|
RECHERCHE SUR LE SITE
Références bibliographiques avec le catalogue En plein texte avec Google Recherche avancée
Tous les ouvrages
numérisés de cette bibliothèque sont disponibles en trois formats de fichiers : Word (.doc), PDF et RTF |
Collection « Les sciences sociales contemporaines »
Une édition électronique réalisée à partir du texte de Martin Blais, Participation et contestation: l'homme face aux pouvoirs. Montréal: Beauchemin, 1972, 136 pages. [Autorisation accordée par l'auteur le 22 septembre 2004 de diffuser toutes ses publications] Une édition numérique réalisée par Marcelle Bergeron, professeure retraitée de l'École polyvalente Dominique-Racine de Chicoutimi. Introduction Le premier venu connaît quelques noms dits célèbres : Gengis Khan, Socrate, Jésus, Charlemagne, Saladin, Louis XIV, Jeanne d'Arc, Napoléon, Marx, de Gaulle. Le premier venu connaît également des mots célèbres. De Thalès : « Connais-toi toi-même. » De saint Augustin : « Aime et fais ce que tu veux. » De Descartes : « Je pense, donc je suis. » De Sartre : « L'enfer, c'est les Autres. » J'omets délibérément le mot de Cambronne, celui de de Gaulle, celui de Trudeau. Il connaît aussi des couples célèbres : Héloïse et Abélard, Roméo et Juliette, Robinson et Vendredi, sans doute. Peut-être Antoine et Cléopâtre, Gabrielle et Henri IV. Mais célèbre n'est pas synonyme d'influent. Les couples qui ont fait l'histoire, les couples influents, n'ont pas tous été célèbres. Nous avons beau le savoir, en évoquer quelques-uns ravive la conviction : puissance et acte, raison et passion, ciel et terre, droite et gauche, bourgeois et prolétaire, homme et femme, participation et contestation. Le dernier de ces couples, participation et contestation, consomme sous nos yeux son mariage de raison. De raison et non d'amour, car la participation au lieu d'appeler la contestation l'exclut comme la chaleur chasse le froid, la santé la maladie. L'appel aux contestataires est assimilable à un appel aux pompiers. On aime bien les pompiers quand il y a du feu, mais l'idéal demeure : ni pompiers ni feu. Le thème de la contestation a tenté toutes les plumes et en a fait succomber plusieurs. En trois ans, il s'est écrit plus de livres sur la contestation qu'il s'est écrit de De anima pendant le millénaire du moyen âge. Sans compter les milliers d'articles. Contestation, sexe, recettes, voilà, Géomètres, les trois points qui déterminent le plan de la littérature de l'heure. L'un des auteurs qui ont touché à la contestation, et non le moindre, aurait-il manqué de patience titrant : La révolution introuvable ? Raymond Aron parle de la révolution introuvable comme Diogène parlait de l'homme introuvable. Diogène cherchait quelqu'un qui correspondît à l'idée qu'il se faisait de l'homme ; il n'en trouvait point. Raymond Aron a cherché dans les « événements de mai » quelque chose qui corresponde à l'idée qu'il se fait d'une révolution. Depuis que nous avons des « événements », nous aussi (les « événements d'octobre »), nous comprenons Aron par analogie. Aron cherche une révolution ; nous, nous cherchons une insurrection appréhendée. Pour conduire semblable enquête, il est bon d'être historien, sociologue et philosophe. Au moins. Pour répondre par oui ou par non, deux choses sont nécessaires : savoir ce qui s'est passé (c'est le travail de l'histoire et de la sociologie) et comparer à une idée qu'il appartient à la philosophie d'élaborer. La sociologie décrit et explique les différentes formes et phases de la réalisation d'une philosophie. Le marxisme est compris et pratiqué de façon différente par Allende, Castro, Mao, Tito, Brejnev. La pensée de Marx, c'est une chose (qu'il appartient à la philosophie d'étudier et d'établir) ; mais il appartient à l'histoire et à la sociologie de nous dire comment un Chinois de 1970 comprend un Allemand de 1850, comment il le traduit en pratique et pourquoi. Pour bien mettre en lumière le point de vue du philosophe, prenons un autre exemple, celui de la religion. Dans Le Prophète de Khalil Gibran, un vieux prêtre dit à Almustafa : « Parlez-nous de la religion » [1]. C'est le moment philosophique. Comment les auditeurs ont-ils compris ? Comment traduiront-ils en pratique les propos philosophiques d'Almustafa ? L’histoire et la sociologie vont nous le dire et nous expliquer pourquoi. La philosophie nous parle de la religion par la bouche d'Almustafa ; la sociologie nous dit, par exemple, comment un Allemand religieux se comportait au temps de Marx. Pour qui distingue bien deux plans et mesure la distance qui les sépare, il n'y a ni scandale ni catastrophe à dire que la religion rejetée par Marx était peut-être une religion à rejeter. Nous allons aborder la participation et la contestation du point de vue de la philosophie. De ce point de vue, si l'on parle de ce que furent et de ce que sont la participation et la contestation, c'est pour mettre en évidence ce qu'elles devraient être, mesurer la distance qui sépare la réalité du décent, et tremper la volonté de réduire cet espace malsain. Rien dans L'homme face aux pouvoirs ne provient du hasard. J'insiste en particulier sur le pluriel : auX pouvoirS. Du premier ministre jusqu'au pion dans le coin de la cafétéria s'étagent des milliers de pouvoirs qui oublient de se compter chaque fois qu'ils recensent les pouvoirs. Celui qui voit partout le visage grimaçant du pouvoir oublie qu'il fait partie intégrante du partout de son vis-à-vis. Je dis : « L'homme et non pas le citoyen. Le mot citoyen attire trop l'attention sur un seul pouvoir, le pouvoir suprême. Le plus redoutable, sans doute, mais le plus redouté. On guettait le loup à la fenêtre ; les rats ont mangé le bébé dans son berceau. Enfin, « face » aux pouvoirs, et non point, suivant la formule héroïque, « contre » les pouvoirs. « Le citoyen contre les pouvoirs », c'est un cri de guerre ou de ralliement, comme le cri de de Gaulle aux Québécois. Le malade contre le cancer, d'accord, mais pour la santé. Le citoyen contre les pouvoirs, soit, mais pour quoi ? Tout homme considère à juste titre comme une menace tout pouvoir sur lequel il n'exerce aucune influence. Tout pouvoir : le pouvoir qui engage ou congédie, qui promeut ou ignore, qui encourage ou assomme. Ce pouvoir, quel qu'il soit, on le conteste dans le dessein de le partager : c'est une manière de le partager que de l'influencer. Du point de vue philosophique : participation et contestation ; du point de vue sociologique : contestation et participation. Participation, contestation ; d'accord. Mais « au nom de quoi ? » C'est à cette question de Saint-Exupéry qu'il faut répondre sous peine de faire les frais de sa prophétie : « Ils ont changé le palais en place publique, mais une fois usé le plaisir de piétiner la place avec une arrogance de matamore, ils ne savent plus ce qu'ils font là dans cette foire » [2].
|