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Collection « Les sciences sociales contemporaines »
Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Maurice Cusson, [professeur et chercheur, Université de Montréal], Le contôle social du crime. Paris: Les Presses Universitaires de France, 1983, 342 pp. Collection “sociologies”. Introduction La tentation On a tendance à oublier que le crime peut être un moyen facile de promouvoir ses intérêts et d'assouvir ses passions. Les raisons de voler ne manquent pas. Pourquoi ne pas arrondir ses fins de mois par quelques escroqueries lucratives ? Pourquoi ne pas s'emparer de l'objet que l'on ne peut se payer ? Pourquoi ne pas s'enrichir au détriment d'autrui ? Il y a peu de voleurs comparativement au nombre de personnes à court d'argent. Et les raisons de ne pas se laisser tenter par la violence ne sont pas tellement plus rares. Il serait bien commode de supprimer ce rival qui me cause préjudice, ce patron qui me persécute, ce collègue qui ne rate pas une occasion de me calomnier, ce voisin qui s'ingénie à me rendre la vie impossible. Et qu'il serait doux de me venger de cet individu qui m'a humilié publiquement ! Là encore, il y a bien peu de meurtriers quand on pense à tous ces conflits et à toutes ces haines. Et la délinquance juvénile banale - vol, vandalisme, agression - procure aux adolescents qui s'y livrent des sensations dont l'attrait ne doit pas être sous-estimé, lui non plus. On ne se rend pas compte à quel point cela peut être excitant et amusant de voler une automobile ou de s'introduire subrepticement dans une résidence pour y prendre toutes sortes d'objets précieux ou utiles. Le crime peut être mis au service de passions très diverses : la cupidité, la jalousie, la colère, le ressentiment, la concupiscence, l'ambition... Vue sous cet angle, la transgression est simplement un moyen parmi d'autres de satisfaire un désir pressant, de résoudre un problème ou d'arriver à ses fins. Cet expédient peut servir les intérêts immédiats de quelqu'un. Si tel est le cas, on peut prétendre que le penchant au crime existe chez l'être humain. Cet attrait qu'exerce le crime ne surprend pas quand on songe au caractère insatiable des appétits humains. Les désirs de l'homme ne semblent pas comporter de limite. Ses besoins croissent constamment, et plus rapidement que les moyens dont il dispose pour les satisfaire. Si les moyens légitimes font défaut, pourquoi ne pas recourir aux autres ?
La résistance aux tentations Si les raisons de passer à l'acte sont à ce point nombreuses et puissantes, le crime devrait être un événement fort courant. L'est-il ? Au cours des années 1976-1977-1978, les taux de cambriolage par 100000 habitants étaient de l'ordre de 1400 aux États-Unis et de 1200 au Canada. Les nombres de vols qualifiés pour 100 000 habitants se situaient autour de 190 aux États-Unis et de 85 au Canada. Les mêmes taux concernant les décès par homicide étaient de 9,3 aux États-Unis, de 2,6 au Canada et de 1,0 en France [1]. Devant ces quelques chiffres, on peut faire trois remarques : 1. Il se commet trop de crimes. 2. Le crime reste un événement rare. 3. Les variations du volume de la criminalité sont considérables. 1. Quand on juge ces chiffres à l'aune de notre attachement à la vie humaine et à l'inviolabilité du domicile, il est clair que les cambriolages, les vols qualifiés et les homicides sont trop nombreux. 2. L'indignation que provoquent ces agissements ne peut nous faire oublier que le crime reste, malgré tout, un événement rare dans la vie de la plupart des citoyens. Le seul fait que la base de calcul habituelle soit le nombre de crimes par 100 000 habitants devrait suffire à souligner son caractère exceptionnel. Aujourd'hui, en France, on risque vingt fois plus de mourir d'un accident d'automobile que d'être victime d'un homicide. Au Canada, moins de neuf habitants sur 10000 sont victimes d'un vol qualifié. Il faut se rendre à l'évidence : les gens respectent bien plus souvent la loi qu'ils ne la violent. Dans le cas des crimes graves, le fait est massif, totalement irréfutable. La criminalité serait infiniment plus forte si les gens cédaient à toutes les tentations qui se présentent sur leur chemin. 3. La criminalité varie énormément dans l'espace et dans le temps. Les Américains d'aujourd'hui assassinent neuf fois plus souvent leur prochain que les Français. Sauf à prétendre que les Français sont infiniment plus habiles à dissimuler leurs cadavres que les Américains, il faut reconnaître qu'on résiste mieux à la tentation de tuer en France qu'aux États-Unis. Et il semble qu'on y résiste mieux dans la France contemporaine que dans celle du XIXe siècle : les homicides y étaient alors deux fois et demie plus nombreux qu'aujourd'hui (Chesnais, 1981, pp. 71-76). Nous sommes donc confrontés à un fait simple et facile à admettre : il arrive que le crime soit relativement rare. Si, par ailleurs, on accepte que les prescriptions du Code pénal peuvent brimer des pulsions aussi fortes que l'appât du gain, la volonté de puissance ou le désir sexuel, ce phénomène a de quoi surprendre. On peut légitimement s'étonner qu'il y ait tant de crimes, mais on peut tout aussi légitimement s'étonner qu'il y en ait si peu. Si la délinquance mérite d'être expliquée, le respect de la loi a droit, lui aussi, à une explication. La question est donc posée : Pourquoi les hommes respectent-ils la loi ? Plus précisément, le problème se pose en ces termes : Pourquoi arrive-t-il aux êtres humains de sacrifier leurs désirs àla règle ? La résistance aux tentations pourrait s'expliquer par l'hypothèse selon laquelle l'être humain possède des inhibitions innées qui l'empêcheraient de tuer ou de voler. Mais cela semble peu vraisemblable. Il suffit, pour s'en convaincre, d'observer n'importe quel jeune enfant en compagnie de ses camarades. Il s'empare de leurs jouets et, si une querelle éclate, il frappe avec toute la force qu'il peut déployer. Seuls sa faiblesse, sa maladresse et le manque d'armes l'empêchent d'infliger de cruelles blessures. L'adulte n'est pas exempt, lui non plus, de penchants criminels. En temps de guerre, l'honnête citoyen endosse l'uniforme et, si l'occasion se présente, il ne dédaigne pas, même en territoire d'ores et déjà conquis, de se livrer au pillage, au viol, au meurtre. Et ses ardeurs ne semblent pas refroidies par un quelconque mécanisme régulateur inné. Et que dire des variations considérables dans le volume de la criminalité ? Les inhibitions innées seraient-elles inégalement réparties selon les époques, selon les peuples, selon la dimension des villes ? Si le crime pose un problème dans les sociétés humaines, c'est que l'homme ne se soumet pas automatiquement aux lois, pas plus qu'il ne cède à tous coups aux tentations. Depuis Malinowski, on a cessé de croire que les hommes obéissent spontanément aux lois ou aux coutumes. « N'est-il pas contraire à la nature humaine d'accepter toute contrainte comme allant de soi, et a-t-on jamais vu un homme, qu'il soit civilisé ou primitif, se conformer à des réglementations et à des tabous désagréables, pénibles, voire cruels, sans y être forcé et contraint par une force qui dépasse ses moyens de résistance ? » (Malinowski, 1926, p. 12). Ainsi, contrairement à ce que pensait Rousseau, l'homme n'est pas naturellement bon, ce qui ne veut pas nécessairement dire qu'il soit naturellement mauvais. Cela signifie qu'il lui arrive d'être tenté par le vol ou la violence et que la nature ne l'a pas doté d'un instinct susceptible de faire obstacle à la tentation. A ce titre, tout être humain est un délinquant en puissance.
Le contrôle social Qu'est-ce qui supplée à ce manque d'inhibition ? Bon nombre de sociologues pensent que c'est le contrôle social. Les pulsions criminelles de chacun sont tenues en échec par ce que Durkheim appelait la contrainte sociale et ce que les sociologues contemporains désignent par les expressions « régulation sociale » ou « contrôle social ». On entend par là l'ensemble des moyens par lesquels les membres d'une société s'imposent la conformité nécessaire à la vie en commun [2]. Cette définition est un peu trop englobante pour les fins qui sont ici poursuivies. Si on accepte de se restreindre au phénomène criminel, la définition la plus indiquée serait celle-là. Par contrôle social, on désigne l'ensemble des moyens spécifiquement utilisés par les hommes pour empêcher ou limiter le crime. Le contrôle social s'exerce quand, au moment de violer une loi un individu rencontre une résistance d'origine sociale qui l'empêche d'agir ou, au moins, le fait hésiter. Depuis Durkheim, les sociologues ont souvent eu tendance à penser que le contrôle social se ramène à l'emprise de la société sur ses membres. Cette conception présente, à mes yeux, l'inconvénient d'opposer trop catégoriquement individu et société. Je me rallierai plutôt à la conception de Crozier qui insiste sur le fait que les hommes « s'imposent à eux-mêmes »la conformité. Dans cette hypothèse, la clef du contrôle social devrait se trouver d'abord dans l'individu et, ensuite, dans le jeu de l'interaction entre les membres d'un même groupe. La soumission aux lois s'expliquerait alors par les motivations que les individus développent au cours de leurs relations avec autrui. En dernière analyse, le contrôle social reposerait donc, non sur l'influence du groupe sur ses membres, mais sur une structuration des relations interpersonnelles telle que la conformité y devienne profitable ou valorisante pour ceux qui y sont impliqués.
Une typologie du contrôle social Un des plus sérieux obstacles à l'étude systématique du contrôle social tient au fait qu'on n'a pas su mettre de l'ordre dans la diversité de ses manifestations. On ne trouve pas de typologie qui aille au-delà des catégories descriptives ou administratives - prison, police, tribunaux, probation, contrôle formel, contrôle informel, etc. Si on prétend aller plus loin que l'accumulation des faits singuliers, si on a l'ambition de se hausser à un niveau de généralité suffisamment élevé, il est indispensable de réduire la complexité infinie des manifestations concrètes du phénomène à quelques catégories essentielles. Voilà pourquoi j'ai construit une typologie théorique du contrôle social constituée de quatre types possédant chacun sa logique propre : 1. le traitement, 2. la morale, 3. la dissuasion et 4. la justice. 1. Le traitement est une forme de contrôle social qui a eu, pendant le dernier demi-siècle, la faveur des spécialistes des sciences humaines et celle de larges secteurs de l'opinion. L'utilisation de mesures thérapeutiques pour réhabiliter, rééduquer, resocialiser - peu importe le terme - les délinquants repose sur l'hypothèse que le crime est le symptôme d'un problème psychologique. Il s'agit donc de diagnostiquer le trouble qui est à l'origine de la conduite délinquante puis de le traiter. Le but poursuivi est de restaurer l'équilibre psychologique du délinquant et de répondre de façon individualisée à ses besoins. Le patient est réhabilité quand le thérapeute a réussi à changer les aspects de sa personnalité qui le poussaient au crime. 2. La morale. On a longtemps cru - et la croyance est encore vivace chez bien des gens - que le crime est tenu en échec par de solides convictions morales. Les notions de bien et de mal, épaulées par les pressions exercées par tous ceux qui désapprouvent le crime, forment l'essentiel de ce qu'on peut appeler le contrôle moral de la délinquance. Celui-ci repose sur l'hypothèse que la réprobation du crime exercera une influence sur la conduite des gens. En effet, l'individu qui s'est laissé convaincre que le crime est un acte indigne acquiert, par le fait même, une motivation pour résister aux tentations. Le contrôle moral table sur le besoin qu'ont les êtres humains de se respecter. Il mise aussi sur leur désir d'être bien vus des gens dont l'opinion leur importe : ceux qu'ils estiment et ceux auxquels ils sont attachés. Ainsi, la personne sur qui s'exerce l'action de la morale évite le crime parce qu'elle est convaincue que, si elle cédait à la tentation, elle se déshonorerait a ses yeux et aux yeux d'autrui. 3. La dissuasion. Le mode de contrôle social le plus visible et le mieux connu est fondé sur la force. On vise à soumettre les citoyens aux lois en leur inspirant une « crainte salutaire »ou en les rendant incapables de commettre des crimes. Par la menace et par l'application effective du châtiment, on met les citoyens devant un choix : se soumettre ou encourir une peine. La neutralisation est une mesure complémentaire à l'intimidation : principalement par l'incarcération, le délinquant est mis dans l'impossibilité physique de commettre de nouveaux crimes. La caractéristique de la force est qu'elle n'exige pas, pour être efficace, le consentement de celui sur qui elle s'exerce. 4. La justice est une notion diffuse à laquelle on fait constamment référence mais qui a été peu étudiée, sauf par les philosophes. La justice instaure au sein du corps social un mode d'attribution des biens et des charges qui, par divers arbitrages, tient compte des droits de chacun. Les prohibitions du vol et de l'agression peuvent satisfaire aux exigences de justice de l'individu parce qu'il est dans son intérêt de vivre dans une société où chacun respecte la personne et les biens d'autrui. Il jouit ainsi de la plus grande liberté compatible avec celle d'autrui, étant protégé contre les atteintes à ses droits tout en respectant réciproquement ceux d'autrui. Les principes de justice favorisent l'éclosion de solutions de rechange au crime qui, pour l'essentiel, prennent la forme de relations fondées sur la réciprocité. Ces relations se maintiennent grâce à des mécanismes autorégulateurs par lesquels chaque citoyen est conduit à faire respecter les règles qu'il respecte lui-même. Le crime est alors tenu en échec parce qu'il met en cause l'intérêt à long terme de son auteur et parce qu'il justifie les victimes dans des réactions comme la réclamation, la rupture ou la vengeance qui tendent à rétablir l'équilibre, c'est-à-dire une équitable répartition des biens et des charges.
Les résultats du contrôle social Dans ce livre, j'examine systématiquement ces quatre types de contrôle social et, surtout leur impact sur la délinquance. Pour le commun des mortels, il paraîtra évident que le contrôle social - au moins certaines de ses manifestations - remplit sa fonction et contribue, sinon à résorber, du moins àréduire le nombre de crimes. Mais cette opinion est contestée par un grand nombre de spécialistes de la question. C'est ainsi que les criminologues positivistes ont constamment mis en doute l'idée que le contrôle social, à l'exception des mesures thérapeutiques, pouvait avoir une réelle influence sur la criminalité. Selon eux, les facteurs d'ordre biologique, psychologique ou sociologique qui affectent le crime n'ont pas grand-chose à voir avec ce qu'on fait pour tenter de l'empêcher. Ceci a conduit ces criminologues à élaborer des théories dans lesquelles le contrôle social était purement et simplement ignoré en tant que variable pertinente. Il était jugé si peu important que, dans bon nombre de traités de criminologie, on ne se donnait pas la peine d'en parler, sauf pour faire remarquer, en passant, que le crime a toujours existé bien qu'il ait de tout temps été cruellement châtié. Pendant les années 60, on a constaté un renouveau d'intérêt chez les criminologues pour le contrôle social. Mais c'était pour affirmer qu'il contribue à la fabrication des criminels, produisant donc exactement le contraire de ce qu'on pouvait en attendre. Cette idée, surprenante au premier abord, n'est pas tellement nouvelle. Le développement de la prison coïncide avec la popularisation du dicton : « La prison est l'école du crime. » Victor Hugo illustre cette thèse. Jean Valjean vole du pain pour sauver sa famille de la faim. Arrêté et condamné, il passe une partie de sa vie au bagne. La terrible vie qu'il y mène, l'injustice et l'ostracisme qui s'ensuit font de lui un criminel endurci. Depuis la publication des Misérables, l'idée n'a jamais été totalement oubliée. Pour les sociologues interactionnistes contemporains, la réaction sociale contre le crime est une opération d'étiquetage par laquelle les individus qui ont la malchance de se faire attraper sont marqués comme criminels. On leur impose ainsi une identité négative. Le délinquant stigmatisé, ne pouvant retrouver sa place dans le circuit social, est contraint de mener une activité de paria qui l'oblige à une activité criminelle de laquelle on ne voit pas comment il sortira. Encore maintenant, le raisonnement qui domine en criminologie est le suivant. Malgré tous les efforts faits depuis toujours pour réprimer le crime, celui-ci existe encore. Les mesures de contrôle social sont donc inefficaces ou, pire, elles aggravent le problème. Cependant, cette analyse était tout récemment contestée avec vigueur par un groupe grandissant de sociologues et de nouveaux économistes qui, au terme de leurs recherches, osaient réaffirmer que les mesures dissuasives contribuent à faire baisser la criminalité. L'idée que l'une ou l'autre forme de contrôle social puisse produire des résultats est, a priori, tout à fait défendable. En effet, si on admet que les hommes sont tentés par le crime et qu'ils ne possèdent pas de contrôle interne naturel qui les empêcherait de succomber, on devrait s'attendre à ce qu'ils passent leur temps à voler et à s'entretuer. Or, ce n'est pas le cas. Ce fait ne pourrait-il pas être expliqué précisément par le contrôle social ? S'il est évident que celui-ci n'a jamais réussi à supprimer totalement le crime, cela n'exclut pas la possibilité qu'il ait une efficacité relative. Il serait surprenant que toutes les mesures auxquelles les hommes ont eu recours pour lutter contre le crime aient été totalement inefficaces. Cela présuppose une vision bien pessimiste de la capacité de l'humanité à apporter des solutions à ses problèmes. De ce raisonnement découle tout naturellement la démarche qui sera suivie dans ce livre. Elle consistera à analyser le plus systématiquement possible l'efficacité des mesures de contrôle social utilisées actuellement dans les sociétés occidentales. De cette manière, on tentera d'expliquer la relative rareté du crime par son contrôle. Et, logiquement, on tentera d'expliquer la relative fréquence des crimes (il existe des secteurs où ils sont plus nombreux qu'ailleurs) par un contrôle social insuffisant, maladroit ou inadéquat. La récidive des délinquants qui, dans le passé, ont fait l'objet de plusieurs mesures de contrôle pose des problèmes particuliers. Pourquoi, malgré toutes les tentatives faites pour les faire changer de voie, certains hommes recommencent-ils de plus belle ? On a souvent utilisé ce fait comme preuve que le contrôle social est voué à l'échec. C'est peut-être vrai mais cela reste à prouver. Plusieurs chapitres de cet ouvrage seront consacrés à ce problème.
Une définition du crime Dans ce livre, le comportement délinquant sera le seul critère d'évaluation des diverses mesures examinées. Il sera, pour employer le jargon du métier, la variable dépendante. Les termes délinquance, crime, délit, transgression seront utilisés pour désigner les infractions punissables au terme du Code pénal et causant un dommage évident à autrui [3]. Cette définition restrictive concentre l'attention sur les crimes contre la personne et contre la propriété. La liste suivante donne une assez bonne idée de ce dont il s'agit : vol (cambriolage, vol de véhicules à moteur, vol avec violence, escroquerie), vandalisme, agression, coups et blessures, viol, enlèvement et homicide. La délinquance telle qu'elle vient d'être définie n'est probablement pas le problème social le plus grave qui soit. Elle n'en reste pas moins un problème réel. Les vols et les agressions causent aux citoyens suffisamment d'embêtement et de souffrances ; ils suscitent bien assez d'inquiétude, de méfiance et de peur pour que cela vaille la peine de se livrer à une réflexion sur le thème de son contrôle.
La connaissance et l'action Le sujet de ce livre n'est pas souvent traité de façon théorique. Presque toujours on en fait un problème pratique à propos duquel on réclame à cor et à cri des solutions concrètes et immédiates. Les criminologues n'ont pas manqué d'empressement pour répondre à cette demande et ils ne se sont pas fait prier pour distribuer leurs conseils à gauche et à droite. J'ai bien peur qu'ils n'aient été un peu vite en besogne. Les idées actuelles sur le contrôle social du crime reposent beaucoup plus sur des modes et des partis pris idéologiques que sur des faits. Aussi, les solutions préconisées par les criminologues ne sont-elles ni meilleures ni pires que celles que défendent les non-spécialistes. Dans ce livre, j'ai résisté de toutes mes forces à la tentation de proposer des solutions. J'ai voulu m'en tenir aux théories et aux faits. J'ai fait cet étrange pari de traiter théoriquement et froidement ce sujet concret et brûlant. Mon objectif est de construire un modèle qui puisse nous aider à comprendre le phénomène et qui réponde à une exigence : ne pas être en contradiction avec les faits connus. Pour ce faire, j'ai entrepris de faire passer les idées sur le contrôle du crime à travers le filtre des faits connus, ne retenant que celles qui ont survécu à cette épreuve. Si mon projet a été mené à bonne fin, on trouvera ici, non pas des idées dont la véracité a été démontrée, mais celles qui n'ont pu être réfutées jusqu'à maintenant. Ainsi, l'homme d'actions ne trouvera pas de solutions concrète dans ce livre et surtout pas la solution. Mais j'espère qu'il en terminera la lecture avec une vision plus juste et plus cohérente du phénomène et, aussi, avec quelques informations. Non pas sur ce qu'il doit faire, mais sur ce que d'autres ont fait et à quels résultats ils ont abouti. Peut-être cela lui donnera-t-il des idées plus précises sur les conséquences possibles de son action ? [1] Voir : WALLER (1981, p. 80) et CHESNAIS (1981, p. 41). [2] Par contrôle social, CROZIER (1980) entend « tous les moyens grâce auxquels une société, un ensemble social ou plutôt les hommes qui les composent en tant qu'ensemble collectif structuré réussissent à s'imposer à eux-mêmes le maintien d'un minimum de conformité et de comptabilité dans leurs conduites » (p. 41). Le ter-me « contrôle social » est un anglicisme encore largement répandu chez les sociologues de langue française bien que certains d'entre eux aient proposé de lui substituer l'expression « régulation sociale ». [3] Je reprends la définition que j'avais utilisée et expliquée dans un livre précédent : Délinquants pourquoi ?, à une nuance près : dans ce dernier livre, je la restreignais aux adolescents, alors qu'ici elle désignera aussi bien les délits commis par les adultes que ceux qui sont commis par les adolescents.
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