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Communautés atlantiques / Atlantic Communities :
asymétries et convergences.
Préface
L’ouvrage que nous publions aujourd’hui sous le titre Communautés atlantiques / Atlantic Communities : asymétries et convergences se situe dans le droit fil d’un collectif publié au début de l’année 2012 sous le titre Repenser l’Atlantique : commerce, immigration, sécurité [1]. Ce collectif rassemblait les communications présentées lors d’un colloque organisé par l’Institut d’études internationales de Montréal de l’UQAM en collaboration avec plusieurs de ses composantes, en octobre 2010, colloque qui faisait lui-même suite au cycle de conférences Repenser l’Atlantique qui s’est étendu sur l’année 2009-10 [2]. Ces initiatives illustrent l’importance que l’on accorde à ces questions depuis quelques années, non seulement à l’Institut, mais ailleurs dans le monde atlantique également.
Autant par le passé, les réflexions et les propositions entourant la communauté atlantique étaient hautement sélectives dans le choix des intervenants et timides dans leurs perspectives d’élargissement, autant la situation est en passe de changer rapidement. Témoignent de ceci, les nombreux questionnements concernant l’extension des communautés, des alliances et des forums transatlantiques qui tendent à remettre en cause les inerties, points aveugles et autres angles [xviii] morts qui caractérisaient les démarches ayant cours antérieurement. Le temps semble donc venu de prendre acte de la formation d’une pluralité de communautés asymétriques par défaut et convergentes par dessein qui, chacune à leur façon, proposent de nouvelles perspectives de collaboration et qui, ce faisant, alimentent les débats chez les chercheurs, les analystes et les décideurs concernant le positionnement stratégique des États, des économies et des sociétés vis-à-vis des autres bordures de l’océan Atlantique.
L’appel lancé en prévision de la tenue du colloque où ont été présentées les communications qui sont ici rassemblées soulignait que nous assistions, depuis quelques années, à l’émergence d’un triple phénomène, à savoir : premièrement, la remise en cause du contenu de la notion de communauté atlantique telle qu’il avait été promu au sortir de la Deuxième Guerre, deuxièmement, la multiplication de nouvelles communautés atlantiques, mais aussi, troisièmement, fait plus original et novateur, le lancement de projets visant la constitution de véritables communautés tricontinentales atlantiques [3].
À propos du premier phénomène, à savoir la remise en question de l’interprétation historique de la notion de communauté Atlantique, notons que plusieurs colloques, forums et conférences tenus au Canada, aux États-Unis et en Europe, de même qu’au Brésil et au Maroc ces dernières années, témoignent d’une disposition renouvelée en faveur d’un élargissement de la communauté Atlantique. À propos du deuxième phénomène, la multiplication des communautés, soulignons que les relations transatlantiques connaissent de multiples institutionnalisations originales, auxquelles il convient d’ajouter les nombreux accords bilatéraux et régionaux de commerce négociés entre partenaires situés de [xix] part et d’autre de l’Atlantique au Nord (accord Canada-Union Européenne [UE]), au Sud (accord Mercosur-Southern African Customs Union [SACU]), entre le Nord et le Sud (accord Mexique-UE), ou même entre blocs régionaux au Nord et au Sud (accord UE-Mercosur).
Enfin, à propos du troisième phénomène, la dimension tricontinentale ou quadrilatérale de certaines communautés atlantiques, soulignons que plusieurs projets récents s’inscrivent résolument dans cette approche comme l’illustrent l’Initiative tricontinentale atlantique et l’Appel de Skhirat lancés à l’initiative du Haut Commissariat au Plan du Royaume du Maroc, en 2009, ou encore le Forum Europe-Amérique latine et les Sommets ibéro-américains qui accueillent désormais tous les deux des membres observateurs associés, notamment le Maroc et la Guinée équatoriale.
Les contributions au présent ouvrage développent et enrichissent ces trois dimensions du nouvel atlantisme. Elles mettent en lumière l’ampleur d’un mouvement de fond qui, issu des pays du Sud surtout, pousse en direction d’une redéfinition des communautés atlantiques à l’heure actuelle, au point d’ailleurs où l’on peut en toute légitimité se poser la question de savoir s’ils n’ont pas pris une sérieuse avance par rapport aux pays du Nord sur cette question. Qu’il s’agisse du Royaume du Maroc, du Brésil ou de l’Afrique du Sud, l’originalité et le nombre des initiatives transatlantiques qui ont été mises sur pied ces dernières années à leur instigation est rien moins qu’impressionnant, alors que les Etats-Unis, l’Union européenne et le Canada n’ont à leur crédit que quelques accords de libre-échange et qu’ils ne parviennent pas à réorienter de manière significative et durable leur positionnement à la grandeur du bassin de l’Atlantique.
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Ce constat peut sans doute apparaître sévère quand on prend en compte le phénomène de la multiplication des initiatives dans les domaines économiques, sociaux et culturels qui lient les pays du Nord et du Sud, ce dont témoigne, entre autres, la constitution des réseaux de chercheurs, ceux des altermondialistes et, plus généralement, les mouvements de populations et d’idées dans les deux sens, mais cette réalité ne devrait pas servir à en masquer une autre, celle des entraves à la circulation des personnes entre le Nord et le Sud.
Enfin, s’il est un lieu et un domaine ou le transatlantisme semble bien portant, c’est dans le secteur de la défense et des dépenses militaires.
Ces quelques réflexions d’ordre général permettent de comprendre le choix éditorial que nous avons effectué de regrouper les contributions au présent collectif sous trois thèmes portant respectivement sur l’importance du rôle assumé par les pays du Sud dans la constitution des communautés atlantiques, sur les dimensions sociales des relations Sud-Nord et, enfin, sur l’économie de la défense dans l’espace atlantique. Ces textes sont précédés d’une introduction qui propose un survol des principales communautés atlantiques mises sur pied ces récentes années.
D.B.
[1] Voir D. Brunelle, dir, Repenser l’Atlantique : commerce, immigration, sécurité, Bruxelles, Bruylant, 2012, 444 p.
[2] Ce cycle avait bénéficié de la participation de conférenciers de renom, parmi lesquels Pierre-Marc Johnson, négociateur en chef pour le Québec de l’Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et l’Union européenne, S.E. Paulo Cordeiro de Andrade Pinto, ambassadeur du Brésil au Canada et S.E. Vital Kamérhé, ancien président de l’Assemblée nationale de la République démocratique du Congo, dont la conférence intitulée Les fondements de la politique transatlantique de la République démocratique du Congo annonce celui qu’il fera paraître chez Larcier, à Bruxelles, en 2011.
[3] Certains auteurs et analystes préfèrent utiliser l’expression « communautés quadrilatérales atlantiques » entre autres raisons, pour éviter tout rapprochement avec la première Conférence Tricontinentale convoquée à La Havane, du 3 au 14 janvier 1966, qui devait déboucher sur la création de l’Organisation de solidarité avec les peuples d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine (OSPAAAL).
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