionnels travaillant dans le champ des problèmes sociaux sont sans doute les derniers à croire possible la «société sans risques », mais cela n’implique pas qu’ils n’en rêvent jamais; comme l’a montré Sigmund Freud dans L’interprétation des rêves ( 1967, 1899-1900) et Malaise dans la civilisation (1971, 1930), la proximité quotidienne du péril ne prémunit nullement contre le désir de paix et de sécurité; elle en nourrit plutôt l’espoir et le besoin. Éveillés ou endormis, il nous arrive d’imaginer ce lieu où « tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté » (Baudelaire, 1968, 1855), et c’est pour le rendre moins improbable que nous tentons de prévoir les dangers et d’en réduire l’incidence.
La ‘question du risque’ est en elle-même un sujet qui inquiète les citoyens et divise les chercheurs. Sur la capacité de le prévoir et de l’écarter, les savants des sciences naturelles et physiques, des sciences de la santé et du comportement, entretiennent des vues différentes de celles d’un bon nombre de chercheurs en sciences humaines et sociales. Parmi les premiers, les physiciens et les mathématiciens estiment que leurs concepts et leurs méthodes permettent de prédire le risque (Amsterdamski 1975; Carnap, 1947 ; Hempel, 1983 ; Thom, 1983, 1986, 1990, 1993). Telle est aussi la conviction de bon nombre de spécialistes des sciences de la santé et du comportement (Bernard, 1947 ; Hardcastle, 1999 ; Laborit, 1964 ; Myers, 613 ; Requin et coll., 1994).
Dans la famille des sciences sociales et humaines, pendant qu’un groupe important partage les vues des spécialistes des sciences naturelles et recourt aux méthodes expérimentales dans l’espoir de ‘faire de la vraie science’, une proportion croissante s’inscrit dans le courant herméneutique et les théories du sens : sans bouder les données ‘dures’ (hard data)et les séries statistiques qu’ils considèrent comme de précieux instruments de prévision, ces chercheurs reconnaissent d’emblée que leurs résultats parlent de probabilités ; pourtant, s’agissant du risque, leur démarche leur semble davantage capable de fonder la prévention parce qu’elle s’intéresse aux Sujets en situation, à leur perception de la menace, aux facteurs qui la construisent, et à la conscience de leur responsabilité dans sa survenue (Beck, 2001 ; Gauthier, 2005 ; Habermas, 1987 ; Husserl, 1985 ; Schutz, 1967, 1987 ; Rorty, 1994 ; Villa, 1994).
Nous partageons cette dernière perspective ; dans cet article nous nous intéressons à la perception du risque depuis la sociologie des normes et des valeurs, et la philosophie politique. Nous faisons l’hypothèse que la perception du risque est déterminée par les conditions culturelles, politiques et économiques d’une époque donnée et sa culture propre. Nous poursuivons ici nos travaux antérieurs en sociologie de la déviance et de la réaction sociale et nos analyses de la politique des drogues (Bertrand, 2000, 1999,1998, 1992, 1989, 1986, 1981).
La première partie de l’article est consacrée au contexte social contemporain et aux phénomènes qui le caractérisent ; l’ébranlement des fondements de la connaissance et des valeurs, les changements technologiques et leurs effets sur les rapports sociaux, la désuétude des institutions traditionnelles, et la mondialisation de l’économie ; réunis, ces traits constituent ce que nous appellerons la ‘culture contemporaine du risque’. Dans la deuxième partie, nous abordons deux des éléments de cette culture, les valeurs et leur hiérarchie, et les risques dont la perception découle de l’importance attachée à quelques biens, comme la santé, l’environnement, la sécurité économique, et nous tentons, brièvement, de situer la gravité relative de l’usage et de l’abus des drogues parmi les risques contemporains. La dernière partie esquisse le tableau de la réaction sociale aux risques, dans notre milieu, le Québec et le Canada.
Nous utiliserons de façon interchangeable les mots ‘risques’ ‘dangers’, ‘menaces’ , bien que le risque ne soit pas déjà le danger mais la ‘proximité perçue’ de la menace, ou la ‘probabilité statistique’ d’un accident, d’une maladie, d’un malheur. Nous parlerons même de ‘dommages’ et de ‘malheurs’ perçus comme des sources ‘annoncées’ de risques.
Dernière mise à jour de cette page le mercredi 9 août 200618:58
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cegep de Chicoutimi.
Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
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