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Collection « Les sciences sociales contemporaines »
Une édition électronique réalisée à partir de l'article de M. Jean-Paul Brodeur, “La pensée postmoderne et la criminologie”. Un article publié dans la revue Criminologie, vol. 26, no 1, 1993, pp 73-121. Numéro intitulé “Michel Foucault et la (post)modernité”. Centre international de criminologie comparée Montréal: Les Presses de l'Université de Montréal. [Autorisation de l’auteur accordée le 12 mai 2005] Introduction La cote de l'expression « postmodernisme » et de la terminologie qui en est dérivée est en hausse considérable à la bourse du langage. D'abord créée par des auteurs lus par quelques initiés, cette terminologie a essaimé dans les revues savantes et elle envahit aujourd'hui la grande presse, où Madonna est, par exemple, proclamée « la Mae West du postmodernisne » (Dussault, La Presse, Montréal, 16 janvier 1993). Les titres d'ouvrages académiques où figurent postmodernisme ou l'un de ses dérivés se sont multipliés de façon accélérée depuis 1990. La fortune du terme étant donc assurée, il faudrait se hâter de déterminer s'il signifie quelque chose de plus précis qu'une façon un peu prétentieuse de désigner « notre époque ». Cet article est consacré à esquisser une première élucidation de l'expression de postmodernisne et de ses dérivés, comme « postmodernité » et « postmoderne ». Le texte est divisé en trois parties. La première élabore quelques distinctions préliminaires à un traitement plus systématique de notre sujet et s'efforce de mettre en lumière certaines confusions qui existent par rapport à lui. La seconde partie consiste dans un repérage de quelques thèmes communs à la pensée postmoderne. Dans une dernière partie, nous tentons d'évaluer pour la criminologie la signification des thèmes précédemment identifiés. Il nous importe de souligner d'entrée de jeu que notre entreprise est de nature résolument exploratoire et que nous avons pleinement conscience, en outre, que notre terrain d'exploration est parsemé d'embûches. Selon l'article approfondi de Welsch (1988, pp. 9-11) portant sur la généalogie du terme « postmoderne », cette expression est controversée d'au moins quatre manières : on conteste autant sa légitimité, son champ d'application, qui s'étend maintenant de la théologie à la gastronomie et au tourisme, que son apparition dans le temps et son contenu. Le caractère polémique du débat sur le postmodernisme est très marqué, comme en témoignent des ouvrages qui présentent ce débat comme un champ de bataille (Ruby, 1990) ou un combat pour l'avenir de la pensée (Kemper, 1988) ; d'autres ouvrages s'autorisent des excès de langage - Kroker et Cocke (1986) qualifient la « scène postmoderne » de « culture excrémentielle » (excremental culture) - qui témoignent également de la vivacité de la controverse sur le postmodernisme. Un exemple est apte à illustrer de façon explicite les difficultés que nous devrons affronter. La revue américaine Telos a publié en 1983 une interview de Michel Foucault par le philosophe Gérard Raulet. Dans l'une de ses questions, Raulet demande à Michel Foucault comment il se situe par rapport au concept de postmodernité, dans lequel lui, Raulet, voit un pôle autour duquel se cristallisent un grand nombre des thèmes de la pensée actuelle. Affirmant de façon faussement naïve que ses informations ne sont pas à jour, Foucault demande à son interviewer de l'éclairer sur le sens de l'expression « postmodernité ». Ce dernier fait alors remarquer à Foucault que dans un des derniers textes d'Habermas, où il prend à partie le courant postmoderne, celui-ci attribue la paternité de ce courant à une tradition française de pensée, qui s'ouvre avec Georges Bataille et conduit à Jacques Derrida à travers nul autre que lui-même, Michel Foucault. Il s'ensuit un échange assez compassé entre Michel Foucault et son interlocuteur (voir Foucault et Raulet, 1983, pp. 204-205 ; pour la position de Habermas sur Foucault, voir Habermas 1985 et 1989c). Nous reviendrons plus tard sur le contenu de l'entretien entre Michel Foucault et Gérard Raulet. Il suffira pour l'instant de remarquer le caractère enchevêtré d'une conjoncture de pensée où l'on attribue une paternité à un auteur qui se déclare ignorant de sa progéniture. C'est donc à pas mesurés que nous devrons nous aventurer sur ce terrain miné. Dans le cadre trop restreint de cet article, notre ambition est plus d'identifier les questions que soulève la problématique du mot « postmoderne » que de les résoudre.
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