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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Classes sociales et idéologies nationalistes au Québec 1760 - 1970 (1972).


Une édition électronique réalisée à partir du livre Gilles Bourque et Nicole Laurin-Frenette, “ Classes sociales et idéologies nationalistes au Québec 1760 - 1970 ”. Un article publié dans la revue l'Homme et la société, no 24-25, avril-décembre 1972, pp. 221-247. Paris : Les Éditions Anthropos. [Autorisation accordée le 26 juin par la professeur Bourque

Texte intégral de l'article

Problématique théorique

Le Concept de Nation
Classes et idéologies nationalistes

Classes et idéologies nationalistes

Le nationalisme de l'aristocratie cléricale
Le Nationalisme des « Patriotes »
Le Nationalisme de la petite-bourgeoisie traditionnelle
La Révolution tranquille ou le front bourgeois uni
La scission bourgeoise et la lutte pour l'hégémonie
La Classe ouvrière et le Nationalisme
Note sur la crise d'octobre 1970

Notes de bas de page.


Problématique théorique

La résurgence de l'idéologie nationaliste dans diverses sociétés au cours des dernières années, sa traduction en termes marxistes par les mouvements de libération nationale et la pratique de ces mouvements posent à la théorie marxiste des problèmes fondamentaux et urgents. Les brèves analyses que consacrèrent Marx, Lénine, Staline et Rosa Luxemburg à la question nationale sont insuffisantes à rendre compte des aspects théoriques et politiques actuels de la question. Au Québec, ces problèmes ont fait l'objet, au cours des dix dernières années, de nombreux débats tant chez les historiens et sociologues québécois que dans les milieux de gauche cherchant à élaborer une ligne politique adéquate à la conjoncture québécoise. On a formulé la question en termes d'alternatives diverses : priorité de la lutte nationale sur la lutte de classe ou subordination de l'une à l'autre, priorité des revendications économiques et sociales sur les revendications linguistiques et culturelles ou l'inverse, alliance des masses et de la petite-bourgeoisie ou lutte autonome du prolétariat pour la libération nationale, etc.


Le Concept de Nation

Le concept de nation, tel qu'il nous semble devoir être construit, se réfère à certains traits particuliers aux formations sociales dans lesquelles domine le mode de production capitaliste et qui découlent de la structure de ce mode de production. Par mode de production, nous entendons une articulation particulière des niveaux économique, politique et idéologique, déterminée en dernière instance par l'économie. Une formation sociale se caractérise en général par la présence d'un mode de production dominant auquel peuvent s'articuler les structures de modes de production secondaires.

La structure d'une formation sociale dans laquelle prédomine le mode de production capitaliste est une structure nationale en ce qu'elle implique :

a) l'existence d'une unité économique servant de cadre principal aux échanges entre les classes engagées dans le processus de production ;

b) d'une unité territoriale, juridique et politique, ces trois aspects étant étroitement liés et reposant sur l'existence de l'État national comme appareil principal du pouvoir politique centralisé ;

c) d'une unité linguistique et d'une homogénéité culturelle relative de l'ensemble des groupes engagés dans des rapports de production de type capitaliste ;

d) l'existence, la diffusion et l'imposition d'une représentation idéologique de cette unité se traduisant, par exemple, dans les notions d'intérêt national », de « communauté nationale », de « volonté nationale », etc.

Au niveau des pratiques ou des rapports sociaux économiques, politiques et idéologiques, la nation est ainsi l'effet spécifique de la structure du mode de production capitaliste sur les supports de ce mode. Les supports sont les agents du mode de production qui sont également constitués en classes sociales par la structure du mode de production (note 1).

La confusion qui entoure les concepts de mode de production, de formation sociale et de classe sociale tels qu'ils sont utilisés présentement par les auteurs marxistes fait obstacle à une définition rigoureuse du concept de nation. La difficulté tient surtout à l'absence d'un concept précis qui permettrait de délimiter et de désigner un niveau spécifique entre la structure (le mode de production) d'une part, et les pratiques définies comme pratiques de classes, d'autre part. Le concept de formation sociale ne répond pas à cette fonction parce qu'il désigne l'articulation spécifique des instances de divers modes de production. Il caractérise essentiellement la structure et non les pratiques bien qu'il se situe au niveau concret-réel. On peut, par ailleurs, définir correctement les classes comme effets de la structure d'un mode de production sur les supports (ou de l'articulation des structures de plusieurs modes de production dans une formation sociale). Les agents d'un mode de production sont constitués en classe par les effets de la structure du mode de production mais la structure de ce mode de production constitue également les agents en ensemble, en totalité au niveau de la pratique.

Le concept de classe comme effet de la structure d'un mode de production sur ses supports ne peut être compris qu'en regard d'un concept complémentaire faisant référence à l'ensemble ou à l'unité des pratiques comme effet de la structure. Pour formuler correctement les rapports entre ces concepts, il faudrait dire, selon nous, que la structure d'un mode de production à comme effet, au niveau des pratiques, de constituer les agents en ensemble divisé en classes. L'existence de cette division en classes et l'antagonisme entre ces classes dans leurs pratiques respectives supposent implicitement un « champ global » des pratiques de classes antagonistes. Ce champ global représente, tout comme les classes sociales, l'effet de la structure du mode de production dans ce qu'elle a de spécifique.

La nation, telle qu'on a tenté de la décrire ci-dessus, constitue précisément un type particulier d'ensemble ou de champ global des pratiques de classe ; type particulier correspondant au mode de production capitaliste de la même manière que la bourgeoisie et le prolétariat sont les classes particulières qui correspondent à ce mode de production. Cette forme des rapports de propriété et d'appropriation fonde le type particulier de champ global des pratiques de classe qui correspond au mode de production capitaliste : la nation. Elle s'y exprime en tant que champ global des pratiques de classe, dans le marché comme cadre d'exploitation, l'État comme pouvoir centralisé sur un territoire unifié, la langue et la culture comme système minimal de référents symboliques homogènes, etc. C'est en ce sens qu'on peut qualifier de « nationales » ces formes particulières d'économie, de marché, d'État, de langue et de culture qui caractérisent, les formations sociales dominées par le mode de production capitaliste.

Le mode de production capitaliste présuppose, dès sa phase de formation, l'existence d'une structure nationale, du type particulier d'unité économique, politique et idéologique que nous avons évoqué. Cette unité est créée et mise en place au profit de la bourgeoisie montante par l'utilisation et la transformation des conditions politiques, juridiques, territoriales et culturelles héritées des formations sociales précédentes. L'instauration du capitalisme comme mode de production dominant correspond à la création d'une économie et d'un marché national dans le cadre d'un État national centralisé regroupant les agents posés comme isolés dans la production, à l'uniformisation politique, juridique et douanière du territoire, à l'abolition des dialectes locaux et à l'uniformisation linguistique à l'intérieur des frontières nationales, à la création de divers symboles nationaux, etc. (note 2).

L'idéologie nationaliste bourgeoise (ou les éléments nationalistes de l'idéologie bourgeoise en général) est une représentation déformée de cette unité nécessaire à l'établissement et à la reproduction du mode de production et d'exploitation capitaliste : représentation qui traduit précisément la nécessité structurelle de cette unité nationale et par conséquent son caractère de classe (note 3). Il est bien évident que l'idéologie étant une instance de la structure, elle ne peut prendre un contenu nationaliste que dans la mesure où la structure des autres instances est également nationale au sens où nous l'avons définie. La nation existe donc objectivement et doit être ramenée, contrairement à ce que pense Fernand Dumont, « à des facteurs objectifs de structure » ; nous espérons avoir clairement démontré qu'on ne peut considérer la nation seulement comme une représentation ou, comme le voudraient Nadel et Dumont, comme « la théorie que ses membres s'en font » (note 4).

À des stades ultérieurs dans le développement du mode de production capitaliste (vg. stade du capitalisme de monopole impérialiste) la nation et la représentation idéologique de celle-ci subissent certaines transformations que nous ne pouvons analyser ici de façon détaillée.

Les traits essentiels de la structure nationale que nous avons décrits plus haut demeurent, mais peuvent être modifiés ou mis en veilleuse par la nécessité d'une cohésion et d'une interdépendance plus étroite entre les classes dominantes des diverses formations sociales. Cette interdépendance est renforcée par le caractère particulier de la concurrence au stade du capitalisme monopoliste. Elle peut prendre la forme de la domination d'une bourgeoisie internationale, de la domination d'une bourgeoisie nationale sur d'autres, de l'alliance entre bourgeoisies nationales monopolistes pour la conquête des ressources ou de marchés, etc. On peut citer de multiples exemples de cette évolution : la création de blocs et d'alliances économiques, politiques et militaires entre nations (marché commun européen, OTAN, etc.), l'abolition des barrières douanières, tarifaires et autres, entre certains pays, l'internationalisation du système monétaire, la standardisation de certains modèles techniques de production, de gestion, de consommation, etc. Malgré les modifications que subissent ainsi divers aspects des marchés, des États, des droits nationaux, les caractères nationaux essentiels des formations sociales de type capitaliste demeurent, car ils sont nécessaires au maintien de la domination de la bourgeoisie nationale dans ces pays et de la bourgeoisie internationale sur une échelle plus vaste. Il est bien évident que la nation n'est pas une survivance du passé ; sa présence est tout aussi étroitement liée à l'existence et à la reproduction du mode de production capitaliste au stade monopoliste qu'au stade de formation. L'existence de structures nationales est nécessaire à la domination impérialiste dans les pays industrialisés comme dans les pays sous-développés. L'exemple de l'Afrique où les pays impérialistes ont mis en place des structures nationales est assez éloquent à cet égard. De même, l'exemple du Québec où, comme nous le verrons plus loin, certains intérêts monopolistes américains accueilleraient avec satisfaction le renforcement des structures nationales. Ces considérations nous amènent par ailleurs à noter l'absence d'un concept spécifique servant à désigner l'articulation des instances économiques, politiques et idéologiques d'un mode de production donné à un niveau englobant diverses formations sociales d'un même type.

Nous avons discuté jusqu'ici des caractéristiques des nations, incluant l'évolution de ces caractères en fonction du développement du mode de production. Il est cependant nécessaire d'ajouter à cette première catégorie le cas des situations présentant à cet égard des caractéristiques particulières résultant de conditions particulières. C'est le cas de la nation tronquée ou déformée, jouissant d'unité territoriale, politique et culturelle partielle fondée sur une économie régionale, par suite d'une conquête, d'une annexion par une autre nation ou autres formes de domination. Certaines classes sociales, à l'intérieur de ces nations, peuvent se représenter comme aptes à constituer une nation complète, au sens où nous l'avons définie. L'idéologie nationaliste, dans ces cas particuliers, se présentera sous des formes complexes, déterminées dans chaque cas, en dernière instance, par les intérêts économiques, politiques et autres des classes ou fractions de classe qui les soutiennent. Sans entrer dans les détails de l'analyse, notons qu'il est possible de rendre compte en fonction de cette hypothèse des fluctuations du nationalisme québécois, basque, breton et flamand.

Il ressort des considérations précédentes que la structure nationale est toujours liée à l'articulation spécifique des trois instances du mode de production capitaliste et donc, à l'existence d'une structure de classes articulée à ces trois niveaux. Cette articulation existe nécessairement dans le cas des nations tronquées mais elle est déformée par les phénomènes de dépendance et de sujétion auxquels nous avons fait allusion. Nous refusons donc toute définition de la nation utilisant le culturel ou l'idéologique comme critère unique ou principal. Nous pourrons en effet rencontrer divers groupes qui se définissent comme « groupes culturels » et qui ne présentent aucun aspect national spécifique au plan des instances économiques et politiques. Tel est le cas entre autres des Acadiens et des Ukrainiens au Canada. Ces phénomènes s'expliquent par la périodisation (rythme de changement) propre à l'instance idéologique ou culturelle et par l'autonomie spécifique de cette instance par rapport aux autres instances, dans ses effets sur un groupe donné issu d'une formation sociale extérieure (Ukraine) ou antérieure (Acadie) à la présente.


Classes et idéologies nationalistes


Doit-on conclure, logiquement, que le nationalisme est par définition une idéologie bourgeoise ayant pour fonction essentielle de produire une image inversée des rapports économiques, sociaux et politiques réels (rapports de domination et d'exploitation i.e. lutte de classes) ? Ou peut-il exister des idéologies nationalistes non bourgeoises, liées aux intérêts et à la situation des autres classes à l'intérieur de la formation sociale ? Une certaine tradition marxiste tend à identifier de façon mécanique idéologie nationaliste et idéologie bourgeoise.

La phrase si souvent citée du Manifeste communiste : « les ouvriers n'ont pas de patrie », pourrait a priori inciter à une réduction du nationalisme à l'idéologie bourgeoise. Il faut toutefois considérer en entier le passage dont cette phrase est extraite et qui se lit ainsi :


« En outre, on a accusé les communistes de vouloir abolir la patrie, la nationalité. Les ouvriers n'ont pas de patrie. On ne peut leur ôter ce qu'ils n'ont pas. Comme le prolétariat de chaque pays doit d'abord conquérir le pouvoir politique, s'ériger en classe dirigeante de la nation, devenir lui-même la nation, il est encore par là national ; mais ce n'est pas au sens bourgeois du mot » (note 5).


Dans ce passage, Marx et Engels,

1 - reconnaissent l'existence d'une réalité structurelle qu'ils désignent sous le terme de nation ;

2 - lient cette réalité à la classe dominante de la formation sociale, à savoir à la bourgeoisie (avant la Révolution, au moment où le prolétariat est une classe dominée) et par la suite au prolétariat qui, par la prise du pouvoir politique, devient la nation, devient national mais non au sens bourgeois du terme, donc implicitement, au sens prolétarien du terme.

C'est ainsi que Marx peut affirmer par ailleurs :


« La lutte du prolétariat contre la bourgeoisie n'est pas dans son fond, mais sera dans sa forme, une lutte nationale » (note 6).


Ce concept de « forme de la lutte » ne peut se comprendre qu'en fonction de la structure nationale des formations sociales de type capitaliste. Cela signifie que la formation sociale en tant que nation : l'économie nationale, le territoire et l'État, la langue, les symboles et ce qu'on appelle l'héritage ou le patrimoine national, concernent également la classe ouvrière, peuvent et doivent lui appartenir et servir ses intérêts de classe. La nation est le lieu des rapports capitalistes d'exploitation et de domination du prolétariat par la bourgeoisie ; elle est donc, dans le même temps, le lieu de la lutte économique, politique et idéologique du prolétariat et de sa victoire sur la bourgeoisie.

Il ressort en outre de notre définition que la nation comme unité ou champ global des rapports de classes capitalistes est vouée à disparaître au fur et à mesure de l'instauration de rapports sociaux d'une nature différente. La dominance de rapports sociaux de type communiste correspondra à l'établissement d'un type spécifique d'unité, d'ensemble, de champ global de ces rapports communistes dont on ne saurait d'ores et déjà prévoir la forme exacte (note 7).

Nous sommes maintenant en mesure d'affirmer qu'il peut exister un nationalisme « non bourgeois » i.e. une valorisation de la nation par d'autres classes de cette formation et dans l'intérêt de ces autres classes. Et ce, parce que la nation n'existe pas en dehors des classes mais en fonction de ces classes. Il ne peut en être autrement parce que la nation est l'effet de la structure de la formation sociale de type capitaliste sur les supports de ce mode de production et que ces supports, dans le mode de production capitaliste, sont constitués en classes. Les diverses composantes de la structure nationale ont une signification propre à chaque classe qui est fonction de la situation et des pratiques de chaque classe. L'analyse marxiste ne tient généralement compte que de la signification de la nation pour la bourgeoisie, ce qui permet à tort de les identifier et laisse de côté les intérêts nationaux des autres classes.

On le comprend mieux dans le cas des nations tronquées où la révolution prolétarienne est en même temps une lutte de libération nationale, conséquence de la « sur-exploitation » capitaliste (économique, politique, culturelle) de son prolétariat par la classe dominante d'une autre nation. On verra plus en détail la forme que prend cette « sur-exploitation » dans le cas québécois. La révolution prolétarienne vise, dans le cas des nations complètes, au contrôle et à l'abolition de la nation ; le renversement des rapports d'exploitation capitaliste doit coïncider, dans le cas des nations dominées, avec l'abolition de la domination nationale qui en constitue le cadre particulier. On voit ainsi le caractère erroné de la ligne politique qui oppose la perspective nationale de la lutte de certaines classes ouvrières à la solidarité internationale des travailleurs pour le renversement du capitalisme. Il est bien évident que la présence d'éléments nationalistes dans l'idéologie de la classe ouvrière est généralement liée à une situation de domination nationale. Dans ce cas, ces éléments sont forcément intégrés à une idéologie révolutionnaire dont ils ne constituent pas le thème dominant. La lutte révolutionnaire de la classe ouvrière est, par définition, internationale, surtout au stade du capitalisme monopoliste impérialiste. Cet internationalisme ne remet cependant nullement en question le caractère national de la lutte des classes auquel sont liés les éléments nationalistes de l'idéologie de la classe ouvrière. Il correspond à la liaison nécessaire des luttes nationales de la classe ouvrière dans diverses formations sociales.

Ces considérations nous permettent de comprendre mieux le caractère déformant de l'idéologie nationaliste bourgeoise. Cette idéologie fait référence à diverses composantes de la structure nationale dont elle se sert pour ses propres fins, qu'elle interprète en fonction de ses intérêts mais qui, comme nous l'avons indiqué, correspondent aussi aux intérêts d'autres classes. On le voit bien dans le cas des nations dominées où, par exemple, les travailleurs et la bourgeoisie ont intérêt à défendre la langue dite nationale, si celle-ci est menacée. Étant donné la position objective des deux classes dans les rapports de production, cet intérêt à défendre et à conserver sa langue est d'une nature absolument différente pour l'une et l'autre classe. Pour les ouvriers comme pour les bourgeois, la langue est un instrument de travail, de création, une manière de « penser le monde », mais ce travail, cette création, cette manière de penser le monde, ont un contenu et un sens différents et opposés pour ces deux classes en fonction de leur situation respective d'exploités et de dominants.

Il en est ainsi de tous les aspects nationaux d'une formation sociale (territoire national, État national, traditions, héritage national, etc.). On peut d'ailleurs pousser plus loin l'analyse en montrant que la notion de « langue nationale » est une abstraction et qu'il n'existe, en fait, que des langages (façon de parler une « langue » propre à chaque classe sociale, liée à sa situation et à son idéologie de classe). Tous les éléments de la culture dite nationale (littérature, symboles, coutumes, folklore, etc.) sont des abstractions, c'est-à-dire que ces éléments se retrouvent dans la culture de toutes les classes d'une formation sociale mais qu'ils y sont utilisés, interprétés, valorisés différemment par chaque classe.

On peut donc conclure en général que :

1 -
le nationalisme (valorisation particulière des aspects nationaux d'une formation sociale) est, par définition, une idéologie de classe ;
2 -
l'idéologie nationaliste n'a pas une structure et un contenu uniques
3 - il existe (ou peut exister)
autant d'idéologies présentant des éléments nationalistes qu'il y a de classes dans une formation sociale ;
4 -
chaque classe est susceptible de donner un sens et une valeur particulière à la structure nationale de la formation sociale, donc d'investir son idéologie d'éléments nationalistes lesquels sont fonction de sa situation de classe.


Classes et idéologies nationalistes

Nous tenterons maintenant, en nous inspirant de l'approche théorique énoncée plus haut, d'étudier le cas spécifique de la formation sociale que constitue le Québec. Nous essaierons d'expliquer les facteurs structuraux qui font que le Québec est le lieu d'une double structure de classes.

Le Québec est une province à l'intérieur de la Confédération canadienne. Il possède à ce titre un État doté de certains pouvoirs principalement regroupés dans les domaines culturel et social. Sur le plan économique, le Québec constitue une économie régionale tirant ses caractéristiques propres d'un double phénomène de colonisation :


1 - à la suite de la constitution de la Confédération canadienne, le Québec devient une économie centrée sur un type d'industrie employant une main-d’œuvre à bon marché ; industrie laitière, textile, industrie de la chaussure, etc. Dans la construction pan-canadienne, l'économie québécoise est définie par ses rapports avec l'économie ontarienne (note 8).

2 - à partir des années 1920, à cause principalement de ses richesses en métaux non-ferreux et en ressources hydrauliques, le Québec devient une source de matières premières pour le capital impérialiste américain. Depuis la dernière guerre les investissements américains tendent à envahir de multiples secteurs de la production.


Sur le plan de la question nationale, le Québec présente un double intérêt. On peut, en effet, y étudier, à la faveur d'une sorte de condensation structurelle, les deux formes qu'a prises l'oppression nationale dans le développement des structures du mode de production capitaliste : la domination intérieure résultant de l'affirmation d'une nation sur d'autres nations occupant le même territoire ; la domination extérieure (colonialiste ou impérialiste) créée par l'exploitation d'une ou de plusieurs collectivités par une nation ne cherchant pas à peupler elle-même le ou les pays assujettis. Dans sa première phase, la création des États nationaux marque l'affirmation du mode de production capitaliste dans les différentes formations sociales. Dans ce cadre, il est possible d'étudier non seulement les caractères nationaux de la lutte des classes qui résultent de l'apparition du mode de production capitaliste, mais aussi le phénomène de la domination nationale qui peut résulter de l'affirmation d'une nation (et d'une classe dominante, au sein de celle-ci) sur d'autres nations plus faibles faisant partie d'un même territoire. Le Québec est ainsi une nation dominée, insérée dans les structures nationales canadiennes. La Conquête anglaise de 1760 marque l'établissement d'éléments structuraux ayant pour effet la constitution d'un phénomène de domination nationale et provoque la formation de deux structures de classes diversifiées et potentiellement antagonistes.

On rencontre au Québec, de 1760 à 1970, trois types d'idéologie nationaliste dont on peut rendre compte en fonction des rapports de classe définis par cette double structure, dans des conjonctures historiques différentes. Nous tenterons de faire l'analyse de ces trois types de nationalisme.


Le nationalisme de l'aristocratie cléricale


Nous aborderons d'abord le nationalisme juridico-culturel défendu par les seigneurs et le haut-clergé de 1760 à 1840. La conquête anglaise en provoquant un changement de métropole transforme la structure économique externe (rapport métropole-colonie) et a pour effet la disparition de l'embryon de bourgeoisie canadienne-française. Ce changement structurel provoque la domination, au sein de la nation canadienne-française, d'une classe qui depuis près d'un siècle ne jouait plus les premiers rôles, sous l'effet des efforts conjugués des bourgeois et de l'administration coloniale. Il s'agit évidemment des seigneurs (n'exerçant que le rôle de propriétaires fonciers) et du haut-clergé (possesseur d'une grande partie des seigneuries). Mais la proclamation royale de 1763, entre autres mesures, abolit la tenure seigneuriale, interdit la nomination d'un évêque catholique et impose la prestation d'un serment d'abjuration de la foi catholique pour obtenir un poste dans l'administration. Les bases économico-idéologiques de cette classe sont donc remises en question. Ce groupe se fera alors par le triptyque : lois françaises, langue française, religion catholique. On sait que, par l'Acte de Québec de 1774, Londres, à la suite des pressions de Murray et de Carleton, accédera aux demandes de l'aristocratie cléricale canadienne-française (seigneurs et haut-clergé). L'historiographie québécoise a tenté d'attribuer l'Acte de Québec à la magnanimité des administrateurs anglais (Murray, Carleton) qui, selon elle, se refusaient a opprimer la majorité canadienne-française. D'autres historiens, pour expliquer l'attitude des administrateurs, insistent principalement sur des phénomènes de conjoncture ; la supériorité numérique écrasante des canadiens-français au lendemain de la Conquête et la menace que constituent les Treize Colonies américaines à la veille de leur indépendance. Il est clair que cette dernière explication demeure épiphénoménale, même si elle attire l'attention sur des faits qui ont certainement influé sur la décision dont il est question.

On ne pourra comprendre véritablement ce maintien du régime seigneurial et de l’Église catholique qu'en faisant ressortir la place qu'occupent ces institutions dans la formation sociale du Québec durant cette période. Nous avons souligné plus haut que la Conquête a modifié les liens entre la métropole et la colonie. L'articulation des instances du mode de production dont la formation sociale québécoise est l'effet, demeure cependant inchangée. Il s'agit du type d'articulation caractéristique du capitalisme commercial colonial. Dans le cas qui nous occupe, le commerce est fondé sur l'exploitation d'un seul produit important : les fourrures. Ce commerce, nécessitant des mises de fonds importantes (les sources d'approvisionnement reculant sans cesse), la militarisation contre les rivalités des Treize Colonies et des Amérindiens provoquera l'apparition d'un pouvoir politique dirigiste autour duquel s'organiseront les monopoles et les cliques qui jouiront des contrats de l'État. Le commerce des fourrures par ailleurs, constituera un pôle d'attraction énorme pour les colons qui préféreront toujours la course des bois, génératrice de profits beaucoup plus intéressants à l'agriculture. Cette attirance entre en contradiction, d'une part, avec la nécessité de peupler le pays et de satisfaire aux besoins alimentaires de la population ; d'autre part, avec les intérêts des compagnies à monopole pour lesquelles la course des bois est une entrave puisque, souvent, les individus qui s'y livrent cherchent à faire de la contrebande avec les colonies voisines, plutôt que de vendre leurs pièces aux magasins de la compagnie. Il s'agira donc d'instaurer un mode de tenure attachant les agriculteurs à la terre et de légiférer pour empêcher ces derniers de se livrer à la course des bois. Le régime seigneurial est donc un élément très important de l'économie des fourrures. Ses réglementations sont inspirées du régime féodal, mais il est très important de constater qu'il ne remplit aucunement, dans ce cas, la fonction traditionnelle d'un mode de tenure féodal, puisqu'il constitue un élément d'un ensemble structurel différent.

Cette longue digression nous amène à voir en quoi l'Acte de Québec, par sa reconnaissance du régime seigneurial et conséquemment, par le maintien des bases économiques de l'aristocratie cléricale, ne peut s'expliquer véritablement que par l'importance du régime seigneurial dans l'articulation de la formation sociale fondée sur l'économie des fourrures. Mais l'Acte de Québec, consacrait également le nationalisme juridico-culturel de l'aristocratie cléricale. Comment expliquer cette dénégation de la Proclamation Royale qui préconisait l'assimilation à court terme des Canadiens français ? On ne pourra rendre compte de ce phénomène que par une analyse attentive de la structure de la formation sociale. Le changement de métropole en provoquant la transformation des relations au niveau de la structure externe, instaurera au sein de la formation sociale une double structure de classe caractérisée par l'appartenance à des nations différentes, une double structure potentiellement conflictuelle et dont l'opposition sera, pendant plusieurs années, fondée en dernière instance sur l'antagonisme entre le commerce et l'agriculture. Mais durant les premières années du régime, période durant laquelle prédominera l'économie des fourrures, l'existence de cette double structure de classe ne donnera lieu à aucun conflit majeur. Ceci résulte de l'effet particulier des structures de ce type d'économie dans le champ de la lutte des classes. Nous avons vu, d'une part, en quoi le régime seigneurial jouait un rôle essentiel dans l'articulation de l'économie des fourrures ; la reconnaissance de ce mode de tenure et des lois françaises était par conséquent prévisible.

Nous savons, d'autre part, que l'idéologie promue par les seigneurs et le haut-clergé (idéologie aristocratico-religieuse insistant sur le respect de l'ordre et de l'autorité) correspondait à l'existence d'un régime politique aristocratique, c'est-à-dire, dirigiste et non démocratique. De plus, le caractère essentiellement culturel et juridique du nationalisme des seigneurs et du clergé favorisait la reconnaissance de cette idéologie par l'administration coloniale. Non seulement ce nationalisme de conservation reconnaissait le conquérant, mais il invoquait des principes d'ordre religieux pour obtenir la soumission du peuple à l'occupant et lui assurer sa collaboration. Si nous poussons plus loin l'analyse, nous constatons que seul un nationalisme de ce type était « pensable » au sein de la formation sociale québécoise de 1760 à 1800. L'aristocratie cléricale étant devenue la classe dominante de la nation canadienne-française, par suite de la disparition de l'embryon de bourgeoisie nationale, il est clair que cette classe ne pouvait et ne devait viser qu'à la reconnaissance de la religion catholique, des lois et de la langue française, ces trois éléments juridico-culturels assurant ses assises socio-économiques. De même, pour l'administration coloniale, le maintien des principales institutions de la formation sociale fondée sur l'économie des fourrures était impossible sans la reconnaissance du nationalisme des seigneurs et du clergé.


Le Nationalisme des « Patriotes »


Le nationalisme canadien-français ne devait cependant pas garder pendant bien longtemps ce caractère collaborationniste favorisé par l'économie des fourrures. La situation devait changer rapidement avec l'apparition de l'économie du bois. Ceci nous permet d'aborder le second type de nationalisme dont nous faisions état plus haut ; le nationalisme indépendantiste. Après 1800, même si les structures du mode de production demeurent les mêmes, un élément important apparaît : l'économie des fourrures devient marginale et c'est le bois qui devient le produit principal de l'économie canadienne. Même si nous demeurons dans le cadre du capitalisme commercial, la nature des échanges varie sensiblement. I'économie du bois étend son aire de développement et cela d'autant plus facilement que le Haut-Canada s'est créé depuis 1791 par suite de l'arrivée des Loyalistes des Treize Colonies. C'est alors qu'apparaîtront au Bas-Canada deux idéologies nationalistes irréductibles : l'une, soutenue par la bourgeoisie canadienne-anglaise, appuyée par les cadres administratifs coloniaux, préconisera l'assimilation. des Canadiens français. Ces derniers, par l'intermédiaire de leur petite-bourgeoisie, mènent en effet une lutte nationaliste qui débouchera sur l'indépendantisme des années 1830. La petite-bourgeoisie s'oppose au développement du capitalisme commercial et pour ce faire, tente, à la Chambre d'Assemblée instituée en 1791, d'empêcher toutes les mesures économiques rendues nécessaires par le changement du produit générateur (le bois).

Nous assisterons donc à une lutte de classe (bourgeoisie vs petite-bourgeoisie) qui s'explique en dernière instance par l'antagonisme entre l'agriculture et le commerce et qui se traduit par l'opposition de deux nationalismes.

Le nationalisme de la petite-bourgeoisie s'explique par l'effet particulier de l'économique et du politique ; constituée des membres des professions libérales, des petits entrepreneurs et des petits commerçants, cette classe tire ses ressources, à titre de services rendus, des agriculteurs canadiens-français. Elle défendra donc l'agriculture contre le capitalisme commercial à vocation continentale sur lequel elle n'a aucune prise. Ce dernier tend même à défavoriser l'agriculture bas-canadienne, puisque la bourgeoisie anglophone s'approvisionne de plus en plus dans les régions des Cantons de l'Est et du Haut-Canada au détriment de l'agriculture des seigneuries. Les petits-bourgeois étaient-ils anti-capitalistes ? Il nous semble que les petits-bourgeois tentent au contraire d'induire au développement capitaliste à vocation industrielle à partir de la seule ressource contrôlée par les Canadiens français : l'agriculture. C'est dans ce sens qu'ils s'opposent au capitalisme commercial -sur lequel ils n'exercent aucun contrôle et qui tend à défavoriser l'agriculture canadienne-française, comme nous le soulignions plus haut. De plus, l'institution d'une Chambre d'Assemblée dans le Bas-Canada, où les Canadiens français sont majoritaires, ne pouvait avoir pour effet que de favoriser la lutte de la petite-bourgeoisie contre la bourgeoisie. Rapidement, la première contrôlera l'Assemblée forçant la seconde à s'abriter dans les conseils législatifs et exécutifs pour promouvoir ses intérêts. La structure de la formation sociale du Bas-Canada de 1800 à 1837 ne pouvait donc que favoriser la durcissement des luttes nationalistes. L'idéologie s'articulait ainsi, au plan économique, sur l'opposition de l'agriculture et du commerce du bois et, au niveau politique, à l'opposition des conseils et de l’Assemblée (sans responsabilité ministérielle). Ces trois niveaux ainsi articulés, déterminant l'existence d'une double structure de classe caractérisée par l'appartenance nationale, entraînent une lutte de classe doublée d'une lutte nationaliste de type indépendantiste (chez les Canadiens français) et assimilateur (chez les Canadiens anglais).

On voit donc comment le type de nationalisme ne peut s'analyser qu'en fonction de l'articulation de l'ensemble des structures de la formation sociale et des effets de celles-ci dans le champ de la lutte des classes.


Le Nationalisme de la petite-bourgeoisie traditionnelle


Après l'échec de 1837 et l'Acte d'Union de 1840 (note 9), réapparaîtra au Québec le nationalisme juridico-culturel. La renaissance de ce type qui constituera l'idéologie dominante de 1840 à 1960, ne peut s'expliquer que par l'étude de la classe qui l'exprime et plus largement, par les structures du mode de production capitaliste qui s'articulent à partir des années 1850.

Certains historiens comme Fernand Ouellet expliquent le changement de position de la petite-bourgeoisie sur la question nationale après 1840, par la leçon qu'elle aurait tirée de l'échec de l'insurrection. Selon Ouellet, les petits-bourgeois canadiens-français se rendent compte du caractère illusoire de leurs revendications indépendantistes. Ils acquièrent alors plus de « bon sens » (nous paraphrasons Ouellet) et décident d'entrer dans « le bon ordre » canadien. Mais cela ne suffit pas à expliquer le maintien du nationalisme juridico-politique pendant plus d'un siècle à titre d'idéologie dominante. C'est plutôt en faisant l'analyse structurale de la période 1840-1950 et en se centrant plus particulièrement sur la sous-période 1850-1867 que nous pourrons le comprendre.

Le Canada, après 1850, se trouve dans la nécessité d'articuler une économie proprement canadienne. Londres abolit, en effet, sa politique de protectionnisme à l'égard de ses colonies. Cette politique permettait aux produits du Canada d'échapper, sur le marché métropolitain, à la concurrence des produits des autres pays qui étaient assujettis à de lourds droits de douane. La bourgeoisie canadienne est alors forcée de subir la concurrence internationale. Cette transformation des rapports colonie-métropole aura pour effet de provoquer la création de l'État national canadien. Nous assistons alors à l'articulation du mode de production capitaliste et à l'apparition de la formation sociale canadienne qui unira éventuellement toutes les colonies du British North America. La constitution d'un marché national et d'un État fédéral centralisé aura donc pour effet de rendre la bourgeoisie canadienne moins dépendante et plus apte à promouvoir ses intérêts économiques. La création de l'État canadien consacrera la mise en tutelle déjà faite sous l'Union, de la formation sociale qui prendra le nom de Province de Québec. Le Québec devient une colonie intérieure du Canada au profit de la bourgeoisie industrielle canadienne, avec un État provincial doté de pouvoirs locaux. Cette structuration de la formation sociale canadienne a donc pour effet :

1 - d'assurer la domination de la bourgeoisie canadienne au Québec ;
2 - de diminuer largement le pouvoir économique et politique de la petite-bourgeoisie canadienne-française.

Ces petits-bourgeois ne s'appuieront plus que sur la petite entreprise très marginale centrée sur le milieu rural ou deviendront, dans les centres urbains, des sous-traitants des grandes entreprises canadiennes. Sur le plan politique, l'État provincial n'offre qu'un champ restreint de pouvoir et limite ainsi la pratique de la petite-bourgeoisie. Après 1840 et jusqu'aux années 1950, l'instauration au Québec d'un capitalisme industriel dépendant du Canada et d'une structure politique ne possédant que des pouvoirs régionaux ne pouvait s'articuler que sur un nationalisme de type juridico-culturel. La petite-bourgeoisie, effet de cette nouvelle structure, jouera désormais le rôle de classe régnante sous le contrôle de la bourgeoisie canadienne. Elle s'appuiera sur un nationalisme de type juridico-culturel définissant le groupe canadien-français comme une nation possédant le droit à l'autonomie (et non à l'autodétermination), ce qui lui permet de conserver ses droits et sa culture. Il faudra attendre une nouvelle classe sociale, placée dans une position stratégiquement différente, pour voir réapparaître de façon significative le nationalisme indépendantiste.


La Révolution tranquille ou le front bourgeois uni


Notons, avant d'aborder la période actuelle, que nous ne prétendons pas fournir une analyse exhaustive de la structure des classes au sein de la société québécoise contemporaine. Le Québec, comme toutes les sociétés actuellement dominées, constitue une formation sociale sous-étudiée. Nous sommes donc privés d'un instrument fondamental pour l'analyse des classes dans une perspective marxiste : un embryon d'analyse acceptable, sinon une étude complète, de la structure économique du Québec. Nous sommes donc forcés, au risque bien évident, mais inévitable, de les surestimer, de nous attacher aux effets politiques et idéologiques pertinents au niveau de la lutte des classes, en nous contentant provisoirement d'indices économiques assez flous. Soulignons aussi que l'absence dans la pensée actuelle, d'une théorie spécifique de la petite-bourgeoisie au sein d'une formation sociale dominée par le mode de production capitaliste monopoliste ne nous facilite nullement la tâche.

La période généralement connue sous le nom de « révolution tranquille » (1960-64) de même que la période suivante (1965-1970) illustrent de façon intéressante des thèses que nous avons présentées dans la première partie de cet article. On assiste dans la première période à l'accession au pouvoir politique de la petite-bourgeoisie canadienne française urbaine. Cette montée politique coïncide avec l'apparition et la diffusion d'une nouvelle idéologie à dominante nationaliste liée à cette classe. La seconde période se caractérise par l'apparition d'une scission qui se manifeste d'abord au niveau de la lutte idéologique pour se consommer au plan politique dans la création d'une nouvelle formation politique, le M.S.A. qui deviendra le Parti Québécois.

Pour comprendre les événements des deux périodes sur lesquelles nous nous attardons, il faut faire appel d'abord au phénomène très accusé de décalage entre l'économique d'une part et le politique et l'idéologique d'autre part qui marque la société québécoise durant toute la période précédente, de 1945 à 1960. Durant toute cette période on assiste à la disparition rapide de la petite-bourgeoisie traditionnelle fondée sur une économie à dominante agricole et sur la petite entreprise indépendante (petit commerce et professions libérales non salariées) ; l'hégémonie politique et idéologique de cette classe demeure cependant, malgré la perte d'assise économique.

La petite-bourgeoisie canadienne-française urbaine par ailleurs est largement majoritaire (par rapport à la précédente), au sein de la société québécoise, dès le début des années 50. Sa constitution est liée à l'industrialisation rapide que connaît le Québec au cours de cette période. Elle se forme, par conséquent, dans le contexte de l'économie capitaliste des monopoles et des grandes organisations publiques et privées, largement dominée par le capital étranger (américain et canadien). Cette nouvelle petite-bourgeoisie se manifeste très faiblement, jusqu'en 1960, dans les luttes politiques et idéologiques et ne parvient pas, malgré ses efforts à ébranler l'hégémonie politico-idéologique de la petite-bourgeoisie traditionnelle.

La Révolution tranquille n'est en fait que l'écroulement soudain de l'hégémonie politico-idéologique de la petite-bourgeoisie traditionnelle qui se concrétise par la victoire électorale du parti libéral en 1960. Au cours des quatre années suivantes cette classe va se constituer comme classe dominante au sein du groupe canadien-français en diffusant et en imposant son idéologie et en se consolidant comme classe régnante, au niveau politique.

Il est important de noter durant cette période dite de révolution tranquille, l'absence de lutte politique ou idéologique importante à l'intérieur de ce qu'on pourrait appeler le « bloc au pouvoir » dans la société québécoise. On se trouve en effet en face d'un front bourgeois uni qui s'explique par la disparition quasi totale de la petite-bourgeoisie traditionnelle canadienne-française, et surtout Par la prévalence, au cours de cette période d'une communauté d'intérêt entre les deux fractions principales de la nouvelle petite-bourgeoisie canadienne-française ; cette classe en effet se compose de deux fractions qu'il nous faut distinguer tout de suite étant donné leur importance politique dans la suite des événements que nous tentons d'analyser. La fraction la plus importante, du point de vue numérique, peut être qualifiée de « technocratique ». Elle s'est constituée au Québec, comme dans plusieurs autres pays, en tant qu'effet propre de certains aspects de la structure du mode de production capitaliste dans son stade avancé (capitalisme de grands monopoles privés ou étatiques). L'apparition des « technocrates » comme fraction de la bourgeoisie reflète aussi l'existence de nouvelles fonctions dans le processus de production capitaliste. Ces nouvelles fonctions correspondent à des besoins divers de gestion, d'administration, d'organisation et de planification de la production et de la consommation des biens matériels et symboliques. Elles impliquent une participation au pouvoir et traduisent une complexification de l'ancien rapport direct d'exploitation du travailleur salarié par le capitaliste propriétaire privé des moyens de production. A ce phénomène de l'extension des fonctions, il faut ajouter la transformation de l'un des termes du rapport : substitution au capitaliste privé, dans certains cas, de l'État-entrepreneur capitaliste collectif. Cette modification de la structure peut, selon nous, rendre compte de l'existence de cette fraction petite-bourgeoise technocratique. Celle-ci, est, au Québec, en majorité francophone, et se concentre dans le secteur public (Hydro-Québec, ministères, universités, organisations syndicales, etc.).

L'autre fraction de la petite-bourgeoisie est fondée d'une part sur la propriété privée (vs étatique) des moyens et d'autre part, sur les fonctions plus « classiques » de propriété et de propriété-direction de l'entreprise capitaliste moderne (vs les fonctions nouvelles décrites ci-haut). Cette fraction de la petite-bourgeoisie canadienne-française est numériquement assez faible ; elle se compose d'entrepreneurs (dans l'industrie, le commerce et les services), de financiers et de certains cadres supérieurs de grandes entreprises privées, qui sont généralement canadiennes ou américaines. A défaut d'un meilleur terme, nous parlerons à son sujet de fraction « néo-capitaliste ».

Certains s'étonneront peut-être que nous situions dans la petite-bourgeoisie des financiers et des entrepreneurs que d'aucuns auraient catégorisés comme moyens-bourgeois. Rappelons d'abord ce que nous soulignions plus haut à l'effet que nous nous attachions, pour l'analyse des classes durant cette période, aux effets politique et idéologique pertinents, par suite de l'absence d'une analyse adéquate de l'économie du Québec. Ajoutons ensuite que nous tentons ici de respecter l'esprit, sinon la lettre, de l'analyse que Marx faisait de la petite-bourgeoisie. Nous nous fondons sur le caractère d'intermédiaire et d'auxiliaire que Marx donnait à cette classe. Or, précisément, ces financiers et ces entrepreneurs canadiens-français sont extrêmement dépendants du capital canadien duquel ils sont le plus souvent des sous-traitants ou des appendices extrêmement minoritaires et peu influents des cartels financiers. Ceci les place dans une situation spécifique qui les différencie de la bourgeoisie ou de la moyenne bourgeoisie canadienne et les pousse à soutenir une pratique politique qui lui est propre, quoique extrêmement dépendante face à la classe dominante au Canada.

La période de la Révolution tranquille se caractérise par l'existence d'une pratique de classe et d'une idéologie commune aux deux fractions de la petite-bourgeoisie canadienne-française correspondant à leur situation et à leurs intérêts économiques et politiques de classe. C'est une idéologie nationaliste et néo-libérale qui articule ces deux éléments dans une combinaison originale. Le nationalisme est lié à la situation de dépendance économique dans laquelle se trouve cette petite-bourgeoisie en tant qu'appartenant au groupe canadien-français, situation qui la défavorise comme classe, aux plans de l'emploi de la promotion, des ressources, etc., si elle se compare, par exemple, aux petits-bourgeois canadiens-anglais. Par son néo-libéralisme, elle affirme à la fois la valorisation de la libre entreprise et des rapports de production capitaliste et la nécessité de l'intervention de l'État dans l'économie, intervention répondant à des besoins de régulation, d'incitation, d'aménagement, d'animation, etc. Cette conception néo-libérale du rôle de l'État est également liée à la promotion de ses intérêts, non seulement de petite-bourgeoisie, mais principalement de petite-bourgeoisie dominée et défavorisée. Elle voudrait se servir de l'État pour planifier, inciter, régulariser, aménager, etc., avec l'objectif principal de rétablir l'équilibre rompu par la domination anglaise. Ainsi l'élément nationaliste et l'élément bourgeois de l'idéologie sont-ils indissociablement liés dans un seul et unique projet de classe.

Nous croyons que l'on peut interpréter ainsi la plupart des réformes exigées ou réalisées par cette classe - ou pour elle - au cours de la période considérée. Le rapatriement de certains pouvoirs ou de certains capitaux du gouvernement fédéral à celui de Québec (concrétisation du slogan « Maîtres Chez Nous »), la création de la Société Générale de Financement, la refonte du système d'éducation, la création des conseils d'orientation économique, provinciaux et régionaux, les efforts d'aménagement du territoire au niveau régional, la nationalisation de l'électricité, etc., auront comme conséquence pratique l'amélioration de la situation économique et sociale de l'ensemble de la petite-bourgeoisie canadienne-française. Cet objectif sera atteint par divers moyens : création d'emplois de cadres publics ou privés, disponibilité de capitaux, meilleure préparation pour l'emploi, etc. Il faut y ajouter aussi les réformes obtenues du Gouvernement fédéral ; création de la Commission sur le Bilinguisme et le Bi-culturalisme, facilitation à l'embauche et à la promotion des Canadiens-français dans la fonction publique fédérale, etc.

On voit clairement comment cette idéologie et cette pratique servent les intérêts des deux fractions de la petite-bourgeoisie francophone, tant ceux des technocrates que des petits industriels et financiers qui s'étaient sentis défavorisés et ralentis dans leur promotion en tant que petits-bourgeois francophones par l'existence d'une bourgeoisie anglophone toute-puissante d'une part, et par le caractère réactionnaire des politiques de la petite-bourgeoisie traditionnelle.

En ce qui concerne la bourgeoisie anglophone, il est bien clair. que les changements qui accompagnent la Révolution tranquille lui sont généralement favorables (bien qu'elle n'en soit pas directement l'initiatrice). Il faut se rappeler à cet égard l'appui anglophone donné au Parti Libéral et la participation active et enthousiaste de la bourgeoisie anglophone à plusieurs initiatives de ce gouvernement. Bien que les réformes effectuées visent avant tout à promouvoir les intérêts de la petite-bourgeoisie francophone, dans la perspective de l'idéologie nationaliste, elles servent en même temps les intérêts de la bourgeoisie anglophone, intérêts de classe complémentaires plutôt qu'opposés, et également ceux de la bourgeoisie américaine impérialiste. Ces classes, en effet, ont tout intérêt à ce que s'instaure, au Québec, un État « moderne » de type néo-libéral, qui puisse veiller (de concert avec l'État fédéral) à la rationalisation et au bon fonctionnement de l'économie capitaliste dont elles profitent. La bourgeoisie anglophone, comme la fraction néo-capitaliste de la petite-bourgeoisie francophone ne se sentira sérieusement menacée dans ses intérêts. propres que lorsque la fraction technocratique de la petite-bourgeoisie francophone tentera d'accéder à l'hégémonie politico-idéologique.

Cette scission entre les deux fractions de la nouvelle petite-bourgeoisie francophone devient visible, au plan idéologique, vers la fin de 1964 et elle coïncide avec ce que l'on a appelé la fin de la Révolution tranquille ou le début de la « réaction » (dans le langage de la fraction technocratique). Le conflit des deux fractions se manifeste principalement sur le terrain de l'idéologie nationaliste : la fraction technocratique semble vouloir pousser plus loin les revendications nationalistes tandis que la fraction néo-capitaliste semble désireuse de maintenir le statu-quo idéologique et refuse catégoriquement toute tentative de dépasser le seuil des revendications nationalistes déjà atteint.


La scission bourgeoise et la lutte pour l'hégémonie


On assistera dès lors pendant toute la période 1965-1970 à l'élargissement de ce conflit interne entre fractions petites-bourgeoises, conflit pour l'hégémonie politique et idéologique de la société québécoise qui culminera, au plan politique dans la création du M.S.A. puis du Parti Québécois, représentant la formation politique propre de la fraction technocratique et l'expression cohérente de son idéologie dans un programme politique articulé. L'opposition entre les deux fractions sur le plan idéologique, s'exprime, au Québec, dans les moyens privilégiés par l'une ou l'autre pour promouvoir ses intérêts économiques et politiques de classe à l'intérieur du système des rapports capitalistes que nous avons décrits. l'État est envisagé par la fraction technocratique comme l'instrument principal de la promotion économique par ses fonctions d'entrepreneur-employeur ; de là son insistance sur le renforcement de l'État québécois par le biais de l'indépendance politique par rapport à l'État fédéral. (l'État entrepreneur-employeur de la petite-bourgeoisie technocratique francophone ne peut être évidemment que l'État québécois.) Cette opération vise à renforcer principalement les fonctions économiques de l'État : son rôle d'entrepreneur capitaliste d'une part et d'agent de développement et de « rationalisation » de l'économie d'autre part (planification, sécurité sociale, relations ouvrières-patronales, etc.). À la limite, le projet de la bourgeoisie technocratique vise à établir l'hégémonie de cette fraction sur le bloc bourgeois, ce qui se réaliserait dans un système où le capitalisme monopoliste d'État serait dominant.

Elle tente présentement de pousser plus loin les tendances au capitalisme d'État inhérentes au stade actuel du capitalisme monopoliste impérialiste. Et ce, parce que cette tendance peut promouvoir ses intérêts en tant que petite-bourgeoisie francophone dominée dans la double structure de classes. L'existence au Québec, d'un phénomène de domination nationale, rend compte de cette tendance, unique en Amérique du Nord et propre à certains pays capitalistes européens, à déplacer l'indice de domination structurelle vers le politique, c'est-à-dire, à accroître l'importance des fonctions économiques, culturelles et idéologiques de l'État.

On peut comprendre ainsi le conflit d'intérêt possible entre la fraction technocratique et la fraction néo-capitaliste de la petite-bourgeoisie francophone, de même qu'entre la fraction technocratique francophone et la grande bourgeoisie anglophone.

La contradiction possible entre les deux fractions est toutefois particulièrement complexe dans le cas du Québec à cause de la situation nationale qui pousse la fraction technocratique francophone à accentuer les tendances de l'économie au capitalisme d'État. En effet, dans la mesure où la petite-bourgeoisie technocratique francophone ne peut promouvoir ses intérêts de classe qu'en renforçant l'État québécois (indépendantisme), ce qui signifie en fait constituer le Québec en nation véritable, la fraction néo-capitaliste canadienne-française peut-être menacée dans ses intérêts de classe. La fraction néo-capitaliste francophone a également besoin de l'État québécois pour améliorer sa situation économique qui demeure toujours précaire face aux intérêts tout-puissants de grands capitalistes américains et canadiens. Le cas de la Société Générale de Financement montre comment l'État peut ainsi servir ses intérêts. Mais la petite-bourgeoisie néo-capitaliste francophone a également besoin de l'État fédéral qui possède les principaux leviers économiques et veille au bon fonctionnement de l'ensemble de l'économie capitaliste canadienne. Son intérêt au maintien de l'État fédéral coïncide ainsi avec celui de la bourgeoisie anglophone. Par ailleurs, la petite-bourgeoisie néo-capitaliste francophone ne peut se passer de l'appui de la grande bourgeoisie anglophone à laquelle ses intérêts économiques sont étroitement liés. Elle tient d'ailleurs le rôle de classe au niveau des gouvernements fédéral et surtout provincial.

Tous ces facteurs peuvent rendre compte de l'opposition de la petite-bourgeoisie néo-capitaliste au projet indépendantiste de la fraction technocratique. En termes plus concrets, l'État québécois néo-libéral suffit, tel qu'il est, à ses besoins. Aussi longtemps que l'État fédéral et la bourgeoisie anglophone veilleront à ce qu'elle ne soit pas « trop défavorisée » en tant que francophone, elle refusera de s'engager dans une lutte de classes à caractère national. La fraction néo-capitaliste de la petite-bourgeoisie, étant donné son caractère de classe et sa dépendance économique, ne peut viser à la constitution du Québec en nation ; la « nation tronquée » lui convient, du moins à court terme. Ceci n'exclue pas, bien, au contraire, une valorisation particulière de divers aspects nationaux (nationalisme), mais une insistance sur les aspects culturels, linguistiques et juridiques plutôt que sur les aspects politiques. Le premier ministre Trudeau exprime exactement les conséquences politiques de cette position : « un seul Canada uni dans le respect total des droits linguistiques et culturels des deux groupes ».

On retrouve donc deux types d'idéologies nationalistes canadiennes-françaises propres aux deux fractions de la nouvelle petite-bourgeoisie francophone et correspondant, dans chaque cas, à leurs intérêts respectifs et à leurs alliances tactiques en tant que fractions de classe : du côté de la fraction néo-capitaliste, le nationalisme juridico-culturel trudeauiste, du côté technocratique, l'indépendantisme politique péquiste.


La Classe ouvrière et le Nationalisme


Il semble que dans la société québécoise, au cours de la période considérée, il n'existe pas de nationalisme propre aux classes autres que la petite-bourgeoisie tout comme il n'existe pas d'ailleurs, de discours idéologique, en général, qui leur soit propre. La classe ouvrière, et les agriculteurs constituent les classes dominées du système néo-capitaliste tant sur le plan de l'idéologie, que sur les plans politique et économique. Ces trois types de domination sont nécessairement liés, articulés et interdépendants, étant donnée la structure de tout mode de production. C'est le cas entre autres de l'idéologie du syndicalisme connue dans la littérature marxiste sous le vocable « d'économisme ». D'autre part, l'existence du conflit de classes au plan idéologique semble se manifester, non par l'affrontement de deux idéologies de classes structurées, mais tout au plus par une sorte de résistance que les classes dominées parviennent à opposer, dans certains cas, à la pénétration de certains éléments de l'idéologie dominante. Le cas du nationalisme au Québec en constitue un exemple intéressant.

On peut dire que durant toute la période de la Révolution tranquille, au Québec, les classes ouvrières et agricoles sont demeurées tout à fait imperméables à l'idéologie nationaliste petite-bourgeoise. Elles ont ressenti par ailleurs, avec acuité, les conséquences des réformes initiées par la petite-bourgeoisie au profit de ses intérêts de classe ; ces réformes ont été payées pour une bonne part par les classes dominées : surcroît de taxes et d'impôts, bouleversement de leur mode de vie traditionnel, etc. Dans les cas où les mesures réalisées n'allaient pas carrément à l'encontre de leurs intérêts, elles ne répondaient toutefois pas à leurs aspirations et à leurs besoins les plus aigus (problèmes d'emploi, de logement, d'endettement, conditions de travail, etc.). N'ayant pas d'organisation politique propre, indépendante des partis bourgeois, les classes ouvrières et agricoles ne peuvent exprimer politiquement leur opposition qu'en modifiant l'équilibre existant entre ces partis bourgeois au moyen du jeu électoral. C'est ainsi que servant de classes-appuis à l'Union nationale, elles précipitèrent la défaite du parti au pouvoir en 1966. Il faut cependant noter que cette capacité de modifier l'équilibre politique ne signifie nullement que les classes dominées détiennent un pouvoir politique. La preuve en est que le parti ainsi placé au pouvoir continuera à servir les intérêts de la classe dominante et de ses fractions.

Le phénomène de « freinage nationaliste » qui succède à la Révolution tranquille ne coïncide pas avec le changement électoral de 1966, mais s'amorce en 1964 et correspond au début de la lutte ouverte entre les fractions internes de la nouvelle petite-bourgeoisie canadienne-française. Dans les termes de cette lutte interne, la période 64-66 correspond à la domination politique de la fraction néo-capitaliste (appuyée sur la bourgeoisie anglophone), la période principale du règne du Parti de l'Union Nationale (67-70) correspond plutôt au glissement de la lutte vers une sorte d'équilibre politique entre les deux fractions néo-capitaliste et technocratique. Cette situation de quasi-équilibre a pour effet principal de paralyser le gouvernement sur le plan de l'action, ce qui s'exprime dans le commentaire le plus fréquent qu'on ait entendu au sujet de l'Union Nationale : « ils n'ont rien fait ! »... Rien fait pour les classes ouvrière et agricole qui les ont portés au pouvoir, rien fait en particulier pour la fraction bourgeoise technocratique, rien fait non plus pour la fraction néo-capitaliste, sinon maintenir le statu-quo minimum correspondant à leurs intérêts communs minimaux. Il serait donc faux de dire que le parti de l'Union Nationale de 66 à 70 a été le représentant (au sens strict) d'une classe ou d'une fraction de classe ; l'Union Nationale a manifesté et reflété, sur le plan politique, une situation d'équilibre entre les forces conflictuelles en présence.

L'Union Nationale représente donc, au cours de cette période, un effet propre de la structure politique québécoise. Ce parti a constitué, de 1936 à 1960, la formation politique de la petite-bourgeoisie traditionnelle qui a disparu par la suite. Mais l'Union Nationale a pu se maintenir grâce au bi-partisme des structures politiques québécoises et profite, comme nous l'avons montré, du mécontentement populaire et de la division de la petite-bourgeoisie, à partir de 1964. C'est ce qui explique d'une part, sa prise du pouvoir en 1966 et d'autre part, ses oscillations répétées entre l'idépendantisme et le fédéralisme : Ces oscillations, que la plupart ont interprétées comme manifestant une politique de pur opportunisme, ne pouvaient s'expliquer qu'en fonction de la conjoncture d'équilibre entre les deux fractions de la petite-bourgeoisie. L'Union Nationale, de 1966 à 1970, a eu principalement pour rôle de maintenir cet équilibre. On ne saurait toutefois considérer cet équilibre politique comme le reflet d'un équilibre similaire sur le plan économique ; il est bien clair, en effet, que le pouvoir économique demeure aux mains des bourgeoisies canadienne anglaise et américaine.

Les élections d'avril 1970 devaient cependant être à cet égard un révélateur intéressant. Elles ont montré comment la bourgeoisie canadienne constituait, dans cette conjoncture d'équilibre, l'arbitre suprême entre les deux fractions de la petite-bourgeoisie québécoise. Son soutien financier et idéologique sans équivoque qui provoqua, entre autres phénomènes, l'appui quasi aveugle de la population anglophone du Québec au Parti Libéral, joints à une carte électorale vétuste, devaient assurer le pouvoir à cette dernière formation politique. Le scrutin devait pourtant fournir un autre indice permettant de confirmer l'état d'équilibre entre les deux fractions au sein de la société francophone. Si l'on s'en tient aux seules voix exprimées par les Québécois français, on peut en effet constater que le parti Québécois et le Parti Libéral ont attiré le même pourcentage d'électeurs (soit respectivement environ 24 % et 25 % du suffrage global). Les comtés petits-bourgeois de Montréal ont, à cet égard, permis d'assister à des luttes épiques, les candidats de ces deux partis arrivant nez-à-nez. Le candidat libéral l'emporta dans chaque cas, profitant le plus souvent d'un appui massif des néo-canadiens, auprès desquels l'appareil de propagande de son parti s'était livré durant toute la campagne à des pressions idéologiques atteignant dans certains cas un degré de démagogie difficilement dépassable.

Il reste que cet équilibre tant politique qu'idéologique entre les fractions de la petite-bourgeoisie est présentement en voie de se modifier au profit de la fraction technocratique. Cette fraction qui s'était déjà sentie assez forte pour former son propre parti, s'est engagée avec beaucoup de succès dans la lutte électorale. Toutefois, comme toute formation politique, le Parti Québécois ne peut prendre le pouvoir qu'en s'appuyant sur une forte proportion de la classe ouvrière et des agriculteurs. Or tout semble indiquer que ce parti pourrait compter, à plus ou moins long terme, sur un tel support électoral (dans une mesure qu'il serait difficile à préciser ici). Doit-on en conclure que, pour la première fois depuis 1960, les classes dominées auraient tendance à adopter l'idéologie nationaliste de la petite-bourgeoisie, plus précisément celle de sa fraction technocratique ? Nous croyons que l'appui donné au Parti Québécois par les ouvriers et les agriculteurs ne peut être interprété de cette façon. Il s'agit du même phénomène politique que l'appui donné à l'Union Nationale en 1966 ou que l'appui au Crédit Social aux élections fédérales durant les années 1960. N'ayant pas d'idéologie et de pratique politique propres, ces classes dominées expriment leur mécontentement, leur opposition, leurs aspirations, en modifiant l'équilibre entre les partis bourgeois par l'appui électoral à l'un d'entre eux. L'idéologie du parti en question et son nationalisme en particulier ont, somme toute, assez peu d'importance puisque ces classes peuvent se tourner aussi rapidement du Crédit Social et de l'Union Nationale au Parti Québécois, sans parler du vote trudeauiste de 1968. Il suffit que le parti en question fasse appel assez habilement au mécontentement et à l'exploitation que ces classes subissent pour qu'elles soient prêtes à endosser les solutions proposées, quelles qu'elles soient : distribution de pouvoir d'achat, indépendance du Québec ou autres !

C'est donc dans cette perspective bien particulière que les classes dominées sont susceptibles de donner un appui significatif au Parti Québécois, l'ampleur ou la force de cet appui ne modifiant nullement ses véritables racines. Ces classes peuvent endosser l'indépendance comme moyen possible, sinon probable, d'améliorer leur sort ou, du moins, d'éviter qu'il n'empire.

Le fait que lors de la dernière élection, le Parti Québécois ait fait élire la majorité de ses députés dans des comtés ouvriers, n'infirme nullement les hypothèses proposées jusqu'ici. Nous croyons au contraire, qu'il était tout à fait prévisible que le Parti Québécois reçoive un appui important de la classe ouvrière ; d'une part, à cause du comportement électoral traditionnel de cette classe et, d'autre part, à cause de la conjoncture politique dans laquelle la société québécoise s'était engagée. Comme nous le faisions remarquer plus haut, les classes dominées au Québec, n'ayant pas d'idéologie et de formation politique qui leur soit propres, ne peuvent qu'exprimer leur mécontentement et leur frustration en jetant le poids de leur exaspération dans la balance électorale de la démocratie bourgeoise. Mais la foire aux suffrages constitue pour elles un marché de dupes, car les classes dominantes, cachées derrière leurs différentes formations politiques, en sortent toujours victorieuses.

La dernière élection a effectivement marqué un changement, mais un changement provoqué par la petite-bourgeoisie et correspondant à ses intérêts. Nous avons fait remarquer plus haut que l'Union Nationale avait pu survivre politiquement en profitant du fait que la formation politique de la petite-bourgeoisie technocratique n'avait pas encore subi le test électoral. Détenant le pouvoir de 1966 à 1970, elle a pratiqué une politique d'atermoiements qui correspondait à l'équilibre existant entre les deux fractions de la petite-bourgeoisie. Son effondrement lors de la dernière élection marque la fin de la conjoncture spécifique qui lui avait permis de survivre (note 10). Maintenant que la petite-bourgeoisie technocratique possède sa propre formation politique et que la fraction néo-capitaliste a clairement rallié le Parti Libéral, les luttes entre la bourgeoisie et les fractions de la petite-bourgeoisie se mèneront par leur intermédiaire. Il en résulte que le vote de la classe ouvrière sera maintenant divisé entre le Parti Libéral et le Parti Québécois et celui de la paysannerie entre le Parti Libéral et le Crédit Social (note 11) suivant le mécanisme traditionnel du comportement électoral qui caractérise les classes dominées au Québec. Aussi, le fait qu'une partie de la classe ouvrière et de la Paysannerie ait voté pour de nouveaux partis (le P.Q. et le C.S.) n'est-il pas le signe d'un changement fondamental dans les positions politiques de ces classes ? Que ces deux partis existent, reçoivent des votes et fassent élire des députés montre un réalignement des forces à l'intérieur des classes dominantes, un réalignement que les classes dominées ont subi., confirmé et Pour lequel elles ont payé.

On a affirmé que le Parti Québécois avait perdu son caractère petit-bourgeois, parce qu'une majorité de ses membres représentent des circonscriptions ouvrières. Cette affirmation ne résiste pas à une analyse sérieuse.

On a tendance à oublier facilement que le Parti Québécois a aussi obtenu un très fort pourcentage de vote dans les circonscriptions petites-bourgeoises, où il n'a pu faire élire de députés. De plus, dans les comtés où le Parti Québécois a réussi à faire élire ses candidats, il a profité d'une division importante des votes entre les partis en présence et les majorités obtenues par le candidat élu furent, dans certains cas, extrêmement minces.

Il est possible que la petite-bourgeoisie canadienne paysanne ait réussi à imposer son idéologie à une partie de la classe ouvrière; pour cette dernière, cela ne signifierait que l'imposition d'un nouveau type de domination idéologique. Mais il est également possible de penser que cette partie de la classe ouvrière a donné son vote, mais non son appui idéologique au Parti Québécois. S'il en est ainsi, il s'agirait d'un autre exemple de l'impuissance des classes dominées au sein de la démocratie bourgeoise.

On ne trouve donc pas, au Québec, une idéologie nationaliste ou une idéologie comportant des éléments nationalistes qui soit propre aux classes dominées (note 12). On ne peut que repérer certains intérêts, certaines aspirations économiques, politiques et culturelles propres aux classes dominées et liées à leur situation ; ces intérêts seraient susceptibles de s'exprimer sous forme d'éléments nationalistes intégrés à une idéologie propre à ces classes. Nous avons constaté l'absence d'une telle idéologie propre aux classes dominées i.e. non-intégrée à l'idéologie des classes dominantes mais s'opposant à elles. Une telle idéologie serait par définition révolutionnaire et serait fonction d'une situation où la lutte des classes dominées contre les classes dominantes aurait atteint le stade révolutionnaire. L'analyse d'une telle situation révolutionnaire et de son éventualité n'entre pas dans le cadre de cet article.

Quelle serait la forme de nationalisme propre à la classe ouvrière ou à la classe agricole au Québec ? Nous ne saurions la définir de façon précise sans tomber dans un « prophétisme sociologique ». Nous ne croyons pas non plus qu'on puisse identifier « à l'avance » le nationalisme révolutionnaire des classes exploitées à l'idéologie préconisée par les divers mouvements et groupes de gauche au Québec. On peut cependant penser que le nationalisme révolutionnaire des classes exploitées se rapprocherait dans une certaine mesure du nationalisme de gauche défini, en général, par ces divers groupes. On peut penser en effet que pour les ouvriers québécois la libération de l'exploitation économique, la prise du pouvoir politique, l'affirmation idéologique, en d'autres termes, la révolution globale, ne peut se réaliser à court et à long terme sans que soit renversé le triple aspect de la domination qui l'empêche : celle de la bourgeoisie américaine impérialiste et de ses intermédiaires : la bourgeoisie anglo-canadienne et les classes petites-bourgeoises. Il est donc prévisible que l'idéologie révolutionnaire des classes dominées au Québec soit à la fois anti-bourgeoise, anti-impérialiste et nationaliste. Ce nationalisme, de par son intégration à une idéologie révolutionnaire, mettrait à la fois l'accent sur les aspects économiques, politico-juridiques et culturels de la nation. Et ceci, contrairement aux nationalismes précédents lesquels, comme nous l'avons vu, ont tendance à accentuer les aspects politiques.


Note sur la crise d'octobre 1970


C'est dans cette conjoncture politique que le Front de Libération du Québec a choisi d'agir et son intervention a mis à nu les contradictions que nous avons analysées jusqu'ici. La faiblesse du Front, sur le plan du nombre et de l'organisation, et l'absence de soutien effectif de la population à son endroit - malgré la sympathie déclarée de certains groupes d'ouvriers, d'étudiants et d'intellectuels - ont facilité au pouvoir fédéral la mise en œuvre de moyens extraordinaires pour sauvegarder les intérêts économiques et politiques de la bourgeoisie canadienne comme intermédiaire des monopoles impérialistes. Les enlèvements ont servi de prétexte au gouvernement Trudeau pour déclencher une opération de répression d'une envergure insoupçonnable, jusque-là, au sein de la démocratie libérale canadienne. Le but visé semble avoir été double : d'une part, désorganiser complètement toute forme d'action de gauche au Québec et, d'autre part, discréditer le Parti Québécois auprès de la population, en tentant de le relier indirectement aux événements. Le gouvernement fédéral a pu, pour atteindre ces fins, s'appuyer sur le gouvernement provincial où le Parti Libéral est voué, comme on l'a vu, aux intérêts du fédéralisme et des classes qui le soutiennent.

La gauche québécoise lie disposait d'aucune organisation solide qui lui soit propre et une grande partie des militants se retrouvaient dans les mouvements politiques et syndicaux contrôlés par la petite-bourgeoisie canadienne-française. Il s'agissait principalement du Parti Québécois de René Lévesque, du Front d'Action Politique (parti politique d'opposition à Montréal se présentant sous la bannière des salariés pour la démocratisation et la réforme de l'administration municipale), le Conseil Central de Montréal (appareil syndical le plus engagé dans le combat socialiste, regroupant les syndicats affiliés à la CSN de la région de Montréal), et les comités de citoyens (regroupements de résidents des quartiers populaires pour la défense de leurs intérêts socio-économiques): Il faut toutefois noter, à côté de ces organisations, la présence de quelques formations de gauche autonomes ne disposant cependant que d'une base militante assez restreinte.

Malgré sa faiblesse (numérique et politique) la gauche n'en constituait pas moins une certaine menace pour les pouvoirs provincial et fédéral soutenus par la petite-bourgeoisie néo-capitaliste canadienne-française et la bourgeoisie canadienne-anglaise. En effet, les conséquences de la conjoncture économique nord-américaine sont présentement désastreuses pour le Québec et les contradictions de la « société d'opulence » s'y manifestent avec acuité. Les forces fédéralistes par ailleurs, ont toujours fondé leur propagande politique au Québec sur ce qu'elles appellent « les réalités économiques ». Lors de la dernière campagne électorale provinciale, le Parti Libéral a fondé sa propagande d'opposition aux thèses indépendantistes du Parti Québécois, en affirmant la possibilité de la réussite économique des canadiens-français au sein de la Confédération, en brandissant le spectre de la dépression économique au sein d'un Québec indépendant et, surtout, en promettant la création de 100.000 nouveaux emplois. Il est clair que la conjoncture économique rend illusoire ce type de promesse électorale et provoque, au contraire, l'augmentation du chômage et la stagnation du développement. La gauche, malgré sa faiblesse, trouvait là, un terrain particulièrement propice au travail politique et. tentait, de façon relativement chaotique mais assez efficace, de profiter au maximum de cette conjoncture. Le succès relatif de la gauche au sein du Front d'Action politique, des comités de citoyens et du Parti Québécois en témoigne.

Si l'objectif des forces fédéralistes était de briser l'hégémonie que tentait d'établir le Parti Québécois, cette opération antipéquiste doit être considérée comme un échec. On sait que la stratégie de ce parti est de constituer un bloc de centre gauche ayant pour objectif l'indépendance du Québec. C'est en ce sens que ses leaders ont toujours maintenu des positions relativement modérées, tout en incitant les militants de gauche à travailler dans ses rangs, auprès de la population. En s'attaquant à ces militants, à certains députés ou personnalités du parti, ainsi qu'au Front d'Action politique à Montréal, qui était plus ou moins lié au Parti Québécois, du moins dans l'esprit de la population, le pouvoir fédéral a tenté de bloquer l'hégémonie que la petite-bourgeoisie technocratique établissait peu à peu depuis la fondation de son parti. Il s'agissait de démanteler son réseau de propagande auprès des classes dominées, de lui faire perdre sa crédibilité auprès de l'électorat et d'empêcher que les éléments petits-bourgeois hésitants ne passent sous sa domination.

Quoiqu'il soit encore un peu tôt pour porter un jugement définitif, il semble maintenant clair que l'opération ait été non seulement un échec complet, mais qu'elle ait accéléré le mouvement d'imposition de l'hégémonie de la petite-bourgeoisie technocratique. Loin de se placer sur des positions de repli, cette dernière s'est, au contraire, servi des événements pour renforcer sa position en maintenant intégralement la politique suivie depuis la constitution du mouvement indépendantiste. Le Parti Québécois a refusé de se séparer de sa gauche et il a regroupé l'opposition petite-bourgeoise autour de la lutte contre les mesures de répression. La petite-bourgeoisie technocratique semble donc être sortie victorieuse de l'affrontement et avoir renforcé ses positions en accélérant le mouvement d'imposition de son hégémonie. Sa propagande se formule maintenant dans les termes suivants : l'indépendance avec le Parti Québécois ou le chaos et le terrorisme. La position du Parti Québécois fut d'autant plus favorisée que les événements ont montré jusqu'à quel point la petite-bourgeoisie néo-capitaliste subissait le joug du pouvoir fédéral et de la bourgeoisie anglophone. Le Parti Libéral provincial n'a servi en effet, que de courroie de transmission politique du pouvoir central, fidèle en cela aux intérêts économiques de la fraction de classe dont il est la formation politique.

Par ailleurs, la répression a frappé durement et désorganisé, à court terme, la gauche radicale qui subsistait à l'extérieur du Parti Québécois, refusant de pratiquer une politique d'entrisme qui n'aurait pour résultat que de cautionner l'idéologie nationaliste petite-bourgeoise. Plusieurs militants du F.L.Q. et d'autres groupes sont encore jugés et détenus en prison, souvent même au mépris des principes les plus élémentaires de la justice bourgeoise. On doit cependant noter que la crise d'octobre a provoqué l'éclatement du Front d'Action politique à Montréal et que certains des cadres petits-bourgeois progressistes du mouvement lui ont retiré soutien et caution. Ce mouvement est ainsi susceptible de passer sous le contrôle effectif des militants révolutionnaires et de constituer la base d'une nouvelle formation ouvrière de gauche autonome. Les nouvelles conditions de la lutte révolutionnaire au Québec - répression, censure et violence organisée du système - obligent maintenant la gauche québécoise à s'engager dans une lutte pour l'établissement du socialisme qui sera aussi dure et aussi radicale que celle des forces révolutionnaires qui, partout dans le monde, conjuguent leurs assauts contre l'impérialisme sous ses divers masques « nationaux » (note 13).

Retour au texte de Gilles Bourque (UQAM) et Nicole Laurin-Frenette (U. de Montréal) sociologues Dernière mise à jour de cette page le Vendredi 11 juillet 2003 15:28
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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