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Jean-François Chanlat
Professeur-adjoint, École Hautes Études Commerciales de Montréal.
Spécialiste des théories des organisations et de la santé
“Raymond Aron :
l’itinéraire d’un sociologue libéral.”
In revue Sociologie et sociétés, vol. 14, no 2, octobre 1982, pp. 119-133. Numéro intitulé : “Regards sur la théorie.” Montréal : Les PUM.
- Introduction [119]
- Les fondements de la sociologie de Raymond Aron : la critique des philosophies de l'histoire [120]
- La sociologie des sociétés industrielles : de Marx à Tocqueville [122]
- De la nécessité du scepticisme ou la critique des idéologies [128]
- La place et la contribution de Aron au sein de la sociologie contemporaine [130]
- Résumé / Summary / Resumen [132]
- « Il y a chez moi deux hommes. Le premier dît : aucune société ne peut se justifier par ses propres idées, car toutes trahissent, en fait, leur idéal. Le deuxième homme ajoute : le degré de trahison varie de société à société ».
Introduction
Parmi tous les écrivains et les analystes qui n'ont pas manqué de commenter et d'étudier les grands événements de ces quarante dernières années, Raymond Aron, par l'ampleur et la diversité de son œuvre, s'est taillé une place de choix. Rares sont ceux qui, comme Raymond Aron, ont pu en effet embrasser avec autant d'aisance des champs aussi divers que la philosophie de l'histoire, la sociologie, l'histoire de la pensée, la théorie politique, les relations internationales, l'économie, la critique idéologique et la politologie française et mondiale [1].
En sociologie, Raymond Aron est sans aucun doute une des figures marquantes de cette discipline depuis le début des années 50 tant en France qu'à l'étranger. Les nombreuses distinctions qu'il a obtenues, les postes qu'il a successivement occupés, la diffusion mondiale qu'ont connue ses principaux ouvrages, en témoignent de façon éloquente. Toutefois, à en juger par le peu d'articles et de livres qui lui ont été consacrés jusqu'à présent, notamment en langue française, cette reconnaissance paraît en définitive plus symbolique que réelle. En effet, si on peut retracer aisément quelques articles polémiques, [120] ou encore de nombreuses références et compte-rendus de ses travaux, il ne semble pas exister, à notre connaissance, une étude systématique de son œuvre, voire même d'une partie. Pas plus d'ailleurs qu'une analyse de la place qu'il a occupée et occupe encore et du rôle qu'il a joué et joue encore dans le champ intellectuel français [2], l'objet de cet article vise donc à remédier modestement à cette absence.
L'œuvre de Raymond Aron est considérable et fort diversifiée. Elle englobe des livres de circonstance, comme il se plaît à les nommer, et des ouvrages fondamentaux de philosophie. Elle recoupe pêle-mêle des articles publiés dans de nombreuses revues, des cours professés en Sorbonne, des ouvrages de référence et des chroniques journalistiques. Il n'est pas dans mon intention de présenter toutes les facettes d'une œuvre aussi éclectique. Ce serait tout simplement impossible. Aussi je me limiterai uniquement dans le cadre de cet article à présenter, à travers son itinéraire personnel, les principales idées qui fondent sa sociologie, et à dégager le rôle et la contribution qu'il a pu avoir dans le champ sociologique. Pour ce faire, je retracerai en premier lieu les fondements philosophiques des principales thèses sociologiques de Raymond Aron, avant d'examiner, dans un deuxième temps, sa sociologie proprement dite. J'aborderai ensuite la critique des idéologies qui est indissociable de sa sociologie pour établir, en guise de conclusion, un rappel de la contribution et de la place qu'il occupe au sein de la sociologie contemporaine.
Les fondements de la sociologie de Raymond Aron :
la critique des philosophies de l'histoire
On ne peut pas comprendre la sociologie de Raymond Aron de même que les positions politiques qu'il a prises jusqu'à maintenant, sans remonter aux sources mêmes de sa pensée : la critique des philosophies de l'histoire. Avant d'être sociologue, Raymond Aron est un philosophe de formation. Ce premier savoir philosophique, il l'acquiert durant ses études à l'École normale supérieure de Paris où il côtoie, à l'époque, d'autres étudiants qui deviendront célèbres : Sartre, Nizan, Canguilhem, Lagache, Marrou, etc. Mais c'est surtout à la sortie de l'École, qu'il va découvrir les penseurs qui influenceront le plus son œuvre. L'agrégation en poche, Aron, à la fois malheureux d'avoir été si mal préparé à affronter la réalité sociale, révolté par l'attitude anti-allemande de la France de l'époque et déçu par le caractère hexagonal de l'École de la rue d'Ulm, quitte en effet Paris pour l'Allemagne. Il y séjournera trois ans. Au cours de ces années passées outre-Rhin, Aron découvre la phénoménologie de Husserl, la pensée de Heidegger et engage une vaste réflexion sur les philosophies de l'histoire. Ce séjour est une étape décisive dans l'évolution de la pensée aronienne, voire comme plusieurs s'accordent à le dire, dans l'évolution de la pensée française en général puisque à son retour à Paris, Aron initiera Sartre à la phénoménologie [3]. C'est au cours de ces mêmes années que Aron, hanté par ce qu'il a vu en Allemagne, entreprend la rédaction de trois ouvrages dont Introduction à la philosophie de l'histoire reste, encore aujourd'hui, le plus important des trois [4]. Ce livre philosophique, qui est aussi sa thèse d'État, constitue la pierre angulaire de tout l'édifice intellectuel aronien. Toutes les grandes idées qui inspireront les futurs travaux de même que l'engagement politique de Raymond Aron s'expriment déjà dans ces pages. De ce gros livre, on retiendra ici les trois idées fondamentales qui [121] montrent par ailleurs combien la pensée aronienne est redevable à celle de Weber. Ce webérianisme, Aron l'assume d'ailleurs parfaitement. Il aura l'occasion de le rappeler périodiquement comme, par exemple, lors de sa leçon inaugurale au Collège de France :
- Grâce à Max Weber, je crus à la possibilité de joindre, sans les confondre, curiosité scientifique et souci politique, réflexion détachée et action résolue... (...) Privé de toute vision totalisatrice, au milieu du tumulte des événements, incapable d'adhérer à aucune faction, je voulais vivre en toute lucidité la condition historique de l'homme, dont l'expérience, personnelle et philosophique de Max Weber me donnait à la fois un exemple et une théorie [5].
ou encore plus récemment, au cours d'un entretien :
- C'est chez Max Weber que j'ai trouvé ce que je cherchais ; un homme qui avait à la fois l'expérience de l'histoire, la compréhension de la politique, la volonté de la vérité, et au point d'arrivée, la décision et l'action [6].
Les deux grandes premières idées de l’Introduction à la philosophie de l'histoire relèvent strictement de la philosophie historique. Aron, dans la droite ligne des Essais sur la théorie de la science de Weber, réaffirme, dans la première partie, le pluralisme des interprétations des hommes et de leurs actions.
- Il n'existe pas, écrit-il, une réalité historique, toute faite avant la science, qu'il conviendrait simplement de reproduire avec fidélité. La réalité historique, parce qu'elle est humaine, est équivoque et inépuisable. Équivoques, la pluralité des univers spirituels à travers lesquels se déploie l'existence humaine, la diversité des ensembles dans lesquels prennent place les idées et les actes élémentaires. Inépuisables la signification de l'homme pour l'homme, de l'œuvre pour les interprètes, du passé pour les présents successifs [7].
Tout comme Weber, il considère également qu'il n'y a pas un déterminisme global de l'histoire. Cette réfutation du déterminisme historique, que l'on retrouve exposée dans la seconde partie, vise non seulement le marxisme mais concerne également toutes les formes possibles de sociologisme. Cette réfutation s'appuie sur une conception probabiliste et partielle de la causalité sociologique.
- On pourrait dire, en un sens général, que toutes les relations causales sont, en sociologie, partielles et probables, mais ces caractères prennent, selon les cas, une valeur différente. Les causes naturelles n'impliquent jamais aux sociétés humaines telle ou telle institution exactement définie. Les causes sociales sont plus ou moins adéquates, et non nécessaires, parce que rarement un effet dépend d'une seule cause, parce que, en tout cas, le déterminisme parcellaire ne se déroule régulièrement que dans une constellation singulière qui ne se reproduit jamais exactement [8].
Dès lors, on comprend mieux pourquoi « il n'y a pas de premier moteur du mouvement historique total [9] ». À partir du moment où chaque situation historique est singulière, aucun facteur ne peut expliquer par lui-même l'évolution socio-historique. Si l'histoire a un sens prédéterminé à l'avance, il ne peut donc surgir que de l'imagination de ceux qui ont conçu une telle théorie. Aron reproche ainsi au marxisme dans sa version vulgarisée, c'est-à-dire au marxisme qui se présente non comme une philosophie mais comme une science, d'avoir commis deux erreurs : « Généraliser sans réserves des jugements valables pour notre époque, négliger la signification philosophique des formules prétendument scientifiques [10]. » Ces deux erreurs ont été rendues possibles parce que « la systématisation marxiste a été anthropologique et non causale, elle a pour centre une certaine idée de l'homme et non l'efficace d'une certaine cause [11] ». On peut voir là une [122] influence directe de la phénoménologie sur Aron. Les phénoménologues n'ont-ils pas en effet insisté sur le fait que la théorie de la connaissance est toujours précédée et dominée par la métaphysique ? Autrement dit, si derrière tout déterminisme se cache une certaine philosophie de l'histoire, et le marxisme à cet égard ne fait pas exception, Aron cherche ainsi à rappeler les limites de l'objectivité historique.
- Le déterminisme historique est hypothétiquement objectif parce qu'il n'embrasse qu'une portion du réel et ne saurait rejoindre, même par un cheminement indéfini, l'objet total [12].
Cette réflexion sur les philosophies de l'histoire pourrait déboucher sur un constat d'échec, c'est-à-dire sur l'impossibilité de développer une démarche historique. Or, tel n'est pas le cas. Aron. dépassant à la fois le relativisme historique et ce qu'il appelle l'historisme [13], débouche sur une troisième et dernière idée : la nécessité du choix. Même s'il n'y a aucun sens prédéterminé à l'histoire, il reste que si l'on se soumet aux règles de la logique formelle, de l'expérience ou de la probabilité, on peut arriver à une certaine universalité des résultats. Sans épuiser les difficultés, les problèmes que cela peut poser, cette position permet d'écarter le fatalisme et le scepticisme. Elle impose la nécessité du choix et de la recherche de la vérité. Cette conclusion n'est pas sans avoir des conséquences importantes.
Sur le plan politique, cela signifie qu'il faut logiquement être pour ou contre Tordre existant. Ce choix, Aron le fait quant à lui, à la fin des années 30. À la suite d'une confrontation des thèses du Capital avec la réalité socio-économique, Aron abandonne les vagues convictions socialistes qu'il avait dans sa jeunesse. Décidant d'être désormais à la fois un spectateur et un acteur de l'histoire, selon une de ses expressions, il prend parti pour les démocraties occidentales, contre tout autre modèle, en particulier le soviétisme, pour les réformes et contre la révolution. Cet engagement n'est toutefois pas un choix aveugle. Il n'exclut pas toute distance critique, et Aron saura en user périodiquement. C'est une décision qui par ailleurs, repose sur une connaissance de la réalité sociale, sur une sociologie. C'est à cette sociologie de la société industrielle que les années d'après-guerre seront consacrées.
La sociologie des sociétés industrielles :
de Marx à Tocqueville
Après avoir passé la Seconde Guerre mondiale comme rédacteur de la « France Libre » à Londres, Raymond Aron, une fois les hostilités terminées, se lance dans le journalisme [14], tout en enseignant à l'Institut d'études politiques et à l'École nationale d'administration. En 1955, désireux de reprendre la vie universitaire, il obtient la chaire de sociologie à la Sorbonne. C'est à l'intérieur de ses cours qu'il entreprend une analyse des sociétés industrielles. De ces notes de cours, on fera trois livres qui deviendront célèbres [15]. Successivement publiés sous le nom de Dix-huit leçons sur la société industrielle, la Lutte de classe et Démocratie et totalitarisme, ces trois ouvrages constituent en fait une seule et même œuvre. C'est dans ces trois petits livres que l'on retrouve l'essentiel de la sociologie aronienne des sociétés industrielles [16].
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Les motifs qui poussent Aron à s'interroger sur les sociétés industrielles sont de deux ordres. Le premier est de nature historique. Il découle directement de sa réflexion critique sur les philosophies de l'histoire, et en particulier de son questionnement du marxisme.
- Le schéma marxiste suggérait que le socialisme était pour ainsi dire l'héritier du capitalisme. Or, l'expérience du XXe siècle prouve que les régimes qui se baptisent eux-mêmes socialistes ne succèdent pas nécessairement aux régimes capitalistes, mais que dans une large mesure, ils remplissent la fonction que Marx lui-même attribuait au capitalisme, à savoir le développement des forces productives [...]
- Dès lors si les régimes soi-disant socialistes sont un substitut du capitalisme ou remplissent la fonction que le marxisme attribuait lui-même au capitalisme, il est normal que nous posions le problème en termes plus généraux, que nous nous demandions quels sont les traits communs à toutes les versions de la société industrielle [17].
Le second est d'ordre personnel. Il indique le chemin intellectuel parcouru.
- Je suis parti dans mes réflexions, du problème marxiste et progressivement j'ai retrouvé le problème de Tocqueville. À l'origine, je me demandais quelle est la nature du régime capitaliste et quelles sont les lois de son devenir, puis j'en suis venu à me demander quelles sont les caractéristiques propres des sociétés à base démocratique, question qui fait partie de la tradition de Tocqueville [18].
Contrairement à ce que d'aucuns peuvent penser à première vue, Aron est donc entré tardivement en contact avec la pensée de Tocqueville. Il aura l'occasion de le préciser dans l'ouvrage qu'il a consacré aux pères fondateurs de la sociologie :
- Je suis arrivé à Tocqueville à partir du marxisme, de la philosophie allemande et de l'observation du monde présent [...] Je n'avais pas lu la Démocratie en Amérique quand pour la première fois, en 1930, je tentai, sans y parvenir, de me démontrer à moi-même que Marx avait dit vrai et que le capitalisme était une fois pour toutes condamné par le Capital [19].
Un peu plus loin, il ajoute : « Mes conclusions appartiennent à l'école anglaise, ma formation vient surtout de l'école allemande [20]. » La sociologie des sociétés industrielles illustre parfaitement cet itinéraire.
Au départ de cette réflexion, il y a en effet deux hommes : Marx et Weber. C'est de la confrontation de leurs œuvres respectives, que vont naître les Dix-huit Leçons. Mais, si Weber reste, comme nous l'avons vu, le penseur avec lequel Aron partage une certaine conception de l'histoire, c'est en définitive Marx et plus généralement le marxisme qui reste le point de référence.
- Le problème sociologique, écrit-il, qui commande à la fois le cours de cette année et celui de l'an prochain est celui de Marx et du marxisme, tel qu'il apparaît dans le Capital [...] Le phénomène que Marx a mis au centre, c'est le phénomène de l’accumulation. C'est l'accumulation du capital qui définit à chaque instant l'essence du capitalisme. Or, quand nous avons mis au centre de notre étude le phénomène de la croissance, nous avons repris le thème marxiste de l'accumulation avec le langage et les concepts de l'économie moderne [21].
Rendre intelligible les sociétés modernes, reformuler la problématique marxiste en la réactualisant et éclairer l'action humaine, tels sont, semble-t-il, les objectifs de la sociologie aronienne des sociétés industrielles. Mais cette sociologie en quoi consiste-t-elle ? La sociologie qui est exposée principalement dans ces trois cuivrages est associée à un courant bien précis : celui des théoriciens de la société industrielle. Opposée au marxisme sur plusieurs points et centrée autour des phénomènes de l'industrialisation et de ta croissance économique, cette perspective sociologique regroupe à des degrés [124] divers, un grand nombre de sociologues et d'économistes contemporains [22]. Au sein de ce courant, Aron occupe une place importante. Il est en effet un de ceux qui a le plus contribué, au cours des années 50-60, à son édification et à sa popularisation.
Cette sociologie comporte trois volets. Le premier, c'est-à-dire les Dix-huit Leçons, est essentiellement économique. On y retrouve à la fois une définition de la société industrielle, une étude des principaux caractères du modèle industriel et une analyse comparative des deux économies rivales : l'occidentale et la soviétique. Qu'est-ce qu'une société industrielle ? C'est au départ une société où la grande industrie est la forme de production dominante. Tout comme Saint-Simon et Comte, Aron considère que c'est un type social qui ouvre une ère nouvelle de l'aventure humaine, au sein duquel le progrès scientifique, la technologie, la productivité jouent un rôle majeur. Toutefois, au-delà de cette image spontanée qui s'offre à nous, la société industrielle est marquée par un certain nombre de caractéristiques qui lui sont propres. Outre l'ambition prométhéenne qui est sous-jacente à ce type de société, les traits que retient Aron sont au nombre de cinq : 1) la séparation radicale entre l'entreprise et la famille ; 2) le mode original de division du travail ; 3) l'accumulation massive de capital ; 4) l'introduction du calcul rationnel ; 5) la concentration ouvrière sur le lieu de travail.
Ces caractéristiques qui ne sont pas sans rappeler par ailleurs l'idéal-type webérien du capitalisme, sont cependant insuffisantes pour expliquer à elles seules l'industrialisation d'une société. Deux autres conditions doivent être également remplies : 1) l'application de la science à l'industrie ; 2) l'attitude des sujets économiques. La première exigence a été soulignée par tous les sociologues, en revanche, la seconde appartient surtout à l'univers de pensée de Max Weber. La parenté du questionnement aronien avec la démarche webérienne ne fait guère de doute. Tout comme Weber cherchait à voir les affinités qui pouvaient exister entre l'éthique protestante et l'esprit du capitalisme [23], Aron s'interroge sur les relations possibles entre l'attitude des sujets économiques et l'esprit de la civilisation industrielle. Car ce dernier ne peut se développer que si certaines conditions sont également remplies. Il faut tout d'abord que le fonctionnement des institutions soit conforme à cet esprit (esprit de science et de technique, esprit de calcul économique, goût du progrès, du changement et de l'innovation). Ensuite, il faut qu'il existe une relation entre le travail et la rétribution, autrement dit une incitation à produire et à travailler. Enfin, « last but not least », tout dépend également du rapport capital-population.
L'importance que Aron accorde à cette relation entre l'attitude économique et l'esprit de la civilisation industrielle est loin d'être négligeable. Il y voit une des explications du sous-développement. Contrairement aux marxistes, le sous-développement n'est pas, pour Aron, uniquement un produit du colonialisme ou de l'impérialisme. II dépend aussi, dans une large mesure, du comportement que les pays non occidentaux ont adopté face au défi occidental de l'industrialisation. Si la plupart des pays ont succombé, d'autres comme le Japon par exemple ont réussi à se développer [24].
Type social original, la société industrielle ne se présente pas par ailleurs sous une forme unique. D'une part, la diversité des coutumes, des mœurs, des croyances et des organisations sociales dans le monde interdit une homogénéité totale. D'autre part, le transfert du modèle industriel ne se fait pas de la même façon à des époques aussi différentes que le début du xixe siècle, la fin du xixe ou au cours du xxe siècle [25].
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Au-delà de ces considérations d'ordre général qui restent communes à un grand nombre de sociologues d'hier et d'aujourd'hui, la théorie aronienne de la société industrielle trouve son originalité propre en ce qu'elle est d'abord avant tout une sociologie comparative. Aron a d'ailleurs fort bien résumé lui-même son projet en ces termes :
- J'appelle théorie de la société industrielle la théorie pour laquelle les sociétés soviétiques et occidentales sont deux espèces d'un même genre, deux versions d'un même type social, ce genre ou ce type étant baptisé industriel. Cette théorie ne décrète pas que les deux espèces sont proches l'une de l'autre ou que les différences entre les deux sont insignifiantes, elle pose seulement que, par rapport aux types sociaux du passé, toutes les sociétés modernes présentent des caractéristiques bien définies, et que les espèces de sociétés modernes ont suffisamment de traits communs pour qu'elles apparaissent comme des modalités du même type [26].
Ayant dégagé les caractéristiques propres à une société industrielle, Aron, un peu à la manière de Aristote dans la Politique, entreprend dès lors une étude comparée des deux versions possibles : l'espèce soviétique et l'espèce occidentale. Ces deux types de société qui partagent en commun un certain nombre des caractéristiques présentées précédemment, se différencient Tune de l'autre sur plusieurs plans.
Dans le domaine économique, les deux traits les plus discriminants sont, d'une part, la propriété des instruments de production (privé ou public), et d'autre part, le mode de régulation (marché ou plan). Sur le plan historique, la croissance économique révèle également des distinctions importantes. Par rapport au modèle occidental, le modèle soviétique d'industrialisation a été caractérisé par une brutalité des transferts de population sans précédent des campagnes vers les villes, par une prépondérance continuelle de l'industrie lourde sur l'agriculture et l'industrie légère et par un rapport entre l'augmentation du P.N.B. et celle de la productivité. En d'autres termes, l'économie soviétique a abouti à un ordre de priorité comparable à ceux que les sociétés occidentales ont connu pendant les deux dernières guerres. Or cette forte mobilisation des ressources dirigées essentiellement vers l'industrie lourde n'a été possible qu'en greffant sur des éléments strictement économiques des considérations politiques et idéologiques bien particulières dont on verra les principaux traits un peu plus loin. La partie économique de la sociologie des sociétés industrielles s'achève par une analyse de l'avenir possible des deux types de sociétés. Aron étudie en particulier deux thèmes populaires à l'époque : celle de l'auto-destruction du capitalisme et celle de la convergence.
La théorie de l'auto-destruction prônée par Marx et ses disciples, reprise à l'occasion par certains « économistes bourgeois », a fluctué en fonction des cycles économiques. Très à la mode généralement en période de crise et plus particulièrement dans les années 30, elle l’est moins en période d'expansion. Pour Aron, il n'y a vraiment aucune théorie économique de l’auto-destruction qui se soit révélée jusqu'à présent convaincante. À l'instar de Schumpeter [27], Aron croit que l'on peut fort bien abandonner le régime capitaliste pour lui en substituer un autre, en l'occurrence le socialisme, sans que des causes strictement économiques soient à la base de cet abandon. La disparition possible du système capitaliste fait donc ici largement la place à des considérations d'ordre psychosociologiques et politiques. Quant à la thèse de la convergence entre les deux systèmes, Aron n'y croit pas non plus. Le rapprochement économique ne signifie pas, selon lui, que les sociétés se rapprochent moralement [28]. Car, il reste des différences qualitatives entre les deux régimes. Ces particularités qui touchent principalement la structure sociale, le pouvoir politique et l'univers idéologique sont abordées et approfondies dans les deux autres ouvrages.
Après avoir développé un certain nombre de considérations générales sur les classes et la stratification sociale, Aron, dans la Lutte de classe, deuxième volet de la sociologie [126] des sociétés industrielles, s'attarde longuement sur la structure des catégories dirigeantes de part et d'autre du rideau de fer. En effet, face à la pluralité des élites que l'on peut observer dans les sociétés occidentales, il est frappé par l'unité des catégories dirigeantes soviétiques. Or cette unité n'est pas un phénomène dû au hasard. Les révolutions du XXe siècle, et en particulier, les révolutions d'inspiration marxiste-léniniste apparaissent selon lui, comme des tentatives de restaurer l'unité de la vérité, l'unité des classes sociales et l'unité de la société et de l'État. Si le monolithisme de l'élite soviétique n'est donc qu'une des illustrations de cette volonté unitaire, il note cependant que c'est le trait distinctif par excellence qui sépare les deux types de société ;
- La différence fondamentale entre une société de type soviétique et une société de type occidental, c'est que la première a une « élite unifiée » et la seconde une « élite divisée » [...] « L'élite unifiée » exerce un pouvoir total et sans limite. Tous les corps intermédiaires, tous les groupes particuliers, notamment professionnels, sont dirigés effectivement par des délégués de l'élite [29].
Parti pour vérifier si l'hypothèse du primat de l'économie était vraie, Aron aboutit ainsi à une affirmation d'une primauté du politique :
- Ce n'est donc pas l'état des forces productives mais l'état des forces politiques, voire militaires qui est la cause prédominante, cause des caractères propres à chaque type de société, cause de l'avènement ou de la chute d'un type de société ou d'une autre [30].
Il ajoute plus loin :
- Ce que la comparaison entre l'univers soviétique et le monde occidental révèle, c'est que la structure des catégories dirigeantes et non le rapport des classes détermine l'essence des régimes économico-politiques [31].
C'est dans le troisième et dernier volet intitulé Démocratie et totalitarisme que Aron s'efforce de justifier cette primauté du politique sur l'économique. Cette prééminence repose sur deux grandes considérations. La première découle de l'étude des sociétés industrielles, où selon Aron, c'est bel et bien le régime politique qui apparaît comme l'élément distinctif, l'autre est de nature anthropologique. Pour Aron, « le politique est plus important que l'économie, pour ainsi dire par définition, parce que le politique concerne directement le sens même de l'existence [32] ». Cette primauté du politique se veut par ailleurs limitée. Craignant qu'on ne l'associe à un déterminisme, Aron s'empresse de préciser « qu'il ne s'agit à aucun degré d'un primat causal [33] ». Dans la logique de sa critique de tout déterminisme historique, il ne veut pas substituer au déterminisme économique marxiste, un autre déterminisme, celui-là politique. Si l'on peut légitimement questionner cette précision d'ordre méthodologique, il faut toutefois replacer cette affirmation d'une primauté du politique dans son contexte. À l'époque, elle cherchait surtout à rendre une autonomie à l'instance politique qui semblait l'avoir perdue sous l'influence de la vulgate marxiste et de la théorie du reflet. Plus tard, il précisera longuement sa position en ces termes :
- La sociologie de Marx, au moins sous sa forme prophétique, suppose la réduction de l’ordre politique à l'ordre économique, c'est-à-dire le dépérissement de l'État à partir du moment où s'imposent la propriété collective des instruments de production et la planification. Mais l'ordre de la politique est essentiellement irréductible à l'ordre de l'économie. Quel que soit le régime économique et social, le problème politique subsistera, parce qu'il consiste à déterminer qui gouverne, comment sont recrutés les gouvernants, comment est exercé le pouvoir, quelle est la relation de consentement ou de révolte entre les gouvernants et les gouvernés. L'ordre du politique est aussi essentiel et autonome que l'ordre de l'économie. Ces deux ordres sont en relations réciproques. La manière dont sont organisées la production et la répartition des ressources collectives influence la manière dont [127] est résolu le problème de l'autorité, et inversement la manière dont est résolu le problème de l'autorité influence la manière dont est résolu le problème de la production et de la répartition des ressources. Ce qui est faux, c'est de penser qu'une certaine organisation de la production et de la répartition des ressources résolve automatiquement en, le supprimant le problème du commandement. Le mythe du dépérissement de l'État, c'est le mythe que l'État n'existe que pour produire et répartir les ressources, et qu'une fois ce problème de, la production et de la répartition des ressources résolu, il n'y a plus besoin d'État, c'est-à-dire de commandement.
- Ce mythe est doublement trompeur. D'abord, la gestion planifiée de l'économie entraîne un renforcement de l'État. Et même si la planification n'entraînait pas un renforcement de l'État, il subsisterait toujours, dans la société moderne, un problème du commandement, c'est-à-dire du mode d'exercice de l'autorité. En d'autres termes, il n'est pas possible de définir un régime politique simplement par la classe qui est supposée exercer le pouvoir. On ne peut pas définir le régime politique du capitalisme par le pouvoir des monopolistes, pas plus qu'on ne peut définir le régime politique d'une société socialiste par le pouvoir du prolétariat. Dans le régime capitaliste, ce ne sont pas les monopolistes qui, en personne, exercent le pouvoir, et dans le régime socialiste, ce n'est pas le prolétariat en corps qui exerce le pouvoir. Dans les deux cas il s'agit de déterminer quels sont les hommes qui exercent les fonctions politiques, comment ils sont recrutés, comment ils exercent l'autorité, quelle est la relation entre gouvernants et gouvernés. La sociologie des régimes politiques ne peut être réduite à un simple appendice de la sociologie de l'économie ou des classes sociales [34].
D'autre part, il ne faut pas perdre de vue que dans une ligne de pensée proche de celle de Tocqueville, Aron cherche à connaître les différences qui peuvent exister entre les deux versions de la société industrielle pour voir laquelle est la moins tyrannique des deux. Or là encore, après analyse, c'est du régime politique que dépend le choix entre le type libéral et le type despotique. Les deux sociétés s'opposent en effet sur quatre points, comme le résume Aron lui-même :
Antithèse de la concurrence et du monopole, de la constitution et de la révolution, du pluralisme des, groupes sociaux et de l'absolutisme bureaucratique, de l'État des partis et de l'État partisan [35].
À la suite de cette étude comparative, le régime constitutionnel pluraliste apparaît donc, en dépit de ces défauts, plus proche de l'idéal démocratique que le régime de type soviétique, l'imperfection qui atteint le régime de parti unique est en effet d'une toute autre nature : Elle touche le régime dans ses propres fondements. Quoiqu'on fasse, une société qui ne permet pas la libre discussion des idées, la constitution d'oppositions organisées, de groupes de pression, d'élections libres, ne peut prétendre d'aucune façon au substantif démocratique. La démocratie ne se satisfait pas des unanimités apparentes quels que soient par ailleurs les motifs qui guident les dirigeants à adopter un tel régime.
- Le groupe qui impose par la violence sa volonté peut accomplir une tâche en elle-même admirable mais il ne peut pas simultanément prétendre qu'il établit la démocratie [36].
La sociologie des sociétés industrielles, dans le prolongement de la critique des philosophies de l'histoire, s'achève ainsi par une valorisation des sociétés de type libéral. Elle confirme Aron dans son engagement des années 30. Entre la réforme et la révolution, les sociétés industrielles occidentales ne peuvent que choisir la première alternative. Le réformisme est en effet préférable à ces révolutions introuvables, accoucheuses le plus souvent, comme on dirait de nos jours, d'enfants morts-nés ou de monstres mangeurs d'hommes. Cette dernière idée, à laquelle il convie les sociologues à se rallier, va conduire Aron sur les chemins de la critique des idéologies. Le philosophe, l'historien, et le sociologue laissent alors la place à un quatrième personnage : le polémiste et [128] le pamphlétaire. C'est dans cette partie de son œuvre que s'exprime le célèbre scepticisme aronien.
De la nécessité du scepticisme
ou la critique des idéologies
La critique des philosophies de l'histoire avait mis en lumière le pluralisme des interprétations de l'histoire, le refus de tout déterminisme global et la nécessité de l'engagement. La réflexion sur les sociétés modernes conclut au caractère totalitaire du modèle soviétique. C'est cette double réflexion à la fois philosophique et sociologique qui va désormais inspirer Aron dans sa lutte contre tous ceux qui croient détenir la vérité et imposer, un modèle plus ou moins proche du système soviétique aux populations occidentales. Il vise donc particulièrement ce qu'on appelle, au sens large, « la gauche ». Le coup d'envoi est donné par un ouvrage qui, lorsqu'il est publié, a un grand retentissement : l'Opium des intellectuels [37]. Ce livre qui est légèrement antérieur aux cours professés en Sorbonne, est une critique virulente, comme son titre l'indique, de tous les mythes qui, selon Aron, hantent les esprits de la gauche française à l'époque : mythe de la gauche, mythe de la révolution, mythe du prolétariat, etc. Il se termine par une phrase qui fit alors couler beaucoup d'encre :
- Si la tolérance naît du doute, qu'on enseigne à douter des modèles et des utopies, à récuser les prophètes de salut, les dénonciateurs de catastrophes. Appelons de nos vœux la venue des sceptiques, s'ils doivent éteindre le fanatisme [38].
Aux critiques nombreux qui l'accusent de couvrir sous ce scepticisme le statu quo social, Aron répondra plus tard en ces termes :
- L'Opium des intellectuels, livre essentiellement négatif visait avant tout les marxistes-léninistes et plus encore les progressistes. Contre une intelligentsia qui m'excommuniait parce que je dénonçais le stalinisme et adhérais à l'alliance atlantique, je n'éprouvais pas le besoin de chercher les fondements de valeurs auxquelles je souscrivais comme les progressistes, je ne discutais ni avec les fascistes ni même avec les réactionnaires, mais avec la gauche avec la famille spirituelle dont j'étais originaire et que j'accusais de trahison [39].
Un peu à la manière de Benda [40], Aron reprochait aux intellectuels d'avoir failli à leur mission en se faisant les avocats d'un régime et d'une idéologie totalitaires qu'ils auraient dû légitimement abhorrer et dénoncer. C'était en effet l'époque où Aragon composait un poème en l'honneur de Staline, où le parti communiste français par la voie de son journal justifiait les procès de Moscou, où le marxisme était devenu, selon l'expression célèbre de Sartre, l'horizon indépassable de notre temps. Face aux invectives dont le couvrait une bonne partie de l'intelligentsia de gauche, Aron justifiait ainsi sa position :
- L'idéologie dont j'ai horreur, celle que je ne cesserai de combattre, c'est l'idéologie qui se définit par la sacralisation du profane, par l'ambition totale. Se dresser contre ceux qui, avec l'aide de la police, se donnent les facilités du monopole, ce n'est pas céder au scepticisme, c'est tout au contraire sauvegarder la foi dans l'homme qui n'aura jamais fini de chercher, dans l'esprit qui n'est jamais sûr de lui-même, dans la solitude qui ne peut jamais ni se désintéresser des luttes du Forum, ni trouver une réponse à la question qu'il se pose sur son destin [41].
À l'instar de Camus [42], il ne pouvait pas concevoir comment des esprits aussi éclairés pouvaient soutenir l’action d'un parti communiste prosoviétique, en dépit des faits qui étaient déjà à cette époque d'une terrible et aveuglante réalité. Cette critique visait [129] bien sûr son ancien camarade Jean-Paul Sartre [43] et dans une moindre mesure, Merleau-Ponty [44].
Par la suite, Aron polémiquera encore. Le marxisme de Althusser [45], un certain gauchisme [46], le poids du parti communiste dans la société française et l'influence de la vulgate marxiste-léniniste sur les socialistes français [47] lui en donneront l'occasion. Mais toutes ces polémiques reprendront pour l'essentiel ce que l'on retrouve dans l'Opium des intellectuels, à savoir une dénonciation des modèles et des utopies et une défense des démocraties occidentales. Le scepticisme qui s'exprime sous la plume de Aron est en effet celui d'un libéral. Un libéral qui croit que les sociétés industrielles de l'Ouest incarnent mieux l'idéal démocratique que leurs homologues de l'Est. Cette conception très politique de la société explique pourquoi entre un totalitarisme bien réel et un socialisme selon lui introuvable qui allierait à la fois les libertés formelles et la planification économique, le libéralisme reste encore pour Aron le seul garant des libertés, du maintien du pluralisme des hiérarchies et de la rivalité permanente pour le pouvoir. Mais son libéralisme est plus pragmatique qu'idéologique. Il ne se compare pas par exemple à l'individualisme libéral de Hayek [48], là encore, c'est le libéralisme d'un sceptique. Il écrira en effet quelque part :
- Les libéraux ont parfois tendance, comme les marxistes, à croire que Tordre du monde pourrait réconcilier nos aspirations avec la réalité. Cette confiance ne manque pas de grandeur. « Souffrez que je l'admire et ne l'imite point [49]. »
Cette foi dans le libéralisme est par ailleurs d'autant plus vive que reprenant en quelque sorte la problématique esquissée par Tocqueville, au siècle dernier, en l'actualisant, Aron considère que les sociétés industrielles se trouvent toujours en face de plusieurs alternatives dont dépend leur avenir.
- Frayer la voie au communisme, susciter un fascisme de peur, ou réveiller l'ardeur du réformisme, telles me paraissent les trois voies entre lesquelles chaque pays choisira [50].
Comme de ces trois voies, la dernière lui semble malheureusement la moins probable, on comprend mieux alors pourquoi Aron intervient régulièrement quand le besoin se fait sentir, et dans le style qui est le sien. Marqué profondément par l'expérience qu'il a eue de l'Allemagne nazie, il soupçonne dans tous les fanatismes, même animés par l'idéalisme, un nouvel avatar du monstre. Politiquement et philosophiquement, l'auteur des Dix-huit Leçons se rattache ainsi à un courant humaniste opposé à toute forme de dogmatisme, de millénarisme ou de doctrinarisme, basé sur le dialogue, la tolérance et la recherche du compromis.
- J'appartiens à l'école des théoriciens politiques qui jugent que Ton n'a jamais à choisir entre le bien et le mal, mais entre des degrés inégaux de mal ou de bien ; j'appartiens au nombre de ceux que l'on appelle les pessimistes, à tort d'ailleurs, puisque les pessimistes de mon genre veulent sans cesse améliorer la société, fragments par fragments simplement ils ne connaissent pas de solution globale [51].
En tant que citoyen français, Aron rêve d'une société française pacifiée où la classe ouvrière serait définitivement intégrée à la Nation. Il rêvait déjà à cela à l'époque du Grand Schisme, de l’Opium des intellectuels, du temps où Merleau-Ponty écrivait les [130] Aventures de la dialectique, aujourd'hui, il espère toujours sans trop y croire, avec la dose de scepticisme qui sied à un conservateur éclairé par les tristes lumières de l'expérience historique.
La place et la contribution de Aron
au sein de la sociologie contemporaine
Presque toute l'œuvre philosophique et sociologique de Aron, dont nous n'avons présenté ici que quelques fragments, appartient désormais à l'histoire. Que reste-t-il alors, aujourd'hui, de ces ouvrages philosophiques » sociologiques et de ces polémiques qui leur sont étroitement liées ? Telle est !a question que l’on peut légitimement se poser en guise de conclusion.
Sur le plan strictement intellectuel, je crois que l’on retiendra d'abord et avant tout l'Introduction à la philosophie de l'histoire. Cet important ouvrage constitue une méditation fondamentale pour tous ceux qui s'interrogent sur la condition historique de l'être humain et les limites de l'objectivité historique. Si ce livre, difficile et encore trop méconnu, transcende son temps, en revanche, la sociologie des sociétés industrielles demeurera trop marquée par le contexte de son époque pour avoir la même postérité. En effet, en sociologie, Aron est d'abord et avant tout un analyste, un critique des autres théories sociologiques, en particulier du marxisme plutôt qu'un véritable théoricien. Contrairement à un Parsons, à un Touraine ou à un Poulantzas pour n'en nommer que quelques-uns, Aron n'a pas cherché à édifier un système sociologique au vrai sens du terme. Il s'est surtout contenté de synthétiser, de commenter, de critiquer un grand nombre de faits et de points de vue élaborés par d'autres [52]. Ce « logicisme », comme l'appelait Sartre, qui semble inhérent à la pensée aronienne, explique en partie pourquoi Aron n'a pas vraiment fait école, et ce, même si ses propres écrits ont influencé un grand nombre de gens. En outre, la sociologie qui s'exprime dans la plupart de ses ouvrages, est avant tout une sociologie de l'économique et du politique. Philosophe, historien, économiste, Raymond Aron est un sociologue qui doit, comme il l'avouera lui-même, se forcer pour avoir le sens du social en tant que tel [53]. Si le nombre restreint d'ouvrages et d'articles qui sont consacrés aux conflits et aux mouvements sociaux l'attestent l'essentiel de son œuvre sociologique étant accaparé par la théorie politique, les relations internationales et l'histoire de la pensée cette relative mise en parenthèse du social au profit de l'économique et du politique ne peut pas se comprendre par ailleurs sans revenir au point de départ : la critique des philosophies de l'histoire.
Les premiers travaux philosophiques, constituent, comme nous l'avons vu, le cadre général à l'intérieur duquel vont s'inscrire tous les écrits ultérieurs. Or, comme cette réflexion philosophique est aussi un dialogue critique amorcé avec le marxisme, toute l'œuvre sociologique va en conserver l'empreinte. Cette marque se révélera d'autant plus profonde avec les années que la postérité de Marx est représentée, dans une large mesure, par le marxisme soviétique. Préoccupée par l'influence que le marxisme-léninisme a longtemps exercée et exerce encore sur certaines consciences occidentales et par les menaces de son application, la sociologie aronienne se veut une réponse à ce que certains appelleraient aujourd'hui la tentation totalitaire. Redoutant les utopies, elle est avant tout une sociologie critique des modèles. C'est peut-être là où réside par ailleurs, l'apport particulier de Raymond Aron à la sociologie contemporaine. En dénonçant, à maintes reprises, les pensées simplistes, les messianismes et les dogmatismes, Aron a incontestablement fait évoluer la pensée, et la conscience que l'on pouvait avoir [131] de nos sociétés [54]. Rétrospectivement, lorsqu'on regarde l'analyse des sociétés industrielles ; et en particulier la critique des idéologies qui en est le complément polémique, on ne peut qu'être frappé par révolution qu'il y a eu dans ce domaine. Alors que les thèses élaborées par Aron dans les années 50 lui ont valu de nombreuses et virulentes critiques à l'époque, on est surpris de constater qu'aujourd'hui, en particulier en France, nombre de ces idées ont été récupérées par la majorité des sociologues de gauche non communiste, voire même communiste qui les dénonçaient naguère.
Contrairement à hier, on ne croit plus, de nos jours, que le modèle soviétique soit un idéal à suivre [55] ; on ne cesse plus de réaffirmer l'autonomie et l'importance du politique, de l'idéologique, du culturel et de l'imaginaire [56]. On n'en finit plus de dénoncer le totalitarisme et les maîtres penseurs [57]. On croit plus aux réformes et moins à la révolution. On préfère même dans certains cas développer le socialisme sous le parapluie américain qu'à l'ombre du grand frère soviétique [58]. Autrement dit, toutes les idées qui étaient parfaitement ou presque réactionnaires dans les années 50, relèvent maintenant du conformisme intellectuel. Certes, l'effondrement des certitudes sociologiques, qui a suivi dans les années 70 la dénonciation du socialisme réel, la montée en puissance de l'Union Soviétique et la crise du marxisme, y est pour beaucoup. Mais Aron aura joué en quelque sorte un rôle de précurseur dans ce domaine.
En sociologie, Aron occupe donc une place à part. Rejeté à droite de l'échiquier politique, ce sociologue libéral n'est toutefois pas un conservateur ordinaire. Comme le rappelait récemment un journaliste lors d'un entretien [59], il a passé sa vie à aller à gauche, en tenant des propos de droite, et à droite, en tenant des propos de gauche. En définitive, webérien d'affinité, marxologue par intérêt et libéral sur le plan politique, Aron apparaît avant tout comme un clerc, au sens où Benda l'entendait.
- Le clerc doit donner son adhésion à l'idéal de gauche, à la métaphysique de gauche, mais pas nécessairement à la politique de gauche. La fonction de l'intellectuel en matière politique est de prêcher le respect de la justice et de la vérité [60].
En dénonçant certains mythes, en dissipant certaines illusions, en défendant certaines valeurs, qui lui paraissent essentielles, Aron, par-delà un scepticisme qui agace, un libéralisme qui pourrait paraître à beaucoup démodé, et un élitisme aux accents aristocratiques, a été un de ceux qui ont eu le grand mérite d'avoir enseigné la vertu de douter en un siècle où le fanatisme a fait des ravages sans précédent.
Enfin, la confrontation avec les maîtres du passé, dont l'œuvre aronienne porte trace, démontre combien Aron est malgré tout un relais indispensable entre la sociologie d'hier et celle d'aujourd'hui. Les dialogues successifs avec Montesquieu, Comte, Tocqueville, Marx, Weber, Durkheim, Pareto, l'attestent. Peu de sociologues ont en effet passé autant de temps à présenter et à discuter les pères fondateurs comme l'a fait Aron. N'est-ce pas à l'auteur des « Étapes » que la sociologie française doit une réhabilitation de Montesquieu, une redécouverte de Tocqueville, une des premières et rares études sur Comte, une introduction à la pensée de Weber et une des grandes critiques de Marx ? [132] Même Durkheim et Pareto qui n'ont jamais suscité chez Aron un enthousiasme débordant ont eu droit à certaines analyses.
Si on ne recrée pas une sociologie à partir de rien, mais en tenant compte de son histoire, Aron, à cet égard, appartient sans aucun doute à ce petit nombre de sociologues qui auront marqué de leur empreinte ces quarante dernières années. Certes, plus comme un brillant commentateur ou un critique redoutable que comme un véritable théoricien. Mais Aron en aura été, dans la tradition de l'école française de sociologie politique, la conscience libérale.
RÉSUMÉ
Dans cet article, l'auteur tente de retracer dans un premier temps, les fondements philosophiques de la sociologie de R. Aron, avant d'examiner dans un deuxième temps, sa sociologie proprement dite. Abordant par la suite la critique des idéologies qui est indissociable à la fois de sa philosophie et de sa sociologie, il conclut par un rappel de la contribution et de la place que R. Aron occupe au sein de la sociologie contemporaine. Critique plus que théoricien, Aron apparaît » aux termes de cet article, comme la conscience libérale de la sociologie française.
SUMMARY
In this paper, the autnor first traces the philosophical foundations of Raymond Aron's sociology, and then examines his sociology itself. A discussion follows on the critical analysis of ideologies which is inséparable both from Aron's philosophy and his sociology. The paper concludes with a reminder of Aron's contribution to contemporary sociology and his place within k. More of a critic than a theoretician, Aron appears, according to this paper, as the liberal conscience of French sociology.
RESUMEN
En este artículo, el autor trata, en primer lugar de exponer los fundamentos fîlosóficos de la sociología de R. Aron, para en segundo lugar, examinar su sociología propiamente dicha, Finalmente analiza la critica de las ideologías que son indisociables a la vez de su filosofia como de su sociología. Concluye recordando la contribution y el lugar que ocupa R. Aron en el seno de la sociología contemporanea. Mas critico que teorico, R. Aron aparece, segun este artículo, como la conciencia liberal de la sociologia francesa.
[1] Voir à ce sujet, Science et conscience de la société. Mélanges en l'honneur de Raymond Aron, Paris, Calmann-Lévy, 1971 ; et surtout la série d'entretiens qu'il a eus avec deux journalistes : Raymond Aron, le spectateur engagé, Paris, Julliard, 1981, 339 p.
[2] On peut toutefois citer l'ouvrage posthume de Gaston Fessard, la Philosophie historique de Raymond Aron, Paris, Julliard, 1980, 414 p., le mémoire de maîtrise de Jean-François Chanlat, Raymond Aron et la sociologie des sociétés industrielles, Montréal, Département de sociologie, Université de Montréal, 1978, 161 p.
[3] Ce point d'histoire est en effet souligné par au moins trois personnes : voir à ce sujet Simone de Beauvoir, la Force de l'âge, t. I, Paris, Folio, 1976, pp. 156-157 ; Henri Marrou, « Introduction à la philosophie de l'histoire : le point de vue d'un historien », dans Science et conscience de la société. Mélanges en l'honneur de Raymond Aron, op. cit., pp. 37-47, et Gaston Fessard, op. cit., pp. 27-53.
[4] Ces trois ouvrages sont : 1) la Sociologie allemande contemporaine, Paris, Alcan, 1935, 176 p., ouvrage réédité en 1981 aux Presses universitaires de France, « Quadrige », 147 p. ; 2) Essai sur la théorie de l'histoire dans l'Allemagne contemporaine. La philosophie critique de l'histoire, Paris, Vrin, 1938, 321 p. ; 3) Introduction à la philosophie de l'histoire, Essai sur les limites de l'objectivité historique, Paris, Gallimard, 1938, 353 p., nouvelle édition revue et augmentée en 1981 chez le même éditeur.
[5] Raymond Aron, De la condition historique du sociologue, Paris, Gallimard, 1971, pp. 23-25.
[6] Raymond Aron, le spectateur engagé, op. cit., p. 38.
[7] Raymond Aron, Introduction à la philosophie de l'histoire, op. cit., p. 147.
[10] Raymond Aron, Ibid., p. 311. Plus récemment, Castoriadis a repris cette critique. Voir notamment « I. Le marxisme : Bilan provisoire », dans C. Castoriadis, l'institution imaginaire de la société, Paris, Seuil, 1975, pp. 13-96.
[12] L'Institution imaginaire de la société, p. 330.
[13] L'historisme se caractérise par la résignation au destin anonyme. Au Lieu d'un optimisme assuré par l'idée que l'avenir vaudra mieux que le présent, l’historisme développe une sorte de pessimisme et de fatalisme, autrement dit, le futur sera ni pire ni meilleur, il sera simplement autre. Voir à ce sujet, R. Aron, Introduction, op. cit., p. 377.
[14] Il est à Combat de mars 46 à avril 47. Ensuite, il entre au Figaro où il restera trente ans. Il participe également durant cette période, à la fondation de la revue de Sartre, les Temps modernes.
[15] Dix-huit leçons sur la société industrielle, Paris, Gallimard, 1963, 378 p. ; la Lutte de classe, Paris, Gallimard, 1964, 378 p. ; Démocratie et totalitarisme, Paris, Gallimard, 1966, 384 p.
[16] On peut consulter également R. Aron, G. Kennan et ai, Colloque de Rheinfelden, Paris, Calmann-Lévy, 1960 ; Trois Essais sur l'âge industriel, Paris, Pion, 1966, 242 p. ; les Désillusions du progrès, Paris Calmann-Lévy, 1969, 375 p. ; « Catégories dirigeantes ou classe dirigeante », dans Revue française de science politique, vol. XV, n° 1, février 1965, pp. 7-27.
[17] Raymond Aron, Dix-huit Leçons, op. cit., pp. 53-54.
[19] Raymond Aron, les Étapes de la pensée sociologique, Paris, Gallimard, 1967, p. 21.
[21] Raymond Aron, Dix-huit Leçons, op. cit., pp. 362-363.
[22] Voir notamment, C. Clark, les Conditions du progrès économique, Paris, P.U.F., 1960, 505 p. ; R. Dahrendorf, Classes et conflits de classes dans les sociétés industrielles, Paris, Mouton, 1972, 341 p. ; J. Fourastié, le Grand Espoir du XXe siècle, Paris, Gallimard, 1952, 245 p. ; J.K. Galbraith, le Nouvel État industriel, Paris, Gallimard, 1971, 418 p. ; W. Rostow, les Étapes de la croissance économique, Paris, Seuil, 1962, 203 p.
[24] Bien que Aron soit avant tout un sociologue du monde occidental, on peut consulter quelques écrits qui traitent plus particulièrement du Tiers-Monde. Voir à ce propos, Trois essais sur l'âge industriel, op. cit. ; les Désillusions du progrès, op. cit. ; et Plaidoyer pour l'Europe décadente, Paris, R. Laffont, 1977.
[25] P. Bairoch a été un de ceux qui a insisté sur ce dernier point. Voir en particulier, son ouvrage, le Tiers Monde dans l'impasse. Paris, Gallimard » 1971, 372 p.
[26] Raymond Aron, « Classe sociale, classe politique, classe dirigeante », Archives européennes de sociologie, t. I, n° 2, 1960, p. 298.
[28] À ce sujet, et contrairement à ce qu'un grand nombre de critiques ont conclu à la suite de la publication des Dix-huit Leçons, Aron ne s'est jamais présenté comme un avocat de la thèse de la convergence. Voir, Quelle crise ? Quelle société ?, Presses Universitaires de Grenoble, 1974, pp. 39-40.
[29] Raymond Aron, la Lutte de classe, op. cit., p. 10.
[30] Raymond Aron, « Classe sociale, classe politique », op. cit., p. 276.
[32] Raymond Aron, Démocratie et totalitarisme, op. cit., p. 33.
[34] Raymond Aron, les Étapes, op. cit., pp. 199-200.
[35] Raymond Aron, Démocratie et totalitarisme, op. cit., p. 341.
[37] Raymond Aron, l'Opium des intellectuels, Paris, Gallimard, 1955, 334 p.
[39] Raymond Aron, Trois Essais sur l'âge industriel, op. cit., p. 191.
[40] Voir en effet Julien Benda, la Trahison des clercs, Paris, Grasset, 1975, 441 p.
[41] Raymond Aron, « Réflexions sur l'idée socialiste », Preuves, janvier 1964, p. 13.
[43] Plus particulièrement, les Communistes et la paix, Paris, Gallimard, 1968.
[44] Spécialement, Humanisme et terreur, Paris, Gallimard, 1947. Pour avoir une vision approfondie de l'influence que l’URSS a pu exercer sur de nombreux intellectuels occidentaux, nous renvoyons à l'ouvrage de David Caute, les Compagnons de route (1917-1968), Paris, R. Laffont, 1979.
[45] Voir à ce sujet, Raymond Aron, les Marxisme imaginaires, Paris, Gallimard, 1970, 377 p.
[46] Voir à ce propos, Raymond Aron, la Révolution introuvable, Paris, Fayard, 1968, 186 p.
[47] Voir un de ses derniers livres, Raymond Aron, Plaidoyer pour l'Europe décadente, op. cit.
[48] Voir K. Von Hayek, Individualism and Economic Order. Essays, Chicago, University of Chicago Press, 1948, 271 p.
[49] Raymond Aron, « La définition libérale de la liberté », dans Raymond Aron, Études politiques, Paris, Gallimard, 1972, p. 215.
[50] Raymond Aron, les Désillusions du progrès, op. cit., p. xxiii.
[51] Raymond Aron, la Lutte de classe, op. cit., p. 55.
[52] Il semble d'ailleurs que l'esprit critique ait toujours été un trait de la personnalité de R. Aron. Simone de Beauvoir, rappelant les nombreuses discussions qu'avaient Sartre et Aron dans leur jeunesse, écrit : « Aron [...] se complaisait dans les analyses critiques et il s'appliquait à mettre en pièces les téméraires synthèses de Sartre ; il avait l'art d'emprisonner son interlocuteur dans des dilemmes et quand il le tenait, crac, il le pulvérisait », la Force de l'âge, op. cit., p. 38.
[53] Voir à ce sujet, l'entretien avec F. Furet, publié dans le Nouvel Observateur du 1er mars 1967, et R. Aron, le Spectateur engagé, op. cit., pp. 258-260.
[54] Il y a quelques années, un sociologue, comme Poulantzas, peu suspect de partager les vues de R. Aron, n'hésitait pas à l'affirmer : « La pensée d’Aron est, me semble-t-il, foncièrement de droite, mais a fait avancer par ses questions, la réflexion de gauche », dans le Nouvel Observateur, n° 6553, 1977, 30 mai au 5 juin, p. 41.
[55] Voir en particulier. Edgar Morin, Autocritique, Paris, Seuil, 1970 ; R. Garaudy, Pour un modèle français du socialisme, Paris, Gallimard, 1970, 386 p. ; J.M. Kehayan et Kehayan, Rue du prolétaire rouge, Paris, Seuil, 1977 ; et les ouvrages des dissidents » A. Soljenitsyne, l'Archipel du Goulag, Paris, Seuil, 1973 ; L. Plioutch, Dans le carnaval de l'histoire, Paris » Seuil, 1977, 440 p. ; A. Zinoniev, te Communisme comme réalité, Lausanne, L'Âge d'homme, 1980.
[56] Voir en particulier, Pierre Clastres, la Société contre l'État, Paris, Minuit, 1974, 186 p. ; Recherches d'anthropologie politique, Paris, Seuil, 1980 ; J.W. Lapierre, Vivre sans État ? Essai sur le pouvoir politique et l'innovation sociale, Paris, Seuil, 1977, 375 p. ; C. Castoriadis, l'Institution imaginaire de la société, op. cit.
[57] Voir A. Glucksmann, la Cuisinière et le mangeur d'hommes, Paris, Seuil, 1975, 219 p. ; les Maîtres penseurs., Paris, Seuil, 1977, 372 p. ; F. Fejto, l'Héritage de Lénine, Paris, Gallimard, 1977, 636 p.
[58] C'est le cas, par exemple, du parti communiste italien.
[59] Voir Raymond Aron, le Spectateur engagé, op. cit., p. 308.
[60] J. Benda, la Trahison des clercs, op. cit., p. 20.
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