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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

À BÂTONS ROMPUS SUR LA JUSTICE... et le droit du travail. (1988)
Avant-propos


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Marc Brière, À BÂTONS ROMPUS SUR LA JUSTICE... et le droit du travail. Montréal: Wilson & Lafleur, Ltée, Montréal, 1988, 171 pp. Une édition numérique réalisée par Gemma Paquet, bénévole, professeure de soins infirmiers retraitée du Cégep de Chicoutimi. [Autorisation accordée par M. Marc Brière, le 18 octobre 2006 de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

[xi]

À bâtons rompus sur la justice…
et le droit du travail


Avant-propos

SOUS TOUTE RÉSERVE !
MAIS SANS DÉROBADE


« Le droit a quelque chose des ambivalences de l'amour qui peut atteindre le sublime, et aussi jeter dans l'abîme. »
Jacques Grand’Maison
De quel droit ?

« Tous ceux qui se dérobent derrière leur rôle font obstacle. »
Paul Chamberland
Terre souveraine


En dehors des jugements qu'il est appelé à prononcer, le juge ressent toujours quelque embarras à publier ses opinions : réserve oblige plus que noblesse.

Il y a huit ans, je ne me risquais pas moins à un premier effort, somme toute assez naïf, d'écriture : Un nouveau contrat social, chez Leméac, et dont Jacques Grand’Maison écrivait la seconde partie, un essai de définition des grandes lignes d'un projet de société valable.

En guise d'avant-propos à la présente publication j'ai pensé reprendre les quelques lignes suivantes :

« Mes collègues du Tribunal ne le savent que trop, je suis en quelque sorte un dissident, en quête de nouvelles convergences. Je suis un marginal à la recherche de l'essentiel, du centre, du coeur des choses et des hommes. Un juge en recherche de justice, pour libérer l'homme de quelques dominances. Je ne dis pas cela par prétention, mais par prévention : mon propos ne sera pas nécessairement conforme à la jurisprudence établie.

D'ailleurs, je n'ai jamais pensé que nos jugements devaient avoir le caractère de vérités absolues ou définitives. Leur autorité est bien relative, [xii] non seulement dans les cas d'espèce qu'ils ont pour première fonction de trancher à l'égard des seules parties en cause, mais surtout dans leur dimension plus générale où ils ne sont que des jalons de recherche vers une meilleure justice et une meilleure compréhension de la réalité vécue.

Certes, il sera bien question de droit, de droit du travail - le contraire n'eût-il pas été étonnant d'un juge ? Car le droit est un élément important de la dynamique actuelle et future des sociétés. Tout particulièrement, le droit du travail. Car c'est le travail, ses relations et son droit qui définiront, en tout premier lieu, les sociétés à venir.

Le droit, ce n'est pas seulement les lois. Car, si la législation est la source principale du droit, elle n'en est pas la seule, surtout peut-être en droit du travail, où la législation est souvent embryonnaire, n'offrant qu'un cadre juridique aux relations de travail, et où la réalité vécue dans l'interprétation jurisprudentielle et dans les rapports de force quotidiens dépasse largement celle des lois et leur fiction. Le droit comporte nécessairement une certaine rigidité, un certain dynamisme statique tendant à la conservation du précédent et, au-delà du système, afin d'assurer aux divers agents une certaine sécurité résultant de la connaissance de règles du jeu qui soient stables.

Mais la réalité des relations de travail - d'une mouvance quasi infinie malgré le perpétuel recommencement, semble-t-il, des mêmes luttes - cette réalité mouvante tolère mal d'être réduite à de  simples problèmes juridiques, qui la trahissent forcément. Non pas qu'elle  ne puisse être et ne doive se mouvoir à l'intérieur d'un cadre  juridique. C'est un cas où le media ne peut être le message. Le contenant ne peut être le  contenu. Or, le droit contenant a trop souvent tendance à se prendre pour le contenu.

Selon le grand juriste américain Holmes : « The law never is, it is always about to be » - le droit n'est jamais, il est toujours sur le point d'être. C'est qu'il se fait de jour en jour par l'activité de tous. C'est pourquoi les lois sont généralement en retard sur le droit.

Selon Soljenitsyne, « Le droit est trop froid et trop formel pour exercer sur la société une influence bénéfique. Lorsque toute la vie est pénétrée de rapports juridiques, il se crée une atmosphère de médiocrité morale qui asphyxie les meilleurs élans de l'homme. » Certes, la passion de l'égalité pousse les sociétés à recourir de plus en plus à la loi « pour réprimer des abus, venir en aide aux plus faibles, contenir les ambitions des puissants » ; et il est vrai que « le juridisme pourrait bien mener à une société surréglementée, paralysée dans ses initiatives, dégoûtée d'entreprendre, sachant qu'il faut mettre le meilleur de ses énergies à arracher [xiii] des concessions à l'État, à surveiller les autres groupes, à obtenir des subventions. »

Mais il ne faut pas confondre juridisme ou légalisme, qui sont les mauvais esprits des lois, avec la loi elle-même et le droit ; si ceux-ci peuvent être facteurs d'asservissement, ils peuvent  aussi être des conditions indispensables de liberté et de justice, d'ordre et de progrès. Les esprits moroses ou sceptiques  diront, dans un accès de réalisme, « qu'il ne faut pas trop espérer du politique ». Mais, au-delà de l'univers intime de chacun, où toute politique devra trouver sa source vive et sa raison d'être, la politique, dont je ne saurais vous parler   davantage puisque réserve oblige, n'est-elle pas la grande oeuvre de l'homme à travers ses constitutions et ses référendums, à travers son droit civil et ses législations sociales, à travers notamment son droit du travail ? »

Cela dit, la réalité vécue dépasse largement le droit, même si celui-ci doit y correspondre le plus possible, non seulement en tant que reflet et aboutissement, mais aussi en tant que dynamique d'évolution. C'est pourquoi il m'apparaît essentiel que tous les principaux acteurs participent à cette dynamique, non seulement en tant que plaideurs ou justiciables, mais aussi comme citoyens, et qu'à ce titre ils prennent part à la réflexion et à la discussion que l'élaboration des politiques administratives ou jurisprudentielles devraient normalement susciter, une part entièrement et responsablement assumée.

La critique des lois et des arrêts, dont il y avait lieu naguère de déplorer la pauvreté, notamment en droit du travail, devrait être un élément particulièrement fécond de ce nécessaire dialogue ; et je ne pense pas à la seule critique juridique.

C'est dans cet esprit, esprit de recherche, esprit d'ouverture à la critique et au dialogue, non seulement avec les savants, mais aussi et surtout avec le monde ordinaire, que j'ose présenter ici, à bâtons rompus, quelques réflexions sur la justice au moment où ses appareils sont fondamentalement remis en question. Certaines de mes vues sont certainement discutables. Mais je n'ai pas cherché à me complaire dans la controverse, même s'il y a en toute écriture une part nécessaire de légitime complaisance, sans laquelle on n'entreprendrait pas d'écrire, encore moins de publier.

François Valéry fait le commentaire suivant de la pensée politique de son père, Paul Valéry :

« La critique valérienne va plus loin. Elle est de portée plus générale. Elle s'adresse au fond à la politique en tant que telle. Puisque l'expérience [xiv] est ce qu'elle est ; puisque "tout régime est absurde ou inhumain, ou l'un et l'autre" -, puisque de l'histoire, on ne peut guère tirer qu'une véritable leçon, à savoir qu'elle n'en peut point donner, il faut bien chercher autre chose, ne fût-ce que tenter une expérience mentale différente. Autrement dit, partir de l'observation «naïve», comme il aimait à dire, pour aller à contre-courant, mettre à l'épreuve les idées reçues, les valeurs traditionnelles, les mythes et les dogmes, quels qu'ils puissent être :  Il n'est rien de sacré par soi", affirme-t-il. Tout peut donc, doit donc, être remis en cause, ce qui est précisément la fonction de l'esprit.” »

Puis il ajoute : « Et si le ton de ce carnet est par moments celui de la provocation, c'est bien qu'il s'agissait de provoquer - mais au retour sur les choses et à la réflexion. »

Je me reconnais assez dans cette démarche. Je ne prétends pas que mes idées soient meilleures que d'autres, ni qu'elles soient toutes bonnes ni originales. Si ma façon de voir les choses a quelque mérite, c'est en l'exposant à la critique que je dois en permettre la vérification. La justice n'est pas un jeu de cache-cache ; on la sert mal en la dissimulant. Elle doit non seulement être rendue, mais paraître l'être. Elle ne souffre pas du débat public, mais s'en enrichit, sans toutefois céder à quelque pression, mode ou passion. Elle n'est jamais plus belle que dans sa transparence, même si souvent elle mobilise la fiction à son service.

Certes le respect du pouvoir judiciaire, comme celui du pouvoir politique, est nécessaire dans toute société, sinon c'est l'anarchie. Mais il ne s'ensuit pas que le pouvoir judiciaire doive s'exercer à l'abri de toute critique. La liberté d'expression est un droit fondamental, la pierre d'assise de la démocratie. On doit la pratiquer aussi bien envers l'exercice du pouvoir judiciaire.

Le pouvoir judiciaire est aussi un pouvoir politique, et la façon dont il s'exerce peut et doit donner lieu à des débats politiques. Le respect de la justice n'exige pas la soumission. Ce qui n'empêche pas les uns et les autres de devoir s'astreindre à une certaine obligation de réserve, des uns envers les autres. Mais ce devoir de réserve est une valeur secondaire par rapport à la valeur première qui est la liberté d'expression ; qu'il s'agisse de la liberté d'expression de ceux qui détiennent le pouvoir politique ou des citoyens, envers le pouvoir judiciaire, sur des questions d'intérêt public ; ou qu'il s'agisse, envers le pouvoir politique, de la liberté d'expression extrajudiciaire de ceux qui exercent le pouvoir judiciaire, sur des questions d'intérêt général.

La réserve est une obligation de forme plus que de substance : elle impose une manière, un ton, un style, un moment et un lieu, ils empêchent [xv] l'intervention de sombrer dans la controverse politique qui engloutirait la sérénité et l'impartialité requises du monde judiciaire. Mais les juges ne doivent pas se dérober derrière leur obligation de réserve pour s'enfermer dans un mutisme irresponsable. Car je crois que nos sociétés ont suffisamment de maturité pour apprécier à leur mérite les faits et gestes et les dires des détenteurs de pouvoirs, exécutifs, judiciaires, religieux ou autres.

Après une méditation sur le concept de la déjudiciarisation (chap. I), j'examine certaines modalités d'une possible réorganisation des cours de justice (chap. II) et d'une éventuelle réforme des tribunaux administratifs (chap.. III), pour ensuite considérer le cas particulier du Tribunal du travail (chap. IV) et la spécificité du droit du travail (chap. V) ; je termine par une glose sur le juge (chap. VI). Cela constitue la première partie de cet ouvrage : Sois belle... ! En prolongement de la première partie, la seconde offre des documents sur l'épistémologie du droit, la Constitution et l'obligation de réserve judiciaire : Et tais-toi... !

Le droit procède par autorités, par références et déférence de doctrine et de jurisprudence. Aussi ai-je parsemé ces essais sur la justice de nombreuses citations, non pour étalage d'érudition, mais dans l'espoir de convaincre davantage. En particulier, je présente d'abondants extraits du Livre blanc sur la justice contemporaine que le Ministre de la justice Jérôme Choquette publia en 1975 et auquel, quelque treize années plus tard, l'actuel Ministre de la justice Herbert Marx semble vouloir donner enfin suite. Ces extraits ne servent pas qu'à marquer le passage du temps, mais fondent bien souvent mon propos et, pour le lecteur non juriste, exposent les données de notre organisation judiciaire et l'orientation des réformes proposées.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 1 juin 2013 10:53
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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