[professeur à l’École de Criminologie, chercheur au Centre international
de Criminologie comparée de l’Université de Montréal]
“Paradoxes américains:
autodéfense et homicides.”
Un article publié dans Revue internationale de criminologie et de police technique et scientifique, 1999, vol. 52, no. 3, p. 131-150.
- Résumé / Summary
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- I. CAUSES
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- 1- Concentration des handicaps, ghettos et « underclass »
2- L'autodéfense comme solution à la délinquance
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- 2.1. L'autodéfense année
2.2. Homicides défensifs
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- 3- Raisons et histoire de l'autodéfense
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- 1. Réponses aux risques de victimisation.
2. La pesanteur de l’histoire
- 3. La décriminalisation de l'homicide défensif
- II. CONSÉQUENCES PARADOXALES
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- 1- Comment l'usage défensif des armes à feu tient en échec les cambrioleurs et les agresseurs.
2- Comment l'accessibilité des armes à feu conduit les délinquants américains à en user et à tuer plus souvent qu'ailleurs.
- 3- Comment la culture de l'autodéfense est responsable d'un grand nombre d'homicides.
- 4- Cinq chemins menant à l'homicide
- Conclusion
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- Références
RÉSUMÉ
La criminalité américaine actuelle se distingue par des taux d'homicide les plus élevés du monde développé et par une fréquence d'autres crimes et délits proche des moyennes internationales. C'est dans le centre des métropoles américaines que le surcroît d'homicides est particulièrement manifeste. On y trouve une « underclass » vivant dans des conditions très criminogènes : dissociation familiale, réseaux sociaux sous-développés, effondrement des contrôles sociaux informels, pauvreté, ségrégation. Ces facteurs ne sont cependant pas assez spécifiques pour expliquer l'excès d'homicide américain. Il se pourrait que l'autodéfense armée et sa légitimation soit en cause. L'une et l'autre s'enracinent dans l'histoire du pays et dans son droit. Les lois de maints États américains stipulent qu'un individu n'a pas à démontrer qu'il ne pouvait fuir pour que son plaidoyer de légitime défense soit recevable ; ceci permet aux Américains de perpétrer un homicide pseudo-défensif en ayant de bonnes chances d'échapper à la sanction. Cet état de fait produit des conséquences paradoxales. 1-L'autodéfense armée fait avorter des millions de tentatives criminelles et exerce un effet de dissuasion situationnelle, contenant les crimes non mortels à des niveaux plus bas que ceux auxquels on aurait pu s'attendre. 2- Les délinquants sont nombreux à s'armer, à commettre leurs délits avec une arme et à tuer. 3- La culture de l'autodéfense empêche que soit clairement distinguée la force légitime de celle qui ne l'est pas ; elle rend toute victime potentiellement dangereuse et fait monter de nombreux affrontements aux extrêmes.
SUMMARY
The United States of America has the highest homicide rate amoung ail developed nations, but its non-lethal crime rate is not that différent from the levels of most western countries. It is within the inner cities of American major cities that homicide is excessively high. Within these areas, one finds various characteristics of the underclass : woman-headed families, chronic unemployment, poorly knit social networks, drugs, disorders and the breakdown of ail social controls. While thèse are the factors of general offending, they are not specific enough to account for America's high homicide rate. The hypothesis of this article is that this problem could be explained by defensive gun use and by a culture of self-defense rooted in American history and law. Borrowing from the frontier tradition of self-defense, the law of many American states adopted the so-called doctrine of "No duty to retreat" permitting many American killers to escape punishment on grounds of self-defense. The consequences of this state of affairs are paradoxical with some canceling the others : 1) Defensive gun use repels millions of crime attempts and generates a situational deterrent effect, maintaining non-lethal crimes at a lower level that one would expect ; 2) Offenders access guns easily, carry them while in action and, as a consequence, kill more often ; 3) The culture of self-defense blurs the distinction between legitimate and illegitimate force and makes American victims more dangerous than in other western countries, contributing to the escalation of conflicts and their lethality.
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Introduction
La violence urbaine jette sur les États-Unis un réel discrédit. Ni les performances économiques ni le nombre des prix Nobel ni les libertés ne masquent cette tache sur le blason du pays le plus puissant de la planète. Il y a de quoi : chaque année, près de 20 000 Américains sont tués par leurs concitoyens ce qui donne le taux d'homicide le plus élevé du monde développé (ces dernières années, il se situait aux alentours de 9 par 100 000 habitants contre 2 au Canada ou en France et moins de 1,5 en Angleterre). Cette particularité n'est pas récente : d'aussi loin que remontent les statistiques criminelles, les Américains commettent au moins trois fois plus d'homicides que les Canadiens et l'écart se maintient malgré les fluctuations dans le temps dans les deux pays. [2] Pourquoi les Américains qui, après tout, ne sont pas tellement différents des Européens ou des Canadiens, sont-ils affligés par un problème criminel de cette envergure ? La question intéresse au premier chef la criminologie comparée.
Il importe d'abord de préciser qu'aujourd'hui, l'homicide, et lui seul, est au coeur de l'exception américaine. En effet, la criminalité générale (l'ensemble des crimes et délits) des Américains ne se distingue plus de celle des autres nations ; il s'y est même commis, en 1994, moins de cambriolages et de vols de véhicules automobiles qu'en Angleterre ; là-dessus, les sondages de victimisation concordent avec les statistiques policières. Et, aussi surprenant que cela paraisse, depuis quelques années, les Américains ne commettent pas plus de vols qualifiés et pas plus de voies de fait que les Anglais. C'est à la rubrique des homicides que la différence éclate : des taux près de quatre fois plus aux Etats-Unis qu'au Canada, six fois plus qu'en Angleterre [3]. Il s'ensuit qu'on ne peut expliquer l'anomalie américaine en matière d'homicide par des hypothèses qui vaudraient pour la criminalité dans son ensemble ou même pour la criminalité violente.
Affinons le diagnostic. Une comparaison États-Unis - Canada qui tient constante la taille des villes ne fait ressortir que des différences modérées entre les petites villes des deux pays ; en revanche, elles sont énormes entre les très grandes villes. En effet, dans les villes de plus d'un million d'habitants, les taux d'homicide sont 8,8 fois plus élevés aux États-Unis qu'au Canada cependant que, dans les petites villes de dix à vingt milles habitants, ils ne sont que 1,8 fois plus grands (Ouimet, 1997). Enfin, à l'intérieur des métropoles américaines, ce sont des zones déterminées du centre ville qui sont responsables de l'excès d'homicide.
Bref, la spécificité américaine tient moins à la criminalité générale qu'à des taux d'homicide beaucoup plus élevés dans le centre des très grandes villes que dans les métropoles des autres nations développées. Il nous faut donc expliquer, non seulement l'exception américaine, mais aussi l'écart entre la grande fréquence d'homicides et un niveau assez moyen de délinquance générale.
Plusieurs thèses ont été avancées pour rendre compte du problème criminel américain. Lipset (1990 et 1996) l'attribue à la culture politique américaine (faite de populisme, de méfiance vis à vis de l'autorité, du culte des droits individuels, de libéralisme et d'un refus d'un État fort et centralisé). D'autres ont fait état des insuffisances du filet de la sécurité sociale ou encore des ghettos. Finalement, plusieurs incriminent les armes à feu. Ces explications contiennent toutes une part de vérité, mais elles sont incomplètes. Le présent article propose une explication du phénomène. Le raisonnement se déroule comme suit.
Une première hypothèse sera d'abord envisagée : les conditions de vie dans les secteurs délabrés du centre des métropoles américaines (dissociation familiale, effondrement des contrôles sociaux informels, pauvreté, ségrégation...) pourrait être à l'origine du phénomène. Cependant ces conditions ne sont pas spécifiques : elles jouent sur la criminalité générale ; il n'y a aucune raison de penser qu'elles puissent n'agir que sur les homicide à l'exclusion des autres types de crime. L'hypothèse retenue soutient que l'autodéfense est à l'origine de l'exception américaine. Comparés aux Canadiens ou aux Européens occidentaux, les citoyens américains sont exceptionnellement nombreux à posséder une arme à feu, à la porter et, surtout, à l'utiliser contre des voleurs et des agresseurs. Ces pratiques qui s'enracinent dans l'histoire du pays, ont été avalisées par la jurisprudence laquelle est fort élastique en matière de légitime défense. La culture de l'autodéfense contribue à maintenir le nombre des délits non fatals à un niveau « normal » et les homicides à un niveau élevé. En effet, l'autodéfense armée fait échouer de très nombreuses tentatives criminelles et exerce une pression dissuasive sur les cambriolages, les braquages et autres agressions non mortelles, les maintenant à des niveaux plus bas que ceux auxquels on aurait pu s'attendre compte tenu des conditions criminogènes observées dans les métropoles. En revanche, l'accessibilité des armes à feu profite aux délinquants. Certains sont alors conduits à tuer. Enfin, la culture de l'autodéfense empêche que soit bien distinguée la force légitime de celle qui ne l'est pas et encourage les gens qui se sentent agressés à résister par tous les moyens, provoquant des mouvements d'escalade allant jusqu'à la lutte à mort.
L'article est divisé en deux parties. La première traite des causes, la deuxième, des effets.
I. CAUSES
1- Concentration des handicaps,
ghettos et « underclass »
Quand l'attention se porte sur le territoire d'une métropole américaine, il apparaît à l'évidence que la distribution spatiale des taux d'homicide est très contrastée, avec des variations d'une ampleur énorme : à Chicago, le taux d'homicide du pire secteur de la ville est 200 fois plus élevé que celui du secteur le plus épargné par la violence [4]. Plus généralement, la criminalité se concentre massivement dans les secteurs les plus pauvres et les plus délabrés du centre des grandes villes. Autre fait qui se rapporte au précédent : la quasi-totalité des meurtriers sont issus des classes défavorisées. En effet, la recherche la plus fouillée sur le sujet établit que moins de 1% des homicides américains sont commis par des gens de classes moyennes ou supérieures dont on sait qu'ils représentent plus de la moitié de la population (Green et Wakefield 1979 et Green, 1993 : 55-56). [5]
Le problème paraît donc localisé à la fois dans des aires circonscrites des grandes villes et au bas de la hiérarchie sociale. Ces indices pointent en direction des ghettos ou, plus précisément, des poches de sous-développement urbain où se combinent et s'accumulent les handicaps socio-économiques.
Dans les zones urbaines américaines, les taux de crimes violents (vols qualifiés, coups et blessures, viols, homicides) varient en raison directe des pourcentages de familles monoparentales et vivant sous le seuil de la pauvreté, des divorces, des Noirs et de l'inégalité des revenus. La concentration de ces facteurs de désorganisation sociale et leurs effets cumulatifs ont de puissants effets criminogènes. La dissociation familiale, des réseaux sociaux anémiés et la pauvreté combinent leurs effets pour réduire les gens à l'impuissance, détruire la cohésion sociale et provoquer l'effondrement des contrôles sociaux informels. (Sampson, 1987 ; Land et coll., 1990 ; Sampson et Lauritsen, 1994 Sampson, 1995 ; Sampson et coll., 1997).
Dans les zones les plus délabrées, l'insécurité qu'engendrent les délinquances, les toxicomanies et les incivilités bloque les mouvements d'ouverture vers autrui ; elle segmente les réseaux sociaux. Les adultes craignent les jeunes et n'osent pas leur adresser la parole. La vie associative est sous-développée. Les ethnies, les générations, les gangs sont isolés, coupés les uns des autres. Les visiteurs s'y font rares et c'est en toute dernière extrémité qu'on se résigne à y habiter. La zone, ainsi séparée du reste de la société, devient un ghetto. Cet isolement fait obstacle au travail des policiers. Ceux-ci ne s'y sentent pas bienvenus. On se refuse à les informer, ce qui nuit à leur efficacité.
Un auteur comme Murray (1984 et 1990) ne pose pas le problème en termes de ghetto, mais plutôt de « underclass ». Il désigne par là les éléments parmi les pauvres qui sont durablement aliénés du marché du travail et qui ne veulent ni ne peuvent assumer leurs responsabilités parentales. Ces gens subsistent de prestations d'assistance sociale ou des revenus du crime. Être membre de ce sous-prolétariat, ce n'est pas seulement être pauvre, c'est mener un mode de vie marqué par le chômage chronique, l'irresponsabilité parentale, la délinquance et la toxicomanie. Cette marginalité sociale est d'origine familiale. Une adolescente désemparée a un enfant d'un homme qui n'imagine même pas qu'il pourrait subvenir à ses besoins. Gravement négligé, cet enfant est déjà handicapé quand il arrive à l'école ; il y accumule les échecs. Devenu adulte, il se retrouve sous-scolarisé, sans formation et n'arrive pas à prendre pied sur le marché du travail. Perdant jusqu'à l'espoir de trouver un emploi décent, il se laisse dériver dans la dépendance économique et le crime.
La désintégration des familles, les handicaps accumulés, les inégalités, la ségrégation, l'effritement de tous les contrôles sociaux : nous sommes en présence de conditions extraordinairement criminogènes. Mais elles ne permettent pas de rendre compte du surcroît d'homicides que nous nous proposons d'expliquer. Pour trois raisons. Premièrement, 1'« underclass » commence à faire sentir sa présence aux États-Unis au cours des années 1960 alors que cela fait au moins cent ans que les homicides sont plus fréquents dans ce pays qu'ailleurs. Deuxièmement, ce sous-prolétariat est de moins en moins un trait distinctif des États-Unis : par exemple, il est en plein développement en Grande-Bretagne (Murray 1990). Troisièmement, il est bien connu en criminologie que les pathologies familiales et sociales de cette nature sont à l'origine d'une délinquance versatile. Elles auraient donc dû, en principe, pousser vers des sommets tous les types de crime, et pas seulement les homicides. Si nous étions en présence d'une forte criminalité en tous genres, l'hypothèse tiendrait, mais ne s'agissant que des taux d'homicide, elle manque de spécificité. Elle ne nous dit pas pourquoi, aux États-Unis, les taux de cambriolage sont relativement bas et pourquoi les autres délits contre les biens ne sont pas plus fréquents qu'ailleurs.
Il se pourrait que la réponse à ces questions se trouve dans la curieuse manière dont les Américains ont relevé le défi lancé par la criminalité.
2 - L'autodéfense comme solution à la délinquance
Pour faire face à leur problème criminel, les Américain n'ont lésiné ni sur les moyens ni sur la rigueur. À partir de 1975, le public et les politiciens deviennent de plus en plus punitifs ; la rétribution, la neutralisation et la dissuasion reviennent à la mode ; la durée moyenne des sentences d'incarcération triple entre 1975 et 1989, faisant grimper les taux d'incarcérations (Blumstein 1995 ; Forst 1995). Puis, au cours des dernières années, les
pouvoirs publics embauchent cent milles de policiers supplémentaires ; ils augmentent leur capacité carcérale d'autant de places ; ils adoptent des politiques de « tolérance zéro » ; ils refusent la libération conditionnelle aux criminels violents ; ils imposent des peines minimales incompressibles. La probabilité qu'un délit (dont le nombre est estimé à partir des sondages de victimisations) se solde par une condamnation augmente entre 1981 et 1994 de 43% pour le meurtre, de 94% pour le viol, de 29% pour le vol qualifié et de 40% pour le cambriolage [6]. Cette évolution donne une impulsion supplémentaire à la croissance des taux d'incarcération qui atteignent de nouveaux sommets [7].
La justice criminelle américaine ne peut donc être taxée de laxiste. Mais la réponse au crime qui, plus que tout autre, singularise les États-Unis dans le concert des nations développées, c'est la pratique de l'autodéfense. Un acte d'autodéfense est un geste potentiellement ou réellement violent posé par un particulier afin d'éviter d'être victimisé ou pour se venger de l'avoir été : un propriétaire d'une maison tire un coup de fusil pour repousser un cambrioleur ; un commerçant prend en chasse celui qui vient de le braquer ; un dealer de drogue porte une arme pour intimider les clients tentés de le voler ; une femme battue tue son bourreau.
Deux phénomènes manifestent que l'autodéfense est pratiquée avec une ferveur particulière aux États-Unis : 1- l'usage d'armes à feu contre des délinquants et, 2- les homicides défensifs.
- 2.1- L'autodéfense année
Quelques chiffres montrent l'ampleur de l'effort d'autodéfense armée aux États-Unis (voir Reiss et Roth, 1993 ; Kleck, 1997 ; Kleck et Gertz, 1995 et 1998).
- - Les citoyens américains sont propriétaires d'un arsenal estimé à 235 millions d'armes à feu dont 36% sont des armes de poing. On trouve une ou plusieurs armes dans 46% des ménages. La moitié des répondants aux sondages disent que leur principale raison de posséder une arme de poing est de se défendre.
- - Au cours d'une année, 16,8 millions Américains portent à l'occasion une arme à feu sur leur personne ou dans leur voiture. Ils disent le faire pour se protéger du crime.
- - Les citoyens de ce pays utilisent une arme à feu contre des cambrioleurs, braqueurs ou agresseurs 2,5 millions de fois par année (chiffre plus élevé que le nombre de crimes violents commis avec une arme à feu). Dans la très grande majorité des cas, la victime potentielle se contente de brandir son arme ; mais il lui arrive aussi de tirer, de tuer même. Huit pour cent des répondants disent avoir atteint leur cible. (Kleck et Gertz, 1995 ; Kleck, 1997 : 151).
- 2.2 - Homicides défensifs
Les chercheurs qui examinent de près les homicides perpétrés dans diverses villes américaines découvrent que entre 7% et 15% d'entre eux sont classés sous les rubriques « légitime défense », « justifiable », « non-criminel » ou « excusable ». Pour la plupart, il s'agit de victimes ayant tué un cambrioleur, braqueur, violeur ou conjoint violent. C'est ainsi qu'à Miami, 13% des homicides commis en 1980 (et 21% de ceux qui avaient été commis par un Noir) ont été classés dans la catégorie "self-defense" (Wilbanks, 1984 : 157). [8]
Le phénomène se présente sous deux facettes allant de pair. D'une part, une fréquence élevée d'homicides objectivement défensifs au sens où ils avaient été réellement précédés d'une agression ou d'une tentative de vol ; d'autre part, une reconnaissance sociale de la légitimité de ces actes : les tiers assimilent l'acte fatal à de la légitime défense. Les spectateurs du drame, les procureurs, les juges, les jurys s'entendent pour le dire non-criminel. Cette réinterprétation de l'acte est lourde de conséquences car elle débouche sur son impunité. Le meurtrier a été découvert, mais le procureur, le grand jury ou le juge décide de ne pas le poursuivre ; ou encore, le jury acquitte. Dans les juridictions urbaines, environ 30% des meurtriers identifiés par la police ne sont pas poursuivis parce que les faits sont assimilés à de la légitime défense ou parce que des témoins crédibles font défaut. [9]
Sachant que la justice pénale américaine est notoirement sévère, cette mansuétude surprend. A l'évidence, cette justice a deux étalons : un, très dur, pour les trafiquants de drogue et les bandits et l'autre, très doux, pour les suspects qui ont abattu un malfaiteur ou tué au cours d'une rixe.
3 - Raisons et histoire de l'autodéfense
Comment expliquer une prévalance de l'autodéfense comme on n'en voit nulle part ailleurs dans les pays développés ? Les commentateurs ont incriminé le lobby du « National Rifle Association » et le culte maladif des Américains pour leurs armes. C'est faire bon marché de la menace que font peser les membres de la « underclass ».
- 1- Réponses aux risques de victimisation.
L'Américain contraint de vivre ou de circuler dans le centre d'une métropole prend tous les jours conscience de sa vulnérabilité au crime. Certains de ses amis - lui-même peut-être - ont été volés ou agressés. S'il ose marcher dans la rue, il est inquiété par des mendiants agressifs et des groupes de voyous. S'il habite dans une enclave très criminalisée, le soir, des deals de drogue se déroulent sous ses yeux. Il entend des coups de feu dans la nuit. S'il y tient un commère, l'accumulation des vols à l'étalage, des cambriolages et des braquages l'a convaincu de s'armer ou de payer les membres d'un gang pour assurer sa protection. La peur du crime déborde les poches de surcriminalité, car celles-ci sont entourées, non d'une cloison étanche, mais de zones de transition (Anderson 1998). De plus, les délinquants empruntent les transports en commun ; souvent ils ont une voiture : personne n'est tout à fait à l'abri.
Force est de reconnaître que les menaces auxquelles l'autodéfense est une réponse sont bien réelles. [10] Considérant les forces criminogènes qui travaillent le sous-prolétariat, on se dit que les Américains ont de bonnes raisons d'avoir peur. Mais pourquoi réagissent-ils en prenant leur défense entre leurs mains ?
- 2 - La pesanteur de l’histoire
« Notre magistrature est complètement incapable, la masse du peuple le sent comme nous-mêmes. Aussi personne n'est-il tenté d'en appeler à la justice régulière. Cet état de choses qui est commun aux États du Kentucky, Tennessee, Mississippi et même Géorgie, est à mon avis ce qui contribue le plus à donner aux habitants de ces États cette férocité de moeurs qu'on leur reproche avec raison.
- - Est-il donc vrai que les habitudes du peuple dans l'Alabama soient aussi violentes qu'on le raconte ?
- - Oui. Il n'y a personne ici qui ne porte des armes sous ses habits. À la moindre querelle, on met le couteau ou le pistolet à la main. Ces événements reviennent sans cesse ; c'est un état social à moitié barbare.
- - Mais lorsqu'un homme est tué de cette manière, est-ce que son assassin n'est pas puni ?
- - Il est toujours jugé et toujours acquitté par le jury, pourvu qu'il n'y ait pas de circonstances très aggravantes. Je ne me rappelle pas d'avoir vu un seul homme un peu connu payer de sa vie un pareil crime. Cette violence est passée dans les moeurs. Chaque juré sent qu'il peut, en sortant du tribunal, se trouver dans la même position que l'accusé et il acquitte. Remarquez que le juré est pris parmi tous les « free-holders" (propriétaires), quelque minime que soit leur propriété. C'est donc le peuple qui se juge lui-même et ses préjugés font en ce point obstacle à son bon sens. Au reste, ajouta mon interlocuteur, je n'ai pas été plus sage qu'un autre dans mon temps ; voyez les cicatrices qui couvrent ma tête (nous vîmes en effet la trace de quatre ou cinq profondes blessures). Ce sont autant de coups de couteau que j'ai reçus.
- - Mais vous êtes-vous plaint ?
- - Mon Dieu ! Non. J'ai cherché à en rendre d'aussi bien
appliqués. »
- (Tocqueville, Voyages en Sicile et aux États-Unis, p. 141).
L'autodéfense américaine s'inscrit dans une histoire de l'usage privé de la force, jamais reniée, toujours vivante.
L'esclavage qui se perpétue dans les États du sud jusqu'au milieu du XIXe siècle repose sur la violence du maître sur l'esclave. Après la guerre de Sécession, les Noirs sont théoriquement libres mais ils sont terrorisés et subjugués par les lynchages et les meurtres perpétrés par le Klu Klux Klan. Jusqu'au début du XXème siècle, les Sudistes vivent sous un régime de justice minimale et règlent leurs conflits par leurs propres moyens. Les duels sont tolérés et les bagarres restent le plus souvent impunies. N'importe quelle bagarre qu'un avocat peut maquiller en « combat loyal » fait l'objet d'un acquittement. Résultat prévisible, les meurtres sont extrêmement fréquents. En 1878, les taux d'homicide du Texas et de la Caroline du Sud sont 18 fois plus élevés qu'en Nouvelle-Angleterre (Ayers 1983 ; Lane, 1997).
Tout au long du XIXe siècle, les aventuriers - souvent des Sudistes - qui colonisent la « Frontière » de l'Ouest y importent l'habitude déjouer du revolver. Et ni la police ni la justice ne sont en mesure de les arrêter. C'est que les implantations de colons progressent sans que l'on se soucie d'y organiser des services de police ou des tribunaux. Les shérifs et les « marshals » sont chichement dispersés sur d'immenses territoires. Élus ou recrutés à la sauvette, ils sont loin d'être des parangons de vertu. Plusieurs finissent en prison ou au bout d'une corde, trouvés coupables de détournement de fonds, de vols de chevaux ou de hold-up.
Mais quand, dans l'exercice de leurs fonctions, ils abattent un bandit ou un fauteur de trouble, ils ne sont pas inquiétés.
La justice n'est guère mieux lotie. Les juges se font rares. Les jurys sont complaisants pour les bagarreurs, les acquittant presque toujours. Dans la petite ville de Bodie en Californie, entre 1878 et 1882, McGrath (1990) a établi que sur 40 suspects arrêtés pour meurtre, un seul fut trouvé coupable (la plupart étaient relâchés en évoquant la légitime défense ; sept eurent à subir un procès et l'un d'entre eux fut condamné).
Les graves insuffisances du maintien de l'ordre et de la justice étaient tant bien que mal compensées par les « comités de vigilance », les mercenaires et autres chasseurs de prime. Des groupes de citoyens armés prenaient en chasse les voleurs de chevaux et les braqueurs. Ceux qu'ils attrapaient étaient battus, fouettés, pendus ou abattus à coups de fusil. Bien souvent ces exécutions sommaires étaient perpétrées au vu et au su des autorités qui laissaient faire. Au Colorado, les comités de vigilance avaient un statut officiel. De leur côté, les éleveurs de bestiaux, les compagnies de diligence et de voies ferrées recrutaient des mercenaires ou offraient des primes à qui tuerait tel ou tel bandit. (Ayers, 1984 ; McGrath, 1990 ; Brown, 1991 ; Courtwright, 1996 ; Lane 1997).
C'est dans cette ambiance que les juristes américains élaborent une notion passablement élastique de légitime défense.
- 3 La décriminalisation de l'homicide défensif
Dans plusieurs États américains, la jurisprudence sur la légitime défense rompt avec celle qui prévaut dans les autres nations de Common Law. En Angleterre, par exemple, depuis la fin du Moyen-Âge, un plaidoyer de légitime défense n'est reconnu par la jurisprudence que si, au moment des faits, l'accusé n'avait pu éviter le combat par la fuite. Le droit canadien stipule qu'un individu qui a d'abord attaqué un autre sans justification ou a provoqué une attaque sur lui-même et qui se trouve ensuite en danger de mort peut justifier l'emploi de la force s'il a, notamment, « refusé de continuer le combat, l'a abandonné ou s'en est retiré autant qu'il lui était possible » (art. 35). Par contre, cette obligation de tenter rompre le combat ne s'applique pas aux personnes attaquées sans provocation (art. 34). Or, aux États-Unis, cette jurisprudence a fait l'objet d'une révision majeure qui a élargi considérablement le nombre de cas où la légitime défense peut être évoquée. Elle stipule qu'un individu n'a pas l'obligation de fuir devant une attaque : il peut faire face à son ennemi, et s'il le tue, le plaidoyer de légitime défense est recevable. Cette doctrine dite du « No Duty to Retreat » s'est développée surtout dans les tribunaux des États de l'Ouest. En 1876, l'arrêt "True man" en Ohio et en 1877, l'arrêt « American mind » soutiennent qu'un homme digne de ce nom ne fuit pas devant un agresseur, que la lâcheté n'est pas américaine et que l'on ne peut condamner un individu qui, ayant refusé de battre en retraite devant un agresseur, a fini par le tuer. En 1921, l'arrêt Brown de la Cour Suprême des États-Unis, rédigée par le juge Holmes avalise les jugements précédents. Brown n'a pas dépassé les limites de la légitime défense quand, plutôt que fuir, il a tué son ennemi qui le menaçait d'un couteau, « A man is not born to run away » écrivait Holmes à un ami en 1921. (Brown, 1991 et Corpus Juris Secundum : Homicide, no. 109-139).
L'auguste doctrine anglaise sur l'obligation de fuir avait eu pour résultat qu'en Grande-Bretagne, les querelles risquaient peu de finir mal. Au fil des siècles, la règle est entrée dans les moeurs et l'Anglais moyen a fini par se dire qu'il vaut mieux encourir le déshonneur de fuir que de tuer son prochain. Il en est tout autrement aux États-Unis où la jurisprudence est en synergie avec une loi non écrite stipulant que le survivant d'un combat apparemment loyal n'a pas à être puni, non plus que celui qui défend sa propriété à coups de fusil. Cet état d'esprit incite les policiers, les procureurs, les juges et, plus encore, les jurys à trouver des circonstances atténuantes et des excuses à des homicides qui, ailleurs, dépasseraient les bornes de la légitime défense (Brown 1991).
À New York, une affaire célèbre est révélatrice de la survivance de cette mentalité. En décembre 1984, Bernhard Goetz qui circulait dans le métro de Manhattan est abordé par quatre jeunes Noirs menaçants qui lui demandent de l'argent. Jugeant qu'il allait être victime d'un vol qualifié, il sort son pistolet et il tire sur les quatre jeunes gens et les blesse gravement. Et l'opinion publique d'applaudir. [11]
Ainsi voyons-nous la décriminalisation de l'homicide défensif (ou soi-disant tel) émerger dans le Sud esclavagiste puis coloniser l'Ouest américain. Elle est ensuite avalisée par la jurisprudence des États de l'Ouest et accréditée par la Cour Suprême du pays. De nos jours encore, les magistrats et les simples citoyens ne manquent pas pour absoudre l'individu qui tue son agresseur ou son voleur. Les habitants des ghettos ont compris le message : ils savent que leurs chances d'échapper à toute sanction sont excellentes s'ils tuent pour se défendre.
II. CONSÉQUENCES PARADOXALES
« Les lois qui défendent le port d'armes ne désarment que ceux qui n'ont aucune intention criminelle. (...) Elles mettent en état d'infériorité la victime d'une agression et profitent à l'agresseur ; au lieu de diminuer le nombre des assassinats, elles l'augmentent. Car on s'attaque plus hardiment à l'homme sans défense qu'à celui qui est armé. » (Beccaria, 1764 : 73).
Quels sont les effets de l'autodéfense armée sur la criminalité ? La question a suscité de fascinantes recherches et de vifs débats entre partisans et adversaires du contrôle des armes. Les premiers soutiennent que les armes à feu font grimper le nombre des homicides, position confortée par une étude de 14 pays, montrant qu'il y a une corrélation entre le taux de possession d'arme à feu et le taux d'homicide. [12] Néanmoins, malgré son caractère d'évidence, cette position résiste mal aux comparaisons entre le Canada et le Nord des États-Unis effectuées par Centerwall (1991) et Ouimet (1993). Ces chercheurs ont voulu savoir si la prévalence des armes de poing qui est plusieurs fois plus élevée dans les États du nord des États-Unis qu'au Canada se traduit par des différences dans les homicides. Ils ont mis en rapport les taux d'homicide des provinces canadiennes et ceux des États américains limitrophes. Quand on exclut de la comparaison les villes de New York et de Détroit, les différences sont faibles et pas toujours dans la direction attendue. [13] C'est dire qu'une fréquence très élevée d'armes à feu ne se traduit pas toujours par un surcroît équivalent d'homicides.
Dans ce qui suit, nous verrons comment l'autodéfense et la prolifération des armes contribuent à donner à la criminalité américaine son singulier profil par un jeu d'effets dont certains s'annulent.
1- Comment l'usage défensif des armes à feu
tient en échec les cambrioleurs et les agresseurs.
Les faits qui étayent l'hypothèse selon laquelle l'autodéfense dissuade maints délinquants ne manquent pas. C'est ainsi qu'un sondage réalisé auprès de prisonniers condamnés pour cambriolage ou crime violent montre que 43% d'entre eux ont décidé, au cours de leur carrière criminelle, de ne pas commettre un crime parce qu'ils craignaient que la victime ne soit armée. Cinquante-six pour cent de ces détenus sont d'accord avec l'énoncé : « La plupart des délinquants ont plus peur d'être confrontés à une victime armée qu'à la police » et 73% le sont avec cette phrase : « Une des raisons pour lesquelles les cambrioleurs évitent les maisons occupées, c'est qu'ils craignent de se faire tirer dessus par les occupants » (Wright et Rossi, 1986). De fait, il se commet, aux États-Unis moins de cambriolages dans des maisons occupées qu'au Canada parce que, chez nos voisins du Sud, il est très dangereux de s'introduire par effraction dans une résidence quand on n'est pas absolument certain qu'elle est inoccupée (Kleck, 1991 : 141 ; Ouimet 1993).
Au cours des dernières années, 31 États américains ont adopté des lois stipulant que soit accordé de manière non discrétionnaire un permis de porter une arme à feu dissimulée à tout adulte qui en fait la demande, à la condition qu'il n'ait ni antécédent criminel ni maladie mentale. De nombreux Américains se sont prévalus de cette loi et ont obtenu un permis de port d'armes. Pour connaître son effet sur la criminalité, Lott (1998) a recueilli une série d'informations dans les quelques 3000 comtés du pays entre 1977 et 1994 : nombre de détenteurs de permis, de propriétaires d'armes, taux d'élucidation des crimes, chômage, revenus, etc. Ses analyses de régression montrent que ces lois libéralisant le port d'armes font baisser les taux d'homicide, de viol, et de coups et blessures (crimes qui mettent la victime directement en présence de l'agresseur). La diminution est fonction du nombre de permis accordés. Par contre, la libéralisation du port d'armes s'accompagne d'une augmentation du nombre des vols d'autos et de vols simples. Une politique permettant à tout adulte sans casier judiciaire de circuler armé semble modifier le rapport des forces à son avantage. Dès lors qu'il est pratiquement impossible de désarmer les malfaiteurs, laisser les honnêtes citoyens porter une arme diminue leur vulnérabilité sans pour autant les transformer en meurtrier ; en effet, les armes autorisées ne sont que très exceptionnellement utilisées à des fins criminelles. [14]
Cette recherche prête cependant flanc à la critique. La décroissance de la criminalité que Lott attribue à la libéralisation du port d'arme tient aussi à d'autres facteurs qu'il n'a pas contrôlés. De plus, l'effet des lois en question ne peut être que modeste quand on sait que 1.3% de la population de la Floride a obtenu un permis et que plusieurs ne faisaient que légitimer une pratique déjà acquise (Kleck 1997 : 373).
Quoi qu'il en soit, le fait décisif - évoqué plus haut - est que plus de deux millions de fois par année, des Américains ont recours à une arme à feu pour repousser un cambrioleur, braqueur ou autre agresseur. Ces actions ont comme résultat immédiat de faire échouer l'attaque : dans 89% des cas, la victime n'est ni volée ni blessée ni violée et le voleur ou l'agresseur décampe sans demander son reste (82% des fois, ce dernier n'est pas armé). Les victimes qui résistent à main armée parviennent donc à repousser l'intrus ou l'agresseur et à faire augmenter dans des proportions appréciables le taux d'échec des projets criminels (Kleck et Gertz, 1995 ; voir aussi Kleck, 1991 et 1997 et Lemieux 1993).
Ces actes d'autodéfense qui se chiffrent en millions ne font pas seulement avorter presqu'autant de tentatives criminelles, en outre, ils rendent les criminels craintifs quand ils se trouveront plus tard dans des circonstances semblables. L'autodéfense armée augmente les risques du métier de hors-la-loi, en dissuadant force braquages, agressions et cambriolages dans les maisons occupées. La présence virtuelle d'une arme à feu introduit un fait radicalement nouveau dans la situation pré-criminelle. Le crime projeté devient plus dangereux pour son auteur qu'auparavant. Si l'agresseur se fait tirer dessus par sa victime, sa « peine » sera immédiate, certaine et sévère, engendrant un puissant effet de dissuasion situationnelle (Cusson, 1993 et 1998). Le cambrioleur y pensera à deux fois avant d'entrer dans un appartement qui, sait-on jamais ? pourrait être occupé. Le braqueur passera son chemin s'il soupçonne que le caissier a un pistolet à porté de main. Et le mari violent se calmera s'il s'avise que sa conjointe vient de s'acheter un revolver. [15]
Dans la mesure où un agresseur ne peut savoir si sa future victime est armée ou non, l'on doit s'attendre à une diffusion des bénéfices préventifs de la crainte qu'inspirent les citoyens armés (Clarke et Weisburd, 1994). Les gens qui n'ont pas d'arme profiteront donc de la dissuasion exercée par ceux qui en portent.
Mais l'usage d'armes contre les malfaiteurs n'est pas tout bénéfice car les armes à feu ne restent pas toutes entre les mains des honnêtes gens.
2- Comment l'accessibilité des armes à feu
conduit les délinquants américains à en user
et à tuer plus souvent qu'ailleurs.
La démonstration exige qu'on aligne une série de faits qui s'enchaînent les uns aux autres.
1. Aux États-Unis, 74% des vols qualifiés et 65% des voies de fait poursuivis ont été commis par des accusés ayant des antécédents criminels. [16] C'est dire qu'une solide majorité de violences non mortelles sont le fait de récidivistes.
2. Plus les armes à feu sont disponibles dans un milieu social, plus le pourcentage de crimes commis avec de telles armes y sera élevé. [17] Là où les pistolets etc., sont répandus, les malfaiteurs s'en procurent pour se protéger et ils s'en servent. [18] Ils les achètent, les louent ou les empruntent à leur entourage ; ils les volent ; ou encore, ils les achètent à un vendeur attitré.
3. Toutes choses égales d'ailleurs, les agressions et les rixes ont des conséquences plus souvent fatales quand au moins un des protagonistes est armé que si les deux s'affrontent à mains nues. Lors de vols qualifiés, le taux de mortalité est trois fois plus élevé quand il est commis avec un pistolet qu'avec un couteau et 10 fois plus qu'un tel vol commis sans arme (Cook, 1991 ; Zimring et Hawkins, 1997). Il ressort d'une comparaison entre des coups et blessures et des homicides que la probabilité qu'une rixe ait des conséquences fatales est énormément plus élevée si un adversaire a une arme à feu que s'il n'est pas armé (Felson et Messner 1996).
Deux facteurs sont ici en cause : 1- la dangerosité intrinsèque de l'arme (les armes à feu causent plus facilement des blessures graves que les autres armes) ; 2- celle de son porteur (plus la volonté de tuer ou de blesser gravement est forte, plus on tendra à préférer une arme à feu à toute autre arme).
Les armes à feu ont une contribution aux taux d'homicide indépendante de l'intention initiale de l'agresseur parce que celui-ci ne part pas toujours avec une volonté ferme de tuer ; cependant, dans la chaleur de l'altercation, vient un moment où les opposants, poussés par la peur, s'entraînent mutuellement à surenchérir de violence. Et alors les moyens prendront le pas sur les fins. Si l'un des adversaires a une arme sur lui, il n'aura pas le choix, il s'en servira, se disant : « c'est lui ou moi ». [19]
4- Il suit des points 1, 2, et 3 que les armes à feu font monter les taux d'homicide, non pas tant parce que les citoyens ordinaires s'en servent, mais parce que les récidivistes polymorphes (qui commettent la plupart des crimes violents non mortels) y ont accès. Ce n'est donc pas par hasard si les trois quarts des homicides américains sont perpétrés, non par d'honnêtes gens qui tuent dans un moment d'égarement, mais bien par des individus ayant des antécédents criminels diversifiés. [20]
Cependant une explication de l'homicide américain qui fait porter tout le blâme sur les armes à feu se heurte à de sérieuses objections. Aux États-Unis, le taux d'homicide commis sans arme à feu est beaucoup plus élevé que ne l'est le taux global d'homicide au Japon ou en Angleterre (Clarke et Mayhew 1988 ; Wright in Nisbet, 1990). L'exemple Suisse, où les armes à feu sont très répandues et les homicides très rares, montre que la diffusion des armes à feu n'a pas de conséquence sur les taux d'homicides en l'absence d'une culture de l'autodéfense et d'un milieu criminel bien développé.
La culture américaine de l'autodéfense pourrait donc être un facteur plus important encore que les armes qui, après tout, ne sont que des instruments parmi d'autres : on peut aussi tuer avec un couteau ou même à main nue et on y arrivait fort bien autrefois, comme en témoigne la fréquence des meurtres avant l'invention du fusil.
3- Comment la culture de l'autodéfense
est responsable d'un grand nombre d'homicides.
La culture de l'autodéfense est ici entendue comme le système de normes et de valeurs qui repose sur l'affirmation du droit pour l'individu de porter les armes et de protéger sa vie, ses biens et son honneur par tous les moyens, y compris la force et au risque de tuer.
L'importance de cette culture tient d'abord au fait qu'elle est en quelque sorte le principe actif de la prolifération des armes et de leur utilisation. C'est au nom du droit de se défendre que les Américains achètent fusils et revolvers, qu'ils les brandissent en cas de danger et qu'ils se refusent à punir les homicides vaguement défensifs. De manière plus pernicieuse, cet état d'esprit a) obscurcit la distinction entre la force légitime et celle qui ne l'est pas et, b) favorise la montée aux extrêmes.
a - Les contours flous de la violence défensive. L'extension du droit à la légitime défense ouvre une boîte de Pandore. Dans les sociétés où les comportements d'autodéfense sont tolérés, on escamote les distinctions entre la défense de la personne, celle des biens et celle de l'honneur. On finit par excuser celui qui a tué un simple voleur ou encore un insulteur.
Au cours d'une bagarre, les intéressés sont persuadés que c'est pour se défendre qu'ils frappent. Si, de proche en proche, on légitime la plupart des violences apparemment défensives, toute participation à une bagarre finit par être justifiée ou excusée : au cours de la rixe, l'escalade conduit sans transition des coups de poings aux coups de feu, de la défense à la contre-attaque et de la riposte à la vengeance. Il est ensuite difficile de démêler les comportements d'attaque et de défense.
b - Dangereuses victimes. Dans les sociétés où cette légitimation est en place, on constate que les réponses défensives aux attaques ou aux affronts s'organisent et prennent une forme plus ou moins stéréotypée. La notion de « script » ou de scénario paraît ici éclairante. Un script est la séquence cohérente des actions et réactions appropriées en face d'un problème donné ; c'est le « programme » inscrit dans la mémoire des membres d'un groupe leur dictant comment interpréter les actions d'autrui et y réagir ; c'est une routine qui fait se dérouler une succession d'actes sans qu'on ait à y réfléchir (Cornish, 1994 a et b ; Tedeschi et Felson, 1994). Dans les ghettos et dans le milieu criminel prévaut un script qui pourrait s'appeler « ne jamais reculer ». Ce scénario dicte : Ie de rester sur ses gardes ; 2e en cas d'attaque ou d'affront, surmonter sa peur, faire front et contre-attaquer au plus vite ; 3e en cas de défaite, se venger. [21] Ce script subsiste dans les ghettos américains comme un résidu d'une histoire entretenue par les héros de Western et autres Rambo. Il permet à ses utilisateurs d'être respectés et redoutés (Anderson 1998). Il contraste avec le scénario non-violent qui domine dans la plupart des sociétés occidentales contemporaines lequel prescrit, en cas d'attaque, de ne pas avoir peur d'avoir peur et de ne pas hésiter à appeler la police.
Lors d'une querelle, deux ennemis se croyant tenus par le script « ne jamais reculer » refuseront l'intervention de tiers pacificateur, s'entraîneront mutuellement aux extrêmes et l'un d'eux pourrait bien tuer pour éviter d'être abattu. Felson et ses collaborateurs ont découvert que la crainte de la victime explique pourquoi maintes rixes se terminent en homicide. Comparées à des victimes de coups et blessures, celles qui ont été tuées avaient, au moment des faits, été systématiquement plus agressives : proférant des menaces, brandissant une arme et frappant celui qui allait finir par la tuer (Felson et Steadman 1983). Partant de ce constat, Felson et Messner (1996) avancent l'hypothèse selon laquelle, lors d'un affrontement, un individu tuera plus souvent son ennemi si celui-ci est un homme plutôt qu'une femme et un Noir plutôt qu'un Blanc (les Noirs ont la réputation d'être plus violents). Selon la même logique, si l'agresseur est appuyé par quelques complices, il se sentira moins contraint de tuer que s'il est seul. Une comparaison entre les homicides américains de 1987-90 et les coups et blessures (mesurés par le sondage de victimisation) établit qu'une victime de sexe masculin court 4,4 fois plus de risque d'être tuée qu'une femme, et un Noir 2,5 plus qu'un Blanc. Enfin les agresseurs qui agissent en solo tuent 4,5 fois plus souvent que ceux qui attaquent à plusieurs. Plus un ennemi paraît redoutable, plus grande est la probabilité qu'il soit tué. Si la victime est trop dangereuse, on la supprime.
Dans une société où il est mal vu de fuir, une victime ou un ennemi paraîtra plus dangereux qu'ailleurs. À cause de la culture américaine de l'autodéfense, il arrivera que les victimes fassent tellement peur aux délinquants que ces derniers finiront par tuer.
4 - Cinq chemins menant à l'homicide
Le surarmement du milieu criminel et la culture de l'autodéfense combinent leurs effets pour produire le surcroît de violences fatales dont souffrent les Américains. Cinq processus sont ici à l'oeuvre. 1- Parce qu'ils sont armés et que leurs victimes sont dangereuses, les braqueurs, violeurs et cambrioleurs les tuent plus souvent que s'ils opéraient sans arme dans des conditions moins périlleuses. 2- Les guerres de gang, les conflits entre voleurs ou trafiquants de drogue et autres disputes surgissant dans l'exercice du métier de malfaiteur ont des issues plus mortelles qu'ailleurs parce que, dans ce pays, les gens du milieu règlent leurs comptes à coups de revolvers automatiques et de fusils d'assaut. 3- Les délinquants américains ont assimilé mieux que quiconque la culture de l'autodéfense sans oublier son script « ne jamais reculer ». Il s'ensuit que leurs querelles d'honneur et autres disputes personnelles montent assez souvent aux extrêmes. Les pistolets font le reste. 4- Des jeunes gens qui n'appartiennent pas au milieu criminel, mais sont impulsifs, ombrageux et intrépides, se disputent et finissent par tuer leur adversaire parce qu'ils se font, eux aussi, un point d'honneur de ne jamais reculer et parce qu'ils ont l'habitude de sortir en ville le revolver en poche. 5- Des victimes tuent les délinquants qui tentent de les agresser ou de les voler en se sachant assurées de l'impunité. Il s'agit là d'un type d'homicide dont on ne trouve pratiquement pas l'équivalent dans les statistiques des autres pays avancés.
Conclusion
Cette anomalie américaine que signale un écart entre, d'une part, un niveau de délinquance générale comparable à celui qu'on trouve ailleurs et, d'autre part, un taux d'homicide beaucoup plus élevé résulte de deux forces opposées : une puissante pression criminogène ayant son épicentre dans les ghettos et une pratique de l'autodéfense enracinée dans l'histoire du pays. Tout se combine dans les quartiers délabrés pour générer une criminalité en tous genres extrêmement élevée : familles démembrées, inégalités criantes, effondrement des régulations, ségrégation... La criminalité potentielle qui irradie de 1'« underclass » n'a pas seulement suscité une mobilisation policière et pénale, elle a aussi réactualisé des réflexes d'autodéfense trop bien enracinés dans le peuple américain. Le dispositif mis en place pour la contenir met à contribution un appareil répressif maintenant à des niveaux élevés la certitude et la sévérité des peines. [22] S'y ajoute l'autodéfense. Tenus en respect par des citoyens armés et par un système policier et pénal de plus en plus redoutable, les délinquants de ce pays commettent moins de cambriolages, de braquages et d'agressions qu'ils n'en auraient commis compte tenu de l'action combinée des facteurs criminogènes à l'oeuvre dans les ghettos. Mais la prolifération des armes qui va de pair avec l'effort d'autodéfense a pour effet pervers que de nombreuses armes à feu tombent entre les mains de malfaiteurs. Circulant et opérant armés, ceux-ci tuent plus souvent qu'ailleurs. Parallèlement, la culture de l'autodéfense obscurcit la distinction entre force légitime et violence, rend les victimes dangereuses et pousse les querelles aux extrêmes.
À la différence du Canadien ou de l'Européen, l'Américain de classes moyennes a très souvent une arme chez lui ; il est résolu à s'en servir contre un criminel et, s'il siège comme juré, il sera porté à acquitter un individu accusé d'un homicide pseudo-défensif. Ces pratiques ont des répercussions sur les classes criminelles. En effet, les cambrioleurs ne sont par sans savoir qu'ils sont en danger de mort quand ils s'introduisent chez les gens. Ils savent aussi que la justice est clémente pour les bagarreurs, même ceux qui en viennent à tuer. Résultat : des voleurs prêts à abattre une victime qui fait mine de résister et des bagarreurs disposés à aller jusqu'à tuer en ayant bon espoir d'échapper à toute sanction.
Malgré l'effet pervers de l'usage défensif de la force, les Américains persistent à le légitimer parce qu'il va dans le sens de leurs convictions politiques. L'Américain se méfie souverainement d'un État qui prétendrait faire son bonheur car, se dit-il, sa liberté finirait par en pâtir. Il est convaincu que le peuple peut s'armer comme il l'entend parce qu'il revient à chacun de se protéger et de défendre sa liberté. S'il tolère que la police et la justice soient paralysées par une culture intransigeante des droits individuels, c'est qu'il ne voit dans ces institutions que des forces d'appoint dans la lutte contre le crime, le citoyen étant le premier responsable de sa propre sécurité. La controverse et les oppositions sont érigées en système dans la vie politique judiciaire et sociale américaine : le Congrès s'oppose à la présidence, la défense à la poursuite et, nous l'avons vu, le citoyen armé au malfaiteur. L'ordre ne vient pas d'en haut mais d'un jeu constant de poids et de contrepoids qui finissent par s'équilibrer (Lipset, 1996). Mais le couteau est à double tranchant : d'un côté, l'initiative, la liberté et l'esprit de compétition, de l'autre, l'individualisme ombrageux, la prolifération des armes et les morts violentes.
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[1] L'auteur remercie Marc Ouimet, Jean-Paul Brodeur, Denis Szabo, Guy Lemire et Pierre Tremblay pour leurs pertinentes critiques des premières moutures de ce texte.
[2] Les historiens américains ont aussi documenté le fait qu'au cours du XIXe siècle, les homicides étaient très fréquents dans l'Ouest et le Sud du pays (Mc Grath, 1989 ; Courtwright, 1996 ; Lane, 1997). Dans les villes comme New York, c'est vers 1840 que les taux d'homicide deviennent beaucoup plus élevés que dans des villes anglaises comparables (Lane, 1997 : 344).
[3] Voir Ouimet (1993) Lynch (1995), Fedorowyzc (1997), Zimring et Hawkins (1997) et Langan et Farrington (1998). Selon Zimring et Hawkins (1997) à l'échelle internationale, les taux d'homicide varient indépendamment de la criminalité générale. Mais, à l'intérieur des États-Unis, la corrélation entre les taux d'homicides des États et les autres types de crime sont très fortes.
[4] Voir Block et Block (1992). Dans les cinq secteurs de Chicago ayant les taux d'homicide les plus élevés, ils sont de 75 par 100 000, comparé à la médiane de 15 pour toute la ville : cinq fois plus À Montréal les taux d'homicide du pire quartier qui est Hochelaga-Maisonneuve n'est que deux fois plus élevé que celui de la moyenne de Montréal.
[5] Au Canada, 76% des auteurs des homicides commis en 1991 étaient sans emploi (Wright, 1992) Le fait ne semble pas particulier aux États-Unis.
[6] Voir Langan et Farrington 1998 : 19. En Angleterre, la tendance est inverse : des probabilités de condamnation à la baisse et, en 1994, inférieures à celles des Etats-Unis, avec l'exception notable des homicides.
[7] 603 par 100 000 en 1995, aux Etats-Unis comparé à 95 en France et 118 au Canada en 1994. (Voir Bondeson 1998 et Waquant 1998)
[8] À Détroit, 7% des homicides commis entre 1958 et 1968 étaient classés « non criminal » (Boudouris, 1974) et en 1980, 15% étaient classés « excusables » ou « justifiables » (Dietz 1983). À Houston, 10% des homicides commis en 1969 étaient considérés « justifiable » (Lundsgaarde, 1977). Kleck (1997) estime qu'entre 1400 et 3200 homicides défensif été commis par des civils en 1990 aux États-Unis. À Seattle, de 1980 à 1986, 17 homicides classés « self-defense » sont enregistrés contre 4 à Vancouver, ville voisine de population très semblable (Sloan et al. 1988).
[9] En 1990, le taux d'élucidation des homicides était de 67% aux États-Unis comparé à 63% en Suède, à 94% en Angleterre et à 78% au Canada (en 1996) (Farrington et coll. 1994 ; Fedorowycz, 1997). Les Américains ne se démarquent donc pas des autres pays à l'étape policière. C'est ensuite que les choses se gâtent. À Houston, bien que 84% des homicides de 1969 conduisent à une arrestation, moins de 50% des suspects sont condamnés (Lundsgaarde, 1977 : 145). À Miami, en 1980, 62% des suspects d'homicide sont condamnés, 13% acquittés et les procédures sont abandonnées dans 25% des cas (soit pour légitime défense soit faute de témoin crédible) (Wilbanks, 1984), D'après les calculs de Rose et McClain (1990 : 222-3), les procureurs abandonnent la poursuite dans 29% des homicides commis par un Noir à rencontre d'un Noir à Détroit ; les pourcentages correspondent sont de 27% à Atlanta et un extraordinaire 55% d'abandon de poursuites à St-Louis. Selon ces chercheurs, le procureur laisse tomber les poursuites quand la victime de l'homicide avait tenté de commettre un crime à rencontre de l'accusé ou lui avait porté des coups (excuse qui valait pour les bagarreurs ou les femmes d'un conjoint violent). Dans un échantillon d'accusés de 75 comtés urbains en 1990, 61% des accusés sont condamnés, 8% acquittés et la poursuite est abandonnée dans 30% des cas (Smith, 1993 :13). À titre de comparaison, à Montréal en 1985-1989, sur 177 accusés d'homicide, Grandmaison (1993 : 32) trouve 80% de condamnations, 15% acquittements pour aliénation mentale et 2% d'abandons de poursuite à l'enquête préliminaire. Ce dernier chiffre est à mettre en rapport avec le 30% d'abandons de poursuite en milieu urbain américain : quinze fois plus.
[10] Kleck (1997 : 76-80) pense que le désir de s'armer procède d'une prudence raisonnable et pas seulement de la peur du crime. Il montre aussi que les taux d'homicide et de viol ont un effet positif statistiquement significatif sur les taux de possession d'arme à feu. Plus le danger réel est grand, plus on s'arme (voir aussi Kleck, 1991 : 198).
[11] Un sondage national révèle que 57% des Américains approuvent le comportement de Goetz. Lors de son procès tenu en 1987, il est acquitté par le jury (Brown 1991). En 1985 au cours de deux sondages, on demande aux Américains : « Le « vigilantisme » c'est-à-dire, se faire justice soi-même peut-il être justifié par les circonstances ? » 80% des gens répondent oui dans le premier sondage et 70% dans le second. (Kopel, 1992 : 383-384).
[12] Voir Killias (1990 et 1993).
[13] En 1990, le taux d'homicide du Canada était de 2,42 par 100 000 h. contre 3,75 pour le nord des États unis (Ouimet 1993). De 1976 à 1980, le taux du Québec (3,0)était plus élevé que ceux des États voisins du Vermont (2,8)et du Maine (2,7) (Centerwall 1991). En 1980-6, le taux d'homicide annuel est de 11,3 à Seattle et de 6,9 dans la ville canadienne la plus proche : 1,6 fois plus. Sloan et al (1988) attribuent cette différence aux armes à feu. Mais le taux de prévalence de ces armes est 3,4 fois plus élevé à Seattle : le rapport armes à feu-homicide ne semble pas direct.
[14] Lott rapporte qu'en Floride, sur 380 000 permis de port d'arme accordés entre 1987 et 1996, seulement 72 ont été révoqués parce que leur détenteur avait commis un délit (lequel n'avait pas été, la plupart du temps, exécuté avec une arme à feu).
[15] L'hypothèse ne paraît pas farfelue quand on sait qu'aux États-Unis, le nombre de femmes qui tuent un conjoint violent est plus élevé qu'ailleurs, surtout en milieu Noir (Wilson et Daly, 1992). Bourgois (1995) raconte un épisode de cette nature.
[16] Ces chiffres sont de Smith (1993). Ils viennent d'un échantillon d'accusés en 1990 dans les 75 comtés américains les plus peuplés.
[17] Le fait a été établi par Cook (1991 : 47). Étudiant toutes les villes américaines d'importance, il rapporte que les pourcentages de propriétaires d'armes dans les villes sont en corrélation positives avec les pourcentages de crimes perpétrés avec une arme à feu.
[18] Dès lors que le port d'arme devient monnaie courante dans un milieu, ceux qui n'étaient pas armés voudront être à armes égales en cas d'affrontement, provoquant une course aux armements.
[19] Une étude réalisée à Chicago établit que les circonstances et les auteurs de la plupart des homicides ressemblent à celles des crimes violents non fatals. Un certain nombre d'homicides ne semblent donc pas motivés par un désir évident de tuer (Zimring et Hawkins, 1997).
[20] 68% des meurtriers américains poursuivis en 1990 dans les principales juridictions urbaines du pays avaient une histoire d'arrestation antérieure (Smith, 1993 ; voir aussi Dawson et Boland, 1993). En 1964 -7, 75% des meurtriers avaient déjà été arrêtés par la police pour un délit quelconque. Ils avaient à leur actif une moyenne de 7,9 arrestations (Mulvihill et Tumin, 1969). Au Canada, 70% des meurtriers masculins et 40% des femmes ayant tué avaient un dossier judiciaire (Wright, 1992).
[21] II existe des scénarios intermédiaires qui autorisent la violence tout en lui imposant des limites. C'est ainsi qu'en Angleterre, les batailles entre supporters d'équipes de football sont ritualisées. On s'échange quelques coups et celui qui en assez peut se désengager du combat en baissant les yeux, ce qui arrête l'autre (Leyton, 1995 : 220).
[22] La plus récente démonstration de l'efficacité de la certitude des peines nous vient de Lott (1998) : entre 1977 et 1994 et dans les 3000 comtés des Etats-Unis, plus les taux d'arrestations sont élevés, plus la criminalité est faible et ceci vaut pour tous les types de crime mesurés.
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