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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Le Canada, les États-Unis, le Mexique et la continen-talisation de l'économie nord-américaine (1988)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du texte de Dorval Brunelle et Christian Deblock, “Le Canada, les États-Unis, le Mexique et la continen-talisation de l'économie nord-américaine.” Un article publié dans la revue Cahiers de recherche sociologique, vol. 6, no 1, printemps 1988, pp. 63-78. Montréal: Département de sociologie, UQÀM. Numéro intitulé: “L'économie mondiale en mutation”.

Introduction

La notion de continentalisation, telle qu'elle sera utilisée dans ces pages, vise à rendre compte et à cerner deux processus interreliés : le premier, et le plus déterminant sans doute, renvoie à la reconfiguration d'une structure industrielle transnationale à l'intérieur de l'espace continental, tandis que le second reflète la multiplication et l'intensification des relations d'échange entre les pays impliqués. 

Ainsi définie, l'expression n'est pas originale puisque les auteurs ont depuis toujours souligné la complémentarité économique, politique et sociale qui caractérise les rapports entre les États-Unis et le Canada. Ce qui est relativement nouveau, par contre, c'est l'idée d'adjoindre désormais le Mexique aux deux autres pays et d'envisager maintenant le phénomène de la consolidation d'un espace économique et social nord-américain sous un jour différent, c'est-à-dire en ouvrant le cadre théorique de façon à tenir compte de l'évolution des trois sociétés impliquées. 

Cet ajout pose un défi à l'analyse, puisqu'il ne s'agit pas seulement d'intégrer à des démarches éprouvées le réseau des échanges que le Mexique entretient avec les États-Unis et le Canada, il s'agit d'abord et avant tout à cette occasion de prendre acte de la nature asymétrique de la position occupée par le Mexique au sein de l'espace en question. Si le Canada et les États-Unis comptent parmi les pays les plus développés, par contre le Mexique appartient au Tiers-Monde : au surplus son histoire, ses grandes idéologies et ses implications socio-politiques le rapprochent davantage de l'Amérique latine que de l'Amérique anglo-saxonne. Toute la question est alors de savoir s'il y a quelque fondement à vouloir rassembler des cadres socio-économiques aussi divers autour d'une unité qui n'aurait d'assise que géographique. 

Schématiquement, deux façons de procéder s'offrent à nous ici : on peut soit chercher à repérer les causes de l'émergence d'une économie politique du continentalisme au sein de l'espace en question, soit évaluer que certaines transformations internes au Mexique et aux États-Unis nous obligent désormais à devoir élargir l'acception du terme. 

Selon la première démarche, on pourra relever, entre autres choses, que l'évolution récente de l'économie mondiale a conduit à la formation de grands blocs géo-économiques, au premier rang desquels figure le Marché commun européen, que l'activité industrielle et commerciale s'est redéployée du côté de la bordure de l'Océan Pacifique et que, en conséquence, les États-Unis, le Canada tout comme le Mexique seraient désormais tous trois partie prenante face aux contraintes qui militent en faveur de la formation d'un bloc économique nord-américain. A l'appui de cette thèse, il faudrait relever l'importance prémonitoire que prend l'engagement souscrit par le président Reagan lors de sa campagne électorale de l'été 1980, de vouloir mener concurremment des négociations de libre-échange aussi bien avec le Canada au nord, qu'avec le Mexique, au sud. Les deux séries de négociations ont ensuite été mises en marche respectivement en mars 1985 avec le Canada et en septembre de la même année avec le Mexique. Sur ce front, sa politique aura été couronnée de succès puisque deux accords ont effectivement été signés, le premier avec le Mexique le 7 novembre 1987 [1], l'autre avec le Canada, le 2 janvier 1988, qui jettent tous deux les bases d'une entité qui s'impose dorénavant comme un nouveau bloc économique aux yeux des autres puissances, dont le Japon, en particulier [2]. 

Pourtant, quel que soit le poids des contraintes internationales dans l'éventuelle consolidation d'un bloc économique nord-américain, il ne faudrait pas être conduit à minimiser le poids des contraintes infracontinentales pour autant. Le continentalisme a été une des pièces maîtresses dans la stratégie reaganienne de reconquête des marchés d'exportation ; durant le deuxième mandat surtout, les déclarations de Reagan, de son secrétaire d'État adjoint aux Affaires interaméricaines, Elliot Abrams, ou celles du représentant au commerce, Clayton K. Yeutter, se sont faites de plus en plus précises et convaincantes sur la question de l'accroissement de l'interdépendance entre les États-Unis, le Mexique et le Canada [3]. 

Pour les industriels américains, l'enjeu est de taille : non seulement l'ouverture des frontières élargit le bassin des consommateurs éventuels de l'ordre de quelque cent millions, mais surtout elle permet de réduire le niveau actuel de sous-utilisation de la capacité productive des entreprises domestiques. À terme, bien sûr, une telle voie de développement peut s'avérer sans issue si elle conduit à éviter d'aborder le problème posé par le renouvellement d’un appareil productif menacé par l'obsolescence. 

Alors, dans la mesure où la question de savoir s'il faut ou non recourir à l'adoption de politiques industrielles aux États-Unis polarise les options et les esprits [4], l'ouverture du marché continental constituerait une réponse exemplaire puisqu'elle correspond d'abord et avant tout aux canons du libéralisme le plus pur défendu par la Maison-Blanche d'une part, qu'elle équivaut à contourner le problème de l'adoption d'une politique industrielle ensuite en le soumettant désormais aux exigences de ce marché continental de l'autre. 

Au surplus, les deux autres partenaires, le Mexique et le Canada, sont également sensibles à l'évolution des conjonctures internationale et nationale, avec le résultat que, là aussi, l'option continentale gagne en crédibilité ainsi que peuvent en témoigner les accords commerciaux récents signés avec les États-Unis, en même temps que les forts courants d'opinion favorables aux alternatives dites "néo-libérales" sur lesquels ces réalignements stratégiques se sont appuyés [5]. 

Ces quelques indications font rapidement le tour des facteurs qui ont présidé à l'émergence d'une économie politique du continentalisme. Mais il subsiste un autre réseau de causes liées plus spécifiquement à des transformations intervenues de part et d'autre de la frontière américano-mexicaine, en particulier. 

Nous faisons référence ici à plusieurs phénomènes comme l'émigration légale et illégale des Mexicains en territoire américain et aux entreprises de sous-traitance - maquila - qui ont refaçonné l'économie frontalière depuis quelques années. Or, dans la perspective d'une ouverture des trois sociétés impliquées, ces transformations pourraient s'avérer lourdes de conséquence dans le processus de redéploiement économique en cours en Amérique du Nord. Et même le Canada pourrait s'avérer touché par cette restructuration depuis que certains conseillers en investissements proposent désormais d'engager des capitaux canadiens dans l'exploitation d'une main-d'oeuvre mexicaine à bon marché [6]. 

Ces deux ordres de facteurs, les premiers relevant d'une économie politique, les seconds de stratégies ponctuelles d'investissement ne sont évidemment pas étanches ; ils se complètent et s'additionnent au contraire et nous autorisent à avoir recours à une notion de continentalisation qui devrait tenir compte de l'évolution parallèle des phénomènes d'intégration économique à l'intérieur d'une Amérique du Nord qui rassemble les États-Unis, le Mexique et le Canada. 

En un sens, la continentalisation reflète l'ouverture progressive des économies nationales depuis la Deuxième Guerre et participe de ce que l'on a appelé parfois la tri-polarisation de l'économie capitaliste [7]. Dans un autre sens cependant ce déploiement à l'intérieur du continent nord-américain revêt des caractéristiques spécifiques inscrites dans l'histoire propre à chacun des trois pays impliqués, de même que dans les relations bilatérales entretenues par les États-Unis avec le Mexique, par les États-Unis avec le Canada. 

Pour ce qui concerne les États-Unis, le Canada et le Mexique, les principales caractéristiques de la continentalisation sont : premièrement, que le continent nord-américain abrite la première puissance économique du monde ; deuxièmement, que le Canada et le Mexique constituent pour les États-Unis les deux sources majeures d'approvisionnement en matières premières ; troisièmement, que les ensembles économiques canado-américain et mexicano-américain comptent parmi les relations commerciales les plus importantes et, quatrièmement, que le Mexique appartient au Tiers-Monde. 

Afin d'avancer dans l'étude et de préparer à un approfondissement éventuel des nombreux processus que l'expression est susceptible de recouvrir, nous étudierons quelques facteurs ou éléments qui justifient d'inclure désormais le Mexique dans le processus d'intégration économique à l'échelle continentale, à partir d'une mise en parallèle des économies politiques mexicaine et canadienne durant les années 1970.


[1]     W. A. Orme, jr., "U.S., Mexico Sign Trade Pact Requiring Talks on Conflict", The Washington Post, 7 novembre 1987, p. D 8. Même si l'accord, aux dires du représentant au commerce, C. Yeutter, est plus modeste que ceux que les États-Unis ont signés - ou s'apprêtent à le faire - avec Israël et avec le Canada, il participe du même esprit et doit leur être comparé.

            Au surplus, l'accord avec le Mexique prévoit que les négociations entre les deux partenaires sont ouvertes et qu'ils disposent de 90 jours pour s'entendre autour de sept questions en litige, à savoir : les textiles, l'agriculture, l'acier, les produits électroniques, l'investissement étranger, la propriété intellectuelle et les industries des services.

[2]     "North-America vs. Japan ?", International Herald Tribune, 12 janvier 1988, p. 4.

[3]     "Crece la interdependencia de Mexico, E.U. y Canada : Abrams", Finanzas, Mexico, D.F., 5 juin 1987, à la une. Ou encore : "Mexican-U.S. Trade Talks", The New York Times, 28 octobre 1987, p. D.7.

[4]     J.-M. Saussois, "Les USA à la recherche d'une politique industrielle", Revue française de gestion, no 46, juin-juillet-août 1984, pp. 61-69.

[5]     Pour le Canada, la pièce maîtresse de ce réalignement est le Rapport de la Commission royale sur l'union économique et les perspectives de développement du Canada, Ottawa, 1985. Au sujet de la situation mexicaine, on pourra se référer à R. Villarreal, La Contrarrevolución monetarista. Teoria, Politica Económica e Ideologia del Neoliberalismo, Mexico, Ediciones Oceano, S.A., 4e édition, 1984.

[6]     F. Blaser, "Canadian Business Missing Out on Mexico", Financial Post, 25 mai 1987, p. 8.

[7]     E. H. Preeg, Economic Blocs and U.S. Foreign Policy, Washington, D.C., National Planning Association, 1974.


Retour au texte de l'auteur: Dorval Brunelle, sociologue québécois Dernière mise à jour de cette page le dimanche 8 avril 2007 14:36
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cégep de Chicoutimi.
 



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