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Collection « Les sciences sociales contemporaines »
Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Pierre-W. Boudreault, [sociologue, professeur au département des sciences humaines, Université du Québec à Chicoutimi.] “Anse-Saint-Jean et la lutte pour la survie de l’éco-système” (1991) Un article publié dans la revue Possibles. vol. 15, no 1, hiver 1991, pp. 147-163”. [Autorisation formelle accordée par l’auteur le 17 mai 2005.] Introduction
Le choix de l'apôtre Saint-Jean, comme patron et protecteur de la petite colonie née en 1838 ne peut pas être sans signification. Saint-Jean n'est-il pas en effet l'apôtre de l’amour dans la religion chrétienne ? N'est-il pas la figure de la réconciliation et l'expression de l'harmonie retrouvée entre des forces opposées ? Il faut avoir vu le relief contrasté à cette hauteur du Saguenay pour comprendre qu'au fond les pionniers qui s'attaquent au fjord affrontent les forces de la nature qui ici atteignaient leurs limites. Les plus hauts sommets côtoient les fosses abyssales. Les cimes qui pointent le toit de la région voisinent le noir des plus profondes eaux. La nature se dédouble comme pour donner l'impression de vivre un combat millénaire entre gladiateurs où l'homme n'a plus aucun pouvoir... naturel. Les premiers individus à vouloir dompter cette nature, ces propagateurs-partageurs du progrès, ces héritiers de la conception cartésienne de la nature, tout chrétiens qu'ils sont, contre la force déchaînée d'Apollon invoquent celui qui rassemble dans la communion, celui qui fusionne dans la communauté pour former équipe face à cette nature hostile. Saint-Jean est ici interpellé comme le prêtre intercède celui qui symbolise les forces du bien capable d'exorciser les démons qui visiblement possèdent ce coin de la planète. Il faut ajouter que Saint-Jean, dont la fête est célébrée au solstice d'été, symbolise traditionnellement la réconciliation et le moment de la célébration publique de la fusion des forces de la vie. Saint-Jean, Dionysos chrétien, est celui qui, dans : « l'ivresse » (...) « abolit la subjectivité de l'individu jusqu'à ce qu'il s'oublie complètement »... parce que transporté par Apollon, dieu des énergies, du rêve, de l'imagination, l'homme s'aperçoit qu'il s'était laissé emporter par les rêves, les apparences. Alors pris d'« effroi », s'apercevant que les phénomènes l'avaient égarés et que le principe de causalité faisait défaut », l'homme se retrouve dans « les frissons de l'ivresse ». Frédéric Nietzsche écrit encore : « C'est par des chants et des danses que l'homme se manifeste comme mesure d'une collectivité qui le dépasse (...). Ses gestes montrent qu'il est ensorcelé. Maintenant les bêtes parlent, la terre donne du lait et du miel, et en l'homme aussi quelque chose de surnaturel s'exprime. Il se sent dieu ; porté au-dessus de lui-même, il foule le sol, extasié, comme dans son rêve il a vu faire aux dieux. L'homme n'est pas artiste, il est devenu oeuvre d'art : ce qui dans la nature est créateur d'art se révèle ici dans les frissons de l'ivresse pour la profonde délectation de l'être originel » [1] * * * Village de 1 371 personnes en 1986, Anse-Saint-Jean décide de faire l'histoire. À partir de cette année 1986, les séquestrés de la politique de régionalisation du Québec sortent de leur huis clos. L'enfer, ce ne sera plus l'autre nous, pourrait-on dire. À travers une lutte de citoyens, un nouveau réenchantement du monde, une nouvelle magie jaillit on ne sait trop de la force tellurique qui jadis, façonna cette scandinavie québécoise ou de la puissance surhumaine de ces hommes et de ces femmes héritiers de leurs conquérants pour le moins insolents qui, en 1838, débarquèrent sur les rives de ce havre, amphithéâtre naturel le long d'un fiord, témoin des tumultes d'une genèse que les impétueux colonisateurs de l'Anse ont consacrée à Saint-Jean. Dans ce texte, nous voudrions saisir la signification des gestes posés par les citoyens de l'Anse-Saint-Jean, gestes qui ont conduit à l'obtention d'un centre de ski alpin du Mont Édouard. Pour cela, il faut savoir quels étaient les référents symboliques utilisés au cours des luttes sociales menées par les citoyens. De quel univers symbolique les luttes des citoyens sont-elles révélatrices ? La bataille menée pendant quatre ans par les citoyens se termine dans l'allégresse. L'heureux dénouement d'une très longue lutte n'est certes pas étrangère à la nature sociale de ses acteurs. Or, la force de changement ne repose-t-elle pas sur le fait que ces acteurs sociaux ont su se réapproprier la zone d'incertitude de l'action sociale de manière telle que les agents économiques et politiques en place dans les institutions vouées au développement régional seraient tombés dans une méta-logique totalement étrangère à la société que nous appellerons post-moderne ? La bataille conduite pendant quatre ans par les citoyens de l'Anse-Saint-Jean ne peut être saisie sans aborder l'univers culturel auquel il est fait référence à chaque épisode de son déroulement. Les références à la famille prennent des dimensions pour le moins méta-sociales. Les références à la foi chrétienne et aux écritures saintes sont manifestées non seulement par le rôle joué par le curé, mais dans l'ensemble des conduites collectives des paroissiens. Les acteurs principaux sont les bûcherons de la paroisse. Mais est-ce encore des bûcherons au moment où on abat les arbres des futures pistes de ski ? Ne seraient-ils pas déjà des officiers responsables de la gestion d'un éco-système dans lequel s'insèrent des opérateurs et des techniciens d'équipement récréo-touristique au nombre duquel figure un centre de ski alpin, un complexe d'hébergement touristique, un centre d'interprétation du patrimoine, une marina, un centre équestre, etc. Au fond, si les initiatives socio-économiques des citoyens ont dû s'imposer à travers une bataille dont le mouvement a duré 4 années, ce n'est pas précisément dû au fait que depuis le début des années 1970, le Québec, en se dotant d'une politique de régionalisation, a répandu sur son territoire historique des appareils administratifs dont les agents sont des bureaucrates sans aucune obligation ni responsabilité directe devant la population. En l'absence de démocratie appropriée, les fonctionnaires s'apparentent à une nomenclature et à leur corps défendant offrent une résistance à tous les changements qui peuvent survenir dans la société. Issues d'une conception sociale aujourd'hui dépassée, les institutions dites de « développement régional » sont non seulement des dinosaures à traîner mais des officines dysfonctionnelles par rapport au développement de la population québécoise. [1] Frédéric Nietzsche, La naissance de la tragédie, Paris, Gonthier, 1964, pp. 21-22.
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