Postface
de Jack Jedwab
Trouver une façon de nous sortir de l'impasse constitutionnelle est de plus en plus la préoccupation de ceux qui poursuivent la réflexion sur notre dilemme constitutionnel. Chez les fédéralistes, on prétend que les Québécois ne veulent plus parler des questions constitutionnelles. Chez les souverainistes, on parle de plus en plus de nouvelles structures politiques plutôt que des questions identitaires. Oui, certains pensent à la nation, mais leur approche semble être moins accrocheuse qu'auparavant. Depuis le référendum de 1995, le débat sur le pourquoi-faire-la-souveraineté semble avoir cédé beaucoup de place au comment-pourrons-nous-refaire-le-partenariat-entre-le-Québec-et-le-Canada. Or, la redéfinition de la souveraineté, telle que proposée par les intellectuels qui favorisent cette option, semble porter sur la « vraie » nature d'un partenariat d'ordre fédératif.
Les fédérations devraient, selon certains penseurs, offrir des formes multiples de souveraineté politique et identitaire. Pourtant, certains se demandent si le débat constitutionnel demeure toujours entre le concept de fédéralisme et celui de la souveraineté. Certains grands intellectuels québécois, tels que Guy Laforest, se disent même à la fois fédéralistes et souverainistes. D'autres, comme le sociologue Pierre Drouilly, se trouvent frustrés par l'état du débat actuel sur l'avenir du Québec et demandent un retour à la notion de l'indépendance et à la rupture avec le Canada.
Comment en est-on arrivé là ? En partie, c'est le désir d'arriver à un fameux compromis constitutionnel. Devant leur division, les Québécois cherchent à trouver une solution « mitoyenne » pour sortir de leur chicane familiale. Après tout, le centre est toujours très attirant, surtout en politique. Se positionnant au « centre politique et intellectuel », certains veulent trouver le compromis idéal entre le fédéralisme et la souveraineté pour, dans le cas des souverainistes, ensuite persuader la population qu'ils sont ouverts à modifier leur option face à un pouvoir fédéral qui refuse le changement. Pour certains, cette ouverture est sincère, tandis que d'autres cherchent des astuces afin de relancer émotivement le débat. Leur problème, c'est que les fédéralistes sont nombreux à ne pas vouloir parler de ces questions. L’autre défi, c'est le manque d'acteurs qui désirent, de part et d'autre, participer à une réconciliation.
Marc Brière me paraît sincère dans son désir de trouver une solution au problème constitutionnel. Il met l'accent sur les questions identitaires. Dans cet ouvrage, l'auteur examine la contribution de deux champions de la vie politique et intellectuelle québécoise, Claude Ryan et Charles Taylor. Tous les deux ont, depuis presque trois décennies, cherché un compromis afin de réconcilier les francophones du Québec avec le reste du Canada. Cela nécessite une politique de reconnaissance de la spécificité québécoise telle que présentée dans le Livre beige de M. Ryan. Malgré leurs nobles efforts, leurs solutions ont échoué avec Meech et les fédéralistes québécois vivent toujours les conséquences politiques de ces défaites. Taylor et Ryan sont très préoccupés par des solutions identitaires, tandis que d'autres mettent leur énergie dans le changement de nos structures politiques.
Les deux demeurent fédéralistes malgré que la reconnaissance du Québec qu'ils ont préconisée ne trouve pas suffisamment d'acheteurs. Leur approche était pour de nombreux Québécois le compromis/centre qui devait briser l'impasse. Pour eux, dans le mariage entre le Québec et le Canada, les Québécois désirent être reconnus pour leur différence. Mais, à ce stade-ci, cette option a très peu de chances d'être acceptée. La solution de notre dilemme semble plutôt reposer sur l'offre de plus d'autonomie aux partenaires.
Selon Marc Brière, c'est par l'affirmation de nos caractéristiques en tant que Québécois dans notre propre constitution que nous devrons agir. Cela nous permettrait de nous définir, de nous reconnaître. Et Brière croit que cela peut se faire à l'intérieur de la fédération canadienne. Toutefois, le projet demeure complexe.
La diversité et la croissance de la population, tant au Québec qu'à l'extérieur, ont fait en sorte qu'il est plus difficile de réconcilier et reconnaître les différences linguistiques, culturelles et même régionales. Les souverainistes ont rencontré probablement les mêmes problèmes qu'ont eus les fédéralistes quant à la reconnaissance des multiples identités canadiennes. Il y a aussi la question de savoir qui dirigerait ce projet. Si ce sont les souverainistes, cela serait perçu comme une initiative destinée à promouvoir la souveraineté. Si ce sont les fédéralistes, les souverainistes n'auront pas confiance. La table de concertation pour les deux n'existe pas actuellement.
Ailleurs, quelques souverainistes et un groupe de fédéralistes ont développé une proposition qui, selon eux, pourrait réconcilier les besoins identitaires du Québec et du Canada. Le Canada devrait se reconnaître comme une fédération multinationale avec trois nations : la nation canadienne-anglaise, la nation québécoise et les nations autochtones. La proposition peut être décrite comme l'ajout d'une « nation » additionnelle à l'approche de la reconnaissance binationale. L’idée que le Canada se caractérise comme étant une fédération multinationale est une formule aussi imparfaite que le concept du binationalisme.
Il est regrettable que tellement d'intellectuels perdent leur temps dans une réflexion qui ne mène nulle part. En effet, cette hypothèse suppose la réconciliation de notions de nations très divergentes : une basée sur la langue, dans le cas du reste du Canada, l'autre sur le territoire, dans le cas du Québec, et une troisième pour les Autochtones qui constitueraient de multiples nations à l'intérieur des autres nations. Les Anglo-Canadiens du Québec et les Acadiens auraient beaucoup de difficulté à se retrouver dans ce pacte trinational.
Or, sur le plan politique, le Canada est un pays et non pas deux États ou trois nations. Le reste du Canada, tel que conçu par de nombreux souverainistes, n'est pas une nation, ni politique ni sociologique. Il est fort probable que, dans le cas du départ du Québec de la fédération, on verrait la création d’États basés sur les réalités régionales, tels l'Ontario, la Colombie-Britannique, les Prairies et les Maritimes.
Dans sa série d'éditoriaux, intitulée « Réinventer notre avenir », Alain Dubuc écrivait que la très grande importance accordée par certains Québécois à cette reconnaissance par le ROC [1] est devenue symptomatique d'une culture de colonisés. Pour mettre fin à la préoccupation de se faire définir par d'autres, il serait plus propice pour les Québécois de s'engager dans un processus d'affirmation unilatérale de leur identité. Marc Brière semble aller dans le même sens, mais sans partager la voie que Dubuc propose.
En effet, Dubuc croit que cette autodéfinition peut se faire par une déclaration solennelle de l'Assemblée nationale du Québec. L’idée que les Québécois affirment leur identité unilatéralement existe depuis de nombreuses années. Certains croient que les Québécois s'affirment politiquement par divers gestes. Le problème demeure le refus des partenaires de les reconnaître. Pour sa part, Marc Brière propose l'adoption d'une constitution québécoise afin de s'autodéterminer.
Traditionnellement, le processus de reconnaissance de l'identité québécoise a cherché à énumérer des caractéristiques linguistiques, culturelles ou autres qui nous distinguent, afin de les faire ratifier par l'État.
Si le Canada n'a pas été capable de trouver la bonne formule, est-ce que le Québec peut arriver à un consensus dans un processus d'autodéfinition ? Pour l'instant, les notions de peuple et de nation divisent fédéralistes et souverainistes québécois. Les premiers y voient beaucoup de mélange et de convergence entre les deux peuples et considèrent que le Québec est une nation faisant partie intégrante d'une autre nation ; de leur côté, les souverainistes insistent pour dire que Québécois et Canadiens forment deux peuples et nations distincts.
Dans le contexte actuel, il me semble qu'on aurait plus de chances de nous définir dans notre Charte des droits de la personne que dans une Constitution. Si on est capable d'insérer une référence identitaire d'abord dans la Charte, alors peut-être pourrait-on procéder à l'élaboration d'une Constitution québécoise dans une deuxième étape (l'étapisme fait partie de la culture politique au Québec). Si on réussit à trouver une formule de reconnaissance consensuelle dans la Charte, peut-être qu'une Constitution québécoise ne serait pas nécessaire dans le processus d'autodéfinition ?
C'est un débat à suivre non seulement au Québec, mais aussi dans le reste du Canada.
JACK JEDWAB
2 novembre, 2000
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