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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Gérard Bouchard, “Le problème de droit et d'éthique reliés à l'exploitation d'un fichier de population à des fins génétiques.” Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction de Marcel J. Mélançon, Bioéthique et génétique. Une réflexion collective. Chapitre 2, pp. 33-42. Chicoutimi, Québec: Les Éditions JCL, 1994, 156 pp. [Autorisation formelle accordée par Marcel J. Mélançon le 27 septembre 2008 de diffuser toutes ses publications dans Les Classiques des sciences sociales. Cette autorisation a été reconfirmée le 30 mars 2012. L’éditeur, Monsieur Jean-Claude Larouche, nous a accordé le 19 avril 2012, son autorisation de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

[33]

BIOÉTHIQUE ET GÉNÉTIQUE.
Une réflexion collective.

Première partie. LES CHERCHEURS

Les problèmes de droit et d'éthique
reliés à l'exploitation d'un fichier
de population à des fins génétiques
.”

Gérard BOUCHARD


LE FICHIER BALSAC
ET LE PROTOCOLE DE CONFIDENTIALITÉ



Les travaux du Centre interuniversitaire de recherches sur les populations (SOREP) [1] comportent quatre volets, dont l'un a pour objet les maladies héréditaires ou à composante génétique. Dans ce dernier volet, les recherches vont de la démographie historique à l'épidémiologie génétique et elles sont appuyées soit sur des données démographiques et généalogiques (fichier de population BALSAC), soit sur des données de biologie moléculaire, soit sur des données cliniques au sens strict. Des questions d'ordre éthique et juridique se posent dans chacune de ces trois directions puisque, dans tous les cas, les chercheurs doivent traiter des données nominatives et confidentielles.

On devine aisément que ces questions sont nombreuses, souvent très complexes, et qu'elles présentent des dimensions variées. Il est impossible d'en faire un survol complet dans le cadre de ce trop bref article qui s'en tiendra à trois types de problèmes, reliés à a) la provenance des données, b) leur utilisation, c) leur diffusion. Encore là, quelques questions de fond seront privilégiées. Elles ont trait à :

[34]

- la difficulté de vérifier la légalité de certains transferts (vers SOREP, pour fins de recherche) de données moléculaires et cliniques en l'absence du consentement des individus concernés, cette difficulté tenant principalement à des législations parfois imprécises, parfois concurrentes, souvent changeantes ;

- l'obligation qui est faite à SOREP de contrôler les modes d'utilisation des données par les chercheur(e)s, de manière à garantir leur conformité par rapport aux législations existantes et à la réglementation entourant l'exploitation du fichier BALSAC (protocole de confidentialité en vigueur depuis 1977 et périodiquement refondu) ;

- la menace de stigmatisation des populations ou sous-populations faisant l'objet des travaux de recherche, d'où la nécessité de plus en plus manifeste d'une sorte de code d'éthique ou d'une politique de diffusion qui serait appliquée par l'ensemble de la communauté scientifique et par les divers groupes d'intervenants en matière de maladies héréditaires.

Avant d'aborder les trois questions qui viennent d'être mentionnées, il est utile de rappeler que le fichier de population BALSAC est une banque de données nominatives informatisées à l'aide de laquelle on peut accéder aux biographies familiales et aux arbres généalogiques, l'ordinateur créant lui-même les liens entre individus et entre dossiers [2]. Complété pour la région du Saguenay, BALSAC est présentement en cours d'extension à l'ensemble des régions du Québec pour les XIXe et XXe siècles. Par ailleurs, le développement et l'exploitation du fichier sont régis par un protocole de confidentialité. Ce protocole a été implanté en 1977 et, depuis, il a fait l'objet de deux refontes (une troisième est en cours sous la direction de Jean Goulet, professeur à la faculté de droit de l'Université Laval). Ce cadre d'opération se compose d'un [35] ensemble de directives instituant diverses restrictions et protections de nature physique (accès à des locaux, etc.), technique (logiciels, systèmes de gestion des données informatiques), contractuelle (assermentations et autres), institutionnelle (instances universitaires, Commission d'accès à l'information du Québec). Sans entrer dans les détails [3], mentionnons quelques points essentiels de ce protocole :

- Les quatre universités partenaires sont copropriétaires de la banque de données et responsables de son exploitation. Elles ont confié à SOREP le soin d'en assurer la gestion dans le respect du protocole de confidentialité ;

- Les chercheurs (incluant la direction de SOREP) ne décident pas eux-mêmes de l'accès au fichier et de l'utilisation des données. Ces autorisations ne peuvent être accordées que par des instances externes (Comité institutionnel de déontologie, Secrétariat général de l'Université du Québec à Chicoutimi) après un examen préliminaire des requêtes par un Comité de contrôle relevant de SOREP ;

- Après autorisation, les chercheurs, usagers du fichier, sont assermentés et prennent par contrats divers engagements de confidentialité [4]. Ces contrats sont assortis de pénalités en cas de non-respect ;

- SOREP, par le biais de son Comité de contrôle, exerce une fonction de surveillance visant à vérifier l'application du protocole ;

- En dernière instance, parce qu'il est de nature publique, le fichier BALSAC relève de la Commission d'accès à l'information [36] du Québec. Tous les travaux de SOREP ont été soumis à cette Commission qui les a approuvés.

L'application du protocole se heurte toutefois à diverses difficultés que nous allons maintenant aborder.


LA PROVENANCE DES DONNÉES

Chaque fois qu'il est possible, les données nominatives transmises à SOREP pour fins de recherches sont assorties du consentement des individus concernés. Cette situation est évidemment la plus sûre et c'est celle qui est recherchée, de préférence. Toutefois, il n'est pas toujours possible d'obtenir ce consentement ; c'est le cas, par exemple, lorsque les corpus de données sont trop gros ou lorsqu'une recherche est entreprise a posteriori, à l'aide d'archives hospitalières. En ce qui concerne les données médicales, trois cas peuvent alors se présenter :

Données provenant d'établissements publics de soins

Dans ce premier cas, la Loi sur les services de santé et les services sociaux contient une disposition d'exception (article 19) qui prévoit des modalités d'accès aux données pour fins de recherche. Une autorisation peut alors être accordée par la personne responsable de la direction des services professionnels de l'établissement [5]. Par ailleurs, les articles 59 (paragr. 5) et 125 de la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels prévoient une disposition du même genre (L.R.Q., c.A-2.1).

On se trouve donc ici en terrain sûr, bien balisé par la législation.

[37]

Données provenant de cabinets privés

Ce deuxième type de transfert de données nominatives en l'absence du consentement des intéressé(e)s relève du code de déontologie de la Corporation professionnelle des médecins du Québec (R.R.Q.c.M-9, r-4) [6]. Ici, en principe, l'accord du patient est requis (articles 2.03.28, 2.03.29). D'une façon générale, le médecin doit protéger la confidentialité des informations qui lui ont été transmises par le (la) patient(e) (article 3.03). Cependant, le code ouvre la porte à des dérogations par le médecin « lorsqu'il y a une raison impérative et juste ayant trait à la santé du patient ou de son entourage », ou « lorsque la loi l'y autorise » (article 3.04).

On peut penser que les transferts pour fins de recherche se trouvent ainsi encadrés juridiquement, au moins d'une manière indirecte. On voit cependant que cette situation n'est pas aussi nette que la première. Le projet de loi 68, présentement à l'étude à l'Assemblée nationale du Québec, pourra remédier à cette lacune puisqu'il prévoit instituer là aussi une disposition dérogatoire semblable à celle qui existe pour les données des établissements.

Données provenant de cliniques

Les choses sont encore un peu moins nettes lorsque des cliniques sont concernées. L'ambiguïté vient de la diversité des configurations entendues par le vocable « clinique ». À un bout de l'éventail, il peut s'agir d'un sous-ensemble d'un établissement ; à l'autre extrême, la clinique peut être assimilable juridiquement à un cabinet privé. Parmi les critères permettant de trancher, il faut citer au premier rang : la responsabilité de la garde et de la gestion des dossiers, la localisation de la clinique (là où sont posés les actes médicaux), le degré d'engagement (financier ou autre) de l'établissement dans son fonctionnement. Cette discussion peut sembler très académique ; [38] pour SOREP, elle comporte une implication très concrète : quand y a-t-il obligation de se prémunir d'une autorisation de la direction des services professionnels ? Et, en définitive, qui est responsable de ces données confidentielles ?

Dans le doute, la prudence incite sans doute à requérir dans tous les cas l'aval de l'établissement.


L'UTILISATION DES DONNÉES

Une fois que les données se trouvent entre les mains des chercheurs, leur caractère confidentiel est protégé par les engagements contractuels auxquels ceux-ci sont liés. SOREP dispose de moyens de contrôle pour assurer le respect de ces engagements. Des transgressions, il est vrai, peuvent survenir, ne serait-ce que par négligence. La bonne foi des responsables peut aussi être trompée. Ceci dit, l'expérience prouve que ces possibilités demeurent très restreintes. Depuis vingt ans en effet (la création du fichier BALSAC a débuté en 1972), nous n'avons eu à déplorer que deux situations problèmes. Dans chaque cas, SOREP a mis fin à sa collaboration avec l'usager. En outre, il importe de préciser que ces manquements au protocole ont pu être décelés à l'interne ; ils n'ont pas donné lieu à des plaintes en provenance du public et, à notre connaissance, ils n'ont pas entraîné de préjudice à des individus. En ce sens, les interventions de SOREP dans ces deux circonstances peuvent donc être qualifiées de préventives.

En somme, l'expérience confirme que, dans des conditions strictes de surveillance et de transparence où l'institution universitaire se porte garante des droits et intérêts de la population, il est possible d'exploiter d'une manière très disciplinée une banque de données nominatives comme le fichier BALSAC. SOREP en a fait la démonstration depuis 1972.

[39]


LA DIFFUSION DES RÉSULTATS

La diffusion des résultats de recherches sur les maladies héréditaires peut soulever des problèmes éthiques de divers ordres, dont l'un mérite une attention particulière dans le contexte saguenayen. Nous nous référons ici à la diffusion d'informations auprès de médias spécialisés, auprès de publics scientifiques réunis dans le cadre de colloques, et plus encore auprès des médias de masse, ceux qui rejoignent le grand public. Il importe d'être sensibilisé à un problème qui risque de prendre des proportions inquiétantes d'ici peu si l'on n'y porte pas assez attention. Il s'agit du stéréotype très négatif qui est en train de se construire concernant les populations du Saguenay, de Charlevoix et, à un moindre degré, de l'Est du Québec. En effet, une image est en voie de s'accréditer progressivement, selon laquelle ces populations seraient les plus touchées globalement par le problème des maladies héréditaires parmi toutes les régions du Québec ou du Canada, sinon de l'Amérique du Nord.

Ce phénomène provient des interventions répétées depuis quelques années auprès des médias par divers intervenants du monde médical, scientifique et autre, lesquelles tendent à établir ou à confirmer que les populations concernées :

a) portent un fardeau génétique plus grand que les autres ;

b) se caractérisent par diverses prévalences et incidences (de maladies héréditaires) qui sont les plus élevées au monde.

La répétition de ce type de messages par des personnes très crédibles à cause de leur statut professionnel en vient à faire problème pour trois raisons au moins. D'abord, le premier énoncé n'a pas été démontré scientifiquement et doit donc être tenu pour non fondé. il faudrait, pour ce faire, comparer rigoureusement le fardeau génétique global de la région du Saguenay, par exemple, avec celui des autres régions du Québec et du Canada, ce qui n'a jamais été tenté. En deuxième [40] lieu, dans toute population à effet fondateur, certains traits génétiques sont amplifiés et sont plus visibles, d'autres sont atténués et retiennent évidemment moins l'attention. C'est le propre de l'effet fondateur : des maladies rares ailleurs peuvent atteindre, dans ces populations, des fréquences élevées tandis que des maladies courantes peuvent y être virtuellement inexistantes. Il importe donc de faire ressortir les deux faces de cette réalité qui n'est pas unique au Saguenay-Lac-Saint-Jean (pensons, par exemple, aux pays scandinaves). En troisième lieu, une illusion d'optique peut être créée étant donné que, dans des populations comme celle du Saguenay, les génopathies ont été beaucoup étudiées, sans doute plus qu'ailleurs ; elles sont donc très bien connues.

En ce qui concerne le deuxième énoncé, c'est moins l'exactitude des résultats qui est en cause que les modalités de leur communication aux médias de masse. L'audience de ces médias n'est pas celle des colloques ou des séminaires spécialisés. Toutes sortes de distorsions sont à craindre, par exemple cette opinion entendue de temps à autre, selon laquelle il serait déconseillé d'épouser une personne originaire du Saguenay ou de Charlevoix.

Ces remarques peuvent sembler alarmistes ; en fait, elles se veulent surtout préventives. En ce qui concerne le Saguenay, des réactions commencent à s'exprimer chez des personnes conscientes du stéréotype qui est en train de se répandre à l'échelle du Québec. Il faut réaliser aussi que ce qui est diffusé dans les médias régionaux est souvent repris à l'échelle nationale, et sous une forme amplifiée. Un sentiment d'inquiétude, qui peut être exagéré, commence aussi à prendre forme dans la région. Il serait injuste que, dans cinq ou dix ans, toute une population ait à souffrir d'un important préjudice à cause de travaux scientifiques auxquels elle s'est prêtée généreusement. Et l'avenir de la recherche elle-même pourrait être compromis si les chercheurs devaient rencontrer de plus en plus d'hostilité auprès de cette population.

[41]

En tout ceci, il ne s'agit nullement de restreindre et encore moins d'interrompre la collaboration avec les médias. Bien au contraire, il faut plutôt profiter de cette collaboration pour diffuser des aperçus justes et nuancés, en évitant toute forme de sensationnalisme et en gardant à l'esprit les conséquences potentielles à long terme de ces interventions. Dans cet esprit, nous proposons qu'un code d'éthique soit élaboré à l'intention des intervenants régionaux (chercheurs, cliniciens, animateurs, gestionnaires, etc.). Ce code établirait essentiellement quelques balises à respecter dans nos rapports avec les médias et avec les milieux scientifiques. Chacun y adhérerait librement et, bien sûr, cet instrument pourrait être transmis... aux médias.

Gérard Bouchard [7]


[42]


BIBLIOGRAPHIE

BOUCHARD, G. (1992). Registre informatisé de population : L'expérience du fichier-réseau BALSAC. Dans Claude-M. Laberge et Bartha Maria Knoppers (dirs), Registres et fichiers génétiques.- enjeux scientifiques et normatifs, Montréal : Association canadienne-française pour l'avancement des sciences (ACFAS), Collection Les cahiers scientifiques, no 77, p. 9-19.

BOUCHARD, G., ROY, R., CASCRAIN, B., HUBERT, M. (1989). Fichier de population et structures de gestion de base de données : le fichierréseau BALSAC et le système INGRES/INGRID, Histoire & Mesure, Vol. IV, no 1-2, p. 39-57.

BOUCHARD, G., ROY, R., CASGRAIN, B. (1985). Reconstitution automatique des familles. Le système SOREP. Dossier no 2, Université du Québec à Chicoutimi, 2 vol., 745 pages.



[1] Ce Centre est une initiative conjointe de quatre universités liées par une entente de coopération ; les institutions participantes sont l'Université Laval, l'université McGill, l'université de Montréal et l'Université du Québec à Chicoutimi.

[2] On trouvera des informations plus détaillées dans C. Bouchard, R. Roy, B. Casgrain (1985), G. Bouchard et aL (1989).

[3] Voir le document I-C49 de SOREP. Aussi, G. Bouchard (1992).

[4] Les modèles de contrats sont annexés au document I-C-49.

[5] Cet article est en vigueur depuis le 1er octobre 1992 ; il reprend presque intégralement l'article 7 de l'ancienne loi (L.Q. 1991, c. 42. Décret 1468-92, 30 septembre 1992, G.O.Q., Il. 6149).

[6] Extrait du Recueil des lois et règlements. Code de déontologie (nous citons d'après l'édition d'avril 1989).

[7] L'auteur a largement bénéficié des précieux avis et informations qui lui ont été fournis par MM. Guy Wells, avocat, Jean Goulet, professeur à la faculté de droit de l'Université Laval, Patrick Molinari, doyen de la faculté de droit de l'Université de Montréal, et Mme Isabelle Panisset, recherchiste au Centre de recherche en droit public de l'Université de Montréal.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 1 novembre 2012 18:00
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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