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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Les revendications du mouvement de lutte
contre l'oppression des femmes et l'État québécois
” (1978)
Texte intégral de l'article


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Mme Hélène David, “Les revendications du mouvement de lutte contre l'oppression des femmes et l'état québécois”. Un article publié dans l'ouvrage collectif sous la direction de Jean-François Léonard, La chance au coureur. Bilan de l'action du gouvernement du Parti québécois, “3e partie: Le Gouvernement du P.Q. et les Québécoise”, pp. 115-123. Montréal : Éditions Nouvelle Optique, 1978, 253 pp. Collection: Matériaux. [Autorisation accordée par l'auteure le 8 juin 2004].

Texte intégral de l'article

Introduction

1. Le mouvement de lutte contre l'oppression des femmes et ses principales revendications face à l'État

a) Un mouvement très diversifié
b) Les principales revendications face à l'État

2. Qu'a fait le gouvernement du Parti Québécois à ce sujet?

a) Le programme du Parti Québécois
b) Des projets de lois qui touchent les femmes directement

3. À quoi doit-on s’attendre?

a) La famille «cellule de base de notre société»
b) La surexploitation que subissent les femmes au travail
c) Le droit à l'avortement libre et gratuit

4. Un premier bilan

a) Deux politiques opposées

Introduction

Depuis plusieurs années, le mouvement de lutte contre l'oppression des femmes revendique, auprès du gouvernement, un certain nombre de mesures fondamentales et indispensables à leur émancipation. Il s'agit, entre autres, du droit à l'avortement libre et gratuit, d'un réseau complet public et gratuit de garderies, d'un congé de maternité rémunéré, de l'application du principe d'un salaire égal pour un travail de valeur égale.

Après un an au pouvoir, qu'a fait le gouvernement du Parti Québécois à ce sujet et que se propose-t-il de faire dans un avenir rapproché?


1. Le mouvement de lutte contre l'oppression des femmes
et ses principales revendications face à l'État


a) Un mouvement très diversifié


Lorsqu'on parle du mouvement contre l'oppression des femmes, il s'agit de l'ensemble des groupes et des organisations qui combattent, d'une manière ou d'une autre, pour l'émancipation des femmes. Au Québec, comme dans tous les autres pays où le mouvement féministe a une certaine importance, ce mouvement est extrêmement diversifié; il comprend une multitude de groupes et d'organisations dont les orientations et les objectifs sont très différentes. Il serait long et hors de propos d'en faire ici l'énumération et l'analyse.

Ce qui importe, plutôt, c'est que de cette diversité de groupes, d'orientation de méthodes d'action et d'objectifs, il ressort néanmoins un certain nombre de revendications qui s'adressent directement à l'État et sur lesquelles un consensus très large s'est fait. À ce titre, on peut les considérer comme les revendications fondamentales du mouvement pour l'émancipation des femmes face à l'État.

Cela est loin, bien sûr, d'épuiser les visées de l'ensemble de ce mouvement. Beaucoup de groupes poursuivent des objectifs qui ne passent pas par des revendications. De plus, la liste complète des revendications visant à abolir l'oppression des femmes serait fort longue. Elle comprendrait non seulement beaucoup d'autres revendications s'adressant au gouvernement, mais un grand nombre s'adresseraient également à d'autres responsables de l'infériorité sociale des femmes notamment les employeurs.


b) Les principales revendications face à l'État


Ce n'est cependant pas par hasard que certaines revendications contre l'oppression apparaissent maintenant comme prioritaires. En effet, les principales revendications du mouvement de lutte contre l'oppression des femmes ont toutes en commun de réclamer des moyens qui sont indispensables pour que les femmes aient un droit réel au travail social (c'est-à-dire un travail rémunéré à l'extérieur de la maison).

On sait que les femmes ont le fardeau presque exclusif du travail domestique et que c'est ce qui constitue l'obstacle principal à leur participation au travail social et, partant, de leur infériorité sociale.

C'est pourquoi les principales revendications à l'égard de l'État visent toutes à ce que le fardeau qui est actuellement le lot des femmes soit pris en charge par la société. Ce sont ces revendications qui permettront aux femmes de s'émanciper de l'esclavage domestique, d'accéder au travail social. Il s'agit d'une condition indispensable (et donc de moyens indispensables) à la pour-suite de la lutte pour l'émancipation complète des femmes.

Il s'agit:
  • du droit à l'avortement libre et gratuit alors qu'entre 10,000 à 25,000 femmes qui avortent au Québec à chaque année sont obligées de le faire dans la clandestinité, à des prix astronomiques; du droit à un congé de maternité sans perte de salaire ni de droits sur l'emploi alors que le Québec est une des dernières provinces au Canada à ne pas avoir de législation sur la maternité. Cela est indispensable pour mettre fin aux coûts élevés qu'entraîne la maternité pour des milliers de travailleurs dont une forte proportion n'ont même pas de syndicat pour se défendre;

  • du droit à un réseau complet, public et gratuit de garderies alors que l'ensemble des garderies n'offrent actuellement que six places par cent enfants dont les mères travaillent; de plus, le coût en est exhorbitant;

  • du droit à un salaire égal pour un travail de valeur égale alors que la majorité des femmes au travail sont cantonnées dans des «ghettos» d'emplois dits «féminins» parce que les femmes y sont majoritaires, emplois plus mal payés et dont les conditions de travail sont pires que celles d'emplois dits «masculins» exigeant les mêmes qualifications. Soixante-dix pour cent des travailleurs qui ne reçoivent que le salaire minimum sont des femmes alors qu'elles ne constituent que quarante pour cent de la main-d’œuvre.


2. Qu'a fait le gouvernement du Parti Québécois à ce sujet?


La politique globale du PQ sur "la condition féminine" est annoncée pour l'été 1978 et aucun projet touchant directement des aspects majeurs de l'oppression des femmes n'a encore été proposé. On ne peut donc tirer un bilan qu'à partir des intentions du parti telles qu'exprimées publiquement, (entre autres dans son programme et à son dernier congrès). De plus, un certain nombre de projets de lois déjà déposés par le gouvernement depuis le 15 novembre 1976 ont des incidences directes sur les femmes, en tant que citoyennes ou travailleuses. Ils peuvent être retenus pour cette raison, à titre d'indices de la politique à venir du gouvernement PQ à l'égard de l'émancipation des femmes.


a) Le programme du Parti Québécois


Trois points particuliers (1) défendus par ce programme qui touchent tout le principe du droit réel au travail social, permettent de soulever des questions fondamentales quant à l'orientation de la politique que présentera le PQ sur «la condition féminine»:

1. le salaire au conjoint qui demeure au foyer;

2. l'encouragement au travail à temps partiel (réitéré par le congrès de 1977);

3. la défense du droit à l'avortement libre et gratuit, adopté par le congrès de 1977 (et qui fait donc maintenant partie du programme du parti) mais qui a été publiquement combattue et désavouée par le Premier Ministre et presque tous les membres de son cabinet;


b) Des projets de lois qui touchent les femmes directement


Presque toutes les politiques et les projets de lois déposés par le gouvernement mériteraient d'être examinés de près afin de voir comment ils ont des incidences sur la situation des femmes. Deux projets de loi, en particulier, seront retenus parce qu'ils ont déjà été déposés à l'Assemblée Nationale en première lecture.

Il s'agit, en premier lieu, du projet de loi 45 qui amende le Code du Travail et qui est pertinent à notre propos parce qu'il touche la question de l'accès à la syndicalisation ainsi que l'arrêt de la production en cas de grève (les dispositions dites «anti-scabs»). Le projet de loi 67 qui crée le régime public d'assurance-automobile est également à retenir. En créant des catégories d'individus dont les droits à l'indemnisation, en cas d'accident ou de décès, sont différents, cette loi affecte directement les femmes.


3. À quoi doit-on s'attendre?


Les divers indices que nous fournissent les éléments du programme du Parti ainsi que les deux projets de loi qui viennent d'être énumérés peuvent être ramenés à trois questions de fond sur lesquelles la position du gouvernement du Parti Québécois est en opposition avec ce que revendique le mouvement de lutte contre l'oppression des femmes.


a) La famille «cellule de base de notre société (2) »


Pour le Parti Québécois, la famille est "la cellule de base de la société". Il en découle une conception selon laquelle certains droits des membres de cette société sont définis à partir du rôle qu'ils ont dans leur famille, rôles qui ne sont pas semblables.

Il apparaît, en effet, que la défense du salaire au foyer, la défense du travail à temps partiel ainsi que la notion de «soutien de famille» (qu'on retrouve dans le projet de loi 67) repose sur une conception de la famille et de ses membres qui est discriminatoire à l'égard des femmes. En effet, dans ces trois cas, on retrouve toujours l'idée qu'au sein de la famille, un conjoint est le principal «soutien de famille», par le salaire qu'il gagne en travaillant à l'extérieur, tandis que l'autre a des responsabilités primordiales à l'égard des tâches domestiques. C'est pourquoi le programme du PQ revalorise le travail domestique, par le salaire au conjoint au foyer et le travail à l'extérieur d'appoint, tel que le travail à temps partiel dans le but de revaloriser le rôle du conjoint qui reste à la maison.

Il n'est dit nulle part que ce sont les femmes qui assument les responsabilités familiales et que c'est leur travail qu'on veut revaloriser; en principe, cela s'applique également aux hommes. Cependant, il ne faut pas être dupe: on sait fort bien que les hommes au foyer constituent des cas très exceptionnels et l'adoption de mesures de ce genre toucherait presque exclusivement les femmes (3).


b) La surexploitation que subissent les femmes au travail


Les femmes qui travaillent se retrouvent majoritairement dans des emplois peu qualifiés, mal rémunérés, souvent instables et leurs conditions de travail sont particulièrement dures. Elles sont vendeuses, caissières, filles de table, techniciennes ou employées d'hôpital, secrétaires ou employées de bureau, etc. La discrimination qui s'exerce à leur égard, qui fait qu'elles sont surexploitées, est impossible à combattre par des mécanismes de plaintes individuelles. La seule manière, pour ces femmes, de lutter contre cette situation, est de s'organiser collectivement afin de revendiquer des mesures permettant de revaloriser le travail qu'elles font (par exemple, entre autres, des salaires convenables, la sécurité d'emploi, la régularité du travail, l'accès à tous les emplois, etc.). Pour ce faire, elles doivent avoir accès à la syndicalisation ce qui leur est impossible dans le moment dans la plupart des secteurs où elles sont concentrées, à cause de la nature des lois du travail qui sont en vigueur.

Les amendements proposés au Code du Travail, par le projet de loi 45, n'élargissent à peu près pas l'accès à la syndicalisation alors qu'il s'agit là d'un enjeu majeur pour tous les travailleurs non syndiqués à qui les lois nient le droit réel à la syndicalisation. Cela a également de lourdes conséquences en cas de grève. Les dispositions «anti-scabs» du projet de loi 45 n'empêchent pas un patron de faire travailler ses employés membre d'une autre unité d'accréditation ou non syndiqués pendant une grève. Cela enlève considérablement de force à ceux qui font la grève; mais il faut noter, de plus, que souvent dans ces situations, ce sont les femmes qui sont forcées à travailler comme «scabs» par leur employeur, parce qu'elles sont beaucoup plus nombreuses à travailler comme employées surnuméraires, temporaires, à temps partiel et souvent pour le compte d'agences de travail temporaires; ces types d'emplois sont encore plus rarement syndiqués que les autres.


c) Le droit à l'avortement libre et gratuit


La défense du droit à l'avortement libre et gratuit est la pierre de touche pour juger de l'attachement d'un groupe ou d'un parti à la défense des droits démocratiques. En effet: pas ou peu question d'argent dans ce cas. Un gouvernement ne peut s'y opposer en prétendant que cela coûterait trop cher.

Comment expliquer, alors, l'opposition de presque tout le cabinet Lévesque à une résolution adoptée par le congrès du Parti Québécois de 1977 et l'insistance du Premier Ministre à désavouer cette résolution en invoquant ses «déchirements personnels»?

Tout porte à croire que c'est la recherche du "consensus social", en vue de réaliser l'indépendance, qui est la cause des déchirements du Premier Ministre à ce sujet. Mais il a tranché en faveur des forces conservatrices et contre les milliers de femmes qui sont obligées de recourir aux coûteux réseaux d'avortement clandestins ou forcées de subir l'arbitraire des comités dits «thérapeutiques» des hôpitaux.


4. Un premier bilan


Deux politiques opposées


La politique du Parti Québécois à l'égard des femmes découle de sa conception de la famille comme «cellule de base de la société». Elle est, en effet, fondamentale à tout régime fondé sur la propriété privée parce que c'est à l'intérieur de la famille que se fait une bonne partie des tâches nécessaires au fonctionnement de la société. C'est précisément pour cette raison que les femmes sont si profondément opprimées: leur travail «invisible» et gratuit, qu'elles font chacune chez elles, est indispensable et. d'une grande valeur pour la société.

Toute «revalorisation» du travail domestique (par le salaire au conjoint au foyer, par le travail à temps partiel qui est censé permettre aux femmes de concilier un travail à l'extérieur avec leurs responsabilités familiales, par exemple) sert avant, tout à éviter de faire face à la question fondamentale qui est nécessairement au cœur de tout projet visant l'émancipation des femmes.

Cette question, c'est celle qui demande pourquoi les femmes font-elles et continueraient-elles de faire isolément et gratuitement dans chaque maison, des tâches qui devraient être exécutées socialement (c'est-à-dire en dehors du foyer) par des hommes et des femmes qui gagneraient ainsi leur vie?

La défense du droit au travail social, qui est fondamentale pour le mouvement contre l'oppression des femmes, s'oppose de front à toute mesure qui vise à valoriser le travail domestique que font les femmes chacune dans leur famille. C'est précisément parce qu'elles ont la responsabilité de toutes ces tâches que les femmes ne peuvent sortir de la maison ou qu'elles doivent assumer le fardeau de la double journée de travail, si elles décident néanmoins de travailler à l'extérieur. Faire subir le même sort aux hommes ne réglerait rien. Ce n'est que par la réalisation sociale d'une grande partie de ces tâches, en grande partie pour se vêtir, et se nourrir (comme on le fait maintenant) que les femmes pourront, comme les hommes et avec eux, disposer de leur temps et de leurs ressources pour réaliser leurs projets personnels et collectifs.

Une véritable politique d'émancipation des femmes ne peut reposer que sur une stricte égalité entre les hommes et les femmes. Les fondements de cette égalité reposent sur l'abolition de l'esclavage domestique que subissent les femmes et sur leur participation égale au travail social. Il est donc à prévoir que si la politique de la condition féminine promise par le gouvernement du Parti Québécois consiste en grande partie à consolider le rôle traditionnel des femmes au sein de la famille et à aménager ainsi leur esclavage, il y aura une levée de boucliers du mouvement de lutte contre l'oppression des femmes pour exiger une véritable politique d'émancipation des femmes c'est-à-dire une politique qui repose sur le droit réel des femmes au travail social.


Notes:

(1) Le programme du PQ se prononce par ailleurs en faveur d'une législation sur le congé de maternité et en faveur des garderies. Il faut maintenant attendre la réalisation de ces intentions pour porter un jugement, selon les modalités de ces réalisations.

(2) Programme du Parti Québécois, édition de 1975.

(3) Les deux-tiers des femmes membre d'une famille au Québec, en 1971, ne travaillaient pas à l'extérieur; en 1971, également,, les femmes constituaient les deux-tiers de l'ensemble des travailleurs à temps partiel, les hommes étant surtout des jeunes de 15 à 19 ans (source: compilations spéciales des données du Recensement du Canada de 1971 qui seront publiées sous peu dans Le travail à temps partiel, Colette Bernier et Hélène David, Bulletin de l'institut de recherche appliquée sur le travail, 1977).

Retour au texte de l'auteure, Mme Hélène David, sociologue Dernière mise à jour de cette page le samedi 3 février 2007 8:11
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cégep de Chicoutimi.
 



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