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Préface
En hommage à Stanley Bréhaut Ryerson
Céline Saint-Pierre
[pp. 9-12.]
LE 24 MARS 1992, l'Université du Québec à Montréal rendait hommage à Stanley Bréhaut Ryerson en le nommant professeur émérite. J’ai eu l'honneur de présider cet événement en tant que vice-rectrice à l'enseignement et à la recherche de cette institution. Ce moment prenait cependant pour moi une couleur toute particulière puisqu'il s’agissait aussi d'un collègue de travail avec qui j’ai partagé pendant plusieurs années la responsabilité d'un groupe de recherche sur les mouvements socio-politiques ouvriers au Québec des années 1900 à 1940. Grâce à lui, j’ai travaillé avec enthousiasme à mieux faire connaître cette partie de notre histoire fort méconnue, puisqu’encore à l'état de souvenirs pour les vieux militants ou enfouie dans des archives non colligées. Sous sa direction et en équipe avec d’autres collègues et des étudiants, nous avons œuvré à sa reconstitution.
L'œuvre et la vie de Stanley B. Ryerson sont une inspiration pour ceux et celles qui militent pour la défense des droits démocratiques, qu'il s’agisse des droits syndicaux, des droits en faveur de la liberté d'expression, des droits à l'égalité sociale et politique, des droits des femmes ou des droits des peuples autochtones. On connaît aussi son engagement pour le droit du Québec à l’autodétermination.
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Lors de cette cérémonie, une citation exposant sa trajectoire et ses réalisations majeures a été lue et lui a été remise sous forme de parchemin. Elle est ici reproduite.
Historien, intellectuel de grande envergure et personne engagée dans le développement social et national, Stanley Bréhaut Ryerson incarne les multiples facettes d'un itinéraire professoral peu commun. Auteur d'ouvrages clés sur l'histoire du Canada, dont le plus célèbre, Unequal Union, traduit sous le titre Le Capitalisme et la Confédération, il a renouvelé les perspectives de l'historiographie canadienne et québécoise. Et l'aspect particulier et remarquable de la carrière de Stanley Bréhaut Ryerson a été reconnu il y a quelques années lorsque l'Université Laval lui a octroyé, en 1987, un doctorat portant sur l'ensemble de son œuvre. Notons de plus que l'Encyclopédie du Canada lui a consacré, la même année, une notice biographique.
Débutant sa carrière dans les cercles de la grande bourgeoisie torontoise, il se retrouve à Paris au début des années 1930. Ses études sont pour lui l'occasion d'approfondir ses réflexions sur la philosophie de l'histoire. Il vit alors une profonde mutation intellectuelle qui le projette dans les milieux de la gauche canadienne; à Montréal, il donne des cours à l'Université ouvrière, fondée par Albert St-Martin. Après avoir œuvré dans les milieux de gauche pendant une trentaine d'années à titre de journaliste, écrivain, chercheur et enseignant, on le retrouve en 1970 professeur de science politique à l'Université d'Ottawa. La même année, il entre à l'UQAM au département d'histoire où il enseigne aux trois cycles d'études jusqu'à sa retraite récente, se dépensant sans compter auprès de ses étudiants, menant de front plusieurs projets de recherche auxquels il intégrait ses collègues et ses étudiants et contribuant à intégrer le département d'histoire dans les circuits internationaux.
Depuis 1937, il a publié plusieurs ouvrages majeurs, maintes fois réédités, autant en anglais qu'en français et même en russe. C'est dire le rayonnement international exceptionnel qu'a eu son œuvre. Ses [11] recherches et ses « services à la collectivité l’ont en effet amené à participer à différentes rencontres scientifiques prestigieuses comme le Congrès international des sciences historiques à Stockholm en 1960, à Vienne en 1965, à Bucarest en 1980, à Stuttgart en 1985. En 1990, à Madrid, il est élu vice-président de la Commission internationale d'histoire des mouvements sociaux et des structures sociales. Cette commission [a préparé] sous sa direction, en vue du congrès mondial des sciences historiques qui [s'est tenu] à Montréal en 1995, un rapport sur les mouvements sociaux et la culture.
Issu à la fois de la culture anglophone et de la culture francophone, Stanley B. Ryerson a joué un rôle de pont entre les deux nations. C'est ainsi qu'il a maintes fois publié en français le fruit d'une réflexion qui s'alimentait souvent d'expériences vécues au Canada anglais et vice versa. Le rayonnement de Stanley B. Ryerson, tant au Canada anglais qu'au Québec, se reflète en particulier dans sa participation active pendant un demi-siècle aux débats portant sur les enjeux du casse-tête national et social. À ce point de vue, il a été parmi les rares intellectuels associés au Canada anglais, à prendre fait et cause pour l'affirmation du Québec. Ses préoccupations reliées aux questions nationales s’incarnent aussi dans ses recherches et ses réflexions sur la question autochtone.
Animé d'une curiosité intellectuelle exceptionnelle, alimenté par un milieu familial ouvert autant aux préoccupations artistiques que littéraires ou scientifiques, Stanley B. Ryerson incarne un sens de l'histoire qui porte l'empreinte d'un préoccupation particulière de l'interdisciplinaire, plaidant pour un voisinage concret avec les savoirs des sciences du social et de la nature, et de l'interaction dynamique des mouvements sociaux, culturels et populaires. Il a eu à cet effet un apport important au plan de la discipline historique, que ce soit en terme de méthodologie ou d'approche conceptuelle. Présent à l'UQAM des ses premières années, il a adhéré à ses objectifs visant à allier la qualité scientifique à la responsabilité sociale. Il a inspiré ses jeunes collègues et ses étudiants, tant au plan de la rigueur intellectuelle, de la curiosité et de [12] l'engagement et a de plus contribué à introduire dans le monde universitaire du Québec de nouvelles préoccupations au plan de l'historiographie canadienne et québécoise, particulièrement par ses nombreux projets de recherche. Il a aussi fait profiter ses collègues de ses connaissances de plusieurs réseaux scientifiques, et il a ouvert la voie à plusieurs projets internationaux.
C'est pour toutes ces raisons, et en reconnaissance de son apport à son développement, que l'UQAM est fière d'attribuer au professeur Stanley Bréhaut Ryerson le statut de professeur émérite.
Le présent ouvrage permettra de mieux connaître la pensée et l’action de celui qui encore aujourd'hui, et malgré la maladie, conserve la détermination du militant et de l'intellectuel engagé et rigoureux qu'il a su être toute sa vie durant.
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