Hervé CARRIER, s.j.
“L’INCULTURATION PAR LES EXEMPLES”.
2005, 7 pp.
Pour étudier l’inculturation, nous pouvons partir de témoignages et d’exemples concrets, qui nous montrent la force de la nouvelle évangélisation. Voici un choix d’articles pour votre réflexion.
- 1) Femmes en Afrique
- 2) Inculturation et justice
- 3) Saint Ignace
- 4) Le Collège Romain
- 5) Brébeuf
- 6) Les Guarani
- 7) Pierre Claver
- 8) Matteo Ricci
- 9) Sainte Thérèse
- 10) Le pape de l’inculturation
- 11) Benoît XVI
- 12) Une protestante
Femmes en Afrique
Une trentaine femmes de l’Afrique avaient étudié les problèmes de l’inculturation de l’évangile, en insistant sur le développement culturel. Cette réunion était dirigée par le Conseil Pontifical de la Culture (CPC). Mme Victoria Okoye y joua un rôle important. Elle était la Présidente des femmes catholiques. Les participantes avaient préparé des textes pour la discussion. Quelques évêques avaient pris part à la réunion. Mme Victoria Okoye est une femme convaincue. Elle avait demandé avec force une rencontre spéciale pour tous les évêques du Nigeria sur la question. Ainsi le rêve de Victoria Okoye se réalisa comme une grâce.
Trois plus tard, j’ai animé une grande session avec tous les évêques du Nigeria, et quelques spécialistes sur les problèmes de l’inculturation. Ils ont décidé de lancer une décennie pour l’inculturation de l’évangile. Ce grand projet demandait des études et des recherches programmées pour dix ans. Un bel exemple pour les autres pays.
Un père bénédictin participait à cette session et il donna un point de vue original sur l’inculturation. Il disait que son monastère est comme un chêne qui pousse lentement et qui demande beaucoup de patience. Au centre de la vie des bénédictins, il y « la prière et le travail », ainsi ils ont développé doucement les diverses régions où ils étaient insérés. La prière et le travail supposent aussi beaucoup de silence Selon un proverbe africain, « On entend l’arbre qu’on abat, mais on entend pas la forêt qui pousse ».
Inculturation et justice
Ce qui nouveau maintenant dans les cultures, c’est la rapidité des changements dans la société. Nous sommes entrés dans un autre monde, avec les médias et les communications modernes. Pourtant, un fossé s’est approfondi entre les riches et les plus pauvres. La culture et la justice doivent progresser ensemble. Les Jésuites déclaraient, en 1995 : « Nous soutenons que le combat pour la justice est inséparable du développement de la culture ». Il s’agit finalement de défendre la dignité des personnes et des sociétés. Tous aspirent au bonheur et à la paix. Nous savons que Dom Helder Camara était le défenseur des pauvres, et il disait « Quand je demandais du pain pour les pauvres, tout le monde applaudissait. Quand je demandais pourquoi ils pauvres, on me traitait de communiste ».
La pensée du Christ
Nous pouvons trouver plusieurs passages des Écritures, qui montrent clairement la pensée du Christ dans une société et dans le monde.
Le prophète Isaïe annonçait ainsi la pensée de Dieu : « Mes pensées ne sont pas vos pensées, et mes chemins ne sont pas vos chemins, déclare le Seigneur. Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant mes chemins sont élevés au-dessus des vôtres, et mes pensées, au-dessus de vos pensées ». Is. 55, 9
Saint Paul écrivait : « Ne prenez pas pour modèle le monde présent, mais transformez-vous en renouvelant votre façon de penser pour savoir reconnaître quelle est la volonté de Dieu » Romains 12, 1.
Jésus disait à Pierre : « tes pensées ne sont celles de Dieu, mais celles des hommes » Mt 16, 21
Saint Jean nous donne ici l’histoire des croyants et une sorte de sociologie du salut. Les croyants savent que Dieu est le maître des temps et de l’histoire. Les versets
9-13 sont importants pour notre étude. « C’était une foule immense de toutes nations, tribus, peuples et langues (…) qui proclamait à haute voix : le salut est notre Dieu ». Ap. 7, 9-13
Pour comprendre l’inculturation, il est faut voir les rapports entre la mentalité du Christ et la mentalité du monde. Pour cela, nous devons saisir l’état d’esprit d’une société et de voir ce qui est commun à chaque personne de ce groupe. L’essentiel est d’affirmer notre foi dans le Christ avec toute l’Église.
Saint Ignace
Personne ne parlait de l’inculturation au temps de saint Ignace, le fondateur des Jésuites.
L’histoire des collèges et des missions nous en donne bien des exemples. Les Jésuites pratiquaient l’inculturation avant la lettre.
Le Collège Romain
Saint Ignace fonda, en 1553, le Collège Romain qui est devenu l’Université Grégorienne. Peu de créations de saint Ignace ont eu un tel impact sur l’évangélisation des cultures au cours des siècles. Le Collège, qui s’inspirait de la spiritualité de saint Ignace et de l’humanisme de l’Université de Paris, servait de modèle pour la création de collèges similaires. On ne peut compter les collèges et les universités qui continuent ce travail des Jésuites dans tous les continents. Toutes ces institutions formaient un réseau éducatif et culturel très important, et elles suivaient la méthode célèbre des Jésuites, appelée Programme des Études (Ratio Studiorum) Parmi les anciens de l’Université Grégorienne, on compte 21 Saints et 39 Bienheureux. On note que 16 sont devenus Papes. Aujourd’hui encore, un tiers des Cardinaux ont étudié à la Grégorienne, ainsi que beaucoup d’Évêques, de professeurs d’universités et de séminaires. Un grand nombre de religieuses, de laïques, hommes et femmes, occupent des grandes responsabilités dans tous les continents au service des cultures. En 2005, c’est l’Année Académique 2005-2006, la 455e de la fondation de l’Université Grégorienne.
Brébeuf
Saint Jean de Brébeuf et ses compagnons ont été des géants de l’inculturation. Ils
ont travaillé, au Canada, avec les autochtones, mais ces peuples ne connaissent pas même l’écriture. Quel défi, pour ces missionnaires, car il fallait 6 ou 7 années pour maîtriser la langue. Ils ont composé un dictionnaire et une grammaire. Brébeuf et Isaac Jogues leurs compagnons sont appelés « martyrs canadiens ». Ils ont morts entre 1642 et 1649, ils ont donné leur vie pour la foi et pour la culture de ces peuples. Ils se sont faits Hurons avec les Hurons. Brébeuf avait composé des chants de Noël pour les Hurons. Il écrivait dans les Relations des Jésuites : « les mœurs et les coutumes des Hurons les disposaient à foi ».
Les Guarani
Les Jésuites cherchaient à aider le peuple des Guarani, car et ils voulaient les défendre dans de zones protégées, avec une organisation sociale très originale, appelée les Réductions du Paraguay. Les Guarani étaient souvent vendus comme esclaves, par des groupes du Brésil, de l’Argentine et de l’Uruguay. Le but des Jésuites était de « christianiser et de civiliser » ces peuples. Les Jésuites leur ont montré la foi chrétienne, et tous les éléments de la vie sociale, comme l’éducation, les arts, l’agriculture. Ils avaient une petite armée pour leur défense.
Voir : Tesoro de la lengua Guarani. Madrid, 1639.
Le beau film Missions raconte cette histoire, qui se termine dans le drame.
Pierre Claver
Saint Pierre Claver s’est occupé, durant 36 années, des esclaves noirs, en Colombie. Le jour de sa profession religieuse, il avait écrit de son sang ces mots : « Pierre Claver, esclave des noirs pour toujours ». Il s’est identifié aux esclaves et il voulait mourir auprès des ses amis esclaves. Il mourut en 1654. Le Pape Léon XIII disait de lui : « Après la vie du Christ, aucune vie ne m’a davantage ému que celle du grand apôtre saint Pierre Claver ». Léon XIII l’a proclamé patron universel des Missions des Noirs.
Matteo Ricci
Matteo Ricci avait étudié au Collège Romain, où il avait appris les sciences de son temps. Il su se faire chinois avec les Chinois et fut le premier Européen à s’insérer pleinement dans la culture et dans la société chinoises. Jean-Paul II disait que Ricci fut « un des plus audacieux initiateurs de l’inculturation de l’Évangile ». C’est seulement après 24 ans de patience et d’efforts qu’il a pu maîtriser la langue chinoise et les grandes valeurs du Confucianisme. Sa tombe est conservée, à Pékin, sur un terrain qui fut donné par l’Empereur. Certains s’en étonnaient, mais l’Empereur avait répondu : « Il n’est jamais non plus arrivé, dans l’histoire de la Chine, qu’il soit venu un .étranger aussi éminent en science et en vertu que le docteur Ricci ».
- Voir : La lettre sur l’inculturation, du 19 mai 1978, du Pedro Arrupe.
- Voir mon livre : Hervé Carrier, Guide pour l’évangélisation des cultures. Rome, 1997.
Sainte Thérèse
Sainte Thérèse ignorait le mot inculturation, mais sa vocation était toute consacrée aux missions. Elle n’avait jamais visité les pays de missions, elle n’a pas étudié la diversité des langues et des cultures. Pour elle, les missions ne signifient pas de grandes œuvres, elle pensait plutôt aux petits sacrifices la vie ordinaire. Elle sentait en elle, la vocation d’un prêtre, d’un Apôtre, d’une martyre, elle désirait seulement l’Amour en toutes choses. Elle est à origine d’une spiritualité d’enfance et d’abandon au Père. C’est sa petite voie qui a converti beaucoup de monde.
Elle disait : « Je prie comme les enfants, qui ne savent pas lire. Je dis simplement à Dieu qu’il me comprend et je ne pas dois composer des belles phrases ». Elle avait fait un beau rêve : « Je reviendrai passer mon ciel sur la terre ». Elle est morte, à 24 ans, et elle avait annoncé une pluie de roses, dans le monde. Sa chasse, avec ses restes, a circulé dans un grand nombre de villes et de pays. Son reliquaire attire toujours les foules, et tous pensent à la pluie de roses qu’elle avait promise. Elle fut nommée Patronne des Missions pour son amour pour les missions. Elle fut déclarée Docteur de l’Église par le pape Jean-Paul II.
Le pape de l’inculturation
Jean-Paul II parlait constamment de la culture, de l’inculturation, de la nouvelle évangélisation. On sait que les évêques polonais disaient que le cardinal Wotila était le cardinal de la « culture ». Dès le début de son règne, Jean-Paul II avait consulté tous les cardinaux et les membres de la curie romaine sur le thème de la culture. Les médias avaient hâte de voir la réalisation de ce grand projet. Après plus de trois années d’études, le Pape voulait passer à l’acte, car ce programme qui était au centre de son action. Le Pape avait crée le Conseil Pontifical de la Culturel (CPC). J’ai collaboré au lancement de ce Conseil et dès le début, nous avons utilisé des termes comme inculturation, dialogue des cultures, développement. Certains dans la curie romaine, se disaient étonnés par ce nouveau Conseil Pontifical de la Culturel et ils disaient ces discours sur la culture n’ont pas leur place dans le langage de l’Église. La « culture » n’apporte rien de nouveau. Mais il devenait clair qu’ils étaient en retard par rapport à Vatican II, où le concile avait publié tout un chapitre sur la culture. Le cardinal Wotila avait collaboré de près à ce texte. Le thème de la culture devenait un mot d’ordre, on parlait maintenant du dialogue des cultures, du développement culturel et de l’échange entre la foi et les cultures. Dès le début, Jean-Paul II fut courageux, il n’a pas hésité a utilisé le terme inculturation, il fut le premier Pape à l’employer, mais le mot avait cours depuis au moins 60 ans : voir : mon Guide pour l’inculturation de l’Évangile, pp. 31-32.
Je note que Jean-Paul II avait choisi, en 2005, une intention missionnaire très éloquente : « Pour l’insertion des jeunes Églises dans culture de leur peuple ». L’inculturation vise à changer le monde selon l’esprit du Christ.
Benoît XVI
Le Cardinal Ratzinger n’aimait pas le terme inculturation, il préférait le mot « interculturalité », comme il le disait aux Évêques d’Asie à Hong Kong, en 1993. Les Évêques africains avaient réagi vivement contre le terme « interculturalité », ils sont les plus fervents de l’inculturation. Notez que le Pape Benoît XVI utilise très souvent le terme « culture », dans un sens constructif et critique. Il a une vue large de la mondialisation et des religions. Il utilise les expressions comme la nouvelle évangélisation, le dialogue des cultures, qui étaient chères à Jean-Paul II. Il disait aux Évêques du Mexique, en 2005 : « Le dialogue de l’Église avec la culture de notre temps est vital pour l’Église elle-même et pour le monde »
Une protestante
J’étais à l’aéroport de Manille et j’avais remarqué, dans la salle d’attente, une jeune femme qui pleurait et je lui dis que j’étais un père jésuite. Elle me répondit : « je suis protestante, la Parole de Dieu est tout pour moi ».
Elle revenait d’une grande réunion de famille pour le mariage de sa sœur. Elle avait reçu beaucoup de présents et de cadeaux, et elle était heureuse Mais le drame éclata, lorsque le marié ne s’était pas présenté à la célébration du mariage. Tout a mal tourné pour cette famille, les parents et les amis furent très humiliés. Sa sœur se sentait et trahie, elle était inconsolable.
J’ai demandé à cette femme le passage de la Bible qu’elle préférait. Elle m’a indiqué, sans hésiter, un passage de Saint Jean (Jn 3,16). Elle me fit lire à haute voix, ce beau texte : « Dieu a tant aimé qu’il a donné le Fils unique : ainsi tout homme qui croit en lui ne périra pas mais il obtiendra la vie éternelle »
J’ai découvert une femme de foi et d’espérance, malgré les épreuves. C’est un exemple d’inculturation par la vie. La Parole de Dieu nous guide quand nous sommes au service des autres.
|