Christian Bromberger
“TRICHOLOGIQUES.
Les langages de la pilosité.”
Un article publié dans l’ouvrage de Christian Bromberger, Pascal Duret, Jean-Claude Kaufmann, David Le Breton, François de Singly et Georges Viagarello, Un corps pour soi, pp. 11-40. Paris : Les Presses universitaires de France, 2005, 151 pp. Collection : Pratiques physiques et société.”
- Du complexe de Samson chez les footballeurs à la révolution des sourcils en Iran
- Les religions du Livre face à face
- Trichophiles et trichophobes : Aïnous et Japonais
- Un langage souple à quatre clefs
- Genres
- Classer
- L’ordre du monde et ses marges
- Vers l’esthétique
Du complexe de Samson chez les footballeurs
à la révolution des sourcils en Iran
Longtemps je me suis intéressé au football [1]. Les stades sont de merveilleux observatoires des modes capillaires. Aux cheveux longs, prolongés par des pattes, des joueurs des années 1970 ont succédé la coupe « mulet », dite des footballeurs (très court devant, très long derrière), les dreadlocks des vedettes africaines, le catogan, le crâne rasé qui fait florès de nos jours et qui coexiste avec les mini-tresses, les couettes, les cheveux peroxydés de joueurs noirs, maghrébins ou japonais… Jamais les équipes n’ont présenté une plus grande diversité capillaire qu’aujourd’hui, cette variété traduisant des tendances lourdes dans le façonnage de l’apparence : l’individualisation - on est loin des coupes uniformes des joueurs des années 1960 -, l’ethnicisation, le brouillage ostentatoire, voire dérisoire, des codes : la blondeur n’a-t-elle pas été la marque de l’aryanité triomphante et, sur un autre mode, celle de la beauté féminine à travers l’histoire de l’Occident ?
Un rite pileux, encore vif chez les footballeurs dans les années 1980-1990, avait retenu mon attention. À l’approche d’une compétition importante ou lors d’un cycle de matchs de Coupe, les joueurs avaient coutume de ne pas se raser, manifestant, par leur ensauvagement collectif, l’unité et l’ardeur belliqueuse de leur groupe. Ils justifiaient souvent cette pratique par des arguments physiologiques : le rasage, disaient-ils, amoindrit l’« influx nerveux », rend « mou ». Cette croyance, infirmée par le savoir endocrinologique mais ayant fait les preuves, aux dires des acteurs, de son efficacité, fait écho au « complexe de Samson », riche variation sur le poil comme symbole de l’énergie virile. On sait (Livre des Juges, XVI) que le héros biblique, rasé par Dalila qui l’avait endormi sur ses genoux, perdit sa force et ne la recouvra que quand ses cheveux recommencèrent de pousser. De cet épisode, qui illustre l’association entre rasage et castration symbolique, les psychanalystes ont volontiers fait leurs choux gras. Dans un livre pionnier, Charles Berg [2] montrait ainsi, exemples cliniques et ethnographiques à l’appui, que cheveux et poils sont des substituts métaphoriques visibles des organes génitaux invisibles. Pour lui, et pour ses continuateurs [3] qui ont nuancé son point de vue, aux cheveux longs correspondrait une sexualité sans contrainte, aux cheveux courts ou attachés une sexualité contrôlée, au rasage de près l’abstinence. « Femme en cheveux/ Viens si tu veux », disait naguère le proverbe. À l’opposé le renoncement se traduit par la tonsure ecclésiastique, par le rasage de la chevelure des religieuses lors de leur prise de voile, ou encore, dans le monde indien, par l’arrachage des cheveux à la main chez les moines ascètes jaïn [4]. Que l’apparence pileuse soit un indicateur sensible du statut socio-sexuel, d’une éthique singulière, on en conviendra sans peine. Mais, d’une culture ou d’un contexte à l’autre, les mêmes signes peuvent recouvrir des significations opposées : la chevelure et la barbe en friche de l’ermite connotent, tout comme le rasage (mais sur un autre mode, nous y reviendrons), le renoncement sexuel, les cheveux dénoués de la veuve (une pratique attestée dans de nombreuses sociétés) sont marques d’affliction et de retrait du monde, les cheveux et la barbe longues des intellectuels du monde occidental sont dépourvus de toute signification érotique, le rasage de la tête des femmes lors de leur mariage (dans la tradition juive, par exemple) marque l’accès, et non le renoncement, à la vie sexuelle… [5] Ces exemples contradictoires soulignent la difficulté qu’il y a à élaborer une « trichologique » générale où à chaque signe pileux correspondrait une signification invariante. Ces signes forment un système de différences au sein d’une configuration culturelle donnée et ne font sens que par la position qu’ils y occupent. Sans doute des gestes et des formes prédisposent-ils à des représentations spécifiques (couper suggère la privation, une chevelure dénouée l’invitation érotique) mais encore faut-il tenir compte du jeu subtil des distinctions qui viennent contrarier ce prêt-à-penser symbolique. Tout système trichologique repose sur plusieurs dimensions qui interfèrent et interdisent une interprétation univoque. Au Mexique, nous rapporte Jimena Paz Obregon [6], dans les zones de frontière ethnique, les femmes d’origine espagnole mettent un point d’honneur à ne pas s’épiler les jambes pour se démarquer des Indiennes à la peau naturellement glabre. Le souci de manifester son ethnicité l’emporte ici sur celui d’exhiber sa féminité en montrant des jambes lisses. Quant aux skinheads, leur crâne rasé ne signifie nullement un renoncement à la sexualité mais la volonté ostentatoire et provocatrice de contrefaire les bagnards et les prisonniers et de se différencier des hippies à la chevelure débridée à l’image de leur idéologie. Sachons gré cependant aux footballeurs, à Samson et à Charles Berg de nous avoir rappelé avec insistance que la sexualité - et plus généralement le genre - sont des référents majeurs du langage de la pilosité.
Le Moyen-Orient iranien - un autre terrain qui m’est familier [7] - offre un observatoire de choix des codifications et des controverses pileuses. Faut-il souligner le contraste, particulièrement creusé dans le monde musulman, entre le statut du poil facial masculin exhibé et celui de la chevelure féminine dissimulée, entre la virilité qui s’affiche et la pudeur imposée aux femmes dont les cheveux sont censés susciter la tentation ? Le respect de la fitrah (« la saine nature ») impose, du moins dans les traditions les plus rigoristes [8], l’épilation du pubis et des aisselles, aux poils réputés impurs, et le port de la barbe et de la moustache, attributs naturels et distinctifs de la virilité. Lorsque les talibân s’emparèrent du pouvoir à Kaboul en 1996, une de leurs premières mesures fut d’imposer brutalement des normes pileuses strictes. La barbe devait pouvoir être saisie par les cinq doigts de la main, les cheveux ne pas être trop longs, les aisselles et le pubis épilés. Radio Shariah (« Radio Loi islamique ») annonçait de temps à autre que des individus avaient été fouettés, voire emprisonnés, pour ne pas avoir respecté ces principes. Une barbe et des cheveux conformes étaient requis pour exercer un emploi de responsabilité. Dans leur volonté de normaliser l’apparence pileuse, les talibân n’innovaient pas. L’histoire politique contemporaine du Moyen-Orient pourrait s’écrire en relatant les mesures autoritaires qui visèrent à codifier le poil, les controverses qu’elles suscitèrent, les ruses employées pour les contourner. Les régimes « modernisateurs » de l’entre-deux-guerres, celui de Mustafa Kemal en Turquie, celui de Réza Chah en Iran, interdirent le port du voile et de la barbe, ces décisions entraînant refus, révoltes et contestations. En Afghanistan, c’est Mohammed Daoud, le fondateur de la République en 1973, qui imposa aux fonctionnaires de l’État d’avoir le visage glabre. Mais jamais dans ce monde où l’on se plaît à exhiber sa virilité ne fut portée atteinte à la moustache. Toute révolution a donc son expression pileuse, comme elle a sa traduction vestimentaire, le corps politique imprimant sa marque et ses normes sur le corps des individus. Au Moyen-Orient, où l’on est plus sensible que dans d’autres régions du monde à l’apparence pileuse, les variantes de barbes et de moustaches traduisent chacune une allégeance idéologique. La Turquie offre un cas exemplaire de ce type de codification [9]. Les adultes pieux, qui ont accompli le pèlerinage à La Mecque, porte une barbe large, épaisse et bien entretenue et une moustache qui ne déborde pas, comme l’exige la fitrah, sur la lèvre supérieure. Les jeunes partisans d’un islamisme radical arborent un collier soigneusement taillé, bien dessiné. Les adeptes nationalistes du panturquisme ne portent pas la barbe mais une moustache gengis khanide, en crocs, qui n’est soupçonnable d’aucune influence arabe ou persane. Quant aux militants d’extrême gauche, aux Alévis, aux Kurdes (« trois notions qui entretiennent d’étroits rapports entre elles » [10]), ils se distinguent par leur moustache fournie, « à la Staline ».
Quand il s’agit de récrire l’histoire, l’apparence pileuse des héros devient un enjeu. L’Iran a connu, aux temps de la première guerre mondiale, un Robin des bois qui dirigea une révolution paysanne dans le nord du pays [11]. Mirzâ Kouchek Khân (tel était son nom) s’inscrit dans la lignée des héros révolutionnaires à la chevelure sauvage et à la barbe touffue, une apparence pileuse traduisant une rébellion contre l’ordre établi et conforme au terrain de cette guérilla, la forêt broussailleuse (le surnom de ce mouvement était d’ailleurs jangali : forestier). Comme le feront plus tard les Barbudos de Fidel Castro, Mirzâ avait fait le serment avec ses compagnons de ne se raser la barbe qu’une fois leurs buts atteints (l’évacuation des forces étrangères du pays, la restauration de l’indépendance de l’Iran, l’avènement d’une révolution sociale…). Le cours de l’histoire ne leur laissa pas la possibilité de réaliser ce vœu. Quelque soixante ans après, la République islamique ne sut trop que faire de l’image de ce héros toujours populaire et encombrant, dont l’héritage était revendiqué par plusieurs mouvements politiques de gauche. Pour l’annexer à leur cause, les autorités locales, rappelant que Mirzâ avait fait des études théologiques et était un sincère musulman, le présentèrent en mollah enturbanné à la barbe soignée (photo 1). Mais le portrait ne correspondait pas à l’image enracinée du rebelle qui s’était perpétuée et qu’évoquaient les chansons populaires ("Je prie pour ta barbe et pour que tu ne fermes pas tes yeux bleu clair et purs", dit l’une d’entre elles). On se résigna donc à reproduire un portrait de l’authentique Mirzâ (photo 2), assorti de légendes en faisant un ancêtre de la Révolution islamique. Statues et peintures murales offrent un compromis (photo 3) entre l’ordre et le désordre : la barbe du héros y est plus disciplinée.
Les stratagèmes ne manquent pas pour contourner ou défier l’ordre pileux imposé aujourd’hui dans la République islamique d’Iran. Si le port d’un foulard couvrant tous les cheveux est une obligation minimum pour les femmes, celui de la cagoule (maghna’e), fermement fixée par un élastique, enserrant la tête et tombant sur les épaules, est un impératif pour les élèves, les étudiantes et les fonctionnaires. Les mutines et les malignes s’ingénient cependant à ruser avec ces prescriptions. Dans les quartiers aisés des villes, des mèches teintes en blond s’échappent ostentatoirement des plis des foulards, voire du carcan des cagoules. Périodiquement, les membres des comités, les « volontaires » chargés de l’ordre rappellent, le bâton à la main, l’obligation d’appliquer les normes puritaines. En marge de ces contraintes qui pèsent sur les cheveux, une autre révolution se dessine, celle des sourcils. Il est de tradition en Iran que les jeunes filles ne s’épilent pas jusqu’à leur mariage. La veille de la cérémonie, la bandandaz (l’épilatrice), maniant avec dextérité fil, pâte dépilatoire à base de chaux, rasoir, cire transforme leur corps poilu de fille en corps entièrement lisse de femme ; elle porte une attention particulière aux sourcils devant désormais former un arc fin et parfait. Aux « pattes de chèvre » (pâche bozi) touffues des adolescentes se substituent deux courbes harmonieuses. Dans le quotidien, l’état des sourcils renseigne sur le statut de l’interlocutrice et invite d’emblée à employer tel terme d’adresse ou telle formule de politesse. Mais, dans leur souci d’émancipation, les jeunes filles intrépides brouillent ce code de reconnaissance ; anticipant sur le rite de passage et voulant se conformer aux canons de la beauté juvénile occidentale, elles se font épiler les sourcils, ce qui entraîne la réprobation et parfois leur exclusion des institutions scolaires (le maquillage faisait naguère dans nos lycées l’objet de semblables sanctions).
Cet intermède moyen-oriental rappelle de façon vive le rôle des pouvoirs autoritaires dans la définition de l’apparence pileuse. Bien avant Atatürk et Réza Chah, Pierre le Grand, soucieux lui aussi d’occidentaliser son Empire, avait, en 1698, interdit, par un oukaze, le port de la barbe, une mesure perçue et vécue comme un sacrilège dans les milieux orthodoxes traditionalistes et, plus généralement, dans la population masculine : « La barbe honore l’homme, les moustaches le chat », dit le proverbe russe [12]. Ces normes imposées autoritairement, ou en vogue à un moment de l’histoire, constituent un centre de gravité à partir duquel se manifestent, par gradations successives, conformité ou écart par rapport à l’ordre. La pilosité broussailleuse de Mirzâ Kouchek Khân, tout comme la mèche blonde de la midinette téhéranaise, affichent, sur deux modes distincts, cette prise de distance par rapport aux normes. Partout, l’apparence pileuse trace une frontière entre soumis et insoumis. Quant à nos délurées, qui s’épilent avant l’heure, elles rappellent aussi avec insolence que tout rite de passage (qu’il s’agisse de l’entrée au collège, du mariage, d’une maternité) s’accompagne d’une métamorphose des cheveux et des poils.
Les religions du Livre face à face
Un troisième champ de recherche a attisé ma curiosité trichologique. Tentant de repenser la singularité du monde méditerranéen [13], je me suis écarté, sans pour autant les renier, des deux voies les plus habituellement suivies : celle campant la Méditerranée comme un espace de rencontres, d’échanges, de convivenza ; celle dressant le portrait de sociétés présentant un « air de famille » et modelées par des valeurs partagées (l’honneur, la honte, etc.). À vrai dire, ce qui donne, dans la longue durée, sa cohérence à ce monde, ce ne sont pas tant des similarités repérables que des différences qui forment système. Et ce sont sans doute ces différences complémentaires, s’inscrivant dans un champ réciproque, qui nous permettent de parler d’un système méditerranéen. Chacun se définit, ici peut-être plus qu’ailleurs, dans un jeu de miroirs (de coutumes, de comportements, d’affiliations) avec son voisin. Comment comprendre, par exemple, les comportements alimentaires des uns et des autres sinon dans ce système relationnel d’oppositions réciproques ? Alcool et porc demeurent la base du triangle de différenciation entre juifs, musulmans et chrétiens. Le traitement de la pilosité corporelle, faciale et capillaire n’a pas échappé à cette volonté de démarcation et apparaît en distribution symétrique et inverse d'une tradition religieuse à l'autre. Dans un passage célèbre de l'Épître aux Corinthiens (11, 3-10), Saint Paul rappelle l'obligation faite aux fidèles (masculins) de prier la tête nue : "Tout homme qui prie ou prophétise la tête couverte fait affront à son chef". Cet usage s'oppose à celui des juifs et des Romains (dont les pontifes étaient couverts lors des sacrifices). Les pères de l'Église rappelleront cette exigence de démarcation, non seulement vis-à-vis des juifs mais aussi des Égyptiens et des barbares. Au Vème siècle, Saint Jérôme prescrit que "nous ne devons ni avoir la tête rasée comme les prêtres d'Isis et de Sérapis, ni laisser pousser notre chevelure, ce qui est le propre des gens débauchés et des barbares". Le schisme au sein de la chrétienté aura également sa traduction pileuse avec ses clercs orientaux portant les cheveux longs, la barbe et la moustache, contrairement à ceux de l'Église romaine. « Le clergé byzantin, écrit Marie-France Auzépy [14], a revendiqué face aux Latins qui soutenaient la tradition inverse, la barbe comme un élément fondamental de la tradition de son Église, et le poil, défendu par les Grecs, honni par les Latins, fut de fait un argument essentiel du schisme entre Orient et Occident. » Le même souci volontariste de distinction semble avoir pesé sur le façonnage de l'apparence en islam. "Distinguez-vous des mages" (c’est-à-dire des prêtres zoroastriens persans), "N'imitez ni les juifs ni les chrétiens", aurait dit le prophète. Le port de la barbe et de la moustache, étroitement codifié, l'épilation corporelle figurent au rang des démarcateurs forts, avec d'infinies nuances, de l'appartenance à une même communauté. Bernard Lewis [15] nous rappelle la vigueur médiévale de ce jeu d'oppositions qui n'a rien perdu de sa virulence de nos jours : Harun ibn Yahya, prisonnier à Rome au IXème siècle, remarquait que les habitants de la ville "jeunes et vieux, se rasent entièrement la barbe, n'épargnant pas le moindre poil. 'La parure de l'homme, leur dis-je, c'est sa barbe !' ". Et un des Romains interpellé sur ce thème par un autre Arabe de répondre : "Le poil, c'est du superflu. Si, vous autres, vous l'enlevez des parties naturelles, pourquoi devrions-nous le laisser sur le visage ?". Cette volonté de démarcation communautaire est explicitée par un exégète contemporain, le shaykh ibâdite Bayyudh, ardent propagandiste de l’obligation religieuse du port de la barbe : « Il est demandé et même ordonné aux musulmans de se donner une personnalité spécifique, dans le but de se différencier de ceux qui n’ont pas la même confession qu’eux, de se faire reconnaître d'autrui et entre eux-mêmes. Cette personnalité doit être leur blason et la marque qui les singularise.» [16] Faut-il souligner, dans ce système de différences, la place tenue par les juifs suivant les prescriptions du Lévitique (19, 27; 21, 5) de ne pas se raser les coins de la barbe ? Cette interdiction avait sans doute à l’origine, tout comme le port de la barbe, une fonction distinctive par rapport aux Égyptiens au visage glabre et aux Babyloniens et aux Persans aux barbes savamment bouclées. Elle a donné naissance à la coutume, vivace chez les traditionalistes ashkénazes, de se laisser pousser de longues papillotes (pe’ot) roulées en anglaises.
Que la pilosité soit mise à contribution comme signe distinctif pour creuser les écarts entre affiliations et groupes voisins, qu’elle figure comme un trait majeur dans les représentations de soi [17] ou dans les caricatures de l’autre [18], l’histoire des relations entre juifs, chrétiens et musulmans nous le rappelle éloquemment. Comme le nom personnel est la marque explicite d’une appartenance (à une lignée, à une région, à une nation, à une religion), l’apparence pileuse, donnée génétiquement et construite socialement, est, avec la peau, les yeux et le nez, le principal trait visible d’identification [19]. La force symbolique de ce marqueur phénotypique apparaît clairement dans les processus de domination, de soumission ou d’humiliation de l’Autre. Soit on le cantonne dans son apparence pileuse de peur qu’il ne devienne trop proche et trop semblable. Telle fut la contrainte imposée aux juifs dans la Sicile de Frédéric II, dans l’Espagne de la Reconquista [20] ou encore par Marie Thérèse d’Autriche les obligeant à porter la barbe. Soit on leur dénie leur identité en s’attaquant prioritairement à leur nom et à leurs poils.
Trichophiles et trichophobes :
Aïnous et Japonais
Qu’on me permette ici d’évoquer un autre voyage, chez les Aïnous de Hokkaido, la population la plus velue naturellement au monde avec les Ghiliak de Sibérie. Ces chasseurs-pêcheurs-cueilleurs, qui pratiquaient aussi l’horticulture [21], valorisaient particulièrement les poils dont ils étaient abondamment pourvus. Hommes et femmes adultes ne se coupaient jamais les cheveux, sauf lors du deuil de leur conjoint. En dehors de cette circonstance, porter atteinte à sa chevelure et, pour l’homme, à sa barbe était considéré comme un geste sacrilège [22]. Les femmes avaient la lèvre supérieure incisée, recouverte de noir de seiche (substance à partir de laquelle on prépare l’encre de Chine) et arboraient ainsi une moustache factice. Pour se saluer, les hommes se caressaient mutuellement la barbe. Pour manger et boire, ils utilisaient un relève-moustache décoré. Cette trichophilie s’exprimait aussi dans l’usage de vêtements de fourrure et dans les attitudes et les rituels autour de l’ours, perçu comme « le frère de l’homme » [23]. Entre les Aïnous et les Japonais qui, à partir de la fin du XVIIIème siècle, conquirent leur territoire et tentèrent de les assimiler, la rencontre fut inégale et dramatique. Peu velus, les Japonais manifestent une profonde pudeur à l’égard du poil, cette tendance s’étant accentuée à partir de l’ère Meiji [24]. La barbe et la pilosité corporelle sont dévalorisées, la chevelure traditionnellement ramassée en chignon et aujourd’hui généralement coupée court et soigneusement entretenue (90% des Japonais se lavent les cheveux deux fois par jour [25]). Prédomine ici une conception disciplinaire et jardinière de la pilosité. Quant à la représentation des poils pubiens, elle est considérée comme obscène et a été systématiquement censurée jusqu’à ces dernières années. L’Empire des sens, le film de Nagisa Oshima qui met en scène la passion de deux amants, a connu un grand succès en Occident mais a été interdit au Japon où il avait été tourné en 1976. Appliquant l’article 21 du Code douanier, des fonctionnaires étaient chargés d’effacer ou de recouvrir d’encre indélébile les photos des magazines arrivant de l’étranger, où apparaissaient des poils pubiens. L’exposition de photos artistiques de nus était également interdite, ce qui engendra des incidents diplomatico-culturels et un vif « débat sur le poil » au sein de la société japonaise dans les années 1990. Cette pruderie contraste avec la large diffusion de bandes dessinées, de romans photos, etc. représentant crûment relations sexuelles, scènes de viol et corps nus, à l’exception… des poils pubiens, si bien que l’on a pu parler du « paradoxe pornographique » japonais. Toujours est-il que cette sensibilité au poil montré, à la domestication de l’apparence a attisé la vivacité des réactions des Japonais à l’égard des Aïnous perçus comme des sauvages, voire « comme des ours ou des singes ». Les premières mesures prises lors de la colonisation furent de japoniser leurs noms et de les inciter, par des dons de riz et de saké, à se couper les cheveux et à se raser les poils. Mais ceux qui se laissaient convaincre étaient mis au ban de leur communauté et voués à la punition divine [26]. Jusqu’à un proche passé, les Aïnous, en raison de leur apparence pileuse, ne pouvaient être instituteurs, accéder à un poste de responsabilité ou fréquenter les bains publics.
Domination, soumission, humiliation, dénégation de l’identité personnelle ou collective ont partout une sanction pileuse qu’accompagne souvent un changement imposé de nom. L’emprisonnement, le bagne, la déportation en fournissent des exemples constants, le rasage ou la coupe des cheveux et l’attribution d’un numéro matricule marquant le début de la réclusion. « C’est ainsi que commence la destruction, écrit Joseph Bialot dans sa saisissante évocation d’Auschwitz, par une tonte où l’être civilisé, avec nom, prénoms, qualité, vient expirer dans l’œil de son semblable». [27] L’esclavage dans de très nombreuses sociétés (en Égypte, à Rome, chez les anciens peuples germaniques, en Chine, en Birmanie, dans la plupart des sociétés africaines, chez les Amérindiens de la côte nord-ouest…) avait la même sanction pileuse, cette « mort sociale » se traduisant aussi par l’attribution d’un nouveau nom [28].
Un langage souple à quatre clefs
Du genre à l’identité ethnique, de la rébellion à la soumission, de la naturophilie à la naturophobie, le chemin du poil mène donc vers plusieurs pistes. Sa capacité à signifier, la pilosité la doit largement à ses propriétés. Contrairement aux mutilations d’organes (la circoncision, l’excision, par exemple) qui sont définitives et sauf exceptions rendues possibles par les techniques modernes (l’épilation électrique ou au laser), les modifications que l’on apporte aux poils et aux cheveux sont temporaires et réversibles puisque ces phanères, tout comme les ongles, les griffes, les sabots, les plumes, les piquants, croissent, tombent et repoussent régulièrement (d’un à un centimètre et demi par mois pour les cheveux). On peut les couper, les raser, en modifier la forme et le volume en les séparant par une ou plusieurs raies, en les frisant ou en les défrisant, en les crêpant, en les dressant en crête, en les tressant, en les nattant, en les tissant, en les exhaussant à l’aide d’un cimier comme dans les coiffures africaines [29], en les oignant et en les modelant avec des corps gras, des pommades, voire de l’argile, en les allongeant par des fibres végétales ou par des cheveux humains, en les dissimulant sous des postiches. On peut aussi les teindre, les déteindre, les orner avec des perles, des cauris, des peignes… À la fois solides et souples, ces fibres prêtent aux arrangements temporaires les plus divers. Si les poils sont « bavards » biologiquement (leur examen permet de déceler des traces de dopage, de maladie…) [30], ils offrent aussi de singulières propriétés pour parler de soi et des autres. Mais que disent-ils à travers des mises en forme variables selon les époques et les lieux ?
Quel que soit le contexte, interfèrent et se condensent dans l’apparence pileuse quatre types d’informations que nous avons précédemment entrevues : des informations sur le genre, sur le statut (l’âge, la génération, le rang, l’appartenance communautaire…), sur le rapport à l’ordre et aux normes (Charles Hallpike, dans son article « Social Hair » [31] distingue ainsi les in et les out), sur les tendances esthétiques dominantes. Les variations individuelles, voire les choix collectifs de minorités, traduisent toujours une prise de position par rapport à ces codes établis.
Genres
Caractéristique visible du dimorphisme sexuel, l’apparition des poils chez les garçons marque une « entrée dans le genre » comparable aux premières règles chez les filles. De nombreuses sociétés consacrent immédiatement ou à retardement la puberté biologique et sociale par un rite pileux. À Rome la coupe de la première barbe (la depositio barbae), offerte aux Dieux Lares ou à Jupiter, accompagnait la prise de la toge virile. Chez nous, les adolescents guettent avec fébrilité l’apparition de leurs premiers poils, la transformation de leur duvet en moustache, tandis que les jeunes filles les traquent sur leurs jambes et sur leur visage pour les faire disparaître. C’est que le lisse féminin et le dru masculin ont constitué, à quelques exceptions remarquables près, le paradigme de la beauté et de la normalité dans l’histoire de l’Occident. Les différences pileuses entre les sexes que la nature a posées, nos cultures - et les cultures en général - ont eu tendance à les creuser. Les textes fondateurs, qui n’aiment pas les mélanges et élargissent artificiellement le fossé, sont sur ce chapitre sans la moindre ambiguïté. « La nature elle-même ne vous enseigne-t-elle pas qu’il est déshonorant pour l’homme de porter les cheveux longs ? Tandis que c’est une gloire pour la femme, car la chevelure lui a été donnée en guise de voile », dit Saint Paul dans sa Première Épître aux Corinthiens (11, 14-15) où il rappelle sans ambages la soumission de la femme à l’homme et l’obligation qu’a celle-ci de se couvrir lorsqu’ « elle prie ou prophétise.» Les pères de l’Église ont souligné, dans des termes tout aussi vifs, l’impérative nécessité de maintenir les frontières naturelles tracées par Dieu. À la fin du IIème siècle, Clément d’Alexandrie tonne contre les dévergondés qui veulent les abolir en se faisant épiler : « Partout, écrit-il, on équipe et on ouvre des officines et les spécialistes de cette débauche courtisane se font d’immenses fortunes » mais, poursuit-il, « Dieu a voulu que la femme soit imberbe, fière de sa seule chevelure naturelle comme le cheval l’est de sa crinière ; mais il a orné l’homme d’une barbe comme les lions et il l’a désigné comme un homme par une poitrine velue ; c’est le signe de la force et de l’autorité. Pareillement, il a paré de crêtes semblables à des casques les coqs qui combattent pour défendre les poules. Les êtres mâles sont plus chauds [32] et plus velus que les êtres femelles, les animaux entiers plus chauds que ceux châtrés, les adultes plus chauds que ceux qui n’ont pas achevé leur croissance. Il est donc sacrilège de maltraiter ce qui est le symbole de la nature virile, la pilosité » [33]. Ces exigences de conformité à l’ordre naturel furent rappelées brutalement par les autorités ecclésiales et impériales aux premières communautés monastiques qui prônaient la pauvreté, l’égalité entre les hommes et les femmes et l’indistinction de leur apparence : tous portaient le même vêtement (un simple pallium), les femmes se rasaient la tête, cette disparition de leur « voile naturel » suscitant les protestations des évêques [34]. La chevelure ordonnée, souvent couverte en public, et dénouée seulement dans l’intimité conjugale, a été le symbole dominant de la féminité dans l’histoire des sociétés euro-méditerranéennes. À l’ostentation des signes pileux de la virilité (barbe, moustache, poils sur le torse) a correspondu la dissimulation de la chevelure féminine, associée - faut-il le souligner ? - à la séduction. Le mot « noces » vient du latin nuptiae qui désigne l’action de couvrir (la chevelure). Dans la tradition juive orthodoxe, les femmes mariées doivent couvrir leur tête d’un foulard, d’un turban ou d’une perruque [35]. Encore faut-il que ces postiches ne soient pas faits à partir de cheveux d’infidèles, selon un rabbin ultra-conservateur qui prescrit, en mai 2004, de les brûler si tel était le cas [36]. Les débats actuels sur le voile islamique rappellent la vivacité de la tradition musulmane, proche de la coutume longtemps attestée en Europe méridionale. Au début du XXème siècle en France, la bienséance exigeait qu’une femme sortît en couvrant ses cheveux rassemblés en un chignon placé plus ou moins haut sur la nuque.
Raser, couper court ou déployer en public sa chevelure furent, et demeurent parfois, des gestes de rupture par rapport aux normes de la sexualité. Ces mesures peuvent être volontaires ou imposées (il est toujours important, quand on analyse l’apparence pileuse ou vestimentaire, de savoir qui a donné directement ou indirectement les ordres). Dans nos sociétés, le renoncement à la vie sexuelle se traduit par le rasage de son symbole (lors, naguère, jusqu’au concile de Vatican II, de l’entrée dans les ordres féminins) ou par un raccourcissement de la chevelure (par exemple, lors d’un veuvage ou d’une séparation). Le châtiment de l’adultère est, dans une longue tradition, le rasage de l’arme de la séduction. Exemple parmi d’autres, Marguerite de Bourgogne fut, pour son infidélité, répudiée, tondue puis étranglée sur ordre de son mari, Louis X, en 1314. Ce n’est plus tant alors de rasage qu’il s’agit - un geste qui s’applique à la pilosité humaine - mais de tonte - que l’on pratique sur les animaux ou sur une pelouse (un mot, notons-le en passant qui a la même origine étymologique que poil) - pour stigmatiser une relation contre-culture. De 1943 aux lendemains de la Libération, une vingtaine de milliers de femmes furent tondues en public, « découronnées, défigurées », selon les mots de Paul Eluard, pour crime de « collaboration horizontale » [37]. On ne se contentait pas ici de punir, on s’attaquait à la féminité elle-même en désexualisant le corps séducteur.
L’affirmation d’une nouvelle forme de féminité peut prendre, selon les contextes et les codes préétablis, la forme du raccourcissement ou du déploiement de la chevelure. La « révolution » et le scandale de « la garçonne », héroïne du roman de Victor Marguerite, paru en 1922, illustre le premier cas de figure. À la mode des chignons faits de nattes postiches, énormes tourtes ornées de peignes d’écaille, se substitue massivement, à la veille de la première Guerre mondiale et à ses lendemains, celle des cheveux courts, symbolisant une tendance à l’émancipation des femmes et une neutralisation relative des distinctions sexuelles. « Un déclic se fit dans ma tête, commente en 1912 le grand coiffeur Antoine, promoteur de cette mode. Le temps était venu de coiffer court. Les femmes roulaient en automobile, les cheveux au vent, certaines travaillaient et toute cette vie mondaine s’agitait et se transformait. Les vêtements près du corps demandaient des têtes petites, aux lignes nettes, non des chevelures massives » [38] (rappelons que dès 1908 le grand styliste Paul Poiret avait supprimé dans ses collections le corset, cette gangue qui enserrait le corps féminin depuis le XIIIème siècle). Face à cette manifestation d’indépendance, de refus de l’ordre socio-sexuel ébranlé par la guerre, les réactions de l’Église, épaulée par des médecins conservateurs, furent d’une particulière virulence. Sur cette mode, qui allait contre les prescriptions de Saint Paul, planaient, selon eux, le spectre de l’androgynie et le risque de la paganisation de la femme chrétienne. Couper les cheveux des femmes, disaient-ils, pouvait entraîner leur calvitie et le développement de leur système pileux sur le visage. Deux conceptions, très culturelles, de la nature s’opposaient. Les garçonnes revendiquaient le naturel face « aux sentiments faux » symbolisés par les chignons faits de postiches ; les tenants de l’ordre rappelaient l’exigence paulinienne du « voile naturel ». En 1925, 90% des femmes avaient adopté les cheveux courts. On a pu discuter du sens profond de cette métamorphose massive [39]. Celles qui « s’étaient fait couper les cheveux » n’assumaient sans aucun doute pas toutes l’idéal de « la garçonne » et suivaient une mode qui s’était largement diffusée. Mais ce mouvement, accompagné par l’émergence sur le devant de la scène de femmes modistes (Jeanne Lanvin, Madeleine Vionnet, Gabrielle Chanel…) a été une étape importante et significative avant que les années 1930, avec la mode des boucles serrées autour du visage, ne sonnent le glas de cette avancée. L’histoire des relations entre les genres ne se conte jamais à sens unique et celle des modes pileuses illustre ce mouvement discontinu avec ses phases de rapprochement des apparences (on pense au XVIIIème siècle) et de restauration des différences (on pense au XIXème).
Partant d’un autre horizon, celui de la chevelure courte, contrainte et cachée, des féministes (juives surtout) ont pris pour emblème de leur révolte une figure de la mythologie biblique aux cheveux flottants et dénoués, Lilith [40]. À bien y regarder La Genèse nous relate deux créations. Dans la première, le texte nous dit que « Dieu créa l’homme à son image (…), mâle et femelle il les créa » (1, 27) ; dans la seconde, « Dieu transforma la côte qu’il avait prise à l’homme en une femme qu’il lui amena » (2, 23). Si Ève est née de la côte d’Adam, qu’est devenue la première femme que Dieu créa ? Cette question n’est pas restée dans l’impensé de la tradition talmudique et kabbalistique. Dans L’Alphabet de Ben Sira, un recueil de légendes rédigé au Xème siècle, auquel se réfère le mouvement féministe contemporain, la première création est présentée comme une sorte de brouillon raté, où l’homme et la femme ne purent s’entendre. « Ils en vinrent immédiatement à se quereller. Elle dit :’Je ne me couche pas au-dessous’ ; il lui dit :’ Je ne me couche pas au-dessous mais au-dessus. Elle lui dit :’Nous sommes tous les deux égaux parce que nous sommes tous les deux de la terre’. Mais ils ne purent s’entendre, et lorsque Lilith en fut convaincue (…) elle s’envola dans les airs de l’univers » [41]. Elle rejoignit les démons tandis que Dieu, après cet échec, créait une femme dérivée de l’homme et donc plus conforme à l’ordre patriarcal. Dans la tradition et le folklore juifs, Lilith apparaît comme une femme fatale, à la chevelure libre et flottante, rousse, séductrice, cherchant à prendre la place de l’épouse légitime et provoquant chez les hommes des pollutions nocturnes afin d’engendrer des enfants-démons. D’une femme légère, on dit : « Elle laisse pousser ses cheveux comme Lilith » dont l’apparence s’oppose à celle d’Ève à la coiffure toujours disciplinée. Cette chevelure au vent, symbole de séduction, a été représentée de façon suggestive par des peintres contemporains (Dante Gabriel Rossetti, vers 1870, John Collier, en 1905) mais est surtout devenue, pour les féministes, un emblème de liberté, de rébellion face à l’ordre sexuel établi. La chevelure longue et flottante de Lilith, promue en « doyenne de la libération de la femme » [42], est tout particulièrement revendiquée par les féministes juives se révoltant contre la coutume du « oppressed hair » qui « puts a ceiling on the brain » (« la chevelure opprimée qui pose un plafond sur le cerveau »). « It’s the wild hair which draws me to you (…) Lilith, I always hoped my daughter would be like you ! » (« C’est la chevelure sauvage qui m’attire vers toi. Lilith, j’ai toujours espéré que ma fille te ressemblerait ! »), écrit l’une d’entre elles [43].
Cette prise de distance par rapport aux canons stéréotypés de la féminité et de la masculinité est une marque des temps contemporains où les codes apparaissent brouillés, crépusculaires et où une logique optionnelle semble prévaloir sur une logique normative. Les signes pileux de la virilité sont en net recul. La moustache - que vantait Guy de Maupassant [44] et que portaient les vedettes masculines de naguère, tel Clark Gable - et le torse velu - affleurant généreusement à travers le col ouvert de la chemise - apparaissent comme les témoins attardés d’un autre âge. La tendance chez les hommes est au glabre sur le visage comme sur le torse : « Cet été bombez le torse, à condition qu’il soit entretenu ! », dit la publicité [45]. L’épilation masculine se développe, signe de l’irruption des hommes dans le monde du lisse jusque là réservé aux femmes. À l’aube des années 2000, les jeunes gens arborent des mèches blondes, adoptant un trait conventionnel de la parure féminine. Et que dire de la mode soixante-huitarde des cheveux longs qui fit scandale en son temps ? Ce flottement des frontières [46] est-il, pour autant, l’indice d’une marche irréfragable vers l’androgynat ? À vrai dire, cette neutralisation relative des apparences, pileuses comme vestimentaires, est plus paradoxale. D’une part, le lisse est tout autant symbole de modernité que de féminité. Il s’inscrit dans un processus général de désanimalisation, de désodorisation des corps qu’incarnent, sur un mode hyperbolique, les héros futuristes de bandes dessinées et de romans de science-fiction. De l’autre, le lisse permet de mieux mette en relief un corps sculptural et musclé, emblème de virilité. Par ailleurs, si les poils faciaux sont en déclin, ils n’ont pas entièrement disparu. Le rasage imparfait des années 1990, les mouches, les fines moustaches des années 2000… rappellent discrètement l’essentiel. Au demeurant, les hommes qui se font épiler redoutent d’être taxés d’homosexualité pour avoir arraché cet emblème enraciné de leur identité. Cette métamorphose pileuse est, en effet, un épisode central dans les procédures de travestissement ou de transsexualisation.
À l’époque d’une relative uniformisation vestimentaire, les cheveux féminins demeurent investis d’une puissante fonction différenciatrice. Mais ici aussi, dans les arrangements capillaires, objets de tous les soins et de toutes les sollicitudes [47], se faufile le paradoxe. L’écart entre coiffures féminine et masculine s’est restreint, sauf chez les enfants et les adolescents où le long continue de s’opposer au court. Les nattes, naguère symbole chez les jeunes filles d’une sexualité retenue, se sont progressivement éclipsées. Chez les adultes prédominent les cheveux courts ou mi-courts, cette modification de l’apparence capillaire correspondant à un changement important de statut : un premier emploi fixe, le mariage, ou plutôt aujourd’hui la naissance du premier enfant (et l’on ne saurait attribuer ce choix de se couper les cheveux à de simples raisons pratiques ou physiologiques), la nomination à un poste officiel (les femmes ministres qui portaient encore les cheveux longs avant leur entrée en fonction adoptent rapidement une coupe courte). Il y a donc une simplification et une masculinisation de la coiffure qui rappellent la mode de « la garçonne ». Mais, d’une part, les traits de différenciation se reportent sur le façonnage : les mèches, l’aspect lisse et brillant, les couleurs, les boucles d’oreille qu’une coupe courte valorise. De l’autre, ce sont les femmes en pleine possession de leur féminité, qui portent les cheveux courts ; celles qui en sont aux marges (les adolescentes, les femmes ménopausées parfois) se les laissent volontiers pousser ou repousser. La décodification contemporaine, la latitude laissée aux choix individuels ont, par ailleurs, permis la transgression de tabous, impensable à d’autres époques. À travers l’histoire de l’Occident, le roux, couleur hybride, a été une teinte maudite, symbole de fourberie (celle du renard), de traîtrise (celle de Judas), de luxure et de débauche féminines : Saint Louis prescrivit que les prostituées fussent teintes en roux pour qu’on ne pût pas les confondre avec des femmes honorables, Marie-Madeleine, la pécheresse, est représentée avec une longue chevelure rousse, la Nana de Zola, Rosa la Rouge immortalisée par Toulouse-Lautrec, Julie, qui « soulage les ardeurs extra-républicaines », chantée par René-Louis Lafforgue, sont toutes rousses [48]. Le succès des teintures rousses, tirant sur le rouge, témoigne d’une décoordination des normes du paraître, du soupçon de provocation et d’auto-dérision qui caractérisent l’époque contemporaine.
Classer
On ne s’attardera guère sur les distinctions catégorielles (d’âge, de génération, de statut marital, de rang, de profession…) qu’enregistrent et expriment des traitements différenciés de l’apparence pileuse. Les ethnographes ont montré la richesse de ce langage, en particulier en Afrique [49] où des techniques sophistiquées de nattage, de tressage, de confection de pompons, de surélévation, de rasage donnent lieu à de remarquables réalisations géométriques. Par exemple, chez les Diawara du Mali, les dessins formés sur le crâne des enfants par des rangées et des touffes de cheveux indiquent, outre leur sexe, le statut de leur lignée, s’ils sont enfants de nobles, de marabouts, de griots, de forgerons, de serviteurs… De même, commentent des exégètes de la parure en Afrique de l’ouest, « tous les stades de la vie d’une femme sont reconnaissables » à travers les types variés de leurs coiffures : « On peut lire que la femme n’a jamais divorcé, qu’elle est la première ou la deuxième épouse, qu’elle a accouché il y a plus de quarante jours, qu’elle est veuve, qu’elle est jeune mariée et se rend à une fête, qu’elle a été longtemps sans avoir d’enfant ou qu’elle a eu des difficultés à garder son enfant » [50]. La coiffure se prête ici à une véritable sémiologie qui distinguerait les plus petits éléments formellement distinctifs, leurs modes d’agencement pour former des unités de sens. Comme dans les systèmes codifiés de communication, tel le vêtement traditionnel [51], ces signes peuvent être arbitraires (la forme ne renseigne pas sur la signification) ou motivés (il y a un lien analogique entre le signifiant et le signifié). Ils prennent alors le statut de symbole. Tel est le cas, parmi bien d’autres, chez les Borana [52], un des groupes oromo qui peuplent le territoire éthiopien. La société masculine s’organise en classes et grades générationnels d’une durée de huit ans chacun, qui rythment les âges de la vie. Chaque passage d’une classe ou d’un grade à l’autre inaugure un changement d’identité que symbolise une nouvelle apparence pileuse. Jusqu’à huit ans, les enfants ont une coiffure typiquement féminine ; ils portent les cheveux longs ornés de cauris. Leur entrée dans la deuxième classe consacre leur naissance en tant que garçons ; ils sont dotés d’un nom et tonsurés comme des moines franciscains. Ce passage à la masculinité puis au statut de guerrier est symbolisé, lors de leur accès au troisième grade, par une réduction de la taille de la tonsure et surtout par la croissance et l’érection d’une touffe de cheveux (guutu) au-dessus du front. Au stade suivant, celui de la virilité qui s’affiche, les hommes forment un groupe organisé, leur tonsure disparaît et leur guutu continue de s’exhausser ; il atteindra sa plus haute dimension lors des cinquième et sixième stades, où les hommes, devenus des guerriers confirmés, sont successivement autorisés à se marier, à avoir des enfants, à diriger les affaires politiques. Les entrées dans les classes suivantes scandent une retraite progressive qui se traduit par une disparition graduée des emblèmes pileux de la virilité. Aux stades ultimes, les vieillards se parent, lors des cérémonies, d’une corne métallique sur le front, substitut du guutu des guerriers, puis, au terme de leur vie, se rasent entièrement le crâne et s’isolent définitivement du monde.
Les Borana nous rappellent que la plupart des rites de passage ont une traduction pileuse, que la taille de ces signes visibles peut être proportionnelle à l’importance du statut de celui qui les porte et que leur forme peut avoir un rapport intrinsèque avec leur sens (ainsi la touffe dressée figure-t-elle par analogie la virilité et l’arme du guerrier). Dans l’histoire de l’Occident chrétien, la tonsure ecclésiastique [53] a eu ce double statut de signe proportionnel et de symbole : de signe, car elle distinguait les clercs des laïcs (au XVIIème siècle, les autorités ecclésiastiques imposèrent aux abbés « perruquets » que leur perruque comportât un orifice laissant voir clairement leur tonsure) ; de signe proportionnel : la tonsure devait être d’autant plus large que l’on s’élevait dans la hiérarchie (ainsi le concile de Milan en 1579 prescrivit que celle des prêtres fût de quatre pouces, celle des diacres de trois, celle des minorés de deux) ; de symbole, dont les interprétations furent contradictoires au fil de l’histoire de l’Église : tantôt la tonsure fut présentée comme un emblème de renoncement à la luxure et à la séduction, à l’être charnel, au superflu, aux « rêvasseries de l’âme » [54] ; tantôt la couronne formée par les cheveux épargnés était censée représenter celle du prince des apôtres, Saint Pierre, qui aurait été elle-même une évocation de la couronne d’épines portée par le Christ sur la croix ; tantôt on la considéra comme une allégorie du pouvoir, du sacerdoce royal, de la gloire céleste.
Mais si l’apparence pileuse peut, comme toute forme symbolique, donner lieu, selon les contextes, à des interprétations contrastées mais compatibles, elle peut aussi susciter polémiques et révoltes quand un groupe revendique un changement du statut qui lui est assigné.
L’histoire du traitement de leur chevelure par les Noirs aux États-Unis, au cours du dernier siècle, montre mieux que tout autre exemple le rôle d’étendard que peut jouer la coiffure. Elle illustre aussi comment l’avènement d’un style capillaire est associé à celui d’une génération et peut consacrer un temps fort du devenir d’une société. Du début du XXème siècle aux années 1960, la tendance prédominante était au défrisage - alors pratiqué à chaud - d’une chevelure crépue et stigmatisée. Cette volonté ou cette contrainte assimilationniste était parfois combattue par des intellectuels qui dénonçaient « those aping the white man to the extent of straightening… kinky hair » (« ceux singeant l’homme blanc au point de raidir leur chevelure crépue ») mais « Madam » Walker - l’équivalente d’alors d’Élizabeth Arden -, afro-américaine elle-même, faisait fortune en diffusant ses lotions et ses fers à défriser spécialement adaptés à la chevelure des Noirs [55]. La plupart des rockers d’après guerre arboraient ainsi une coque lisse et gominée, tout comme… Malcom X qui s’en débarrassa avec fracas après son engagement dans la « Nation de l’islam ». « Cette coque, commente-t-il dans son Autobiographie, représentait la première étape vers l’autodestruction. Supporter cette douleur, me brûler littéralement la chair avec de la lessive pour pouvoir cuire mes cheveux jusqu’à ce qu’ils soient raides et qu’ils ressemblent à ceux d’un Blanc ! J’avais rejoint cette multitude d’hommes et de femmes noirs américains qui s’étaient laissé endoctriner jusqu’à penser que les Noirs sont ‘inférieurs ‘ et les Blancs ‘supérieurs’ à tel point qu’ils étaient prêts à violer leur corps créé par Dieu pour essayer d’être ‘beaux’ selon les critères des Blancs » [56]. Le mouvement noir de contestation sociale et de revendication identitaire qui prit corps aux Etats-Unis au milieu des années 1950 promut la coiffure « afro », « a truth-telling hairstyle » (un style capillaire disant la vérité), qui rappelait fièrement les origines au lieu de les dissimuler. Angela Davis, Jimmy Hendrix, James Brown furent les figures de proue de cette rébellion contre l’aliénation esthétique. Mais rapidement, à l’aube des années 1970, la coiffure « afro » fut concurrencée et détrônée par le style « rasta », venu de la Jamaïque, symbolisant lui aussi, mais sur d’autres bases, la révolte contre l’asservissement et la domination et la rédemption de l’identité africaine incarnée par le ras Tafari (« le prince Tafari »), nom de l’empereur d’Éthiopie, Haïlé Sélassié, couronné en 1930. Les dreadlocks, « les mèches effrayantes », furent popularisées par un mouvement radical de la seconde génération rastafariste, qui interdisait à ses militants l’utilisation du peigne [57]. Ce style capillaire, dont on discute passionnément les origines africaines ou, plus probablement, indiennes (il rappelle la coiffure des sadhu - ermites - hindouistes), connaît plusieurs variantes, « hard » (de longues mèches de cheveux agglutinés) ou « soft » (des tresses prolongées artificiellement), cette coexistence suscitant des polémiques, les « vrais » rastas dénonçant la sophistication des « faux ».
La coiffure « afro » et les dreadlocks figurent sans doute parmi les exemples les plus frappants des significations politiques et identitaires que peut prendre la chevelure. Elles illustrent un des paradoxes des temps contemporains marqués par une certaine banalisation des usages et par une affirmation renouvelée des appartenances ethniques. La diffusion de ces emblèmes au-delà de leur milieu d’origine, chez des jeunes blonds et blancs, chez les altermondialistes ou encore chez des adolescents en rupture temporaire de ban avec leur famille, témoigne de la circulation de modèles censés marquer des frontières. Adopter par sympathie ou par fantaisie l’apparence de l’Autre - ne fût-ce que temporairement - est devenu une option prisée, mais naguère impensable, dans un monde globalisé où s’offre à l’individu une palette de choix contrastés pour se construire une image.
L’ordre du monde et ses marges
Le style rasta nous rappelle que l’apparence pileuse situe l’individu par rapport aux normes et à l’ordre du monde. Aux chevelures conformes, qui n’attirent pas le regard, s’opposent les styles capillaires de ceux qui se sont mis ou que l’on a mis en marge de la « cité ». Cette pilosité hors norme peut signifier le refus ou le retrait imposé de l’ordre social et politique : les rebelles, les insoumis, les proscrits, les emprisonnés, les exclus… se distinguent par leur apparence marginale. Elle peut aussi symboliser une expérience spirituelle ou un rapport singuliers au sacré : les ascètes, les ermites, les possédés, les chamanes, les magiciens (tel Merlin) se différencient du commun des hommes de religion par leur échevèlement ou par le rasage intégral de leur crâne. Elle peut encore signaler une affinité excessive avec le monde naturel, voire un retour à l’animalité : les hommes des bois, les chasseurs furieux, les fous ensauvagés, les pécheurs qui ont transgressé la loi divine, les barbares (dont le nom n’a rien à voir, sinon dans l’étymologie populaire, avec une barbe prolixe), les hommes préhistoriques… sont, en général, représentés comme des êtres velus et hirsutes. Cette mise en marge peut être définitive ou temporaire, scandant une transition au fil de la vie ou du cycle annuel : au Penjab, lors d’un deuil, les hommes se rasent la tête, tandis que les femmes arborent des cheveux tombants et ébouriffés [58] ; dans nos sociétés, le carnaval traditionnel se traduit par une explosion de phanères (les hommes se parent de poils, de plumes, de griffes, de cornes…), comme si se rejouait périodiquement le passage de la sauvagerie à l’humanité.
Face à la conformité pileuse, présentant une apparence plus ou moins disciplinée selon les sociétés, le rasage intégral du crâne et l’hirsutisme représentent deux attitudes extrêmes qui signalent, dans la plupart des cultures, une mise en marge radicale. Mais à l’intérieur d’un même système elles constituent comme deux pôles opposés de la marginalité. Un rapide détour par le monachisme en Inde nous fera prendre la mesure de la différence de sens qui s’attache à ces deux formes extrêmes. Deux types de moines errants s’opposent dans le monde indien : le sannyasin et le vânaprashta [59]. Le premier est un ascète renonçant qui pratique l’errance méditative, silencieuse, souvent en petit groupe. Séparé rituellement du monde, il ne l’est pas physiquement puisqu’il se rend d’un monastère ou d’une ville à l’autre, mendie, en dehors des périodes de jeûne, une nourriture qui doit être cuite selon les prescriptions brahmaniques. Ses cheveux, sa barbe et ses ongles coupés signifient le détachement des biens et de la sexualité, une spiritualité intériorisée. Le vânaprashta est, pour ainsi dire, le double inversé et déviant du sannyasin. C’est, selon la tradition, un ermite solitaire et forestier, hirsute dont les cheveux forment des torsades collées par du suc de figuier, couvert de vêtements de peau ou d’écorce (contrairement au sannyasin qui porte une simple étoffe tissée quand il ne se déplace pas nu). Il se nourrit de légumes et de fruits sauvages, de mousses…, éventuellement, en cas de disette, de lambeaux de chair crue. Il bafoue donc « les éléments proprement culturels du Brahmanisme » mais en préserve, note Michel Hulin, l’essentiel des éléments religieux » [60], en pratiquant notamment les sacrifices quotidiens et en s’adonnant à des exercices ascétiques violents. Au sacré de transgression qui abolit les frontières entre le pur et l’impur correspond l’hirsutisme, au renoncement qui se soumet à l’ordre culturel des cheveux rasés.
Dans L’homme et le sacré, Roger Caillois distinguait trois mondes : le profane, le sacré droit et le sacré gauche [61]. En distinguant ces deux types de sacré, il reprenait et affinait l’opposition dégagée par Robert Hertz dans son « Étude sur la polarité religieuse » [62]. Commentant ces œuvres, Daniel Fabre note justement que, chez Caillois, le « droit » est un « sacré d’institution, s’exprimant par la fixité dogmatique et liturgique, par la construction hiérarchique », le « gauche » un sacré de dissolution qui fait toute sa place à l’expérience fusionnelle, à la transe, à l’extase… » [63]. C’est ce contact direct avec le divin, dégagé des normes et des rites contraignants, qu’expriment les chevelures broussailleuses et défaites des chamanes, des possédés, des derviches, des fous de Dieu, des ermites… Le christianisme, comme les autres religions du Livre, a rapidement suspecté l’extase et la transe et n’a eu de cesse de combattre ces « déviances » et d’imposer à ses fidèles une discipline capillaire. À l’érémitisme des premiers temps - symbolisé par ces dendrites, vivant sur des arbres, ou ces stylites, installés sur des colonnes, tels Saint Siméon ou Daniel, avec ses douze tresses et sa barbe de quatre coudées de longueur - s’est substitué le cénobitisme (la vie en communauté) avec ses règles et sa codification de la pilosité. La tonsure du moine sous la surveillance de l’abbé (« Que personne ne se rase la tête à l’insu de l’abbé », dit la règle 39 de Saint Pacôme) a éclipsé la « barbe prolixe » de l’ermite qui n’est demeuré qu’une figure marginale. L’ordre du monastère l’a emporté sur le désordre du désert et de la forêt. Entre le clerc tonsuré et l’ermite échevelé, un personnage occupe dans l’ancienne vie monastique un statut intermédiaire que symbolise son apparence pileuse : le frère convers, qui est chargé des travaux des champs. Il n’était pas tonsuré mais portait, contrairement aux moines, une longue barbe qui était, contrairement à celle de l’ermite, soigneusement façonnée : on la comparait aux gerbes confectionnées avec minutie au terme de la récolte.
Ces gradations des apparences pileuses - et des espaces qui leur sont associés (la forêt sauvage, les champs cultivés, la construction humaine) - nous rappellent, s’il le fallait, que le traitement des cheveux et des poils, cette part animale de l’homme, est une mise à distance de la nature. C’est cette menace d’un retour à la nature que font peser les monstres, les images fantasmatiques des hommes préhistoriques [64], les velus atteints d’hypertrichose… dont on regarde l’inquiétante et proche étrangeté avec un amusement gêné. La punition divine par excellence n’est-elle pas d’ailleurs l’hirsutisme pénitentiel, cette régression à l’état d’animal couvert de poils ? C’est la sanction infligée par Dieu à Nabuchodonosor pour prix de son orgueil démesuré : « Chassé d’entre les hommes, nous dit le Livre de Daniel (4, 30), il mangeait de l’herbe comme les bœufs et son corps était baigné par la rosée du ciel, au point que sa chevelure poussa comme les plumes des aigles, et ses ongles, comme ceux des oiseaux ». Ce n’est qu’après avoir « béni le Très-haut » qu’il retrouva forme humaine. C’est, selon une célèbre légende médiévale, la même punition que Dieu donne à celui qui deviendra Saint Jean Chrysostome (Saint Jean Bouche d’Or) pour avoir fauté charnellement [65]. La domestication du poil marque, dans les mythes comme dans les représentations de l’histoire, la transition vers l’humanité et vers la civilisation.
Vers l’esthétique
On achèvera ces considérations trichologiques par quelques remarques furtives sur le relativisme des choix dans l’art d’accommoder ses cheveux et ses poils. Si le répertoire de base est restreint, opposant le naturel à l’artificiel, le symétrique au dissymétrique, le lisse au frisé, le long au court, le tressé ou le natté au flottant, le plat au volumineux, le brillant au rêche, le clair au foncé, le glabre au poilu…, chacune de ces catégories se décline avec d’infinies nuances et s’associe avec d’autres pour former une syntaxe singulière caractéristique du style d’une époque. Aux perruques extravagantes du XVIIIème siècle s’opposent le « naturel » des périodes pré-romantique et romantique, à la phobie contemporaine des poils axillaires féminins leur valorisation à la fin du XIXème siècle et au début du XXème: « Vous souvient-il, écrit Émile Bayard en 1904, du répugnant spectacle offert par telles actrices dont les aisselles étaient rasées ? Oh ! l’absence scabreuse de la touffe des poils, riante comme un nid sous les bras ! Combien l’absence de ce point sur l’i était déplorable, obscène presque ! » [66]. Les robes décolletées, l’aversion pour les odeurs fortes, l’irrésistible ascension du lisse ont eu temporairement raison de ces points sur les i, comme des pubis en friche ou des sourcils fournis. Ce faisant, les habitudes contemporaines renouent avec une tendance dominante parmi les élites dans l’histoire de l’Occident, la valorisation d’un corps féminin glabre. Elles se démarquent cependant du passé par le déclin récent de la fascination pour le blond féminin. À l’exception de la période romantique, et depuis l’Antiquité, la beauté féminine s’est déclinée en blond, en recourant aux procédés les plus divers pour éclaircir la chevelure : les déesses de l’Olympe sont représentées blondes, les héroïnes médiévales (Iseult, Nicolette…) ont une « crine sor » (blond doré) ou « ghaume » (blond vif ou brillant). Un des exemples les plus frappants de cette valorisation est une fresque de Véronèse décorant une des salles de la villa Barbaro à Trévise où se côtoient une jeune fille au teint clair et à la chevelure blonde et sa domestique à la peau hâlée et aux cheveux foncés. Faut-il aussi rappeler que l’adjectif fair en anglais désigne à la fois le beau, le bon et le blond ? Ou encore évoquer le succès des décolorations à l’eau oxygénée (inventée en 1872), du blond platine (dont l’innovation remonte à 1931) et le passage obligé par le blond de la plupart des vedettes de cinéma jusqu’à ces dernières années ? Le présent, valorisant le divers, s’est détaché de ces canons en offrant, grâce à un arsenal de techniques de teinture sophistiquées, la possibilité de se construire des images de soi plus individualisées et transitoires.
L’analyse des styles pileux ne doit pas cependant se borner à l’inventaire descriptif des modes qui se sont succédé mais s’intégrer dans le champ plus large d’une histoire des tendances esthétiques. Il y a de profondes affinités entre l’art de façonner ses poils, celui de cultiver son jardin ou celui de décorer sa maison. L’exubérance des jardins baroques du XVIIIème siècle, la prolifération ornementale des chapelles de la même époque et les extraordinaires perruques du règne de Louis XVI, ornées de plumes, de rubans, de bateau… participent d’un même schème esthétique. Plus près de nous, les années 1980 ont été caractérisées par un minimalisme stylistique, où le glabre, le clean, la coupe rase des garçons se sont accordés avec le gris froid de l’ordinateur, la simplicité lisse du mobilier et la nudité des façades. Depuis s’esquisse un timide retour du « baroque », du duveteux, du pelucheux dans le mobilier et le vêtement et Julia Roberts exhibait fièrement en 1999 ses aisselles dont elle avait laissé repousser les poils. Serait-ce l’annonce d’un - improbable - retour vers une « esthétique poilue », une expression que Salvador Dali employait pour caractériser l’architecture de Gaudi ?
Scruter une société par ses recoins pileux peut paraître a priori bien futile. Mais ces jeux de l’apparence qui semblent détourner de l’essentiel nous y ramènent brutalement quand on considère les passions, les polémiques, les interdits, les violences qu’ils peuvent susciter (dans les familles de chez nous ou, avec plus d’intensité, à Téhéran et à Kaboul…). Comme souvent, l’accessoire est une fenêtre privilégiée pour humer l’air du temps et observer les mouvements de l’histoire [67]. Une société nous dit beaucoup d’elle-même par ses franges.
[1] Voir C. Bromberger, Le match de football. Ethnologie d’une passion partisane à Marseille, Naples et Turin, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1995 (rééd. 2001) et Football, la bagatelle la plus sérieuse du monde, Paris, Pocket, 2004.
[2] C. Berg, The Unconscious Significance of Hair, London, George Allen and Unwin, 1951.
[3] Je pense en particulier à Edmund Leach dans "Cheveux, poils, magie" in L'Unité de l'homme, Paris, Gallimard, 1980 (pp. 321-361).
[4] Sur ce rite pratiqué par certaines communautés de moines jaïn, voir, entre autres, E. Fischer et J. Jaïn, Art and Ritual. 2500 years of Jainism in India, New Delhi, Sterling Publishers, 1977 (p. 20), P. du Breuil, Les Jaïns de l’Inde, Paris, Aubier, 1990 (p. 206) et J. Laidlaw, Riches and Renunciation. Religion, Economy and Society among the Jains, Oxford, Clarendon Press, 1995 (p. 1).
[5] Pour une critique de la théorie freudienne de Berg, voir C. Hallpike "Hair", The Encyclopaedia of Religion (M. Eliade, ed.), vol. VI, New York, MacMillan, 1987 (p. 154).
[6] J. Paz Obregon, "Il s'en faut d'un poil" in Les figures du corps (M.-L. Beffa et R. Hamayon, eds), Nanterre, Société d'Ethnographie, 1989 (p. 164).
[7] Voir, récemment, C. Bromberger, « Iran, les temps qui s’entrechoquent », La Pensée, 333, janv.-mars 2003 (pp. 79-94).
[8] Le Coran ne prescrit pas le port de la barbe mais de nombreux hadith (propos qu’auraient, selon la tradition, tenus le prophète) y font référence. Sur l’attitude des différentes écoles sur cette question, voir M.-H. Benkheira, L'amour de la Loi. Essai sur la normativité en Islam, Paris, P.U.F., 1997 (pp. 80-124).
[9] Voir B. Fliche, "Quand cela tient à un cheveu. Pilosité et identité chez les Turcs de Strasbourg", Terrain, 35, sept. 2000 (pp. 155-165).
[10] B. Fliche, op. cit. (p. 161).
[11] Sur ce mouvement et ses représentations, voir J. Afary, « The Contentious Historiography of the Gilan Republic in Iran : A Critical Exploration », Iranian Studies, 28, 1-2, Winter/Spring 1995 (pp. 3-24) et C. Bromberger, “Popular and literary perceptions of identity in Gilân”Encyclopaedia Iranica, New York, Bibliotheca Persica Press (sous presse).
[12] Cité par F. Conte, « Sémiotique de la barbe dans la civilisation russe », art. dactylog. s.l., s.d. (p.2).
[13] Voir D. Albera, A. Blok et C. Bromberger, L’anthropologie de la Méditerranée, Paris, Maisonneuve et Larose, 2001 et C. Bromberger et T. Todorov, Germaine Tillion. Une ethnologue dans le siècle, Arles, Actes Sud, 2002.
[14] M.-F. Auzépy, « Prolégomènes à une histoire du poil », in Mélanges Gilbert Dagron, , Paris, Travaux et mémoires du Centre d’histoire et de civilisation de Byzance-14, 2002 (p. 9).
[15] B. Lewis, Comment l’islam a découvert l’Europe, Paris, Gallimard, 1990 (p. 265).
[16] Cité par H. Benkheira, op. cit. (p. 92).
[17] Sur la pilosité dans les représentations muséographiques, voir R. Bendix, « Fracht--Pracht--Tracht: Ein kleiner Exkurs über Haare in der Kultur und der Kulturwissenschaft » in Aesthetik in der Alltagskultur. Festschriftfür Christine Burckhardt-Seebass (S. Eggman & B. Tobler, eds.), Schweizerisches Archiv für Volkskunde, 98, 2002 (pp. 223-34).
[18] Voir, parmi de nombreux exemples, les images du Juif errant dans l’iconographie du Moyen Âge à nos jours in Le Juif errant, Paris, Musée d’art et d’histoire du judaïsme, 2001.
[19] Les anthropologues physiques de la fin du XIXème siècle et du début du XXème siècle, obsédés par la classification des races et des peuples, ont scruté ces variations et distingué des types et des sous-types de poils et de cheveux. Ils reconnaissent trois grandes catégories : les leiotriches, aux cheveux rectilignes (caractéristiques des xanthodermes), les cymotriches, aux cheveux plus ou moins ondulés (caractéristiques de la quasi totalité des leucodermes), les ulotriches aux cheveux enroulés et en spirales (caractéristiques des mélanodermes et des australoïdes). Voir, entre autres, H.-V. Vallois, « L’anthropologie physique » in Ethnologie générale (J. Poirier, éd.), Paris, Gallimard, 1968 (pp. 612-617).
[20] Voir E. Horowitz, « Visages du judaïsme. De la barbe en monde juif et de l’élaboration de ses significations », AnnalesHSS, sept.-oct. 1994, 5 (pp. 1065-1090).
[21] Pour une présentation générale, voir A. et A. Leroi-Gourhan, Un voyage chez les Aïnous (Hokkaïdo-1938), Paris, Albin Michel, 1989 et le très beau catalogue de l’exposition The Seasons and Life of the Ainu, Hokkaido Obihiro Museum of Art, 1999.
[22] J. Batchelor, Ainu life and lore ; echoes of a departing race, Tokyo, Kyobunkwan, 1927 (p. 10).
[23] A. et A. Leroi-Gourhan, op.cit. (p. 115).
[24] A. Allison, « Cutting the fringes : pubic hair at the margins of Japanese censorship laws » in Hair. Its power and meaning in Asian Cultures, A. Hiltebeitel. & B. D. Miller (eds), Albany, State University of New-York, 1998 (pp. 195-217).
[25] M.-C. Auzou et S. Melchior-Bonnet, Les vies du cheveu, Paris, Découvertes Gallimard, 2001 (p. 82).
[26] Voir S. Takakura, The Ainu of northern Japan ; a study in conquest and acculturation, Philadelphia, American Philosophical Society, 1960 (vol. 50) (p. 69 et 79 B).
[27] J. Bialot, C’est en hiver que les jours rallongent, Paris, Seuil, 2002 (p. 132).
[28] Voir O. Patterson, Slavery and Social Death. A Comparative Study, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1983 (p. 60).
[29] Deux récents catalogues en fournissent de remarquables exemples : Hair in African Art and Culture, New York, The Museum for African Art, 2000. Parures de tête, Paris, Musée Dapper, 2003.
[30] M.-C. Auzou et S. Melchior-Bonnet, op.cit., (p. 66).
[31] C. Hallpike, "Social Hair", Man, 4, 1969 (pp. 256-264).
[32] Sur la théorie des humeurs, soubassement de cette distinction entre le « chaud » et le « froid », voir, entre autres, G.E.R. Lloyd, Polarity and Analogy ; two types of argumentation in early Greek thought, Cambridge, Cambridge University Press, 1971.
[33] Clément d’Alexandrie, Le pédagogue, Livre III, Paris, Éditions du cerf, 1970, (p. 45 et p. 47).
[34] Voir P. Brown, The body and society. Men, Women and Sexual Renunciation in Early Christianity, Cambridge, Cambridge University Press, 1988.
[35] Sur la chevelure féminine en Grèce, à Rome et dans la tradition juive, voir M. Myerowitz Levine « The Gendered Grammar of Ancient Mediterranean Hair » in Off with her head (H. Eilberg-Schwartz & W. Doniger eds.), Berkeley, University of California Press, 1995 (pp. 76-130).
[36] Maariv International, 7-05-2004.
[37] Voir F. Virgili, La France "virile". Des femmes tondues à la libération, Paris, Payot, 2000. Selon les statistiques établies par cet auteur, 42% des femmes tondues le furent pour « collaboration horizontale », les autres pour collaboration politique, marché noir, dénonciations…
[38] Cité par P. Gerbod, Histoire de la coiffure et des coiffeurs, Paris, Larousse, 1995 (p. 212).
[39] Voir S. Zdatny, « La mode à la garçonne 1900-1925 : une histoire sociale des coupes de cheveux », Le mouvement social, 174, janv.-mars 1996 (pp. 23-56) et le « Débat », un peu rustique, sur cet article par M.-L. Roberts, ibid. (pp. 57-73).
[40] Sur Lilith, voir J. Brill, Lilith ou la mère obscure, Paris, Payot, 1981, M. Bitton, « Lilith ou la première Ève. Un mythe juif tardif », Archives des Sciences Sociales des Religions, 71, 1990 (pp. 113-136), E. Dame, L. Rivlin et H. Wenkart, Which Lilith ? Feminist writers recreate the world’s first woman, Northvale (New Jersey), Jerusalem, Rowman &Littlefield, 1998 et M. Dottin-Orsini, « Lilith » in Dictionnaire des mythes féminins (P. Brunel éd.), Paris, Éditions du Rocher, 2002 (pp. 1152-1161).
[41] Cité par M. Bitton, op.cit., p. 119.
[42] Selon l’heureuse expression de M. Bitton, op. cit. (p. 133).
[43] L. Saul in Which Lilith ? op. cit. (pp. 283-284).
[44] « Vraiment, un homme sans moustache n’est plus un homme », dit un de ses personnages dans Toine (Paris, Gallimard, coll. Folio, 1991, p. 68).
[45] Cité par J. Sakoyan, De la cire au laser : l’adieu au poil dans la société française contemporaine ? Mémoire de maîtrise d’ethnologie (dir : C. Bromberger), Université de Provence, 2002 (p. 117).
[46] Sur cette « crise de la masculinité », voir P. Duret, Les jeunes et l’identité masculine, Paris, PUF, 1999.
[47] Les produits capillaires (shampooings, gels, laques, eaux de coiffage, parfums spécifiques, mascaras pour cheveux, etc.) représentent un marché considérable comme en témoignent les nombreuses campagnes publicitaires où actrices et top models se succèdent pour en vanter les mérites.
[48] Sur le statut 3de la rousseur, voir X. Fauche, Roux et rousses. Un éclat très particulier, Paris, Découvertes Gallimard, 1997.
[49] Voir, outre les catalogues déjà cités, C. Baduel et C. Meillassoux, « Modes et codes de la coiffure ouest-africaine », L’Ethnographie, 69-I, 1975 (pp. 11-59).
[50] Y. Deslandres et M. de Fontanes, "Histoire des modes de la coiffure", in Histoire des moeurs, II, (J. Poirier éd.), Paris, Encyclopédie de la Pléiade, 1990 (pp. 723-773).
[51] Voir C. Bromberger, « Technologie et analyse sémantique des objets : pour une sémio-technologie », L’Homme, XIX, 1, 1979 (pp. 105-140), Y. Delaporte, « Le signe vestimentaire », L’Homme, XX, 3 (pp. 109-142).
[52] Voir A. Legesse, Gada. Three Approaches to the Study of African Society, New York, Free Press, 1973.
[53] Sur l’histoire de la tonsure ecclésiastique, voir L. Trichet, La tonsure, Paris, Éditions du cerf, 1990.
[54] Selon les mots de Saint Grégoire qui, au VIème siècle, nous donne dans ses écrits un des plus anciens témoignages de la codification de la pratique. Voir G. Constable « Introduction » in Apologia de barbis (R.B.C. Huygens, ed.), Corpus Christianorum. Continuatio Mediaevalis, LXII, Brepols, Typograhi Brepols Editores Pontificii, 1985 (p. 70).
[55] K. Jackson, « What is Really happening here ? Black Hair among African-Americans and in American Culture » in Hair in African Art and Culture, op. cit. (p. 180).
[56] Cité par D. Jones, Coupes et looks, Paris, Robert Laffont, 1990 (p. 37).
[57] K. Alem, « D’Angela Davis à Bob Marley » in Parures de tête, op. cit. (p. 332).
[58] P. Hershman, "Hair, sex and dirt", Man, 1974 (p. 283).
[59] Voir M. Hulin « Dharma des renonçants et renoncement au dharma » in Ascèse et renoncement en Inde (S. Bouez éd.), Paris, L’Harmattan, 1992 (pp. 27-39) et P. Olivelle, « Hair and society : social significance of hair in south asian traditions » in Hair. Its Power and Meaning in Asian Cultures, op. cit. (pp. 10-49).
[60] M. Hulin, op. cit. (p. 31).
[61] R. Caillois, L’homme et le sacré, Paris, Gallimard (coll. « Idées »), 1966 (rééd.).
[62] R. Hertz, « La prééminence de la main droite. Étude sur la polarité religieuse » in R. Hertz, Sociologie religieuse et folklore, Paris, PUF, 1970 (rééd.) (pp. 84-109). [Livre disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.]
[63] D. Fabre, « Conclusions », Martor (« L’étranger autochtone »), I, 1996 (p. 128).
[64] Sur les images des hommes du paléolilithique, représentés couverts de poils, contrairement à ce que suggèrent les données archéologiques, voir J. C. Berman, « Bad hair Days in the Paleolithic : Modern (re)constructions of the Cave Man », American Anthropologist, 101(2), 1999 (pp. 288-304).
[65] Sur cette légende et ses antécédents, voir C.A. Williams, « The theme of the hairy solitary in its early forms with reference to Die Lügend von Sanct Johanne Chrysostomo and to other European variants », Studies in Language and Literature, 1925, X,2.
[66] Cité par P. Perrot, Le travail des apparences. Le corps féminin. XVIIIème-XIXème siècles, Paris, Éditions du Seuil (coll. « Points »), 1984 (p. 153).
[67] Je m’explique sur ce point de vue dans l’introduction de Passions ordinaires, Paris, Bayard, 1998 (rééd. Hachette, 2002) (pp. 7-38).
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