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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Maurice Cusson, “L'analyse stratégique et quelques développements récents en criminologie (1986)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Maurice Cusson, [professeur et chercheur, Université de Montréal], “L'analyse stratégique et quelques développements récents en criminologie”. Un article publié dans la revue Criminologie, vol. 19, no 1, 1986, pp. 53-72. Montréal : Les Presses de l'Université de Montréal.

Introduction

Strategic analysis views crime as a confrontation and as a mean to an end. It is characterised by : 1) it concentrates on crime ; 2) it takes cognizance of the circumstances under which the crime is committed ; 3) it presents the crime as a decision influenced by its anticipated results. Felson's routine activity approach, which is similar to strategic analysis, is presented in this article. Other recent developments in criminology have made it possible to present several assertions with a view to explaining certain aspects of theft, in particular, the choice of target. These assertions are : 1) thefts vary according to the opportunities offered potential thieves ; 2) opportunity is defined as the contact between a potential criminal and a suitable target ; 3) the number of contacts between potential criminals and suitable targets varies directly with the number of targets and their accessibility ; 4) the suitability of targets varies in direct proportion to their value and vulnerability. It varies in inverse proportion to their inertia.

 

Dans son sens restreint, la stratégie désigne la conduite des opérations militaires ; dans son sens général, elle est l'« art de coordonner des actions et de manœuvrer pour atteindre un but » (Larousse). L'analyse stratégique en criminologie emprunte à ces deux sens. L'idée de conflit y est : le délit est vu comme l'élément central d'un affrontement entre le délinquant et sa victime ; entre le délinquant et les forces de l'ordre. Plus important encore, elle évoque aussi l'idée d'une action en vue d'une fin : le crime apparaît comme un moyen utilisé par le délinquant pour réaliser ses fins. 

Si on est fondé de considérer le délit comme un moyen en vue d'une fin, les caractéristiques de la cible visée par le délinquant devraient l'influencer. C'est effectivement ce que tendent à démontrer une série de travaux récents en criminologie. Or, ces contributions n'étaient pas prises en compte ni dans Délinquants pourquoi ? (Cusson, 1981) ni dans le Contrôle social du crime (Cusson, 1983). Cet article vise à combler cette lacune. Par la même occasion, je présenterai un certain nombre de travaux qui n'avaient pas été évoqués dans les ouvrages mentionnés même s'ils adoptaient un point de vue très semblable à celui de l'analyse stratégique. C'est ainsi que seront résumés des travaux de recherches qui montrent que l'évolution de la criminalité est reliée aux changements dans les habitudes de vie des gens (Cohen et Felson, 1979 ; Felson et Cohen, 1980 ; Cohen, Felson et Land, 1980 ; Felson, 1983). Par la suite, je proposerai un modèle théorique centré sur la notion d'opportunité qui tente dintégrer plusieurs observations faites au cours de recherches sur le processus de prises de décisions des délinquants, sur la prévention « situationnelle », sur le choix de la cible et sur les facteurs associés à la victimisation (Brantingham et Brantingham, 1978, 1980 ; Hindelang Gottfredson et Garofalo, 1978 ; Clarke, 1980 ; Van Dijk et Steinmetz, 1980, Clarke et Mayhew, 1980 ; Clarke, 1983 ; Clarke et Cornish, 1985). 

Malgré le caractère disparate de cette production et malgré l'absence de concertation entre ces chercheurs, il s'en dégage une remarquable communauté de perspective. Ces auteurs adoptent des points de vue semblables et leurs analyses convergent vers des conclusions complémentaires. Cette communauté de perspective se manifeste sur trois points. 

1. L'attention se porte sur le crime et non plus sur le criminel, sur l'acte du délinquant plutôt que sur ses prédispositions, sur ses décisions plutôt que sur ses pulsions. Depuis le XIXe siècle, des criminologues ont eu tendance à raisonner en termes de penchant au crime. La question essentielle était : « Comment deviennent-ils délinquants ? » On voulait rendre compte du phénomène criminel par des caractéristiques installées à demeure chez certains individus : traits de caractère, mode de fonctionnement, normes sous-culturelles intériorisées, identité négative façonnée par l'étiquetage... Toute explication passait obligatoirement par un individu doué d'une inclinaison au crime. La légitimité de cette démarche n'est pas en cause. Il est en effet difficile de nier qu'il y ait des individus plus portés au crime que d'autres. Il s'agit d'un acquis qu'on aurait mauvaise grâce à contester. Il n'en reste pas moins possible de partir de cet acquis et de se demander : dans quelles circonstances les tendances criminelles d'un individu se traduisent elles en actes ? Le penchant au crime est une condition nécessaire, elle n'est pas suffisante. Ceci nous conduit à un deuxième point de convergence. 

2. On tient compte des circonstances dans lesquelles se produit un délit et qui le rendent possible. Pour réaliser son vol, le voleur doit entrer en contact avec une cible susceptible de le satisfaire. Dans certains cas, il ne trouvera rien malgré toutes ses démarches. Et alors, il ne commettra pas de vol et devra revenir chez lui bredouille comme le chasseur qui n'a pas tué son gibier. Ainsi donc, l'occasion, l'opportunité a un rôle déterminant à jouer dans le crime. Le voleur qui a la chance de tomber sur un grand nombre de cibles importantes commettra plus de vols que son collègue qui n'a pas cette chance. 

3. Le délit est vu comme une décision influencée par ses résultats anticipés et non comme l'effet d'une cause quelconque. Ceci nous conduit à concevoir le délinquant comme un être actif qui profite des opportunités qui s'offrent à lui pour maximiser ses gains. Le crime apparaît alors comme le fruit d'une démarche rationnelle. Les limites de cette rationalité sont également reconnues. Le délinquant fait des erreurs de jugement, il raisonne à très court terme, il perçoit sélectivement l'information disponible et il l'analyse sommairement (cf. Clarke et Cornish, 1985). Malgré tout, le postulat de la rationalité s'avère utile. On comprend mieux la délinquance quand on présuppose que le délinquant fait une sommaire estimation des avantages et des inconvénients de son action quand il est sur le point d'agir. 

L'analyse stratégique conduit les chercheurs à adopter un point de vue sensiblement différent de celui que l'on trouvait jusqu'à maintenant en criminologie. De ce fait, elle favorise l'émergence de questions également différentes, comme en fait foi l'énumération qui suit. 

a) Quelles sont les étapes du processus de prise de décision qui conduit au crime ? 

b) Comment les délinquants préparent-ils leurs délits ? 

c) Comment les délinquants exécutent-ils leurs délits ? (modus operandi, opérations, organisation...) 

d) Quelles sont les fins poursuivies par les délinquants lors de l'exécution de leurs délits ? 

e) Pourquoi les délinquants optent-ils pour tel type de délit, ou pour telle combinaison de délits ? 

f) Comment le délinquant choisit-il sa cible ou sa victime ? 

g) Jusqu'à quel point les opportunités influent-elles sur la décision de poser un acte criminel ? 

h) Les caractéristiques des cibles et des victimes influent-elles sur les décisions de commettre un crime ? 

i) Les risques de l'arrestation et la sévérité anticipée de la peine influent-ils sur la décision de commettre un crime ? 

j) Comment se prend la décision d'entreprendre une carrière criminelle ? 

k) Comment se prend la décision de poursuivre une carrière criminelle ? 

l) Comment se prend la décision d'abandonner une carrière criminelle ? 

m) Les succès et les échecs dans le crime ont-ils une influence sur la décision de continuer ou d'abandonner une carrière criminelle ? 

n) Les sanctions pénales ont-elles une influence sur la décision de continuer ou d'abandonner une carrière criminelle ?


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 10 août 2006 17:27
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cégep de Chicoutimi.
 



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