(Communiqué de presse, 17 novembre 2004) Le projet de mise en valeur du monument Price à Chicoutimi: Un détournement de la mémoire régionale. Chicoutimi, Ville de Saguenay, le 17 novembre 2004. [Avec l'autorisation de l'auteur de diffuser cet articles accordée le 30 novembre 2004] [Débat sur le déplacement de l'obélisque, monument érigé à Chicoutimi à la mémoire de de William Evan Price le 24 juin 1882]
Au début de cette année, la direction de Ville de Saguenay annonçait son intention daccroître la visibilité de la famille Price dans la conscience collective des Saguenayens. Depuis 1882, un imposant monument en hommage à lancêtre William Price et à trois de ses descendants se dresse sur un promontoire dominant toute la ville, à proximité du monastère des Augustines. Le projet de la ville est de restaurer cet obélisque et de linstaller au centre du carrefour giratoire présentement en réaménagement à langle du boulevard Talbot et de la rue Jacques-Cartier, soit lun des centres les plus fréquentés du territoire urbain.
Je dois préciser que la Ville prévoit également honorer en dautres lieux la mémoire de J.-E.-A. Dubuc, J.-D. Guay et Peter McLeod, ce qui me paraît tout à fait pertinent. Pour ce qui est du projet Price, il me semble des plus mal inspirés et il devrait être annulé. Voici pourquoi.
À lépoque où le monument fut érigé (en grande partie à linitiative de la famille elle-même et de ses associés), le nom de Price était pour la majorité des Saguenayens un symbole doppression sociale, dinjustice et même de servitude. Il faut rappeler quau 19e siècle, lindustriel britannique avait établi dans la région un véritable monopole économique et social qui maintenait une grande partie de la population dans une profonde dépendance. Ce régime injuste a été dénoncé à lépoque par de nombreux intervenants (en particulier Mgr Lapointe et les prêtres du Séminaire, des journalistes du Progrès du Saguenay, de la presse nationale). On trouve aussi de nombreux témoignages à ce sujet dans la collection des Mémoires dAnciens constitués par la Société historique du Saguenay.
Les excès auxquels a donné lieu ce monopole de la famille Price, notamment sur la coupe forestière, ont par ailleurs été documentés par des historiens sérieux. Je pense notamment à labbé Jean-Paul Simard et à M. Raoul Lapointe (il vaut la peine de relire les études quils ont publiées sur le Père Jean-Baptiste Honorat, un missionnaire oblat qui, dans les années 1850, a voulu fonder à Laterrière une coopérative forestière échappant au joug de Price et dont lentreprise a été mise en échec). Je pense aussi à lhistorien Gaston Gagnon et à divers articles de la revue Saguenaysiensa.
Ce quil faut surtout retenir, cest limmense effort réalisé par les élites canadiennes-françaises de Chicoutimi entre 1890 et 1910 afin de briser ce monopole qui maintenait la population locale dans la pauvreté en lui imposant des conditions exécrables (système des «pitons», régime des fiers-à-bras ou «boulés», répression brutale des revendications et protestations ouvrières, etc). Cest de cet effort quest née la Compagnie de Pulpe de Chicoutimi, sous la direction de J.-E.-A. Dubuc, ainsi que de nombreuses entreprises industrielles et commerciales qui ont permis à toute une génération de Canadiens français dassurer leur promotion et doccuper des postes correspondant à leur talent.
À la lumière de ces rappels, il est difficile de comprendre quon veuille actuellement mette davantage à lhonneur la mémoire des Price dans cette région. Le projet de la Ville consiste à célébrer ce symbole de la domination sociale que nos ancêtres ont subie. Plus encore, il fait injure aux luttes quils ont dû mener pour sen libérer. Est-ce bien lexemple quil convient de proposer aux Saguenayens daujourdhui? Je rappelle quà lépoque de son érection, ce monument avait tellement humilié les Chicoutimiens quun jeune avocat était allé jusquà le dynamiter (je rappelle que le texte de lobélisque en anglais pour la plus grande partie fait de Price le «Père du Saguenay».
Ce quil faudrait vigoureusement commémorer, ce sont plutôt ces luttes démancipation de la part des régionaux. Ici, les figures à célébrer et qui pourraient trouver place sur un monument ne manquent pas; par exemple: Mgr Eugène Lapointe, le Père Honorat, Mgr Racine (premier évêque du diocèse). Si on veut regarder dans dautres directions, on imagine bien un représentant des Amérindiens, ces premiers habitants du Saguenay dont la mémoire est constamment refoulée? Ou bien un monument à la femme saguenayenne, fondatrice combien méritoire elle aussi, dont la mémoire est encore plus étouffée? Et enfin, pourquoi pas deux femmes: une Blanche et une Amérindienne? Toutes ces figures incarnent une histoire porteuse des valeurs les plus nobles, des idéaux les plus édifiants pour la postérité, car elles parlent de courage, déquité sociale, de relèvement des démunis, des dominés.
On aura compris que mon opposition à ce projet nest pas de nature ethnique. Il ne sagit pas dopposer bêtement Francophones et Anglophones, mais simplement de rendre justice à un passé douloureux et généreux, à une histoire de courage et de solidarité doù se dégage une certaine idée de la dignité. Nest-ce pas plutôt cela qui devrait servir dexemple au temps présent? Or, présentement, jaffirme que ce passé est menacé non seulement doubli mais de détournement.
Cela dit, quon se rassure; le nom de Price ne risque pas de disparaître. Il survivra dans son immense obélisque près de lHôpital. De plus, à Chicoutimi, une artère principale, un pont, un barrage et un édifice portent déjà son nom, de même que, à Kénogami, un parc, un Centre commémoratif, une rue et un musée qui organise chaque année un concours dhistoire.
Il est important de le souligner, la question nest pas de savoir si la mémoire de Price doit subsister; je crois que nous sommes tous daccord là-dessus : la réponse est oui. La question qui se pose est la suivante : est-il souhaitable de lui octroyer une promotion spectaculaire? La réponse est non.
Au nom de ce que nos ancêtres ont souffert, au nom des luttes quils ont menées, au nom du rêve quils poursuivaient et de ce qui en subsiste aujourdhui, je demande très respectueusement au Conseil de Ville de renoncer à son projet, en sa version actuelle, et de le modifier dans le sens que je suggère. Jinvite également toutes les personnes et tous les organismes de la région qui partagent mon opinion à le faire savoir dune façon ou dune autre en appuyant ma requête (lettres aux journaux ou au Conseil de Ville de Saguenay, pétitions, etc.).
LES SAGUENAYENS DOIVENT ABSOLUMENT SE MOBILISER ET UNIR LEURS EFFORTS POUR METTRE CE PROJET EN ÉCHEC.
Russel Bouchard [citoyen libre et historien professionnel, Chicoutimi], À Sylvain Gaudreault (Laterrière) . Chicoutimi, Ville de Saguenay, le 25 novembre 2004. [Avec l'autorisation de l'auteur de diffuser cet articles accordée le 30 novembre 2004] [Débat sur le déplacement de l'obélisque, monument érigé à Chicoutimi à la mémoire de de William Evan Price le 24 juin 1882]
Russel Bouchard [citoyen libre et historien professionnel, Chicoutimi], À Carol Néron (Le Quotidien, Chicoutimi) . Chicoutimi, Ville de Saguenay, le 22 novembre 2004. [Avec l'autorisation de l'auteur de diffuser cet articles accordée le 30 novembre 2004] [Débat sur le déplacement de l'obélisque, monument érigé à Chicoutimi à la mémoire de de William Evan Price le 24 juin 1882]
Russel Bouchard [citoyen libre et historien professionnel, Chicoutimi], À M. Jean Tremblay (Maire, Ville de Saguenay) . Chicoutimi, Ville de Saguenay, le 21 novembre 2004. [Avec l'autorisation de l'auteur de diffuser cet articles accordée le 30 novembre 2004] [Débat sur le déplacement de l'obélisque, monument érigé à Chicoutimi à la mémoire de de William Evan Price le 24 juin 1882]
Russel Bouchard [citoyen libre et historien professionnel, Chicoutimi], Le monument Price, un cadavre qui pue l'eau bénite empoisonnée ! Réplique à la lettre ouverte de Gérard Bouchard, publiée dans Le Quotidien du 20 novembre 2004, sous le titre "Déménagement du monument Price, une opération mal inspirée et humiliante". Chicoutimi, Ville de Saguenay, le 20 novembre 2004. [Avec l'autorisation de l'auteur de diffuser cet articles accordée le 30 novembre 2004] [Débat sur le déplacement de l'obélisque, monument érigé à Chicoutimi à la mémoire de de William Evan Price le 24 juin 1882]
Russel Bouchard [citoyen libre et historien professionnel, Chicoutimi], À Gérard Bouchard (UQAC, Chicoutimi) . Chicoutimi, Ville de Saguenay, le 14 novembre 2004. [Avec l'autorisation de l'auteur de diffuser cet articles accordée le 30 novembre 2004] [Débat sur le déplacement de l'obélisque, monument érigé à Chicoutimi à la mémoire de de William Evan Price le 24 juin 1882]
Dernière mise à jour de cette page le jeudi 25 janvier 200716:20
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cégep de Chicoutimi.
Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
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