RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article d'Hélène David, “Les femmes vieillissantes au travail et à la retraite dans la littérature scientifique.” Un article publié dans la revue Recherches féministes, vol. 7, n° 2, 1994, p. 145-155. Érudit. [Autorisation accordée par l'auteure le 20 janvier 2010 de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales]

[145]

Hélène David

Sociologue, chercheure et consultante retraitée

Les femmes vieillissantes
au travail et à la retraite
dans la littérature scientifique
.”

Un article publié dans la revue Recherches féministes, vol. 7, n° 2, 1994, p. 145-155. Érudit.



Introduction

Davantage de recherches sur le terrain seront nécessaires bien entendu pour comprendre la situation des femmes vieillissantes au travail et à la retraite. Mais auparavant, il est indispensable de faire le point sur l'état des connaissances actuelles afin d'en déterminer les acquis et les lacunes, à cause du sexisme encore trop souvent présent dans ces travaux. Quelques bibliographies sur les femmes et le vieillissement en général, fondées sur des perspectives critiques plus ou moins explicites, ont déjà paru au Canada. Dans le cas des recherches touchant les femmes dans le champ plus particulier du vieillissement au travail, il était aussi pertinent d'aborder la question à partir d'une perspective critique à cause de l'omniprésence d'éléments sexistes dans le processus de recherche.

La constitution d'une bibliographie analytique des publications scientifiques en français et en anglais, du milieu des années 1970 à la fin de 1990 [1], sur les femmes vieillissantes au travail et en emploi a permis de dresser le bilan de quelque 200 écrits et ainsi de rendre plus accessibles les travaux existants afin de faciliter les recherches à entreprendre sur la question (David et Pinard 1993) [2]. Le présent texte résume la problématique à partir de laquelle notre bibliographie analytique a été effectuée, en expose les principaux résultats et propose des priorités de recherche.

L'occultation de la situation des femmes

À l'examen des travaux de recherche tant sur les femmes au travail que sur le vieillissement au travail, on constate jusqu'à quel point ces champs ont longtemps été dominés par des problématiques axées sur la situation des hommes (Acker 1978 ; Sokoloff 1979). De plus, dans le domaine du travail, l'avance en âge des femmes n'est pas jugée pertinente, alors qu'en gérontologie sociale c'est l'inverse, les sujets étant définis en tant que membres d'une classe d'âge et non selon leurs caractéristiques socioprofessionnelles. L'étanchéité entre la gérontologie sociale et les recherches dans le domaine du travail amène aussi à sous-estimer fortement le poids de la vie de travail antérieure dans la structuration des différentes dimensions de la vie à la retraite. Les cloisonnements   entre  ces  champs  de  recherche  rendent   également [146] extrêmement difficile l'examen de certaines questions, tel le vieillissement au travail, dont l'importance sociale est cruciale. C'est encore davantage le cas au sujet des femmes vieillissantes qui sont sur le marché du travail ou qui en sont sorties. La gérontologie sociale a, elle aussi, négligé la situation des femmes, ce qui a eu pour conséquences de nombreux biais, tant sur le plan théorique que sur le plan méthodologique (Beeson 1975 ; Burwell 1984).

La faible présence des femmes dans les travaux de ces deux champs de recherche amène à sous-estimer leur importance réelle tant parmi la population âgée que sur le marché du travail. On a alors aussi tendance à supposer que la situation qui existe pour les hommes et ses facteurs explicatifs sont les mêmes pour les femmes. Pourtant dans les pays industriels avancés, la proportion des femmes dépasse celle des hommes dès le seuil de 55 ans ; cette proportion croît ensuite avec l'âge, le pourcentage de femmes parmi les 85 ans et plus atteignant jusqu'à 70% en Amérique du Nord. Quant au taux d'activité, il a dépassé le cap des 50% pour l'ensemble des femmes depuis déjà plusieurs années, et cette hausse n'est pas que le fait des plus jeunes. Gibson (1985) a estimé que, dans les pays développés, le tiers des femmes de 55 à 64 ans étaient sur le marché du travail en 1980, cette proportion variant sensiblement d'un pays à l'autre. Au Québec, par exemple, entre 1951 et 1986, le taux d'activité des femmes de 45 à 54 ans est passé de 19 à 53%, alors qu'il diminuait de 95 à 88% chez les hommes du même âge ; au cours de la même période, le taux d'activité des femmes de 55 à 64 ans a doublé, passant de 14 à 28%, alors que, chez les hommes du même âge, ce taux a considérablement diminué, passant de 86 à 65% (Motard et Tardieu 1990 ; Statistique Canada 1985 ; Rochon 1990). Les femmes vieillissantes ou âgées, au travail ou non, ne sont donc pas une minorité invisible dont les faibles effectifs rendraient l'étude difficile.

La condition des femmes en gérontologie sociale

Depuis quelques années, un certain nombre d'ouvrages se sont attardés à la façon dont la condition des femmes et la différenciation sexuelle ont été traitées en gérontologie sociale [3]. Ces travaux sont plutôt négatifs dans leur évaluation de la situation, mais quelques-uns soulignent les améliorations notoires qui apparaissent depuis quelques années.

La plupart de ces travaux relèvent les mêmes types de lacunes. Premièrement, une perspective asexuée, c'est-à-dire qui manque de sensibilité scientifique relativement aux rapports sociaux de sexe, caractérise ces travaux. On remet très rarement en question le manque de visibilité sociale des femmes vieillissantes ou âgées et des enjeux qui les concernent. Deuxièment, les cadres d'analyse explicatifs ne sont pas souvent fondés empiriquement et relèvent de stéréotypes parce qu'ils reposent sur des résultats biaises par des failles méthodologiques ; les échantillons sont inadéquats (par exemple, on compare des échantillons de femmes et d'hommes qui diffèrent quant à plusieurs variables pertinentes mais non contrôlées) ; les données ont été recueillies avec des [147] questionnaires fermés qui ne permettent pas de tenir compte de l'expérience particulière des femmes ; les travaux poussent l'interprétation au-delà de ce que permettent les résultats ; ils font des généralisations abusives concernant les femmes à partir de résultats obtenus auprès de populations uniquement masculines ; ils interprètent les différences entre les femmes et les hommes à partir d'explications qui justifient le statu quo en ce qui a trait à la situation d'infériorité sociale des femmes. Le plus souvent, ces analyses ne tiennent pas compte des effets de cohorte qui, pourtant, permettraient d'expliquer pourquoi de nombreux résultats de recherche récents contredisent ceux d'il y a quelques décennies concernant les différences entre les femmes et les hommes, car les rapports sociaux de sexe se sont profondément transformés. Les présentations sont trop descriptives et insuffisamment conceptualisées ; enfin, on manque de données longitudinales et comparatives.

Troisièmement, les femmes et les enjeux qui les touchent davantage avec leur avance en âge sont sous-représentés  : sous-représentation quantitative par rapport à l'ensemble des travaux en gérontologie sociale ; sous-représentation quantitative par rapport à certains thèmes particuliers. Les analyses n'approfondissent pas suffisamment le traitement des données touchant les femmes, et il y a sous-représentation des recherches sur les femmes vieillissantes dans les études féministes. Quatrièmement, les conditions de vie réelles des femmes sont occultées. Les travaux qui ont trait aux iniquités des régimes de sécurité du revenu, aux iniquités au travail et en emploi, à la pauvreté, au veuvage, à l'isolement, à l'institutionnalisation, à la santé et aux différents aspects biologiques de l'avance en âge sont trop peu nombreux ; les conséquences psychosociales de la situation d'infériorité sociale des femmes sont rarement prises en considération.

Plusieurs auteures et auteurs remarquent toutefois qu'il s'agit d'un champ d'études en mutation où les préoccupations des recherches féministes commencent à rejoindre celles qui ont trait à l'avance en âge des femmes. À l'augmentation quantitative du volume de recherche sur les femmes vieillissantes et âgées s'ajoute le fait que le langage sexiste se fait moins présent depuis le début des années 1980. On estime aussi que certaines questions, telles que celles qui ont trait aux paramètres démographiques, aux changements au cours du cycle de vie et aux caractéristiques des dernières années de vie chez les personnes seules, ainsi que les différences entre les hommes et les femmes à ce sujet, sont maintenant bien documentées. On note que les études sur les femmes vieillissantes et âgées se sont beaucoup centrées sur leurs rapports à la famille, sur leur adaptation à l'avance en âge ainsi que sur leur santé, dimensions de la vie des femmes qui demeurent importantes, même s'il est souhaitable que la recherche s'ouvre à d'autres enjeux. De bonnes données tant quantitatives et transversales que descriptives existeraient maintenant pour ces axes de recherche (Burwell 1984 ; Gee et Kimball 1987 ; McDaniel 1989).

Le sous-champ particulier
des femmes vieillissantes au travail et à la retraite


Pour ce qui est des travaux du sous-champ particulier des femmes vieillissantes au travail ou à la retraite, tel qu'il est traité dans la bibliographie analytique, les lacunes sont sensiblement les mêmes que celles qui ont été relevées en gérontologie sociale. La sous-représentation des travaux touchant [148] les femmes y est évidente car ils ne forment qu'environ 20% du corpus analysé. Parmi ces travaux, un traitement inégal des sexes n'est pas rare parce que la présentation ou l'analyse des données concernant les femmes y sont souvent moins poussées.

L'occultation des conditions de vie réelles des femmes est toutefois moins prononcée à cause de la définition même du corpus qui nécessite la présence de plusieurs éléments d'importance, habituellement manquants dans les travaux de gérontologie sociale, tels que l'activité professionnelle, le revenu et la vie à la retraite, en tant que prolongement de la vie sur le marche du travail. Par contre, la seule présence de ces variables demeure insuffisante quand le souci de tenir compte de la spécificité de l'expérience des femmes au travail et en emploi (interruptions, entrées sur le marché du travail et sorties, précarité, concentration dans des ghettos d'emplois pour la majorité d'entre elles) n'est pas très vif.

L'application du critère d'un traitement équitable des sexes (Lapointe et Eichler 1985) aux travaux de notre corpus a permis de les regrouper en trois grandes catégories : 1 ) ceux où l'on trouve des traces plus ou moins marquées d'un traitement non équitable des sexes ; 2)ceux où le traitement est formellement équitable sur le plan factuel, mais où la situation de subordination des femmes n'est pas prise en considération ; 3) ceux où la différenciation sexuelle est traitée comme le produit d'une construction sociale résultant de rapports sociaux et où l'on tient compte de la situation différente des femmes et des hommes dans la sphère de la reproduction et celle de la production.

Parmi les travaux retenus, 20% entrent dans la catégorie de ceux qui portent la trace d'un traitement non équitable des sexes. Les principales formes de traitement inique touchent à différentes formes d'occultation de la réalité des femmes et des biais méthodologiques. Le plus grand nombre de cas rejoint les différentes formes d'occultation. Ainsi, bien qu'il y ait nécessairement des données sur les femmes dans tous ces travaux (compte tenu de la définition du corpus à l'étude), il arrive que les données soient présentées sans tenir compte des différences entre les femmes et les hommes ou que les populations étudiées ne soient pas complètement caractérisées selon leur sexe au moment de la présentation des résultats. Parfois, les données factuelles sont présentées selon le sexe, mais ensuite l'analyse n'est plus différenciée ou on laisse tomber les données présentées pour les femmes et on n'interprète que celles qui visent les hommes. Certaines études portant sur des populations de femmes exposent leurs résultats comme si cette caractéristique n'était pas pertinente et n'en disent mot ou, encore, le genre masculin est utilisé au sens générique, c'est-à-dire englobant à la fois les hommes et les femmes.

Les biais méthodologiques, plus rares, se retrouvent dans l'opérationnalisation d'une recherche. Le plus fréquemment, les caractéristiques secondaires des échantillons de femmes et d'hommes ne sont pas les mêmes ; il s'agit souvent du statut conjugal dont on tient compte pour les femmes et non pour les hommes. Il arrive aussi qu'au moment de la cueillette des données, on occulte la réalité des femmes interrogées en ne proposant, par exemple, qu'un questionnaire au masculin. Il arrive que certains éléments de la construction sociale de la situation des lemmes, tels que la prise en charge des tâches domestiques, soient traités comme s'il s'agissait de données biologiques caractérisant le sexe féminin et qu'ils ne soient donc pas abordés dans le cas des hommes.

[149]

Les travaux qui sont formellement équitables mais ne tiennent pas compte de la situation de subordination des femmes représentent 42% du corpus à l'étude. Ils se contentent le plus souvent d'indiquer les différences entre les femmes et les hommes sans les situer dans la dynamique des rapports sociaux ; le plus souvent, ils présentent des données statistiques sur de nombreux aspects du travail, de l'emploi ou des revenus en différenciant les femmes des hommes. Il s'agit fréquemment de travaux qui ont pour objectif de faire ressortir ces différences ou qui ciblent un aspect très particulier de la réalité de l'emploi, du travail ou de la retraite. Cette catégorie regroupe aussi plusieurs travaux sur des populations exclusivement féminines, réalisés afin de développer nos connaissances sur un objet de recherche trop peu connu.

Les travaux où la question à l'étude est traitée en termes de rapports sociaux de sexe et parfois de classe, comptent pour 38% de l'ensemble. On y tient compte de la division sexuelle du travail, c'est-à-dire de la répartition différentielle des femmes, majoritairement dans la sphère de la production (domestique, non marchande où le travail n'est pas rémunéré) et des hommes, majoritairement dans la sphère de la production (publique, marchande et où le travail est rémunéré) ; ses conséquences sur la situation de subordination des femmes dans l'ensemble de la vie sociale et en emploi sont aussi intégrées à l'analyse. Certains sont des recensions critiques de l'état des travaux dans les différentes disciplines des sciences humaines dont ils soulèvent les distorsions sexistes. D'autres mettent l'accent, tout au long de leur analyse, sur les situations très différenciées que vivent les femmes et les hommes, générées par les caractéristiques de leurs trajectoires professionnelles et domestiques différentes. Pour plusieurs, l'articulation des rapports entre la sphère de la reproduction et celle de la production, au niveau de la cueillette des données ou de l'interprétation des résultats, constitue la clé pour comprendre la différenciation entre les sexes ainsi que ses conséquences. Enfin, d'autres travaux analytiques ou normatifs traitent cette différenciation en termes de discrimination.

DISCUSSION

Malgré ces omissions, les travaux scientifiques publiés qui traitent des femmes vieillissantes et au travail et à la retraite font de ce sous-champ un domaine de recherche déjà stimulant et fort prometteur à cause des questions de recherche qui s'y posent maintenant, questions suscitées tant par des données factuelles que par les analyses théoriques qui prennent en considération les rapports sociaux de sexe. En plus de l'augmentation quantitative de la production scientifique, l'accumulation de documentation sur des réalités méconnues permet maintenant d'élaborer des hypothèses de recherche à vérifier.

Dans de nombreux travaux centrés sur les femmes âgées, l'occultation complète des conditions qui sont faites aux femmes sur le marché du travail mène à affirmer que les femmes âgées sont pauvres parce qu'elles n'ont pas travaillé. Pourtant, leur concentration dans des emplois dévalorisés et sous-payés, des interruptions d'emploi plus fréquentes, ainsi que le fait de bénéficier d'avantages sociaux moindres ne sont pas sans affecter leur passage et leur vie à la retraite. Certaines recherches indiquent cependant sans équivoque comment des conditions de travail et d'emploi trop dures accélèrent le rythme de vieillissement [150] et en aggravent les effets ; les femmes en sont affectées, comme les hommes, selon la durée de leur exposition. Ainsi, Vézina, Brisson et Vinet (1990) ont montré comment, parmi des ouvrières du vêtement de Montréal âgées de 45 à 70 ans, celles qui avaient travaillé au rendement plutôt qu'à l'heure étaient davantage atteintes d'incapacité sévère, ce que ces chercheurs et chercheuse interprètent comme un signe de vieillissement prématuré. Teiger (Cailloux) (1975) avait auparavant fait voir comment des charges de travail physiques et mentales excessives et des contraintes de temps serrées avaient des effets d'exclusion sur des ouvrières du vêtement et de l'électronique en France.

Les régimes de sécurité du revenu ont été construits à une époque où la division sexuelle du travail réservait aux hommes le rôle de pourvoyeur de la famille, grâce à leur activité rémunérée régulière et ininterrompue sur le marché du travail ; c'était donc leur capacité de générer un revenu pour leur famille que ces régimes visaient à remplacer. Le travail domestique non rémunéré demeurait invisible dans la logique de ces mesures de sécurité sociale. Si on ne tient pas compte de cette réalité historique, la pauvreté des femmes âgées semble résulter non pas d'un processus de construction sociale de la dépendance, par l'intermédiaire des mesures de sécurité du revenu, mais d'une lacune de la part des femmes : elles n'auraient pas suffisamment « travaillé » pour avoir droit à des prestations de remplacement de leurs revenus d'emploi. Quelques travaux récents tiennent compte de cette réalité. Ainsi, Balluseck (1983), analysant les politiques sociales en Allemagne du point de vue de leurs fonctions de contrôle social, considère que, dans le cas des femmes, cela consiste à leur faire accepter la division sexuelle du travail et le travail domestique gratuit. Pour sa part, Walker (1987) analyse la pauvreté des femmes âgées en Grande-Bretagne en tant que produit de politiques sociales et économiques d'un État capitaliste et patriarcal, tandis que Myles (1990) analyse les cycles de vie différenciés selon le sexe en tant que produits des transformations à la fois du marché du travail et de la crise de l'État-providence dans les sociétés capitalistes industrielles avancées.

Des données factuelles plus abondantes ayant mis en relief la diversité de la situation des femmes vieillissantes en emploi ou à la retraite, certains facteurs de différenciation interne à la population féminine commencent à être plus évidents. Ainsi, les travaux sur la retraite qui prennent la peine de comparer des femmes et des hommes dans des conditions semblables indiquent comment le poids de la vie professionnelle marque aussi bien les femmes que les hommes et font voir que les écarts entre les deux sont surtout le résultat d'une plus grande sensibilité des femmes à des facteurs qui touchent aussi les hommes. Dans une étude sur une génération de retraitées et de retraités parisiens, Cribier (1983) montre que la condition ouvrière pèse lourd tant sur les femmes que sur les hommes, soit parce que des conditions de travail dures les obligent à mettre fin à leur vie professionnelle avant l'âge réglementaire de la retraite, soit parce que le manque de ressources financières les contraint à poursuivre plus longtemps leur activité professionnelle. Ces effets varient selon le sexe parce que les itinéraires professionnels des femmes et des hommes ont été différents. Dans une étude longitudinale auprès de toutes les personnes retraitées d'une petite ville américaine, Atchley (1982) insiste sur des facteurs de différenciation parmi les femmes, tels que le type d'emploi et les ressources financières disponibles. Il souligne aussi que les différences entre les femmes et les hommes devant la retraite proviennent des mêmes sources.

[151]

Toutefois, lorsqu'on vise à combler les lacunes qui ont été relevées et à mettre fin au traitement inique des femmes dans ce sous-champ particulier, les solutions ne sont pas simples parce qu'elles débordent le cadre de notre corpus et s'adressent à des approches disciplinaires déjà fortement constituées. Prenons l'exemple de l'étude des conditions de travail, qui est fondamentale si on veut parvenir à connaître la réalité de l'avance en âge des femmes au travail. On constate que les outils méthodologiques et conceptuels qui ont été élaborés tant en sociologie qu'en ergonomie sont surtout appropries pour l'étude du travail dans le vaste secteur tertiaire, où sont concentrées les femmes, qui est trop souvent traité comme une catégorie résiduelle alors qu'il englobe maintenant la majorité des emplois. Peu d'outils d'enquête et d'analyse permettent en effet de caractériser les différents types de travail qui y existent et d'en connaître les conséquences.

En outre, lorsque exceptionnellement on a pu observer des femmes et des hommes dans des situations de travail et d'emploi semblables, leurs situations relativement à l'avance en âge et à ses corollaires étaient très semblables. S'il y a lieu de retenir l'hypothèse que les conditions de travail et d'emploi constituent des paramètres majeurs de la structuration sociale de l'avance en âge, on a encore à explorer comment ces facteurs se conjuguent avec ceux de la sphère de la reproduction et à dépasser le stade des recherches où seul le statut conjugal des femmes est pris en considération.

On se doute également que les effets de cohorte risquent d'être considérables parce que la place des femmes dans la structure sociale s'est grandement transformée en quelques décennies, mais on manque presque totalement de données longitudinales qui seraient essentielles pour en prendre la juste mesure. Au sujet de plusieurs enjeux importants, les questions de fond sont posées et des hypothèses sont formulées. Cependant, l'état actuel des données empiriques disponibles ne permet pas encore de les vérifier. C'est le cas notamment de la retraite, de l'état de santé et de la survie des femmes, car celles-ci, comme on le dit, vivent plus longtemps que les hommes, mais dans un moins bon état de santé.

CONCLUSION

À la suite de ce bilan, les priorités de recherche se dégagent en quelque sorte d'elles-mêmes parce que les écrits critiques insistent sur les mêmes lacunes. Compte tenu du manque de théorisation, souvent souligné en gérontologie sociale, qui touche également le sous-champ de notre corpus, il s'avère nécessaire d'élaborer des recherches qui accordent une importance particulière à la conceptualisation des objets d'analyse. L'articulation entre la sphère de la reproduction et celle de la production ainsi que ses conséquences sur l'avance en âge différenciée selon le sexe exigent une attention particulière. Le rapport salarial, l'articulation du mode de régulation du marché du travail à celui des politiques sociales, en particulier celles de la sécurité du revenu, et son effet sur les rapports sociaux de sexe sont aussi d'une grande importance. Enfin, les effets de cohorte, majeurs mais sous-estimés, doivent être pris en considération, ce qui implique nécessairement des protocoles de recherche longitudinaux.

Quant aux sujets de recherche découlant de ces préoccupations théoriques, des comparaisons systématiques de populations de femmes et [152] d'hommes en contrôlant les variables clés du monde du travail et de l'emploi (précarité, continuité, cheminement professionnel, qualification, charge de travail, état environnemental, rémunération, avantages sociaux, syndicalisation, etc.) se révèlent urgentes et indispensables. Des études systématiques parmi des populations uniquement féminines, en comparant des groupes qui varient selon les variables clés du milieu du travail et de l'emploi, sont aussi nécessaires. Le vieillissement avec l'avance en âge, en effet, ne progresse pas de manière homogène ; il varie non seulement selon le sexe mais aussi, sinon davantage, selon la classe sociale et les conditions de travail. L'interrelation des effets des pratiques du marché du travail et de ceux des politiques de sécurité du revenu doit aussi être retenue comme un axe de recherche prioritaire afin de mieux comprendre l'effet combiné de ces politiques et pratiques sur les stratégies et cheminements professionnels individuels. Quant aux recherches sur la relation entre l'âge, le travail et la santé, selon le sexe, elles s'avèrent nécessaires pour comprendre les écarts persistants de morbidité, d'incapacité et de mortalité entre les femmes et les hommes qu'on constate depuis longtemps sans les expliquer.

Hélène David
Directrice
Groupe de recherche sur les aspects sociaux de la santé
et de la prévention (GRASP). Université de Montréal


RÉFÉRENCES

ACKER.J.

1978 « Issues in tho Sociological Study of Women's Work », in A.H. Stromberg et S. Harkness (dir.), Women Working  : Théories and Facts in Perspective. Palo Alto, Mayfield Puni. Co.  : 134-161.

ATCHLEY, R.C.

1982 « The Process of Retirement  : Comparing Women and Men », in M. Szinovacz (dir.), Women's retirement : Policy Implications of Récent Research. Beverly Hills, Sage : 153-168.

BALLUSECK, H. von

1983 « Origins and Trends of Social Policy for the Aged in the Fédéral Republic of Germany and West Berlin », in A.M. Guillemard (dir.), Old Age and the Weltare State. Beverly Hills, Sage : 213-249.

BEESON, D.

1975 « Women in Studies of Aging  : A Critique and Suggestion », Social Problems, 23 :52-59.

BÉLISLE GOUAULT, D.

1990 Les femmes et le vieillissement au Canada. Bibliographie annotée multidisciplinaire 1975-1989. Ottawa, Université d'Ottawa et Carleton University.

BURWELL, E.J.

1984 « Sexism in Social Science Research on Aging », in J.M. Vickers (dir.), Taking Sex into Account : The Policy Conséquences of Sexist Research. Ottawa, Carleton University Press : 185-208.

[153]

COHEN, L

1990a « The Weltare State is an Older Women's Issue », in K. McEwan et M. Farley (dir.), Carrent and Emerging Issues for Women (Proceedings of the Canadian Association on Gerontology Pre-Conference Workshop). Victoria, Canadian Association on Gerontology  : 2-10.

1990b « Advocacy and Activism », in K. McEwan et M. Farley (dir.), Current and Emerging Issues for Women (Proceedings of the Canadian Association on Gerontology Pre-Conference Workshop). Victoria, Canadian Association on Gerontology : 59-61.

CRIBIER, F.

1983 « Itinéraires professionnels et usure au travail : une génération de salariés
parisiens », Le mouvement social, 124 :11-44.

DAVID, Hélène et Rolande Pinard avec la collaboration de Isabelle Reny

1993 Les femmes vieillissantes au travail et à la retraite : une bibliographie analytique. Rapport de recherche dactylographié. Montréal, GRASP.

DEX, S. et C. Phillipson

1986 « Social Policy and the Older Worker », in C. Phillipson et A. Walker (dir.), Ageing and Social Policy, a Critical Assessment. Aldershot, Gower : 45-60.

FOUQUET, A.

1985 « Solidarité et inactivité », in D. Kessier et A. Masson (dir.), Cycles de vie et générations. Paris, Economica : 125-133.

GEE, Em. et M.M. Kimball

1987 Women and Aging. Toronto, Butterworths.

GIBSON, M.J.S.

1985 OWer Women Around the World. Washington, International Fédération on Ageing in Coopération with the American Association of Retired Persons.

HATCH, LR.

1987 « Research on Men's and Women's Retirement Attitudes : Implications for Retirement Policy », in E.F. Borgatta et R.J.V. Montgomery (dir.), Critical Issues in Aging Policy. Beverly Hills, Sage  : 129-160.

HAWLEY, D.L.

1985 Women and Aging : A Comprehensive Bibliography. Vancouver, Simon Fraser University.

LAPOINTE, J. et M. Eichler

1985 Le traitement objectif des sexes dans la recherche. Ottawa, Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.

LEWIS, M.l. et R.N. Butler

1984 « Why is Women's Lib Ignoring Old Women ? », in M. Minkler et CL. Estes (dir.),
Readingsin the Political Economy of Aging. Farmingdale, Baywood : 199-208.

MCDANIEL, S.A.

1989 « Women and Aging  : A Sociological Perspective », Journal of Women and Aging,
1 (1-2-3) : 47-677.

MOTARD, L. et C. Tardieu

1990 Les femmes ça compte. Québec, Les Publications du Québec.

[154]

MYLES, J.

1990 « States, Labor Markets and Life Cycles », in R. Friedland et A.F. Robertson (dir.), Beyond the Markotplace  : Rethinking Economy and Society. New York, Aldine de Gruyter : 271-298.

NETT, E.M.

1982a « Women  as  Elders./Nos  aînées.   Introduction. », Resources  for Feminist Research/Documentation sur la recherche féministe, 11 (2)  : 203-204. 1982b  « A Call for Feminist Correctives to Research on Elders », Resources for Feminist Research/Documentation sur la recherche féministe, 11 (2), 225-226.

PARNES, H.S.

1988 « The Retirement Décision », in E. Borus et al. (dir.), The Older Worker. Madison, Industrial Relations Research Association : 115-150.

PEACE, S.

1986 « The Forgotten Female : Social Policy and Older Women », in C. Phillipson et A. Walker (dir.), Ageing and Social Policy, a Critical Assessment. Aldershot, Gower  : 61-86.

ROCHON, M.

1990 Le portrait des caractéristiques sociodémographiques des aînés du Québec. Québec, Groupe d'experts sur les personnes aînées, Ministère de la Santé et des Services sociaux.

RUSSELL, C.

1987 « Ageing as a Feminist Issue », Women's Studies International Forum, 10 (2) : 125-132.

SHAW, LB.

1985 Older Women at Work. Washington, Women's Research and Education Institute, Congressional Caucus for Women's Issues.

SOKOLOFF, Natalie

1979 « Bibliography on the Sociology of Women and Work  : 1970's », Ressources for Feminist Research/Documentation sur la recherche féministe, 8 (4) : 48-74.

STATISTIQUE CANADA

1985 Portrait statistique des femmes au Canada. Ottawa, Statistique Canada.

STONE, R. et M. Minkler

1984 « The Sociopolitical Context of Women's Retirement », in M. Minkler et CL. Estes (dir.), Readings in the Political Economy of Aging. Farmingdale, Baywood  : 225-238.

SZINOVACZ, M.

1982 « Introduction : Research on Women's Retirement », in M. Szinovacz (dir.), Women's Retirement : Policy Implications of Récent Research. Beverly Hills, Sage : 13-21.

TEIGER (Cailloux), C.

1975 « Caractéristiques des tâches et âge des travailleurs », in A. Laville, C. Teiger (Cailloux) et A. Wisner (dir.), Age et contraintes de travail : aspects sociologiques, psychologiques, physiologiques. Jouy-en-Josas, N.E.B. Éditions scientifiques  : 235-290.

[155]

TREIMAN, D.J.

1985 « The Work Historiés of Women and Men  : What we Know and What we Need to Find Out », in A.S. Rossi (dir.), Gender and the Life-Course. New York, Aldine : 213-231.

VÉZINA, M., C. Brisson et A. Vinet

1990 « Le vieillissement prématuré des ouvrières de l'industrie du vêtement », in H. David (dir.), Actes du colloque. Le vieillissement au travail, une question du jugement. Montréal, Institut de recherche appliquée sur le travail  : 136-141.

WALKER, A.

1987 « The Poor Relation : Poverty Among Older Women », in C. Glendinning et J. Millar (dir.), Women and Poverty in Great Britain. Brighton, Wheatsheat Books : 178-198.



[1] La plupart des recherches sur le vieillissement au travail sont relativement récentes et se sont multipliées à partir du milieu des années 1970, tout comme celles en gérontologie sociale. Le travail de recension et d'analyse ayant été fait en 1990, les ouvrages publiés à partir de 1991 n'y figurent donc pas.

[2] On peut se procurer la bibliographie à l'adresse suivante : GRASP, Université de Montréal, C.P. 6128, Succursale A, Montréal (Québec) H3C 3J7. Un paragraphe analytique résume, pour chaque document retenu, la problématique, le type de données et le mode d'analyse des travaux recensés, alors qu'un second paragraphe sommaire en fait une évaluation à partir d'une grille conçue pour déceler les biais sexistes présents.

[3] Voir notamment  : Beeson 1975 ; Bélisle-Gouault 1990 ; Burwell 1984 ; Cohen 1990a et 1990b ; Dex et Phillipson 1986 ; Fouquet 1985 ; Gee et Kimball 1987 ; Gibson 1985 ; Hatch 1987 ; Hawley 1985 ; Lewis et Butler 1984 ; McDaniel 1989 ; Nett 1982a et 1982b ; Pâmes 1988 ; Peace 1986 ; Russell 1987 ; Shaw 1985 ; Stone et Minkler 1984 ; Szinovacz 1982 ; Treiman 1985.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 19 janvier 2013 8:26
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref