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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Christian Bromberger, Des cartes ethnologiques : pourquoi faire?” In revue Terrain, revue d’ethnologie de l’Europe, no 3, “Ethnologie urbaine”, octobre 1984, pp. 84-87. [En ligne]. Revues.org. URL. Consulté le 27 mars 2012. [Autorisation accordée par l'auteur le 17 février 2012.]

Christian Bromberger

Des cartes ethnologiques :
pourquoi faire ?


In revue Terrain, revue d’ethnologie de l’Europe, no 3, “Ethnologie urbaine”, octobre 1984, pp. 84-87. [En ligne]. Revues.org. URL. Consulté le 27 mars 2012.



Vient de paraître : L'Ethnocartographie en Europe, numéro spécial de la revue Technologies, Idéologies, Pratiques, 1982-1983 (367 p.) (actes de la Table Ronde internationale « Bilan et perspectives de la cartographie ethnologique en Europe », tenue à Aix-en-Provence les 25, 26 et 27 novembre 1982).


Organisée par le centre d'Ethnologie méditerranéenne, avec le concours de la mission du Patrimoine ethnologique, du CNRS, de l'établissement public régional Provence-Alpes-Côte d'Azur et de l'université de Provence, cette réunion internationale avait pour but de faire le point sur les méthodes et les résultats de l'atlantographie culturelle telle qu'on la pratique dans différents pays européens et de tracer des perspectives pour une politique ethnocartographique en France. Notre pays, en effet, à l'inverse de la plupart des contrées européennes, ne s'est doté ni d'un atlas ethnologique national ni d'atlas ethnologiques régionaux. Aucun projet d'envergure n'a relayé les grands programmes à vocation cartographique entrepris, des années 30 au lendemain de la guerre, par A. Dauzat, M. Maget, R. Maunier, A. Van Gennep. Dans le paysage européen, l'ethnologie française fait figure de parent pauvre, cartographiquement parlant.

Est-ce à dire qu'il convient, pour rattraper le temps perdu, de s'aligner, par mimétisme, sur les programmes ethnocartographiques achevés ou en cours dans différents pays européens (fig. 1) ? Mieux valait commencer par un bilan critique de ces travaux, faisant ressortir les apports et les limites d'entreprises engagées, pour certaines d'entre elles, il y a un demi-siècle. C'est là l'objet de plusieurs communications présentées lors de ces journées exposant par le menu les méthodes, les finalités, les résultats et les écueils de divers atlas nationaux et régionaux réalisés en Europe (A. Niederer : L'atlas linguistique et ethnographique de l'Italie et de la Suisse méridionale et l'atlas de folklore suisse ; I. Kretschmer : L'atlas de folklore autrichien ; S. Kovacevicova : L'atlas ethnographique de Slovaquie ; E. Delitala : L'atlas ethnologique de Sardaigne...). J. Cuisenier (La cartographie ethnologique au musée des Arts et Traditions populaires) et J.-C. Bouvier (Les atlas linguistiques et ethnographiques de la France) dressent, pour leur part, un bilan des principaux travaux à caractère ethnocartographique réalisés en France depuis le début du siècle, tandis que X. Ravier souligne les perspectives d'interprétation ethnolinguistique qu'offre le traitement des matériaux réunis dans les atlas dialectologiques du domaine occitan. D'autres communications envisagent les apports et les limites de la cartographie pour le traitement d'un certain nombre de thèmes culturels : le conte populaire (M.-L. Ténèze), la chanson (C. Abry et G. Delarue, M. Fresta), l'architecture rurale (H. Raulin), l'alimentation (C. Thouvenot), les systèmes hydrauliques (L. Bérard)...

Ce tour d'horizon fait apparaître de sensibles différences d'objectifs assignés à l'ethnocartographie. On peut schématiquement distinguer quatre grandes tendances — qui ne sont d'ailleurs pas exclusives — à l'origine des projets d'atlas ou de cartes ethnologiques :

* Une tendance pragmatique selon laquelle la cartographie ethnologique est un moyen efficace (en amont) de collecter, d'archiver, d'indexer des données, d'en présenter (en aval) la distribution spatiale. Cette cartographie « minimum » n'a d'autre prétention que de dresser un constat, d'offrir, pour reprendre l'expression de M. Maget, un « instrument de la sommation synoptique », d'établir sans ambiguïté des faits, sans que le jeu, parfois trouble, de la parole dissimule les incertitudes de l'information. Sous cette cartographie « minimum », ni problématique affichée, ni hypothèse de départ ; la liste des questions et des thèmes pourrait être étendue à l'infini. Les commentaires se bornent à la description des matériaux bruts ; ces atlas apparaissent comme des bouteilles à la mer et disons, par parenthèse, que l'on souhaiterait disposer de telles bouteilles en France (où elles sont singulièrement rares). À feuilleter cependant ces atlas, on se pose souvent la question de la nécessité du recours à la cartographie quand il s'agit avant tout de constituer systématiquement des archives.

* Une deuxième tendance, très largement répandue, pourrait être qualifiée d'aréologique ; la cartographie est alors considérée comme un moyen d'établir un constat différentiel, de délimiter rigoureusement des ensembles micro ou macroculturels (aires culturelles ou unités subculturelles), de repérer des isolats, de définir, selon l'expression de Van Gennep, des « zones folkloriques » ou encore de dresser, selon les termes de Bromlej, « .an ethno-arealtypology ». Si cette ambition — tout à fait légitime — est partagée par de nombreux auteurs, peu d'entreprises mènent cependant à terme l'établissement de frontières dessinées à partir de la superposition de plusieurs séries de traits culturels.

* Une troisième tendance, plus récente, mais déjà présente dans les travaux des années 30, cherche, à partir d'une carte ou d'un ensemble de cartes, à cerner des corrélations mécaniques entre des propriétés, des traits, des institutions attestés en un même lieu ou une même région ; on peut parler ici de cartographie problématique. C'est la démarche adoptée par Parain dès 1937 dans son célèbre article sur les procédés de battage et de dépiquage en France, mettant notamment en relation variétés de céréales et méthodes d'égrenage ; c'est aussi — pour nous en tenir à des exemples français — la démarche suivie implicitement par Yver (1966) et par ses continuateurs (Le Roy Ladurie, 1972, Mendras, 1976), qui ont établi les corrélations entre formes de coutumes successorales, types de groupes domestiques, modèles d'autorité... Notons au passage que ces deux séries d'analyses, parties d'un regard cartographique, sont des jalons majeurs dans le développement de la connaissance ethnologique — ou ethnohistorique — de la France. C'est dans cette voie — l'analyse de co-occurrences significatives — que s'engagent des entreprises plus récentes, cherchant à dégager, sur une base cartographique, des corrélations à la fois statistiques et mécaniques entre un certain nombre de phénomènes ; plusieurs communications présentées lors de ce colloque s'inscrivent dans ce courant : celle de C. Abry et G. Delarue déjà citée, celle de F. Vergneault (L'atlas instrument de travail. Un exemple : la partie « Atlas » des Matériaux pour l'histoire religieuse du peuple français (XIXe-XXe siècles), rassemblés par F. Boulard), etc.

* Une quatrième tendance, attentive à l'évolution et à la diffusion des phénomènes a, pour reprendre les termes d'un des participants (J.-J. Voskuil) à ce colloque, ses minimalistes ou ses maximalistes. Il s'agit, dans le premier cas, de montrer par la cartographie la diffusion ou l'évolution, chronologiquement situées, d'un phénomène particulier ; les atlas suisse et finnois fournissent, sur ce plan, de remarquables exemples : la diffusion de la coutume de l'arbre de Noël, des formes coopératives de meunerie... Ces exemples sont remarquables, non pas seulement en raison des informations cartographiées, de la sensibilité des auteurs à l'évolution des phénomènes dans la courte ou la moyenne durée, mais parce qu'ils illustrent, par une représentation spatiale (la carte) un processus dont une des composantes (la diffusion) est proprement spatiale. Dans le second cas (courant « maximaliste »), le but de la démarche est beaucoup plus ambitieux : il ne s'agit plus de présenter des phénomènes de diffusion, mais de les reconstituer à une tout autre échelle spatiale et temporelle. C'est l'objectif poursuivi depuis les débuts de l'ethnocartographie par plusieurs auteurs et surtout, dans les dernières années, par les initiateurs de l'atlas ethnologique de l'Europe, qui tentent de reconstituer, sur la base de l'examen cartographique d'objets et de coutumes « traditionnels », les grands processus historico-culturels qui ont façonné l'Europe préindustrielle. Une telle démarche entraîne plusieurs « artifices » de méthode mais elle repose surtout — et c'est là sa principale limite — sur un présupposé discutable : la stabilité de ce fonds culturel à travers les siècles, qui autoriserait à considérer des objets et des coutumes « traditionnels » comme des témoins d'une histoire ou de migrations très lointaines. Les communications de J.-J. Voskuil (Les limites de la méthode cartographique), de P. Centlivres (L'atlas de folklore suisse : un sondage quarante ans après) montrent, chacune à leur façon, les aléas de ce type de reconstitution historico-culturelle à partir de l'examen cartographique de données collectées dans la courte durée contemporaine.

Outre ces divergences d'objectifs et d'ambitions, un bilan des travaux ethnocartographiques européens fait apparaître la diversité des méthodes de collecte et de transcription des données qui ont été utilisées et le rôle du contexte d'organisation de la recherche, le poids des questions nationales et régionales dans l'émergence des projets d'atlas ethnologiques.

Les progrès réalisés pendant les dernières décennies en matière de stockage, d'analyse combinatoire et de traitement graphique des données (sémiologie graphique, cartographie automatique...) ouvrent de nouvelles perspectives en matière d'ethnocartographie. Plusieurs participants au colloque ont montré l'intérêt de l'informatique pour l'analyse raisonnée des données et leur traitement cartographique (H.-L. Cox : Le traitement informatique des données en ethnocartographie, J.-D. Gronoff : Atlas ethnographique et informatique, E. Delitala : L'atlas ethnologique de la Sardaigne : présentation générale et organisation des données à l'aide de l'informatique). Mais ces avancées techniques ne règlent pas, bien sûr, les problèmes de fond que pose la représentation spatiale des données en ethnologie (problème des échelles spatiales et temporelles retenues, de l'enregistrement et de la transcription des variantes sociales d'un phénomène, etc.) ; elles permettent en revanche de multiplier et de diversifier les cartes de travail (« cartes-outils », pour reprendre une expression chère à un des participants à ce colloque, J. Bertin) qui peuvent être des adjuvants spécifiques pour la solution de problèmes anthropologiques (mise en évidence de corrélations significatives (fig. 2), définition d'aires micro ou macroculturelles...).

L'ethnocartographie — que l'on ne saurait réduire à la réalisation d'atlas — peut être aussi un outil heuristique spécifique pour cerner la situation de l'homme dans l'espace (aires de relations mais aussi « cartes mentales » dessinant les représentations qu'ont les usagers des espaces proches et lointains, frontières subjectives que ceux-ci assignent à leur région ou à leur « pays »). Plusieurs travaux récents — dont on trouvera des échos dans plusieurs communications regroupées dans ce volume — illustrent la fécondité de cette approche. Une des voies les plus intéressantes pour l'ethnocartographie serait sans doute la confrontation entre les frontières des identités « vécues », telles que les révèlent les pratiques, les représentations, le discours, et celles que livre l'analyse classique des « indicateurs aréologiques ».

Quelles perspectives tracer pour l'ethnocartographie en France quand on a souligné les problèmes épistémologiques auxquels se heurte ce genre d'entreprises ? Sans doute pas la réalisation d'un atlas national qui engrangerait, à la façon d'un dictionnaire, les thèmes les plus divers sur un espace de représentation uniforme. La priorité devrait aller à la constitution de banque de données établies rigoureusement se prêtant à des exploitations, entre autres, cartographiques. C'est ce que propose F. Sigaut pour les agricultures préindustrielles, tandis que J.-C. Bouvier définit les liens qui devraient s'établir entre les futurs programmes ethnocartographiques et le GRECO « Atlas linguistiques, Parlers et Cultures des régions de France ». Parmi les possibilités de collaboration qu'il propose, J.-C. Bouvier évoque la confrontation entre cartes linguistiques subjectives et cartes d'appartenance culturelle, telles que se les représentent les usages.

Ce souci d'aboutir à la création de corpus raisonnés de données et de diversifier les missions classiquement assignées à l'ethnocartographie s'est traduit par la mise en place d'un groupe de travail qui se réunira dans le courant de l'automne 1984 pour élaborer un programme prioritaire de réalisations.

Signalons que l'équipe aixoise vient par ailleurs d'achever un rapport complet sur la cartographie ethnologique en Europe (dans le cadre du même contrat avec la direction du Patrimoine) et a mis en chantier un programme expérimental d'ethnocartographie sur la Provence (fond de carte automatisé à échelle variable, analyse de données, réalisation de cartes « objectales » et mentales).

POUR CITER CET ARTICLE

Référence papier

Bromberger C., 1984, « Des cartes ethnologiques : pour quoi faire ? », Terrain, n° 3, pp. 84-87.

Référence électronique

Christian Bromberger, « Des cartes ethnologiques : pourquoi faire ? », Terrain, numero-3 - Ethnologie urbaine (octobre 1984), [En ligne], mis en ligne le 23 juillet 2007. URL. Consulté le 27 mars 2012.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 30 juin 2013 9:20
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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