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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Le chien de Socrate. Essai. Un philosophe dépèce l'actualité. (2000)
Avant-propos


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de M. Martin Blais, Le chien de Socrate. Essai. Un philosophe dépèce l'actualité. Chicoutimi, Ville de Saguenay, Les Éditions JCL inc., 2000, 253 pp. [Autorisation accordée par l'auteur le 22 septembre 2004 de diffuser tous ses travaux. L'Éditeur, Les Éditions JCL inc., nous a autorisé à diffuser ce livre encore en circulation commerciale.] Une édition numérique réalisée par Marcelle Bergeron, bénévole, professeure retraitée de l'École polyvalente Dominique-Racine de Chicoutimi.

Avant-propos

Socrate est reconnu comme le philosophe par excellence; le saint patron de la confrérie, en quelque sorte. Avant sa venue, les amis de la sagesse vivaient les yeux rivés au ciel, scrutant les phénomènes célestes (1). C’est ainsi que Thalès de Milet, le plus ancien d’entre eux, en sortant de chez lui pour contempler les astres, tomba dans un puits… «Une petite servante thrace, toute mignonne et pleine de bonne humeur, se mit, dit-on, à le railler de mettre tant d’ardeur à savoir ce qui est au ciel, alors qu’il ne s’apercevait pas de ce qu’il avait devant lui et à ses pieds (2).» Prêchant d’exemple, Socrate exhorta ces beaux rêveurs à donner la préférence aux mouvements des hommes sur les mouvements des astres. Définissant lui-même sa mission, Socrate se compare à un taon attaché par le Dieu au flanc de la Cité, comme au flanc d’un cheval puissant et de bonne race, mais que sa puissance même rend trop lourd et qui a besoin d’être réveillé. Il réveille chaque citoyen, le stimule, lui adresse des reproches, n’arrêtant pas un instant, ni le jour ni la nuit. Avec une apparente suffisance, Socrate concluait: «Si vous me faites périr, il ne vous sera pas facile d’en trouver un autre: je suis un cadeau du Dieu au peuple (3).»

Le premier, au dire de Cicéron, il invita la philosophie à descendre du ciel (on dirait aujourd’hui des nuages), l’installa dans les villes, l’introduisit dans les foyers et lui imposa l’étude de la vie, des mœurs, des choses qui conviennent aux humains ou qui tournent à leur détriment (4). S’il réécrivait ce texte aujourd’hui, Cicéron le compléterait par des visites d’hôpitaux et de maisons d’enseignement; des rencontres avec des patrons, des chefs syndicaux et des chômeurs. Dans les foyers, la philosophie s’intéresserait à la télévision, à la radio, aux journaux.

Nulle velléité de me présenter comme une réincarnation de Socrate. Comme son chien, ça devrait aller. Fidèle à son maître, le chien de Socrate va se retrouver partout, chez tous, le jour et la nuit –surtout le jour–; rôdant sur les collines parlementaires et les collines de Rome; mordant, à l’occasion, un ministre ou un premier ministre; menaçant de tous ses crocs les riches et les puissants; aboyant devant les centrales syndicales; grattant les portes des écoles; tournant autour des hommes et des femmes, des jeunes et des vieux pour traquer les lâches et les incompétents. Tout entre dans ses préoccupations ou plutôt dans sa gueule.

Le choix de mes thèmes et surtout la manière de les traiter s’expliquent par le point de vue qui est le mien. Un sociologue, un travailleur social, un psychologue ou un économiste en auraient retenu d’autres; par hasard auraient-ils été les mêmes qu’ils les auraient traités du point de vue de leur discipline. Ici, ils seront traités du point de vue du philosophe.

Mais qu’est-ce au juste que la philosophie? Quand est-on en philosophie ou n’y est-on plus, étant ailleurs: en sociologie, en psychologie, en anthropologie? Ce n’est pas toujours évident, même pour la gent philosophante. Mon premier doyen, à la faculté de philosophie de l’Université Laval, Émile Simard, auteur de deux savants ouvrages de philosophie des sciences, m’avouait un jour–en enfonçant dans sa vieille pipe les cinq derniers centimètres de son cigare: «Ah! si on savait ce que c’est que la philosophie!» Malgré ce troublant aveu, il en avait sûrement une idée assez précise.

Dans la même veine, un ami m’apprenait que les responsables de la coordination de la philosophie dans les cégeps du Québec n’ont jamais réussi à s’entendre sur une définition de leur matière d’enseignement. Le vieux Bertrand Russell n’en serait pas étonné. À la question: Lord Russell, qu’est-ce donc que la philosophie? il répondait: «Voilà une question bien controversée. Je ne crois pas que deux philosophes puissent vous donner la même réponse (5).» Il ajoutait: «Philosopher, c’est spéculer sur des sujets où une connaissance exacte n’est pas encore possible.» Ce «pas encore» laissait entendre qu’un jour toutes les questions philosophiques auront été incorporées aux différentes sciences exactes. En attendant ce jour, voici ma conception de la philosophie.

Tout d’abord, la notion de philosophie a beaucoup évolué depuis sa naissance en Grèce, environ six cents ans avant notre ère. À l’origine, cette discipline englobait toutes les connaissances. Thalès de Milet cherchait des explications dans la nature, là où le peuple ne voyait que l’intervention arbitraire des dieux: un dieu du vent, un dieu du feu, un dieu de l’amour; des dieux derrière toutes les manifestations de la nature. Thalès s’intéressait à tous les phénomènes naturels: éclipses, pluie, vent, tonnerre… Quelques siècles plus tard, Aristote, en écrivant son Histoire des animaux et Les parties des animaux, par exemple, ne doutait pas qu’il sécrétait de la philosophie. Au Ier siècle de notre ère, Sénèque était convaincu, lui aussi, de faire de la philosophie en rédigeant ses Recherches sur la nature, qui poursuivaient celles de Thalès.

Au XIIIe siècle, la théologie fondée sur la révélation se constitua comme science. Remarquez l’expression fondée sur la révélation, car la théologie naturelle, élaborée à la lumière de la raison, continua de faire partie de la philosophie. La philosophie devait donc se distinguer de cette théologie sacrée pour ne pas être reléguée dans l’oubli à une époque où les théologiens étaient plus nombreux que les philosophes, plus connus et bien appuyés par l’Église.

En bref, la philosophie, élaborée à la lumière de la raison, se caractérisait par son exigence d’évidence; la raison ne se rendait que contrainte par l’évidence; fondée sur la révélation, la théologie sacrée acceptait des vérités inaccessibles à la raison: un Dieu en trois personnes, la création, l’incarnation, la rédemption, par exemple. On a beaucoup parlé de la philosophie médiévale comme d’une servante de la théologie: ancilla theologiæ, mais c’est une calomnie. La théologie s’est servie de la philosophie, comme elle s’est servie de la grammaire, mais jamais la philosophie ne s’est définie comme la servante de la théologie.

La dernière mutation s’est produite lors de l’avènement des sciences: sciences expérimentales, sciences naturelles ou d’observation, etc. Face aux sciences, la philosophie a été contrainte, une fois de plus, de défendre son territoire, d’exposer sa méthode, d’identifier ses problèmes.

De nos jours, mille questions ne peuvent se résoudre qu’en laboratoire ou sur le terrain: on ne cherche pas autour d’une table le remède au cancer, le mode de reproduction des crevettes ou les causes profondes du suicide. Les autres questions, celles qu’on ne peut résoudre ni sur le terrain ni en laboratoire, mais par la discussion, appartiennent à la philosophie: les valeurs, le sens de la vie, les objectifs de l’éducation, la place de la technique, le sens de la recherche scientifique, la violence, l’euthanasie. Bref, la plupart des grandes questions de l’heure et de toujours sont d’ordre philosophique.

Pour bien des professionnels de la philosophie, cette discipline s’identifie à l’histoire de la philosophie. Autour des questions que je soulève, ils aligneraient des opinions: les unes pour, les autres contre, d’autres plus ou moins pour ou plus ou moins contre. En philosophie, l’inventaire des opinions des devanciers ou des contemporains constitue une première étape. Mais on fait vraiment œuvre de philosophe quand on critique ces opinions, puis qu’on prend position. Le philosophe qui se borne à recueillir des opinions ressemble à un malade qui collectionnerait les diagnostics sans chercher celui qui semble le bon ni appliquer la médication qu’il suggère. Le meilleur philosophe ne peut pas ni ne doit répondre à toutes les questions. «Par malheur, note Valéry, il y a dans chaque philosophe un mauvais génie qui répond, et répond à tout (6).» Moi, je répondrai à toutes les questions que je vais soulever non pas à cause d’un «mauvais génie» qui m’habiterait, mais parce que j’éviterai les questions auxquelles je n’ai pas encore de réponse.

J’ai cueilli mes thèmes dans l’actualité; j’indique –afin qu’ils puissent sauter dans l’arène– les auteurs des affirmations que je critique; les émissions de radio ou de télévision qui me les ont présentées; le journal dans lequel je les ai lues. L’ordre de présentation n’a rien de rigoureux: je l’ai plus d’une fois modifié. C’est pourquoi, je ne serais pas étonné que peu de lecteurs, après avoir pris ou non connaissance de ce texte d’introduction, respectent l’ordre qui suit.


Notes:

(1) Cicéron, Tusculanes, Paris, «Les Belles Lettres», 1960, tome II, L. V, IV, p. 111.
(2) Platon, Théétète, 174, a.
(3) Platon, Apologie de Socrate, 30, e, 31, a.
(4) Cicéron, Tusculanes, tome II, L. V, IV, p. 111.
(5) Bertrand Russell, Ma conception du monde, Gallimard, Idées; 17, p. 7.
(6) Paul Valéry, Œuvres, Gallimard, La Pléiade, II, 1960, p. 686.


Retour au texte de l'auteur: Martin Blais, philosophe, retraité de l'Université Laval Dernière mise à jour de cette page le Samedi 05 mars 2005 19:57
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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