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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Martin Blais, La liberté de conscience et la liberté de religion. (2013)
Introduction


e édition électronique réalisée à partir du livre de Martin Blais, La liberté de conscience et la liberté de religion. Québec, un texte inédit pour Les Classiques des sciences sociales, septembre 2013, 89 pp. [L'auteur nous a autorisé, le 22 septembre 2004, à diffuser toutes ses publications.]

Introduction


En 1978, les Nations unies publièrent un document intitulé La Charte internationale des droits de l’homme. Sous ce titre, elles étageaient quatre sous-titres. Le premier est seul pertinent à notre réflexion : Déclaration universelle des droits de l’homme. Avec raison, le dernier mot de ce sous-titre, de l’homme, déplut à nombre de gens.  Et la femme ? Certains pays, dont le Canada, remplacèrent « de l’homme » par « de la personne ». De plus, comme cette Charte contient des libertés, et que toutes les chartes doivent en contenir, ils ajoutèrent ce mot dans le titre, qui devint une charte des droits et libertés de la personne.

Liberté n’est pas synonyme de droit

S’il n’y avait pas de différence entre un droit et une liberté, notre Charte canadienne n’en serait pas une de « droits et libertés » mais seulement de droits. Quelle est donc la différence entre un droit et une liberté ? Quand on examine les libertés fondamentales énumérées à l’article 3 de la Charte canadienne, on conclut qu’il s’agit, dans certains cas, d’une activité incontrôlable : l’opinion, la conscience… Incontrôlable si l’acte reste à l’intérieur. Personne ne connaît mes opinions si je ne les exprime pas par la parole, par l’écrit ou autrement (caricature, mimique…). Si je le fais, je peux avoir des problèmes, car « Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation » (art. 4). La Charte canadienne parle encore de libertés quand il s’agit de choses qui n’intéressent pas toute personne. La religion, par exemple. La Charte en fait un objet de liberté. Par contre, un droit évoque quelque chose dont tout le monde entend bénéficier : la vie, l’intégrité de la personne, la réputation, la propriété, etc.

Les droits et les devoirs

Les chartes de droits ont été réclamées par des gens qui en avaient soupé de vivre comme s’ils n’avaient que des devoirs. Cet abus en partie corrigé – nos détenus ont maintenant leur charte des droits –, l’impression contraire s’est souvent répandue : on n’avait plus dorénavant que des droits. N’avoir que des devoirs, n’avoir que des droits, ce sont deux extrêmes à éviter. Dans le juste milieu, où se tient la vertu, in medio stat virtus, on a des droits et des devoirs.

Tout droit authentique chez une personne engendre un devoir – au sens de dû, de dette – chez une autre, sinon on aurait un créancier sans débiteur. Si j’ai le droit de toucher un revenu qui permet une vie humaine décente, il faut que quelqu’un ait le devoir de me le verser ou de faire en sorte qu’il me soit versé. La déclaration de 1789 en est une des « droits de l’homme et du citoyen », mais, dès l’introduction, on s’empresse de dire que cette déclaration rappellera « aux membres du corps social » leurs droits et leurs « devoirs » puisqu’un droit authentique ne va pas plus sans un devoir qu’une médaille sans un revers.

On peut se demander si certaines revendications, présentées comme des droits, en sont vraiment : droit à la santé, droit au travail, droit à l’enfant, droit à l’erreur, droit à l’immigration… J’avais étonné un président d’association de retraités en lui demandant de retirer de la charte « le droit à la santé ». On a droit aux soins médicaux qu’offre le pays dans lequel on vit ou qu’il peut nous faire donner dans un autre, mais personne n’oserait  se présenter comme débiteur de la santé à qui prétend y avoir droit.

Droit au travail ou devoir de travailler ? Quand on parle du « devoir social », c’est au sens d’une dette envers la société. Comme la société est échange de services, chacun acquitte sa dette en offrant un service. Alors comment parler d’un droit au travail ? Il faut parler plutôt d’un devoir de travailler. Il s’ensuit que chaque citoyen doit acquérir la compétence requise pour rendre un service conforme à ses aptitudes et à ses goûts. Un chômeur ne peut pas exiger du gouvernement qu’il lui trouve un emploi. Le gouvernement favorise la création d’emplois, mais il n’a pas le devoir d’en créer pour chaque chômeur.

Droit à l’immigration ? On admet que tout être humain ait droit à un petit coin sur la Terre où il pourra vivre. Mais un immigrant ne jouit pas de la liberté de se présenter dans un pays et dire : « C’est ici que j’ai choisi de vivre. » Le pays concerné est justifié d’imposer des conditions, car les immigrants peuvent perturber le fonctionnement d’une société par leurs exigences. Par exemple, quand les adeptes d’une religion veulent que le pays qui les accueille satisfasse à leurs exigences concernant l’exercice de la médecine – refus des transfusions, par exemple – ; des exigences concernant le sexe du soignant ; des exigences concernant l’alimentation – kascher ou hallal : quand ils veulent maintenir des pratiques de leurs pays d’origine : la polygamie, l’homicide pour sauver l’honneur, le port de vêtements spéciaux, le refus d’obéir à une policière, des piscines unisexes, le port du kirpan, du turban, des temples et des jours fériés.

Les libertés et les contraintes

Une contrainte est une violence exercée contre une personne, c’est une entrave à sa liberté d’action. Les contraintes nous arrivent de partout : de la naissance, du hasard, de la société, des amis, de l’emploi, des circonstances, des parents, etc. Quelques exemples entre mille. La naissance apporte sa botte de contraintes : sexe, taille, couleur de la peau, langue, religion, pays, etc. L’état civil en comporte : célibat, mariage, divorce, veuvage, etc.

Dans l’un de ses Regards sur le monde actuel, Paul Valéry dénonce le nombre et la force des contraintes d’origine légale : « La loi saisit l’homme dès le berceau, lui impose un nom qu’il ne pourra changer, le met à l’école, ensuite le fait soldat jusqu’à la vieillesse, soumis au moindre appel. [Valéry parle de la France.] Elle l’oblige à quantité d’actes rituels, d’aveux, de prestations, et qu’il s’agisse de ses biens ou de son travail elle l’assujettit à ses décrets dont la complication et le nombre sont tels que personne ne les peut connaître et presque personne les interpréter [1]. »

Un seul autre exemple. Tacite, historien latin du début du deuxième siècle de notre ère, imagine cette formule bien d’actualité en parlant d’une société : legibus laborabatur, « elle était travaillée par les lois », comme on dit en français qu’une colique travaille l’intestin, qu’une angoisse travaille l’esprit, c’est-à-dire font souffrir, torturent. Et Tacite de partir à la recherche de ce qui, dans le passé, « a conduit à cette multitude et à cette variété infinies de lois [2] ».

 D’où vient cette rage de régler chaque problème par une loi ou un règlement ? D’abord, il y a là une promesse de facilité. Qui passera le premier, de demander Pascal, qui cédera sa place à l’autre [3] ? Le plus vertueux ? Le plus savant ? Le plus utile à la société ? Mais comment mesurer ces choses ? Et Pascal de poursuivre : « Qu’y a-t-il de moins raisonnable que de choisir, pour gouverner un pays, le premier fils d’une reine ? » Mais en attachant cette dignité à quelque chose d’incontestable [le premier fils de la reine, c’est moins contestable que le premier fils du roi], on évite la chicane.

S’en tenir rigoureusement à la lettre d’un règlement ou d’une loi, c’est opter pour la facilité. Ce genre d’administrateur est merveilleusement caricaturé par Antoine de Saint-Exupéry dans Vol de nuit : « Rivière disait de [Robineau] : “ Il n’est pas très intelligent, aussi rend-il de grands services.” Un règlement établi par Rivière était, pour Rivière, connaissance des hommes, mais pour Robineau n’existait plus qu’une connaissance du règlement. Au pilote qui décollait en retard à cause de la brume, il enlevait la prime d’exactitude. » Les protestations désespérées du malchanceux n’obtenait qu’un lamentable : « C’est le règlement. » Et Saint-Exupéry d’ajouter : « Robineau se retranchait dans son mystère. Il faisait partie de la direction. Seul parmi ces totons, il comprenait comment, en châtiant les hommes, on améliore le temps [4]. »

Il y a ensuite une certaine conception de la justice, qui suscite une véritable rage d’égalité.  « On a dit cent fois, écrit Alexis de Tocqueville, que nos contemporains avaient un amour bien plus tenace pour l’égalité que pour la liberté [5]. » Notre justice n’a pas coupé le cordon ombilical de son ascendance grecque : partager en deux parties égales [6]. Nous sommes satisfaits quand il y a autant de femmes que d’hommes, autant de noirs que de blancs, autant d’étudiants que de professeurs dans le comité… Cette conception de la justice a des appuis solides et anciens. Dans son traité Des devoirs, Cicéron dit qu’« on a toujours cherché à garantir par le droit l’égalité [7]. Et Alain de reprendre, deux mille ans plus tard : « Qu’est-ce que le droit ? C’est l’égalité [8]. »



[1] Op. cit., Gallimard, Idées 9, 1945, p. 84.

[2] Annales, tome I, Paris, Les Belles Lettres, 1974, III, ch. 25, p. 162-163).

[3] Pensées, Paris, Nelson, 1949, section V, 319.

[4] Op. cit., Paris, Gallimard, Le Livre de Poche 3, 1958, p. 31-32.

[5] De la démocratie en Amérique, Paris, Gallimard, 1961, tome II, p. 101. [Livre disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.]

[6] Aristote, Éthique de Nicomaque, Paris, Garnier, 1961, V, ch. IV, 9.

[7] Cicéron, De la vieillesse, de l’amitié, des devoirs, Paris, Garnier-Flammarion, GF 156, p. 188.

[8] Propos d’un Normand, (1906-1914), tome I, CVIII, p. 205.



Retour au texte de l'auteur: Martin Blais, philosophe, retraité de l'Université Laval. Dernière mise à jour de cette page le dimanche 29 septembre 2013 18:17
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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