[7]
La novlangue néolibérale.
La rhétorique du fétichisme capitaliste
Introduction
- « Le langage politique est destiné à rendre vraisemblables
les mensonges, respectables les meurtres et à donner
l'apparence de la solidité à ce qui n'est que du vent. »
George Orwell
Le contexte
Cet ouvrage traite d'un objet limité, le discours néolibéral, et il vise un objectif limité : établir en quel sens, dans quelle mesure et pour quelles raisons ce discours ressortit à la catégorie orwellienne de la novlangue. Il me faut cependant, pour commencer, évoquer, dans ses grandes lignes, le contexte plus général qui a vu émerger ce discours dans l'espace public mondial jusqu'au point d'y être aujourd'hui devenu prépondérant, au moins dans certains départements de cet espace. Car il règne aujourd'hui en maître notamment au sein de la sphère politique, où il fait consensus, dans une large mesure aussi au sein de la sphère médiatique qui en a fait sa vulgate, de même qu'il a contaminé bon nombre de cercles du monde académique, au sein duquel il a d'ailleurs trouvé son origine, qui le développe en des paradigmes raffinés.
Ce contexte, c'est d'abord, sur le plan économique, la crise structurelle dans laquelle le mode capitaliste de production est entré, [8] au niveau mondial, au cours des années 1970. Une crise qui, tant par son extension temporelle (elle dure depuis plus de trente ans maintenant) que par son expansion spatiale (elle s'est diffusée à tous les États de la planète, bien que différemment et inégalement), et sans préjuger de sa possible issue aujourd'hui incertaine, s'avère déjà comme la plus profonde que le capitalisme ait connue tout au long de son histoire. Cette crise implique une vaste réorganisation des rapports capitalistes de production au sein des États centraux, sur fond de persistance d'un fort taux de chômage, du développement continu de différentes formes de travail précaire, d'une lente mais inexorable diffusion de la pauvreté et de l'exclusion socio-économique ; tandis que, simultanément, elle tente de se résoudre à travers une 'mondialisation' de ces mêmes rapports de production, qui revient tout simplement à réorganiser la hiérarchie des formations nationales dont le monde capitaliste se compose.
Ce contexte se caractérise ensuite, sur le plan politique, par la rupture de ce que, rétrospectivement, on a pu identifier comme le « compromis fordiste » : la configuration singulière des rapports de classe, dans le cadre de laquelle et moyennant laquelle la précédente crise structurelle du capitalisme, celle des années 1930 et 1940, a trouvé à se solder au sein des différents États centraux, en y créant les conditions institutionnelles d'un modèle de développement original du capitalisme, précisément identifié sous le terme de fordisme (cf. Flexibilité, « Retour sur la crise du fordisme »). La rupture de ce compromis a été rendue nécessaire par la crise dans laquelle ce modèle est entré dans les années 1970. Et elle a eu pour condition de possibilité politique une offensive de grande ampleur du capital contre le travail, visant à remettre en cause bon nombre des conquêtes antérieures du monde du travail (du mouvement ouvrier), celles effectuées dans le cadre du précédent compromis. Cette offensive s'est notamment développée par l'intermédiaire de la mise en œuvre des politiques néolibérales suivies par l'ensemble des gouvernements des États centraux depuis le début des années 1980 et tout aussi bien préconisées par les organes du capital transnationalisé que sont le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale ou l'Organisation mondiale du commerce (OMC). La rupture de ce compromis, tout comme le relatif succès de ces politiques n'auraient cependant pu se produire sans cette condition supplémentaire qu'est la profonde crise dans laquelle est simultanément entré [9] le mouvement ouvrier au sein des États centraux, incapable de concevoir et de mettre en œuvre des stratégies et des tactiques, des formes de mobilisation, d'organisation et de lutte qui soient adaptées aux nouvelles caractéristiques de la situation et, plus largement, à la hauteur des enjeux de cette nouvelle phase de la lutte des classes.
Ce contexte se caractérise, enfin, sur un plan plus strictement idéologique, par la faillite de tous les modèles socialistes - qui constitue une dimension spécifique de la crise du mouvement ouvrier que je viens d'évoquer. Faillite du prétendu « socialisme réel », dont la réalité a pu se mesurer à la rapidité et à la facilité avec lesquelles il a pu donner ou redonner naissance, en Chine comme en Russie, au capitalisme ; mais dont l'idéalité avait été antérieurement compromise depuis des lustres par l'ampleur et la nature des crimes de masse dont les régimes censés le réaliser s'étaient rendus coupables. Mais faillite aussi du « socialisme démocratique », de la social-démocratie, qui, au mieux, s'accroche encore quelquefois désespérément aux ruines institutionnelles du compromis fordiste et qui, au pire, le plus souvent, a vendu son âme au diable néolibéral dont elle n'est plus que l'avatar soft.
Le discours néolibéral :
idéologie et novlangue
Il me fallait évoquer brièvement ce contexte [1]. Car, comme il est de règle pour les langages dominants, le crédit public du discours néolibéral s'explique moins par ses vertus intrinsèques, par exemple de vérité ou de justice, que par sa portée idéologique. N'oublions jamais en effet que « les pensées de la classe dominante sont aussi, à toutes les époques, les pensées dominantes » [2]. En l'occurrence, le discours néolibéral vise non seulement à justifier les politiques néolibérales en en masquant le caractère de politiques de classe, cherchant à transformer et refonder l'exploitation et la domination capitalistes, mais encore à les renforcer, tant en servant de langage commun aux différents membres de la classe dominante et à leurs représentants qu'en brouillant l'intelligence de leurs enjeux par les membres des classes dominées. Ce n'est donc pas un simple discours d'accompagnement, une simple musique de fond ou d'ambiance des politiques néolibérales, c'est une partie intégrante de ces politiques, une dimension même de l'offensive de la classe dominante. C'est le langage actuel des maîtres du monde.
[10]
La fonction idéologique du discours néolibéral en explique le contenu : les présupposés, la problématique, les propositions doctrinales, les concepts-clés auxquels il recourt. Par exemple son apologie de la liberté individuelle (de la liberté de l'individu égocentré et égoïste) et de la propriété privée, son sens si particulier de l'égalité, son exaltation cynique de l'insécurité sociale, son fétichisme du marché, sa haine de l'État et des services publics, etc. Les différents articles qui composent cet ouvrage auront l'occasion de le montrer amplement.
Mais cette même fonction idéologique n'en explique pas moins certains aspects des formes de ce discours, en l'occurrence les procédures rhétoriques par lesquelles il opère pour obtenir ses effets idéologiques [3]. Et c'est ce qui m'a conduit à me référer à la notion de novlangue. Car je crois que cette notion est propre à caractériser le discours néolibéral sous ce rapport.
Je n'apprendrai rien à personne en rappelant l'origine de cette notion. Elle est évidemment empruntée à George Orwell (1903-1950), écrivain, journaliste et militant politique anglais, surtout connu comme l'auteur de 1984. Dans ce roman de politique-fiction paru en 1948, Orwell imagine un univers politique proprement totalitaire qui, sous bien des rapports, préfigure d'ailleurs le nôtre. En particulier, dans cette puissance mondiale qu'est Oceania, empire en guerre constante contre ses deux rivaux Eurasia et Eastasia, le parti unique qui est au pouvoir cherche à imposer une langue nouvelle, nova lingua ou novlangue, destinée à rendre impossible tout doute, toute réflexion autonome, a fortiori toute critique et toute contestation de la part des citoyens, en les privant des conditions mêmes de possibilité de telles attitudes non seulement sur le plan intellectuel mais encore et plus fondamentalement sur un plan linguistique et psychologique. Orwell lui-même n'a pas théorisé cette notion de novlangue ; suivant en cela une tradition bien britannique, marquée par l'empirisme, il s'est contenté de la mettre en scène et en œuvre en laissant au lecteur critique le soin d'en dégager, si nécessaire, ses modes opératoires.
Deux des principaux modes opératoires de la novlangue orwellienne se retrouvent notamment au sein du discours néolibéral. Il s'agit, d'une part, de l'inversion de sens, d'autre part, de l'oblitération de sens. Elles sont le plus souvent simultanément mises en œuvre dans la manière dont le discours néolibéral utilise et définit ses concepts-clés. Ce n'est donc que pour la commodité de l'analyse que je les distingue ici.
[11]
L'inversion de sens
Le procédé le plus emblématique de toute novlangue consiste dans l'inversion du sens ordinaire des termes utilisés : la substitution à leur sens propre du sens de leur contraire, de leur antonyme. Orwell lui-même en a imaginé quelques exemples demeurés célèbres dans son roman. Les trois principaux slogans utilisés par le parti unique au pouvoir en Oceania reposent ainsi sur une pareille inversion de sens : « La guerre, c'est la paix », « La liberté, c'est l'esclavage », « L'ignorance, c'est la force ». Orwell fondait sur ce procédé le principe de « double pensée » qui est, selon lui, l'un des opérateurs fondamentaux de la novlangue en même temps que l'un de ses principaux bénéfices idéologiques en ce qu'il dispense de toute pensée spéculative voire la rend impossible, en bloquant ainsi l'accès à la pensée critique.
Or l'usage que le discours néolibéral fait de ses principaux mots-clés procède à une telle inversion, en finissant par renverser le sens du mot dans son contraire. Je voudrais brièvement le montrer sur les exemples des quatre termes suivants : égalité, marché, propriété, réforme. Le corps de l'ouvrage en donnera d'autres exemples encore.
Égalité. La revendication d'égalité est issue des révolutions démocratiques de l'Europe moderne et contemporaine ; et elle a été rapidement, souvent dans le cours même de ces révolutions, retournée contre les limites que la bourgeoisie et, plus largement, l'ensemble des classes possédantes, ont cherché à imposer à ces bouleversements révolutionnaires dont elles n'entendaient faire que le simple moyen de leur accession au pouvoir d'État ou de la consolidation de leur emprise sur ce pouvoir. Cette revendication possède donc une portée subversive, potentiellement dangereuse pour l'ordre social capitaliste. Cette menace qui perdure de nos jours se trouve conjurée dans et par le discours néolibéral à travers une double procédure. D'une part, l'égalité est réduite à la seule égalité juridique et civique, l'égalité formelle des individus face au droit, à la loi et à l'État, la seule forme d'égalité qu'exigent et que tolèrent à la fois les rapports capitalistes de production. Quant à l'égalité réelle, l'égalité des conditions sociales, elle est rejetée comme synonyme d'uniformité et d'inefficacité, voire comme attentatoire en définitive à la liberté individuelle. D'autre part, pour tenter d'atténuer les effets potentiellement dévastateurs de la contradiction entre l'égalité formelle et l'inégalité réelle, de l'abîme séparant [12] quelquefois les deux, le discours néolibéral se rabat sur la douteuse notion à'« égalité des chances », qui ignore ou feint d'ignorer l'inégalité des chances entre les individus dans la lutte pour l'accession aux meilleures places dans la hiérarchie sociale, qui résulte de leurs situations socio-économiques et culturelles respectives dans la société. Au terme de cette double procédure, le mot égalité est devenu propre à désigner l'inégalité sociale et sa perpétuation (sa reproduction) à travers les luttes de places et de placements. Dans le discours néolibéral : « L'égalité, c'est l'inégalité » !
Marché. La pensée libérale fétichise le marché dès ses origines ; et le discours néolibéral reprend ce fétichisme (voir p. 17 « La langue du fétichisme ») à son compte, en le poussant jusqu'à ses plus extrêmes conséquences. Conformément à ce fétichisme, il dénomme et qualifie la société capitaliste de « société de marché ». À l'en croire, le capitalisme résulterait simplement d'une extension du monde de la marchandise, d'une extension des échanges marchands et de leur principe, la concurrence, à l'ensemble des rapports économiques et sociaux. Extension qui serait en passe de se parachever, aussi bien en s'élargissant à la planète entière (tel serait fondamentalement le sens de la 'mondialisation') qu'à l'ensemble des sphères de l'existence sociale, à tous les rapports sociaux et à toutes les pratiques sociales, qui devraient ou bien directement prendre une forme marchande, ou bien, pour le moins, se conformer aux exigences du développement du marché, à commencer par ceux de la concurrence. En somme, le discours néolibéral fait l'apologie du monopole du marché, au nom bien évidemment des vertus de la concurrence !
Bien plus, ce faisant, le discours néolibéral occulte deux phénomènes majeurs. Le premier est tout simplement l'existence du capital comme rapport de production, fondé sur l'appropriation privative des moyens sociaux de production, autrement dit sur la monopolisation de ces moyens par une petite minorité de membres de l'humanité et l'expropriation du restant de l'humanité. Quant au second, c'est la centralisation croissante des capitaux, inhérente à leur accumulation, qui aboutit aujourd'hui à conférer une structure d'oligopole à une majorité, qui va grandissant, de branches de la division sociale du travail, et cela au niveau planétaire. Dans ces conditions, faire l'apologie du marché concurrentiel, c'est faire preuve de bêtise ou de cynisme. Dans les deux cas, cependant, sous ce rapport encore, pour le discours néolibéral : « Le marché, c'est le monopole » !
[13]
Propriété. Comme son ancêtre, la pensée libérale, le discours néolibéral défend bec et ongles la propriété privée, en assimilant sous cette forme juridique des rapports sociaux tout à fait hétérogènes : la propriété de moyens de consommation, éphémères ou durables, ordinaires ou luxueux, par des ménages (des individus ou des familles), résultant de leurs revenus ; la propriété, là encore individuelle ou familiale, de leurs moyens individuels de production par les travailleurs indépendants, résultat et instrument de leur travail personnel ; enfin la propriété capitaliste, propriété de moyens sociaux de production, au double sens où ils ne peuvent être mis en œuvre que par du travail social (la combinaison de multiples forces de travail individuelles) et où ils sont les résultats de l'exploitation d'un tel travail social, le plus souvent sur des générations. L'intérêt idéologique de cette confusion, ses effets de légitimation de la propriété capitaliste sont du même coup manifestes. Là encore, cependant, dans la mesure où cette propriété est fondée sur l'expropriation de l'immense majorité des producteurs, ce bénéfice idéologique est obtenu moyennant une inversion de sens. Dans le discours néolibéral : « La propriété, c'est l'expropriation » /
Réforme. Pendant des décennies, en gros de la fin du XIXe siècle jusqu'à la présente crise du capitalisme, au sein du mouvement ouvrier ou en marge de celui-ci, le mot réforme a désigné des transformations des rapports capitalistes de production, de propriété ou de classes destinées à améliorer la condition des travailleurs salariés en général. En dépit des illusions réformistes qui ont pu les accompagner mais aussi en partie grâce à elles, de telles réformes ont été au cœur du compromis fordiste précédemment évoqué, tout comme plus largement de la dynamique même du capitalisme que ce compromis a encadrée et soutenue. Aujourd'hui, au contraire, lorsque idéologues et politiciens néolibéraux parlent des nécessaires 'réformes' à entreprendre, ils entendent remettre en cause non seulement les acquis des travailleurs, fruit de leurs luttes antérieures, mais encore le principe même selon lequel le sort des travailleurs pourrait s'améliorer à la faveur de la transformation des rapports capitalistes de production. C'est ainsi que la « réforme des retraites » conduite en France en 2003 par le gouvernement Raffarin va très certainement générer une dégradation du pouvoir d'achat des retraités au cours des prochaines décennies, en faisant réapparaître le spectre de la vieillesse indigente. Dans le discours néolibéral : « La réforme, c'est la contre-réforme » !
[14]
L'oblitération de sens
Le second procédé rhétorique auquel a régulièrement recours le discours néolibéral est l'oblitération de sens. Procédé à la fois opposé et complémentaire du précédent, il consiste non pas à imposer l'usage d'un terme ou d'un sens sous couvert d'un terme ou d'un sens contraire, mais à rendre inaccessible, impraticable, un sens ou un terme par l'intermédiaire d'un autre qui lui fait obstacle ou écran. Autrement dit, il ne s'agit plus <¥ imposer de penser selon certains termes mais au contraire <¥ empêcher de penser selon certains termes, de bannir certains mots et, à travers eux, certains concepts et, partant, certaines analyses théoriques dont ces concepts sont les instruments.
Dans le roman d'Orwell qui me sert ici de modèle, ce procédé d'oblitération est encore plus caractéristique de la novlangue que le précédent procédé d'inversion. En partant du principe que la pensée dépend des mots, que c'est toujours dans et par les mots que l'on pense, il suffit par exemple de faire disparaître un mot subversif tel que amour ou liberté pour oblitérer le concept associé à ce mot et rendre impraticables les actes que ce concept peut amener à concevoir et à entreprendre. Ce procédé ne se limite d'ailleurs pas au seul niveau lexical auquel je m'en tiendrai ici puisque, dans son roman, Orwell imagine qu'il puisse s'étendre au niveau syntaxique. Par une simplification lexicale et syntaxique de la langue (par exemple, sa réduction à une série de slogans), il s'agit en définitive de rendre impossible l'expression d'idées subversives et d'éviter toute formulation de critiques et même la seule idée de critique.
La plupart des mots-clés du néolibéralisme procèdent de et à une telle oblitération, destinée à rendre incompréhensibles et inutilisables certains termes gênants, à les faire disparaître de l'usage dans l'espoir de les effacer à terme des consciences et des dictionnaires. Termes gênants parce qu'à portée polémique ou critique, non seulement pour les politiques néolibérales mais plus fondamentalement pour les rapports capitalistes de production, ils procèdent le plus souvent de la tradition révolutionnaire. Là encore, il me faudra m'en tenir à quelques exemples, pris parmi d'autres possibles, que les pages suivantes illustreront d'abondance.
Capital humain. Par cet oxymore (comme si le capital pouvait avoir quoi que ce soit d'humain !), le discours néolibéral désigne en fait la force de travail, les capacités physiques, morales, intellectuelles, [15] esthétiques, etc., que tout sujet humain, en fonction du degré de civilisation de la société qui est la sienne et de sa position dans la division sociale du travail, met en œuvre dans les tâches productives qu'il effectue et que, dans le cadre du rapport capitaliste de production il est contraint de mettre en vente pour obtenir en contrepartie un salaire. Oblitérer le concept de force de travail, c'est évidemment masquer la source de toute valeur, le travail humain, la mise en œuvre productive de la force de travail, ainsi que le secret de la valorisation du capital lui-même, l'exploitation de cette même force de travail, plus exactement de la combinaison des innombrables forces de travail individuelles que le capital s'approprie. Autrement dit, c'est occulter l'exploitation et la domination du travail par le capital.
Charges sociales. Bête noire de petits mais aussi quelquefois des grands capitalistes, les « charges sociales » n'en sont pas moins insupportables pour les hommes politiques et les penseurs néolibéraux. Cette curieuse expression ne désigne pourtant pas autre chose que la part socialisée du salaire : la part du salaire qui n'est pas directement et immédiatement perçue par chaque travailleur salarié pris individuellement mais qui est centralisée en une sorte de fonds salarial social servant à verser des prestations venant soit compléter le salaire direct, soit se substituer à lui lorsque, dans des circonstances particulières (la charge d'enfants, la maladie, l'accident de travail, l'invalidité, la retraite), ce dernier s'avère insuffisant ou même inexistant, de manière temporaire ou durable. Ne pas identifier ces « charges sociales » comme une partie du salaire, en parler comme d'une espèce de surcoût venant s'ajouter au coût salarial réduit au seul salaire direct, c'est non seulement rendre incompréhensible ce qu'est le salaire (le prix de la force de travail) et ce qui le mesure (la valeur de la force de travail, le coût social de sa reproduction) ; mais c'est évidemment aussi se mettre en position de contester la légitimité de ce prétendu surcoût, en proposant de pratiquer des coupes plus ou moins claires dans les éléments qui le composent. Autrement dit, c'est proposer purement et simplement de réduire la valeur de la force de travail, d'aggraver en conséquence l'exploitation des travailleurs, d'étendre et d'intensifier la pauvreté et la misère dans leurs rangs.
Dette publique. Voici une autre bête noire des néolibéraux, toujours prompts à dénoncer l'appétit vorace du Moloch étatique, la mauvaise graisse qu'il fait, le régime au pain sec et à l'eau auquel [16] il conviendrait de le mettre pour lui faire rendre son dû. Il est singulier qu'ils parlent si souvent de la dette publique et si rarement (presque jamais) de ce qui en est pourtant le complément et la condition, le crédit public. Car, pour que l'État puisse s'endetter, encore faut-il qu'il trouve des prêteurs prêts à lui fournir les recettes que ce même État ne trouve pas à se procurer par le biais des prélèvements obligatoires, notamment par l'impôt. Mais qui sont ces généreux créanciers ? Essentiellement des banques, des compagnies d'assurances, des fonds d'investissement, des fonds de pension - en un mot le capital financier. Si ce dernier prête si généralement ses fonds à l'État, c'est qu'il s'agit là pour lui d'un placement particulièrement sûr et honnêtement rémunérateur sur le long terme, en l'autorisant à prélever au titre des intérêts une partie des impôts, donc de la richesse sociale produite. Mais si ce capital dispose de pareils fonds, pourquoi l'État ne s'en empare-t-il pas directement, par l'intermédiaire de l'impôt ? Pourquoi doit-il emprunter ce qu'il pourrait prélever, en évitant du même coup d'avoir à s'endetter ? Question sacrilège, dont il s'agit justement d'interdire qu'elle soit posée... en évitant de s'interroger sur le mécanisme du crédit public, en mettant précisément l'accent sur la seule dette publique !
Flexibilité. Maître exigence du capital dans la phase critique actuelle de son procès transnational de reproduction, la flexibilité est en même temps une donnée structurelle du capital qui correspond à l'instabilité fondamentale qu'il imprime à l'ensemble des conditions de sa reproduction. Car l'invariance de la structure du rapport capitaliste a précisément pour exigence le changement permanent des éléments pris dans cette structure. L'univers du capital répond bien à cette formule que Lampedusa met dans la bouche du personnage principal de son roman, Le Guépard, qui comprend que, face à la montée au pouvoir de la bourgeoisie, sa classe (l'aristocratie) va devoir accepter le changement et s'y adapter pour conserver ses privilèges : « Se vogliamo che tutto rimanga corne è, bisogna che tutto cambi » (« Si nous voulons que tout reste en l'état, il faut que tout change »). Autrement dit, exiger la flexibilité de tout et de tous à tous les moments et faire l'apologie du changement, c'est exiger de se plier à l'inflexibilité de la domination du capital et c'est masquer la permanence de sa domination.
Je pourrais ainsi multiplier les exemples. D'ailleurs, certains de ceux dont je me suis servi pour illustrer le premier procédé, l'inversion de sens, pourraient se reprendre ici pour illustrer [17] l'oblitération de sens, tant il est vrai que les deux procédés ne se séparent pas, qu'ils sont fréquemment le recto et le verso d'une même opération. Ainsi, parler d'« économie de marché », c'est oblitérer les concepts de capital et de capitalisme ; parler de « propriété privée » à propos du capital, c'est oblitérer les concepts d'expropriation et de réappropriation ; parler d'« égalité » (égalité formelle ou égalité des chances), c'est oblitérer le concept d'inégalité ; etc.
Dans ces conditions, il ne faut pas s'étonner que la prépondérance du discours néolibéral dans l'espace public se soit accompagnée de la quasi-disparition, voire du bannissement, de toute une série de termes tels que capital, capitalisme, exploitation, exploités, prolétaires et prolétariat, bourgeoisie, classes sociales, rapports et luttes des classes, socialisme et communisme, etc. Terminologie qui, naguère encore, servait de langage, d'outils d'analyse aussi bien que de signes de reconnaissance aux protagonistes des luttes anticapitalistes.
La langue du fétichisme
On devine que, comme c'est souvent le cas, il existe un lien étroit entre le contenu du discours néolibéral, sa vision ou compréhension des rapports sociaux, et sa forme, notamment les procédures rhétoriques qu'il met en œuvre. Avançons ici une hypothèse à ce sujet.
Comme l'établira l'analyse critique de la plupart de ses concepts-clés que l'ouvrage passe en revue, le discours néolibéral procède de ce que Marx nommait le fétichisme des rapports capitalistes de production. Impossible de restituer ici toute la richesse de ce concept de fétichisme, qui est au cœur de la critique marxienne de l'économie politique [4]. Disons simplement que le fétichisme se réduit en définitive à réifier (transformer en choses) les rapports de production, partant les hommes que ces rapports médiatisent et qui en sont les acteurs, ainsi qu'à personnifier les choses en les dotant de qualités ou de propriétés qu'elles ne doivent qu'à leur fonction de supports de ces rapports mais qui, du coup, paraissent leur appartenir en propre et leur confèrent une apparence surhumaine. Ainsi, la marchandise semble posséder par elle-même la mystérieuse propriété d'être valeur et de s'échanger contre ses semblables en des rapports qui échappent à la maîtrise, à la volonté et même à la conscience des hommes qui en sont [18] pourtant les producteurs. L'argent, sous forme d'une simple pièce de métal, d'un bout de papier ou d'une carte à puce électronique, semble posséder la (non moins) mystérieuse capacité de s'approprier n'importe quel produit du travail humain et de pouvoir commander par conséquent l'activité des producteurs. Et, devenu capital, l'argent semble même doté du pouvoir surnaturel de se mettre en valeur par lui-même, d'engendrer de l'argent comme le poirier produit des poires (comme le disait ironiquement Marx), en un mot de s'auto-engendrer à l'image des dieux, en pliant tout (l'ensemble des conditions matérielles et sociales de la production) et tous (les producteurs) aux exigences de sa reproduction.
Le concept de fétichisme permet à Marx d'expliquer plus qu'une simple illusion de la conscience des agents économiques, capitalistes aussi bien que travailleurs salariés. À travers lui, c'est de l'apparence même que revêt le mouvement économique de la société capitaliste dont il cherche à rendre compte : de la manière réelle dont se manifeste un mouvement dans lequel les hommes deviennent des choses et les choses des puissances autonomes qui les dominent, un mouvement dans lequel les hommes sont réifiés tandis que les choses qu'ils produisent accèdent au statut de puissances surhumaines, dans lequel les sujets deviennent des objets et les objets des sujets qui les dominent, un mouvement qui combine selon les propres termes de Marx « la personnification des choses et la réification des rapports sociaux, cette religion de la vie quotidienne » [5], « la subjectivation des choses, la chosification des sujets, l'inversion de la cause et de l'effet, le quiproquo religieux ». [6] Ce monde à l'envers, qui est notre univers quotidien, qui a acquis la consistance des choses, des habitudes et des modes de pensée du quotidien, qui semble être la réalité même et qui l'est dans une large mesure, dans la mesure de son apparence précisément, voilà le théâtre d'ombres qui sert de cadre, de réfèrent et d'objet au discours néolibéral : ce dernier rend très exactement compte de ce monde tel qu'il est. Ou, plus exactement, tel qu'il serait s'il n'était pas précisément pure apparence : s'il ne procédait pas du fétichisme. C'est bien en quoi réside d'ailleurs sa portée idéologique : elle consiste à conforter cette apparence, en la masquant en tant que telle, pour faire croire que la réalité s'épuise dans cette apparence, il en entretient le « quiproquo religieux » dans sa forme vulgaire et il tente de le conforter dans et par ses constructions théologiques [7]. Autrement dit, le discours néolibéral cherche à nous faire croire que ce monde à l'envers dans lequel [19] les choses (marchandises, argent, moyens de production, titres de propriété, etc.) commandent aux hommes qui en sont pourtant les producteurs est non seulement le seul monde possible mais le meilleur des mondes.
À partir de là, on peut aussi comprendre les deux opérations fondamentales qui sont à l'œuvre dans la rhétorique néolibérale, l'inversion de sens et l'oblitération de sens. Transformer les sujets en objets et les objets en sujets, faire passer les hommes pour des choses et les choses pour des puissances surhumaines, tel est, nous le verrons, l'alpha et l'oméga de l'inversion de sens auquel procèdent la plupart des concepts-clés autour desquels s'articule le discours néolibéral. En ce sens, il constitue dans une certaine mesure la langue du fétichisme économique. Rendre simultanément impraticables les voies qui mènent à l'élaboration ou à l'emploi des notions critiques qui permettraient de dénoncer l'opération précédente, donc de renverser ce monde à l'envers, refouler ces notions critiques de l'usage courant, les effacer de la mémoire de ceux qui avaient pu les acquérir un moment, telle est la fonction complémentaire de l'oblitération de sens. Car il ne suffit pas de faire l'apologie du monde à l'envers ; encore faut-il masquer ou discréditer les leviers critiques qui permettraient de le remettre à l'endroit.
Mode d'emploi
Au vu des lignes précédentes, le lecteur comprendra mieux les limites de l'objet et de l'objectif de cet ouvrage, annoncées dès ses premières lignes. Du néolibéralisme, il ne sera ici question, pour l'essentiel, que de son discours ; ses politiques, leurs objectifs socio-économiques, leurs effets sur les rapports de force entre classes et entre États, leurs appuis et relais institutionnels et organisationnels, leurs limites et contradictions, etc., ne seront évoqués que pour autant que cela sera nécessaire pour éclairer la signification et la portée du discours néolibéral. De surcroît, ce discours lui-même ne sera abordé que sous l'angle de ses procédures rhétoriques et de leurs effets idéologiques ; ses conditions sociales et institutionnelles de formation et de diffusion, son histoire, ses rapports avec le libéralisme classique, la discussion de ses fondements philosophiques, etc., sont largement en dehors de mon champ d'analyse : là encore, pour autant que ces points seront rencontrés, ils ne pourront faire l'objet que de brèves considérations. Enfin, parmi l'ensemble des concepts-clés du discours néolibéral, [20] je me suis principalement centré sur ceux qui ont une portée macroéconomique et macrosociologique ; j'ai ainsi fait largement l'impasse sur un autre pan tout aussi important de ce discours, relatif au niveau micro : à tout ce qui a trait à la gestion des entreprises et des organisations en général (par exemple tout le jargon de la « gestion des ressources humaines » - expression qui, à elle seule, résume bien la visée fondamentalement réificatrice, là encore, de ce discours). D'excellents ouvrages ont été consacrés aux différents aspects du néolibéralisme ici négligés ; la bibliographie fait mention de quelques-uns parmi les principaux d'entre eux ; j'y renvoie le lecteur soucieux de les approfondir.
S'agissant de traiter des aspects rhétoriques d'un discours pour en mettre en évidence la fonction et la portée idéologiques, l'ordre le plus simple, qui s'impose immédiatement, est celui qui consiste à passer en revue ses principaux lieux communs ou termes-clés, ceux autour desquels il gravite et se structure. C'est le choix auquel je me suis tenu. D'où les différents articles, ordonnés de manière alphabétique, dont se compose le corps de l'ouvrage. Rédigés indépendamment les uns des autres, ils peuvent être lus dans n'importe quel ordre, au gré de la fantaisie ou de l'intérêt du lecteur.
Pareil choix présente cependant deux défauts. Le moindre est qu'il expose au risque de devoir quelquefois se répéter d'un article à l'autre - défaut que je n'ai pu pallier qu'en partie. Plus grave est qu'un pareil ordre est arbitraire : artificiel et somme toute extérieur à son objet. Car un discours ne se réduit jamais à une simple collection de termes ou de concepts juxtaposés. Il organise aussi ces derniers d'une manière qui lui est propre, en les articulant et en les hiérarchisant selon une structure spécifique. Et cet ordre ne fixe pas moins, dans une certaine mesure, le sens des concepts qu'il compose. Par conséquent résumer un discours à une série de concepts, traités sans respect de l'architecture qui les agence, risque de laisser échapper une bonne partie du sens produit par lui.
Pour corriger ce défaut majeur de l'ordre alphabétique d'exposition retenu, j'ai procédé à de nombreux renvois des articles les uns aux autres, de manière à bien mettre en évidence les articulations entre les différentes notions examinées séparément, pour marquer en quelque sorte le caractère systémique de ce discours, qui n'en exclut d'ailleurs pas les contradictions internes. De plus, j'indique ici rapidement ce qui me paraît constituer la [21] structure propre au discours néolibéral, par conséquent l'ordre dans lequel il convient de parcourir les différents articles si l'on veut en effectuer une lecture systémique, nullement obligatoire cependant. Au centre de ce discours, qui en est rarement exhibé en tant que tel et encore plus rarement interrogé, qui en constitue même une sorte de champ aveugle, figure une conception de l'individualité bien singulière, présupposant que l'individu puisse être et même doive être une sorte d'atome de l'organisation sociale, une réalité à la fois première et dernière à partir de laquelle s'édifie toute cette organisation, autrement dit une conception individualiste de l'individu et de la société. Des attributs de cette individualité tout comme de ses rapports aux autres et au monde (social) rend compte une première triade, celle articulant les concepts de propriété (privée), de liberté et d’égalité. Ce sont là les quatre pierres angulaires du discours néolibéral, que l'on retrouve déjà aux fondements de la pensée libérale classique des XVIIe et XVIIIe siècles et qui fixent la dette du premier à l'égard de la seconde.
À partir de ce noyau générateur, la pensée (néo)libérale peut se développer dans différentes directions *. Le privilège que j'ai accordé à la thématique macroéconomique et macrosociologique m'a conduit à retenir une seconde triade, celle articulant les concepts de marché, de société civile et d'État, qui fixent en quelque sorte le cadre général de représentation de la société globale à l'intérieur duquel évolue la pensée (néo)libérale, à partir duquel il est possible de comprendre la manière dont elle spécifie des thèmes plus particuliers. Dans le traitement qu'il réserve à chacun de ces trois concepts, le discours néolibéral laisse également apparaître sa filiation à l'égard du libéralisme classique, tout en introduisant déjà souvent plus que des nuances par rapport à ce dernier.
L'ensemble des autres concepts qui font ici l'objet d'un article forment une sorte de troisième cercle du discours néolibéral et [22] renvoient au contraire à des thématiques qui lui sont propres ; à telle enseigne que certains d'entre eux constituent de véritables néologismes (par exemple capital humain ou workfare). Les articles qui leur sont consacrés me donnent aussi l'occasion d'éclairer quelques-uns des principaux aspects des politiques néolibérales et du contexte historique dans lequel elles ont vu le jour et ont été mises en œuvre, et de formuler à l'occasion des propositions politiques contraires ; sans jamais cependant pouvoir me proposer d'être exhaustif sur le sujet, ce qui m'aurait fait sortir du cadre de mon propos. Tant il est vrai qu'on ne peut séparer l'analyse d'un discours à portée politique et idéologique de celle de ses conditions sociales de production et des résistances et luttes que ces dernières suscitent.
On aura compris que cet ouvrage possède une dimension polémique que j'assume pleinement. Il se veut un instrument de dénonciation d'un discours qui fait l'apologie de la soumission des hommes aux choses, qui se transforme souvent en écrasement des hommes par les choses : l'apologie d'un monde dans lequel on n'hésite pas à sacrifier le sort de dizaines de milliers de travailleurs pour la valorisation des titres de propriété du capital de leur entreprise (ce que la novlangue néolibérale appelle « créer de la valeur pour l'actionnaire »), d'un monde où le salut d'une monnaie peut impliquer que les « autorités monétaires » plongent froidement des millions d'hommes, de femmes et d'enfants dans la pauvreté et la misère.
Cette dimension polémique n'implique cependant pas de sacrifier la rigueur propre à l'analyse théorique. Bien au contraire, l'arme de la critique n'est jamais aussi acérée et ne fait jamais autant de mal à l'ennemi que lorsqu'elle est patiemment affûtée sur la meule du concept. Aussi chacun des articles procède-t-il à un démontage minutieux de la notion examinée, de manière à permettre au lecteur non seulement de n'être pas dupe du discours néolibéral mais encore de disposer des arguments requis pour s'y opposer. Cette exigence de rigueur théorique m'a d'ailleurs contraint quelquefois à procéder à des détours théoriques relativement ardus (je pense en particulier aux articles Individualité et Société civile). Dans la mesure où les concepts-clés du néolibéralisme procèdent presque tous, comme je l'ai suggéré plus haut, d'une compréhension fétichiste des rapports sociaux caractéristiques du capitalisme et de l'apologie des formes fétichistes que ces rapports impriment à la vie sociale en général, démonter son [23] discours revient souvent à devoir analyser les formes fétichistes en question, analyse qui peut s'avérer relativement complexe. Ces quelques détours théoriques m'auront donné l'occasion, une nouvelle fois, d'administrer la preuve de la fécondité théorique de l'héritage de la pensée marxienne, dès lors qu'on ne se contente pas de le réduire en une série de formules toutes faites mais qu'on le prend comme un outil pour procéder à l'analyse critique du monde existant et qu'on se donne la peine de le faire fructifier à l'occasion de cette confrontation.
Sacrifier à l'exigence théorique ne doit pas cependant nous priver de manier cette autre arme polémique que constituent l'humour et l'ironie. C'est pourquoi je n'ai pas résisté à la tentation de compléter le passage en revue critique des différents concepts-clés du néolibéralisme par un petit « Dictionnaire des idées reçues » qui en compile la vulgate. Car, si le néolibéralisme comprend une version (pseudo)savante, qui constitue mon objet propre, il a également donné naissance à une version vulgaire qui, via les médias, a envahi les discours quotidiens de ses poncifs, dont la familiarité finit quelquefois par nous en faire oublier la profonde bêtise et la nocivité sournoise. J'espère que le lecteur partagera le plaisir que j'ai pris à recenser, ironiquement, quelques-unes des sentences courantes de tous les Bouvard et Pécuchet du néolibéralisme [8].
[24]
[1] J'aurai l'occasion de revenir de manière plus détaillée sur certains de ses aspects au fil de l'ouvrage.
[3] D'une manière générale, l'étude des idéologies gagnerait à une analyse détaillée des procédures rhétoriques qu'elles mettent en œuvre. Car, même si une idéologie ne se réduit jamais à des phénomènes de langage ni à une langue, celle-ci en constitue cependant toujours le noyau. Cet ouvrage n'est qu'une modeste contribution à une pareille analyse.
[4] Cf. à ce sujet La reproduction du capital, Lausanne, Éditions Page deux, 2001 (tome I, tome II) ; et Antoine Artous, Le fétichisme chez Marx, Syllepse, 2006.
[5] Le Capital, Paris, Éditions Sociales, 1960, tome VIII, page 208.
[6] Théories sur la plus-value, Paris, Editons Sociales, 1978, tome 3, page 582.
[7] Ainsi peut-on qualifier par exemple les différentes modélisations mathématiques de l'économie néoclassique qui servent de justifications théoriques au discours néolibéral. Car, en tant que phénomène socio-politique, le néolibéralisme se présente aussi comme une religion, dans toutes ses dimensions de foi individuelle, d'institution ecclésiale (avec sa hiérarchie de grands prêtres et de petits clercs) et de théologie, inévitablement traversée de querelles d'école.
* Le lecteur remarquera que j'emploie tantôt l'orthographe néolibéralisme, tantôt l'orthographe (néo)libéralisme, et de même pour les adjectifs correspondants. Les deux orthographes renvoient à deux sens différents. Quand j'emploie néolibéralisme, j'entends désigner ce qui propre à ce dernier par opposition au libéralisme classique ; j'emploie au contraire (néo) libéralisme pour indiquer, sur le point considéré, la continuité entre le libéralisme classique et son avatar contemporain.
[8] Certains des articles ici réunis ont été précédemment publiés dans le bulletin militant A Contre-Courant, entre le printemps 2005 et le printemps 2007 (À Contre-Courant, BP 2123, 68060 Mulhouse Cedex ; www.acontrecourant.org). Ils ont tous été revus et souvent complétés pour la présente édition.
|