[21]
“Le libre échange nord-américain :
le joker des États-Unis.”
Christian DEBLOCK et Michèle RIOUX
- Incomplete mergers (regimes of preferential duties in contradistinction to free customs unions) are decidedly undesirables, both from a selfish economic point of view of the countries concerned and because they countain a serious threat of discrimination (Haberler, 1943).
Du fait qu’elles vont à l'encontre du principe de non-discrimination qui doit guider les relations commerciales [1], les ententes économiques
[22] régionales [2] ont toujours suscité les plus vives réserves. Le problème est à la fois d'ordre économique et d'ordre politique.
D’ordre économique tout d'abord, dans la mesure où les ententes économiques régionales sont toujours susceptibles d'entraîner certaines formes de détournement de commerce au profit des pays concernés et certaines formes de protectionnisme de zone à l'encontre des pays tiers (Viner, 1950) [3]. D'ordre politique ensuite, dans la mesure où elles répondent à des préoccupations d'autonomie collective qui, tout en créant une situation plus favorable à la poursuite d'objectifs communs, n'en sont pas moins susceptibles de développer une vision purement régionale de la sécurité collective et, ce faisant, de conduire à des formes plus ou moins délibérées de décrochage des grands courants de l'économie mondiale (Emmerij, 1989). Et à cet égard, l'expérience de l'entre-deux-guerres a montré avec suffisamment d'évidence jusqu'où pouvait conduire le protectionnisme de zone ou l'instauration de systèmes de préférences pour qu'on ne voie pas dans les ententes économiques régionales une menace permanente au développement des échanges et à la stabilité des relations internationales quelle que soit la forme qu’elles prennent. Par contre, et c'est l’autre dimension du problème, il est difficile de ne pas y voir aussi de nombreux avantages.
En effet, tant qu'il n'y a pas de discrimination à l'endroit des pays tiers, la signature d'une entente économique régionale n'est-elle pas l'occasion pour les pays concernés d'élargir leurs marchés et de profiter ainsi des avantages de la spécialisation [4] ? L’ouverture, même limitée des espaces nationaux, n'est-elle pas aussi préférable au statu [23] quo ? Ne constitue-t-elle pas, somme toute, un pas dans la bonne direction dans le mouvement de libéralisation des échanges [5] ? Ou encore, en prenant valeur d'exemple, les ententes régionales ne permettent-elles pas de faire progresser la coopération entre les pays en matière de commerce ?
C'est un peu pour toutes ces raisons que loin d'avoir une attitude dogmatique en la matière, c’est plutôt avec un certain pragmatisme et toujours avec beaucoup de souplesse que la communauté internationale aura tendance à accepter les ententes économiques régionales dans l'après-guerre [6]. En fait, plutôt que de chercher à les interdire, ce qui à toutes fins utiles eût été impossible, on va au contraire chercher à les circonscrire à l'intérieur même de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce.
Comment alors expliquer que le projet de libre-échange entre le Canada, les États-Unis et le Mexique puisse susciter autant de réserves, pour ne pas dire autant de méfiance ? Après tout, le projet n'a d'autre but que de permettre à trois pays partageant le même espace géographique de tirer pleinement avantage de la création d'un grand marché de plus de 350 millions de consommateurs ! Le projet ne va pas non plus à l'encontre des règles du GATT auxquelles les trois pays sont liés. Alors, d'où vient le problème ? Essentiellement du fait que ce sont les États-Unis qui en sont le porteur.
Comme le faisait récemment remarquer Fred C. Bergsten (1990), les États-Unis sont d'une certaine façon pris en tenaille : de plus en plus dépendant de l'extérieur, ils ont de moins en moins la capacité d'influencer les forces en œuvre sur la scène internationale. Un projet d'Association de libre-échange nord-américaine (ALENA) n'aurait [24] alors d'autre objet que de leur permettre, en prenant appui sur une grande zone de libre-échange, de desserrer un tant soit peu cette contrainte extérieure et de mieux influencer le cours d’une économie mondiale dont ils continuent d'être, malgré leur déclin, le centre de gravité. De là à voir le monde s'enfermer dans une logique de bloc économique et s'engager aveuglément dans une nouvelle ère de rivalité économique que semble favoriser la fin de la guerre froide, il n'y a qu'un pas (IMF, 1991) ; et il est d’autant plus facilement franchi que, d'une part, le GATT paraît tout à fait désarmé devant la multiplication des arrangements commerciaux à caractère discriminatoire, au premier rang desquels se trouvent les ententes économiques régionales [7], et que, d'autre part, les États-Unis sont eux-mêmes de plus en plus porté à l'unilatéralisme (Martin, 1990 ; Le Prestre, 1989).
Il ne s'agit pas d'établir trop rapidement un parallèle entre la situation présente et celle de l'entre-deux-guerres (Tovis, 1988). Les facteurs qui poussent en faveur d'une plus grande libéralisation des échanges et d’un renforcement du régime multilatéral sont nombreux, à commencer par la globalisation des marchés elle-même. Pourtant, il existe des tensions évidentes à l'heure actuelle entre ce que l'on peut considérer comme une tendance de fond de l'économie mondiale et certaines tendances très marquées au régionalisme économique que ne peut que renforcer un peu plus le projet de libre-échange nord-américain. En ce sens, les efforts que déploient les États-Unis sur la scène internationale pour tenter de retrouver un leadership aujourd'hui contesté, que ce soit par la perspective d'une Europe unie, la montée en puissance du Japon ou tout simplement la multiplication des acteurs économiques sur la scène internationale [8], ne sont pas de nature à renforcer les relations économiques internationales. La conjoncture internationale actuelle est certainement plus propice au protectionnisme qu'à la libéralisation des échanges, plus propice aussi à la rivalité entre grandes puissances qu'à la coopération économique.
[25]
Ce que nous nous proposons, dans le texte qui suit, ce n'est pas de voir si un tel scénario est plausible ou non, mais plutôt de voir si, effectivement, la dynamique régionale dans laquelle se sont engagés le Canada, le Mexique et les États-Unis peut ou non conduire à la constitution d’un bloc économique nord-américain [9]. Nous prendrons le problème sous l’angle suivant : le multilatéralisme de principe dont se réclament les trois pays est-il conciliable avec le modèle de régionalisme qu'ils tentent de mettre en place en Amérique du Nord ? Ou, pour poser le problème de manière plus directe, les États-Unis ne seraient-ils pas, sous le couvert du libre-échange, en train de poursuivre une stratégie de réaffirmation de puissance qui, devant les obstacles rencontrés, risque tout simplement d'entraîner le Mexique et le Canada dans une dynamique de bloc dont personne ne contrôle vraiment les paramètres ?
Le texte sera divisé en trois parties. Dans la première, nous nous proposons de cerner les données économiques du problème et, pour ce faire, de voir ce que peut représenter, sur la carte économique du monde, la création d'une grande zone de libre-échange en Amérique du Nord. Notre étude portera essentiellement sur l'évolution des flux intra- et interrégionaux durant les deux dernières décennies. Dans la deuxième partie, nous présenterons les raisons qui ont pu conduire les gouvernements respectifs des trois pays à s’engager sur la voie du libre-échange. Cela nous conduira à souligner l'existence d'une certaine divergence de vues entre les positions canadienne et mexicaine d’une part, et la position américaine d’autre part, dans le dossier du libre-échange. Enfin, dans la troisième partie, nous essaierons de montrer qu'en raison de cette divergence de vues, d'une part, et des difficultés que ne peut que rencontrer la politique économique internationale des États-Unis dans ses relations avec l'Europe et le Japon, d'autre part, le projet actuel d'ALENA ne peut conduire qu’à un [26] retour en arrière brutal du Canada et du Mexique, mais aussi des États-Unis. C'est un premier scénario. Il y en a cependant un second : c'est celui de la régionalisation graduelle des trois économies et de la création d'un bloc nord-américain. Des deux scénarios, c'est le deuxième qui nous semble le plus probable dans le contexte actuel. Et cela pour deux raisons. La première : les États-Unis doivent désormais composer dans un monde devenu tripolaire avec d'autres visions du monde que la leur ; et la seconde : ils ne peuvent plus compter comme autrefois sur le seul jeu du marché pour rétablir leur leadership économique.
Pour les fins de l'analyse, nous désignerons par Amérique du Nord l'ensemble économique constitué du Canada, des États-Unis et du Mexique ; par Europe, les 12 États membres de la Communauté économique européenne (CEE) et par Asie, un ensemble économique témoin composé du Japon et de huit nouveaux pays industriels (NPI) de cette région, soit la Corée du Sud, Singapour, Taïwan, Hong Kong, l'Indonésie, la Malaisie, les Philippines et la Thaïlande [10]. Nous désignerons par le nom de commerce intrarégional les échanges entre les pays de chaque ensemble, par le nom de commerce hors-région (hors-zone) les échanges que les pays de chaque ensemble font avec le « reste du monde », et par commerce interrégional les échanges commerciaux entre les ensembles.
L'ensemble économique nord-américain
dans l'économie mondiale :
les années 70 et 80
Rappelons pour commencer que le projet de libre-échange nord-américain a pour objet d'intégrer les trois économies dans un seul et [27] unique marché, un seul et unique espace économique. Il importe donc ici, non seulement de nous pencher sur le degré de cohésion de cet ensemble mais aussi de le resituer sur la carte économique mondiale. Nous ferons ressortir deux points : premièrement, la taille même des États-Unis et les différences de développement qui existent au sein de l'espace économique nord-américain nous conduisent à parler du processus d'intégration comme d’un processus polarisé et très asymétrique. Sans doute vaut-il d'ailleurs mieux parler ici d’intégration de deux économies dans une plutôt que de fusion dans un seul et même ensemble économique, et de double asymétrie plutôt que de complémentarité. Deuxièmement, si les trois pays concernés par le projet d'ALENA vivent une situation de repli difficile sur leur espace régional, le problème se pose de manière particulière pour les États-Unis en raison de l'importance que représentent pour eux les échanges hors zone, d'une part, et la très nette détérioration de leur position financière internationale vis-à-vis du reste du monde, d'autre part.
- L'intégration et la polarisation des échanges
L’intensité des échanges commerciaux entre deux ou plusieurs pays constitue un bon indicateur du degré d'interdépendance qui peut exister entre ces pays [11]. Les données en la matière montrent que le processus d'intégration en Amérique du Nord est extrêmement poussé, mais surtout qu'il est extrêmement polarisé sur les États-Unis.
Alors que le Mexique et le Canada réalisent tous deux plus de 70 % de leur commerce avec les États-Unis, c'est un peu moins de 30 % des exportations qui sont, dans le cas de ces derniers, orientées vers le Mexique et le Canada et à peine plus de 20 % des importations américaines qui proviennent de ces deux pays. Qui plus est, on peut difficilement parler d’une véritable relation triangulaire en Amérique du Nord puisque les échanges entre le Canada et le Mexique sont on ne peut plus limités. Enfin, il convient de noter que la part relativement modeste du Mexique dans le commerce des États-Unis, [28] comparativement à celle du Canada, s'explique en grande partie par les différences dans les niveaux de développement qui existent entre les deux pays. En fait, les différences dans les taux ne font que refléter les différences de taille et les écarts de développement qui existent entre les trois pays. Le commerce régional est à l'image de la relation qu'entretiennent les trois pays ; il est doublement asymétrique (voir tableau 5 et graphique 5).
Les graphiques 6, 8 et 9 montrent de leur côté que le processus d'intégration a aussi des racines historiques profondes. Deux indicateurs retenus sont la part du marché domestique qui est couverte par les importations en provenance des autres pays et la part de la production qui est exportée vers les autres pays et les relations croisées au niveau commercial et des investissements directs internationaux (IDI).
Les graphiques 6 nous permettent de constater que, si c'est surtout à partir du milieu des années 60, soit au lendemain du Pacte de l'automobile, que les échanges entre le Canada et les États-Unis ont eu tendance à s'intensifier, ce n'est que plus tardivement, à partir de la fin des années 70, avec la « pétrolisation » de l’économie mexicaine que les liens entre le Mexique et les États-Unis ont eu tendance à se resserrer. Cependant, dans les deux cas, le degré de dépendance vis-à-vis de l'économie américaine est très élevé et il n'a fait que s'accentuer au fil des années. Les graphiques 6 nous permettent aussi de voir que le degré de dépendance des États-Unis vis-à-vis des économies canadienne et mexicaine s'est accru. La comparaison des taux de couverture du marché domestique et des taux d'exportation des trois pays nous permet cependant d'observer, dans le cas des États-Unis, un degré de dépendance extérieure beaucoup plus faible qu'au Canada et au Mexique. Sans doute y aurait-il lieu de tenir compte du biais que provoque l'effet de taille sur les taux.
Nous avons voulu aussi comparer sur une base bilatérale l'évolution des flux commerciaux entre les pays. Les graphiques 6 présentent les résultats.
Cette approche nous permet de faire plusieurs constats. Tout d'abord, on peut noter que la part des États-Unis dans les importations du Canada et dans celles du Mexique a tendance à baisser alors qu’elle a plutôt tendance à s’accroître au niveau des exportations. On peut aussi constater que la part du Mexique et celle du Canada dans les exportations américaines a également tendance à s'accroître. Par contre, la part des importations en provenance de ces deux pays a tendance à diminuer considérablement dans le cas du Canada et à [29] n'augmenter que légèrement dans le cas du Mexique. Enfin, une comparaison du poids relatif de ces deux pays dans le commerce régional (Canada et Mexique) des États-Unis montre clairement une augmentation de la part relative des importations en provenance du Mexique.
Ces données sont intéressantes à noter puisque le taux de pénétration des importations est un indicateur de mesure des avantages qu'un pays peut tirer du commerce international. Dans le cas présent, il semble bien que, pour les États-Unis, les gains du commerce soient beaucoup plus importants du côté du Mexique que du côté du Canada. Ces avantages doivent cependant être relativisés puisque la progression des importations en provenance du « reste du monde » tend à montrer que, pour les trois pays, les avantages du commerce se trouveraient peut-être davantage en dehors de la zone qu'à l'intérieur... Voyons cela de plus près.
Quelle importance représentent les échanges régionaux en Amérique du Nord ? Pour répondre à la question, une comparaison avec d'autres ensembles régionaux peut être intéressante. Trois constats peuvent être dressés à partir du tableau 2 et des graphiques 2.
Tout d'abord, la CEE présente un degré de cohésion interne plus élevé qu'en Amérique du Nord. Les relations entre les pays européens sont aussi beaucoup mieux équilibrées. Ainsi les échanges à l'intérieur de la zone CEE, c'est-à-dire le commerce intrarégional, représentent-ils globalement une part beaucoup plus importante du commerce total des pays européens que cela n'est le cas en Amérique du Nord. Dans cette zone, si les échanges du Canada et du Mexique sont très nettement orientés vers les États-Unis, c'est malgré tout avec le « reste du monde » que ces derniers réalisent la plus grande partie de leur commerce.
Les données relatives au commerce de la CEE nous permettent de voir que le commerce intrarégional a tendance à augmenter dans les deux sens, c'est-à-dire tant du côté des exportations (de 53,6 % en 1970 à 58,6 % en 1987) que du côté des importations (de 49,8 % en 1970 à 58,1 % en 1987), augmentant plus vite du côté des importations que du côté des exportations. Tel n'est pas le cas en Amérique du Nord comme nous l’avons déjà souligné. Globalement, il a tendance à décliner du côté des importations (de 42,2 % en 1970 à 30,7 % en 1987) mais par contre à augmenter du côté des exportations (de 37,2 % en 1970 à 43,2 % en 1987). Cette tendance du côté nord-américain s'explique essentiellement par une propension croissante des trois pays à importer en dehors de la zone plutôt qu'à l'intérieur de la zone, ce qui viendrait confirmer l'hypothèse selon laquelle les [30] avantages réels du commerce se trouveraient peut-être davantage en dehors de la zone qu’à l’intérieur...
Enfin, une comparaison avec la zone Asie nous permet de constater que, si le Japon concentre une part importante du commerce régional, celui-ci ne couvre cependant qu'une part assez limitée du commerce total de chacun de ses partenaires, comme c'est le cas pour les États-Unis en Amérique du Nord. Il y a cependant deux exceptions : le cas de l'Indonésie pour les exportations et celui de la Corée pour les importations. Par ailleurs, contrairement à ce qui se passe à l'intérieur de la CEE, le commerce entre les pays reste très limité, tout particulièrement au chapitre des exportations. Les échanges sont surtout orientés vers l'extérieur même s'il faut noter une nette progression des importations intrazone depuis quelques années (de 25 à 33 % de 1970 à la fin des années 80). Ces deux tendances confirment le caractère extraverti de la région mais aussi une ouverture réciproque au chapitre des importations. Cette dernière tendance est intéressante puisqu'elle indique que les échanges régionaux tendent à se développer sur la base d'une plus grande spécialisation entre les pays.
En somme, les formes particulières que prend l'intégration économique dans chacune des trois grandes régions du monde tend à montrer que l'on ne peut prendre l'espace économique mondial comme un espace homogène. Cet espace est fragmenté en régions et l'interdépendance entre les pays au sein d'une région varie de l’une à l'autre. Des trois régions observées, et c'est une première conclusion que nous pouvons tirer de l'analyse que nous venons de faire, c'est en Amérique du Nord que l'on observe le degré le plus élevé de polarisation des échanges sur un seul partenaire et en Europe que l'on observe le meilleur équilibre dans les échanges intrarégionaux. Le Japon occupe une place importante dans le commerce régional de l'Asie, mais les échanges commerciaux avec les autres pays de la région restent limités tout comme le sont les échanges entre les autres pays de la région.
Deuxième conclusion : c'est dans la CEE et en Amérique du Nord que nous retrouvons les plus hauts taux d'intégration économique régionale, du moins lorsque nous prenons l'orientation des flux commerciaux comme indicateur. Mais, alors que le commerce semble se développer dans les deux sens entre les pays de la CEE, il faut constater une très nette tendance, en Amérique du Nord, à voir les pays se tourner vers l'extérieur au chapitre des importations mais par contre à se tourner de plus en plus les uns vers les autres au chapitre des exportations.
[31]
Troisième conclusion : l’Amérique du Nord se distingue aussi nettement de la zone Asie en ce qui a trait à l'orientation des flux commerciaux ; alors qu’en Amérique du Nord la progression des échanges régionaux semble davantage répondre à des préoccupations commerciales de recherche de débouchés, en Asie, la progression rapide des importations intrarégionales semble au contraire clairement répondre à des préoccupations de spécialisation en fonction des avantages compétitifs dont disposent maintenant les différents pays.
- Le repli continental et le déficit extérieur
Voyons comment s'insère la zone Amérique du Nord dans l'économie mondiale. Trois questions seront successivement abordées : l'évolution de la part de la zone dans le commerce mondial, l'évolution des flux commerciaux avec la CEE et l’Asie et l'évolution de la balance des paiements des trois pays.
Le tableau et le graphique 1 montrent l'évolution de la part des exportations et des importations de l'Amérique du Nord dans le commerce mondial pour la période 1950-1989. Il confirme la lente érosion de la part de cette région dans les exportations mondiales en même temps que le brusque retournement à la hausse des importations depuis le tournant des années 80.
On constatera aussi que le déclin de la zone au chapitre des exportations n'est pas seulement imputable aux États-Unis. Le Canada, en particulier, connaît la même tendance, sa part dans les exportations mondiales passant, pour la période, de 5,2 à 3,8 % et les importations, de 4,1 à 3,6 %. Le recul est moins prononcé dans le cas du Mexique. Il faut noter par ailleurs que les importations des États-Unis ont considérablement augmenté puisque leur part dans les importations mondiales passe de 12,1 à 15,5 % entre 1970 et 1989.
Les données nous permettent par ailleurs de constater que ce déclin relatif de l'Amérique du Nord s'est surtout fait au profit de l'Asie. Pour la même période, la part de la zone Asie passe de 13,3 à 17,5 % des exportations mondiales et de 9,9 à 14,3 % des importations mondiales (voir tableau 2). Parallèlement, la part de cette zone dans les importations de l’Amérique du Nord passent de 17,5 % à 32,3 % entre 1970 et 1987 alors que les exportations nord-américaines vers cette zone ne passent que de 13,5 à 17,3 % durant la même période. La CEE, de son côté, maintient sa part dans le commerce mondial. Le [32] développement des échanges à l'intérieur de la communauté explique sans doute en grande partie cet état de fait.
Considérons maintenant les échanges entre l'Amérique du Nord et le « reste du monde ».
On peut constater que les liens commerciaux tendent à se distendre des deux côtés de l'Atlantique. Ainsi, entre 1970 et 1987, la part de la CEE passe-t-elle de 25,3 à 18,8 % des exportations totales de l'Amérique du Nord et de 22 à 18,5 % dans le cas des importations. Vu de la CEE, le problème est identique, quoique moins marqué. Par contre, les tendances sont nettement différentes du côté du Pacifique. Les liens vont en se resserrant très rapidement.
Ainsi, pour la même période, les exportations de l'Amérique du Nord en direction de l'Asie ont-elles légèrement augmenté, passant de 13,5 à 17,8 %. C'est surtout du côté des importations en provenance de cette zone que la progression des échanges est phénoménale : elles passent, en l'espace de moins de 20 ans, de 17,5 à 32,3 % des importations totales de l’Amérique du Nord. Le phénomène est particulièrement notable aux États-Unis alors que le Japon occupe désormais le deuxième rang au chapitre des importations, derrière le Canada mais devant le Mexique. Vues de l'Asie, les données vont dans le même sens puisque l'on constate une forte progression de la part de l'Amérique du Nord dans les exportations totales. Remarquons toutefois le net recul de l'Amérique du Nord dans les importations totales de la région, celles-ci passant de 27,4 à 20,3 % des importations totales pour la période.
En somme, le recul de l'Amérique du Nord dans l'économie mondiale s'est accompagné d'un déplacement géographique des liens commerciaux en faveur des pays d'Asie. Les importations en provenance de cette partie du monde ont non seulement tendance à supplanter les importations en provenance de l'Europe mais aussi à se substituer aux importations que les trois pays d'Amérique du Nord se font entre eux. Par contre, non seulement les exportations nord-américaines en direction de l'Asie ne progressent-elles pas mais, par surcroît, les pays de cette région ont de plus en plus tendance à se tourner les uns vers les autres au chapitre des importations.
On peut compléter le tableau que nous venons de brosser en considérant les échanges triangulaires entre le Japon, les États-Unis et l'Allemagne. Comme le montre le tableau 3, tant en Allemagne qu’au Japon, la part des importations en provenance des États-Unis a tendance à décroître. Par contre, la part des exportations qui sont [33] destinées aux États-Unis a tendance à s'accroître. On remarquera cependant que le Japon se trouve à l'égard des États-Unis dans une situation fort différente de celle de l'Allemagne ; à tout le moins le Japon est beaucoup plus lié aux États-Unis que ne l'est cette dernière. Enfin, on constatera que malgré une certaine progression ces dernières années, les liens commerciaux entre l'Allemagne et le Japon restent encore ténus.
En résumé, et c'est la conclusion que nous pouvons tirer de ces données, il semble que, de plus en plus, nous assistons à un repli économique des États-Unis sur leur espace régional. Par contre, cet espace reste beaucoup trop étroit pour pouvoir assurer la croissance des exportations d’un pays dont la vocation exportatrice reste, à la différence du Canada et du Mexique, mondiale avant d'être régionale. D'un autre côté, et c'est l'autre partie du problème, l'espace nord-américain, de plus en plus pénétré par les importations en provenance des pays d'Asie, est aussi beaucoup trop peu compétitif pour que les États-Unis puissent non seulement se couper des courants économiques internationaux à ce chapitre mais aussi pour qu'il puisse y avoir un retournement de tendance marqué au chapitre des importations en provenance des autres parties du monde au Canada et au Mexique.
Autre phénomène inquiétant : cette tendance au repli s’est accompagnée d'une très nette détérioration de la position extérieure de la zone Amérique du Nord à l'égard du reste du monde.
La balance commerciale de l'Amérique du Nord est devenue lourdement déficitaire durant les années 80, et tout particulièrement avec l'ensemble composé du Japon et des huit NPI d'Asie. On constatera aussi que c'est surtout avec l'Amérique du Nord que la zone « Asie » réalise la plus grande part de ses surplus commerciaux. Dans le cas de la CEE, la balance commerciale reste à peu près en équilibre, les excédents avec l'Amérique du Nord compensant les déficits avec la zone Asie.
Pour ce qui est des États-Unis, on observe une position commerciale déficitaire, que ce soit avec ses deux voisins immédiats ou avec l’ensemble des pays. Dans le cas du Canada, la balance commerciale est fortement excédentaire avec les États-Unis mais par contre très déficitaire avec la CEE et à peu près équilibrée avec le Japon.
Trois constats peuvent être dressés à partir de ce tableau : premièrement, les trois pays affichent une position financière internationale nette fortement déficitaire ; deuxièmement, c'est avec une [34] rapidité phénoménale, en l'espace de moins de 10 ans, que les États-Unis sont passés du statut de créancier à celui de débiteur ; troisièmement, les trois pays sont désormais tous 3 déficitaires au chapitre des investissements internationaux directs (tableau 4 et graphiques 4).
Quelques remarques supplémentaires peuvent être faites. Dans le cas du Canada et du Mexique, la majeure partie des investissements directs étrangers est d’origine américaine ; la part américaine des investissements directs de ces deux pays étant d'un peu moins de 65 % en 1989. Cependant, l'importance des États-Unis sur ce plan tend à diminuer puisqu'en 1980, ils étaient la source de plus de 79 % des investissements directs étrangers au Canada et de 69 % de ceux cumulés par le Mexique. Il est certain que même la part des États-Unis dans les investissements mondiaux a diminué considérablement ces dernières années au profit de la CEE et du Japon, passant de 42 pour cent en 1980 à 29 % en 1989. Cette tendance se manifeste aussi dans la distribution géographique des investissements directs au Canada et au Mexique.
Il est aussi important de rappeler que l’importance du Canada et du Mexique sur le plan des investissements directs à l'étranger pour les États-Unis est décroissante dans le cas du Canada et fort modeste dans le cas du Mexique. En effet, seulement 18 % des investissements américains sont dirigés vers le Canada en 1989, chutant de 21 % en 1980. Le Mexique ne reçoit que 2 % de ces investissements en 1989 alors qu'il bénéficiait de 3 % en 1980. C'est la CEE [12] qui voit sa part des investissements directs américains s'élever de 36 % en 1980 à 47 % en 1989. La part du Japon passe de 3 % à 5 % pendant la même période.
Depuis 1988, les investissements directs étrangers aux États-Unis surpassent les investissements directs américains à l'étranger. Cette situation est une donnée du problème toute nouvelle puisque ces derniers ont traditionnellement exporté plutôt qu'importé des [35] capitaux à l'échelle internationale. Cela vient d’autant plus complexifier la situation financière des États-Unis que, depuis le début des années 80, ceux-ci cumulent les déficits sur le plan de la balance courante tant au chapitre du commerce qu'au chapitre des invisibles et que, parallèlement, leur situation financière interne (déficit public et faible niveau d'épargne) se détériore aussi. La situation est devenue d’autant moins gérable que, d'un côté, le déficit intérieur vient alimenter le déficit extérieur et que, de l'autre, le protectionnisme se trouve contourné par les stratégies d'implantation sur place et de substitution des investissements au commerce.
Dernière remarque, même si l'importance relative du Canada sur le plan des investissements directs aux États-Unis diminue au bénéfice de la CEE et du Japon sa part passant de 15 % en 1980 à 8 % en 1989 il occupe quand même le quatrième rang comme investisseur derrière le Royaume-Uni, les Pays-Bas et le Japon. De plus, le Canada, contrairement au Mexique, a considérablement amélioré sa position financière internationale avec les États-Unis, particulièrement en matière d'investissements directs. Le problème n’est pas là. Au risque de nous répéter, le problème vient du fait que si les liens d'investissements des États-Unis sont de plus en plus importants avec la CEE et le Japon et d'importance décroissante avec le Canada et le Mexique, ces deux pays demeurent très dépendants des États-Unis à ce chapitre comme à celui du commerce. Dans ces conditions, se trouvant dans une position commerciale et financière vulnérable, le libre-échange nord-américain peut sembler être une façon pour les États-Unis de trouver une autonomie et une stabilité nouvelle du moins en ayant un meilleur ancrage en Amérique du Nord.
En résumé donc, nous pouvons dire, premièrement, que les États-Unis continuent d'être, malgré un déclin évident, un pôle important dans l'économie mondiale ; deuxièmement, que l'accroissement du degré d'ouverture s'est accompagné dans le cas nord-américain d'une progression rapide des importations, notamment en provenance de la zone Asie, et d'une détérioration brutale de la balance commerciale et du bilan financier international ; troisièmement, que les échanges à l'intérieur de la zone Amérique du Nord ont connu une forte progression mais sans pour autant offrir une protection suffisante contre les importations hors zone comme c'est le cas en Europe ni avoir la profondeur suffisante pour permettre aux trois pays de s'enfermer dans le protectionnisme de zone ; et, quatrièmement enfin, le Canada et le Mexique ont mieux su tirer leur épingle du jeu que les États-Unis comme le montrent l'importance des excédents commerciaux [36] qu'ont réalisé ces deux pays avec ces derniers dans la deuxième moitié des années 80 et, dans le cas canadien, l'amélioration de la position financière extérieure.
Le projet d'ALENA
À la lumière des données précédentes, on peut dire que, d'une certaine façon, le projet d'ALENA s'inscrit dans la logique des choses [13]. Le processus d'intégration économique a des racines profondes et les liens qui unissent les trois pays sont suffisamment importants pour que chacun d'eux puisse, tout en tirant avantage d'une entente économique, s'adapter aux nouvelles réalités économiques internationales. Le cas de l’Europe montre d'ailleurs que le resserrement des liens économiques aura finalement permis à la Communauté européenne non seulement de faire progresser son projet politique mais aussi d’acquérir un statut de grande puissance, pour ne pas dire de première puissance, sur la scène économique internationale. Un tel projet ne viendrait en somme qu'institutionnaliser une situation de fait, c'est-à-dire ce que nous avons déjà appelé la continentalisation des économies canadienne, américaine et mexicaine. D’un autre côté, dans une situation de repli que vivent les trois économies, la création d’un marché unique nord-américain répond aussi à des impératifs économiques, commerciaux et financiers précis : redresser l'économie de chacun des trois pays concernés, restaurer leur marge de manœuvre extérieure et les replacer en position plus avantageuse sur les marchés internationaux. C’est dans cette double perspective que nous devons considérer le projet de libre-échange nord-américain et les raisons qui ont amené le Canada et le Mexique, d'une part, et les États-Unis, d'autre part, à attacher autant d'importance à la réalisation d'un tel projet.
- La nouvelle politique économique
canadienne et mexicaine
Les facteurs économiques, aussi puissants soient-ils, ne permettent cependant pas d'expliquer pourquoi trois pays de taille, de stature internationale et de niveau de développement aussi différents sont [37] engagés dans un projet de libre-échange trilatéral pour privilégier ainsi le régionalisme plutôt que le multilatéralisme comme option de politique économique internationale.
Il est certain que, tant du côté canadien que du côté mexicain, la crainte du protectionnisme n'est pas étrangère au désir de ces deux pays de s'assurer un accès privilégié à leur principal marché (Canada, 1991a). Les raisons qui poussent des deux côtés en faveur du libre-échange vont cependant bien au-delà de la simple recherche d'une garantie d'accès au marché américain ou de la reconnaissance par les États-Unis d'un traitement préférentiel.
Rappelons-le, les deux pays ont été durement affectés par la crise économique. Le Mexique a dû faire face à une situation d'endettement sans précédent alors que le Canada a, quant à lui, dû faire face à une situation de stagflation qui a fini par précipiter, en 1982, l'économie dans la pire récession qu'ait connue le pays dans l'après-guerre. Dans les deux cas, la crise économique s'est accompagnée d'une profonde crise de confiance dans les institutions de l'État et d'une remise en question du modèle économique poursuivi jusque-là. C'est dans ce contexte qu'il faut replacer le brusque virage que prendra la politique économique au milieu des années 80. La nouvelle politique ne vise rien d’autre que le renouvellement en profondeur des bases mêmes de la croissance économique.
Désormais orientée sur les forces du marché plutôt que sur l'intervention de l'État, sur le moyen et le long terme plutôt que la stabilisation à court terme de l'activité économique, cette nouvelle politique a deux volets. Le premier volet relève de la politique macroéconomique : l'objectif est ici de recréer et de préserver les conditions d'une croissance « soutenable », notamment en éliminant les sources de déséquilibre que sont les déficits publics et les déficits extérieurs. Le second volet relève, quant à lui, de l'adaptation structurelle : l'objectif est de favoriser la mobilité des ressources en fonction des signaux des marchés et de redonner aux marchés leur flexibilité, entre autres, par le biais de la déréglementation de l'économie et l'ouverture à la concurrence internationale. C'est dans ce deuxième volet qu'il faut resituer le libre-échange avec les États-Unis ; un libre-échange il est important de le préciser qu'il faut considérer comme un choix de second best.
Le raisonnement est simple. Le nationalisme économique constitue une voie bouchée dans le contexte actuel de globalisation des marchés et le multilatéralisme ne permet pas de répondre de manière satisfaisante à la situation particulière que vivent le Mexique et le [38] Canada dans le voisinage des États-Unis. La seule option commerciale qui reste est celle du libre-échange avec les États-Unis. C'est la seule option commerciale viable.
La Commission MacDonald (Canada, 1985) a très bien cerné, à notre avis, le problème dans le cas canadien : autant le statu quo risque-t-il de laisser le Canada aux prises avec deux politiques commerciales incompatibles, « la traditionnelle politique de protectionnisme et de développement issue de la politique nationale, par opposition à celle plus moderne et multilatérale de libéralisation que favorise le GATT », autant les lenteurs du GATT empêchent-elles d'envisager sans risque une libéralisation unilatérale des échanges. Reste donc, dans ces conditions, le libre-échange avec les États-Unis, un libre-échange qui, par défaut, devient un peu la formule magique qui doit permettre à l'industrie d'élargir ses marchés et partant de là de réaliser les gains de productivité dont elle a besoin pour affronter avec succès le défi de la globalisation des marchés [14].
Pour reprendre le titre d'un ouvrage récent de Sidney Weintraub (1990a) [15], on peut donc dire que c'est à une sorte de mariage de raison que l'on assiste à l'heure actuelle entre le Canada et les États-Unis, d’un côté, et entre ces derniers et le Mexique, de l'autre. Ce mariage de raison n'en relève pas moins d'une conception complètement renouvelée de la politique économique. Les paramètres de la politique économique ont été changés, au Canada comme au Mexique. À cet égard, le parallélisme entre les deux pays est on ne peut plus saisissant [16].
L’approche reste essentiellement bilatérale. Ce n'est d'ailleurs pas sans certaines inquiétudes que l’on entrevoit au Canada l'éventualité d'une entente de libre-échange entre le Mexique et les États-Unis ni sans certaines réticences que le pays a dû se résoudre à se joindre à la table de négociation. Mais on peut sans doute dire la même chose du Mexique. Il n'est pas sûr qu'au moment même où ce pays libéralisait unilatéralement ses relations économiques avec les États-Unis, on ait vu d'un très bon œil ces derniers négocier une entente bilatérale avec le Canada. De toute façon, les données du problème sont aujourd'hui complètement bouleversées puisque les [39] négociations se font désormais sur une base trilatérale. C’est désormais dans la perspective d'un marché à trois que chaque pays doit envisager la restructuration de l'économie.
Voyons maintenant comment se présente le dossier du libre-échange du côté américain.
- La nouvelle politique économique
internationale des États-Unis
Que leur déclin soit relatif ou absolu importe peu, force est de constater que les États-Unis ont aussi connu une situation économique difficile au tournant des années 70. Confrontés à la pire situation de crise que le pays ait connue depuis 60 ans, les États-Unis ont vu, comme nous l’avons souligné plus haut, leur position extérieure se détériorer rapidement et leur position hégémonique dans l'économie mondiale remise en question. Confrontée aussi à de fortes pressions protectionnistes de la part du Congrès, l'administration américaine a dû sensiblement modifier la politique économique internationale au début des années 80 et adopter une approche plus réaliste [17], voire céder aux pressions du Congrès avec le fameux Bill Omnibus (voir : Destler, 1986 ; Le Prestre, 1989 ; Garten, 1985 ; Hamel, 1991).
C'est le réalisme qui va désormais caractériser la politique économique internationale des États-Unis à partir des années Reagan. Ce réalisme passe tout autant par la promotion des valeurs américaines et la défense des intérêts commerciaux américains que par la poursuite de l'idéal d'après-guerre d’un one undivided world et l'extension d'un mouvement de libéralisation des échanges en butte aux obstacles qu'ont pu dresser les États sous le couvert du nationalisme et du keynésianisme. Ce nouveau réalisme, les États-Unis vont le mener sur trois fronts : sur le plan international tout d'abord, en relançant les négociations commerciales multilatérales au GATT, en cherchant à renouveler les grandes institutions internationales et, plus récemment, en se faisant les promoteurs d'un nouvel ordre international ; sur un plan bilatéral ensuite, en utilisant la procédure du fast track pour négocier sur une base réciproque un meilleur accès à leurs principaux marchés et obtenir la reconnaissance du traitement national pour leurs entreprises implantées à l'extérieur ; sur une base domestique enfin, en dénaturant le principe du fair trade et en [40] laissant plus librement cours aux pressions protectionnistes en provenance du Congrès ou des États (voir Baghwati, 1988a).
C’est dans ce nouveau cadre qu'il faut resituer le projet de libre-échange nord-américain, et, dans la même veine, l'initiative des Amériques lancée en 1990 (Government of the United States, 1990). Dans un tel projet, les États-Unis visent trois objectifs. Premièrement, il s'agit de permettre aux entreprises américaines d'élargir leurs marchés, de profiter davantage des avantages comparatifs dont peuvent disposer le Canada et le Mexique, notamment au chapitre des ressources naturelles et des coûts de main-d'œuvre, et de créer un réseau intégré de production et de distribution à l'intérieur d'un marché continental. L’enjeu serait ici d’ordre économique, soit créer un espace économique régional sur lequel pourraient s’appuyer les entreprises américaines pour améliorer leur position concurrentielle et regagner ainsi les parts de marché perdues sur les marchés internationaux (Gill, 1990).
Deuxièmement, la libéralisation des échanges et la reconnaissance du traitement national pour les investissements américains doivent lever complètement les différents obstacles à la circulation des marchandises et des capitaux qu'ont pu dresser le Mexique et le Canada sous le couvert du nationalisme économique et venir cimenter dans un marché unique une véritable communauté d’intérêts nord-américaine (Lowenthal, 1990 ; Leyton-Brown et Ruggie, 1987). Il ne s'agit plus simplement ici de redonner aux États-Unis une industrie compétitive, mais de fondre des politiques économiques jusque-là fort discordantes dans une seule et même vision de l'Amérique. L'objectif paraît d'autant mieux réalisable que, cédant aux sirènes du libre-échange, le Mexique et le Canada ont adopté cette vision du continentalisme.
Troisièmement, et cela dans une perspective plus large de libéralisation des échanges à l'échelle mondiale et de renouvellement des institutions internationales, le projet de libre-échange trilatéral procède d'une démarche bien arrêtée de faire progresser plus rapidement les négociations commerciales multilatérales en ouvrant la voie dans des domaines aussi importants pour les États-Unis que peuvent l'être celui des investissements, de la propriété intellectuelle, des services, etc. (Hufbauer, 1989a). Le libre-échange pourrait ainsi servir d'instrument de pression, voire de négociation sur une base réciproque, face à ce que d’aucuns appellent la forteresse Europe ou face au Japon. Le retour à la réciprocité va dans le sens de cette démarche. Par contre, advenant un échec de ce côté, un accord de [41] libre-échange nord-américain pourrait alors constituer une solution de second best, une sorte de police d'assurance face à un internationalisme tronqué qu'ils ne peuvent accepter. L'accès au marché américain serait alors considéré comme un privilège et un droit que les États-Unis pourraient négocier sur une base réciproque avec les autres pays.
Aux États-Unis, le problème du libre-échange ne se pose donc pas dans les mêmes termes qu'au Canada et au Mexique. Alors que ce sont surtout les préoccupations économiques internes qui ont conduit ces deux pays à délaisser le modèle interventionniste d'après-guerre et à faire du libre-échange la pierre angulaire d'une stratégie de redéploiement « par le bas », ce sont les préoccupations de puissance qui poussent les États-Unis à donner un tournant plus réaliste à leur politique internationale et à se rapprocher de leurs voisins immédiats. L'objectif est de prendre appui sur un accord de libre-échange avec le Canada, d'abord, avec le Mexique, maintenant, et peut-être demain avec l'ensemble des pays du continent américain, pour restructurer leur économie et faire avancer leur vision du monde sur la scène internationale.
Une forteresse Amérique ?
Le projet de libre-échange ne doit donc pas faire illusion. Que l'on considère le projet du point de vue américain ou du point de vue canadien et mexicain, le but n'est pas d'en venir à un bloc exclusif [18], une telle option revenant pour les trois pays à se couper des grands courants économiques internationaux et à s'enfermer dans un régionalisme qui serait tout à fait intenable sur le plan politique. L'objectif est plutôt de faire du libre-échange la pièce maîtresse d'une stratégie [42] qui doit permettre, d'un côté, au Mexique et au Canada de relancer leur économie et, de l'autre, aux États-Unis, de se replacer en position de force dans l’économie mondiale. Les enjeux sont de taille mais, et c'est la question que nous voulons soulever maintenant, les trois pays contrôlent-ils vraiment tous les paramètres de leur stratégie ? Le Canada, le Mexique et les États-Unis ne risquent-ils pas de se laisser entraîner dans une dynamique qu'ils ne contrôlent pas vraiment ?
- L'accès au marché américain
Le multilatéralisme a toujours été l'option principale de la politique économique internationale du Canada [19]. C'est lui qui offre encore les meilleures garanties possibles d'accès aux marchés extérieurs dont le pays a besoin pour se développer en même temps que le meilleur contrepoids aux rapports de force que cherchent à imposer les grandes puissances dans les relations internationales. Cela n'a bien sûr jamais empêché le Canada d'entretenir des relations fort étroites avec les États-Unis. Bien au contraire, comme on le sait. En fait, et même si cela peut sembler paradoxal au premier abord, le multilatéralisme reste encore l'option privilégiée du Canada. Et, il en va de même du Mexique (Olea Sisniega, 1990). Son accession récente au GATT ou encore les efforts qu'il déploie pour élargir et consolider ses relations commerciales avec les autres pays d'Amérique latine semble le confirmer. Les acquis du multilatéralisme et surtout le fait que l’on puisse y trouver un contrepoids à l'influence américaine sont beaucoup trop importants pour que le Canada et le Mexique prennent le risque de se laisser enfermer dans le piège du régionalisme.
D’un point de vue économique, le régionalisme a aussi ses limites. Comme nous avons eu l'occasion de le noter plus haut, les avantages que peuvent tirer le Canada et le Mexique d’un accord de libre-échange restent malgré tout limités. À tout le moins, ils ont tendance à être surestimés dans le débat actuel. Les données économiques montrent clairement qu’en termes relatifs, les exportations intrarégionales progressent plus vite que les importations alors qu'au contraire les importations en provenance de l'extérieur ont tendance à croître beaucoup plus rapidement que les exportations vers l'extérieur. Rappelons aussi la faiblesse des échanges entre le Canada et le [43] Mexique. Ces tendances montrent à l'évidence non seulement que le marché nord-américain a ses limites en matière de débouchés mais aussi que les trois pays voient les importations en provenance de l'extérieur de la région se substituer progressivement aux importations qu'ils réalisent entre eux. Il est certain que le libre-échange va venir renforcer les liens économiques entre les trois pays et permettre une plus grande rationalisation des activités au sein d'un marché désormais unique. Mais les effets de détournement de commerce et les gains ainsi réalisés resteront malgré tout trop limités pour que l’on puisse envisager le repli sur la zone comme une option économique viable dans le contexte mondial actuel.
Cependant, il y a une donnée incontournable dans le débat actuel sur le libre-échange : c'est la continentalisation de l'économie canadienne et de l'économie mexicaine. C'est peut-être même la donnée principale du débat : malgré tous les efforts entrepris en ce sens, ni le Canada ni le Mexique ne sont parvenus dans les années 60 et 70 à se distancer des États-Unis. Au contraire, les liens économiques avec ces derniers se sont considérablement resserrés durant les années 80, au chapitre des exportations tout particulièrement, mais aussi, dans le cas canadien, au chapitre des investissements.
Le Canada et le Mexique sont comme pris dans un étau : contrôlant de plus en plus difficilement les paramètres de leur propre continentalisation, ces deux pays se retrouveraient dans une position extrêmement vulnérable face à leur principal marché si l'accès de ce dernier ne leur était pas d'une manière ou d'une autre totalement garanti [20].
Les négociations commerciales entre le Canada et les États-Unis ont amplement montré que l'objectif principal du gouvernement canadien a toujours été d'obtenir de la part de son homologue américain tout autant la sécurité d'accès au marché américain que l’amélioration de cet accès. Ce fut d’ailleurs l'une des questions les plus litigieuses, peut-être même la plus litigieuse, les États-Unis refusant toujours d'accepter le principe d'un mécanisme paritaire de règlement [44] des différends commerciaux. Ce mécanisme a, comme on le sait, été finalement obtenu par le Canada mais on peut s'attendre à ce que les négociations actuelles butent encore une fois sur cette question.
L’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis (ALE) en est à sa quatrième année d'application et, déjà, il est clair que le processus d'intégration des deux économies ne se fait pas aussi facilement qu'on l'envisageait au moment des négociations bilatérales : l'économie canadienne connaît d'énormes problèmes d'ajustement et les sorties de capitaux en direction des États-Unis sont plus importantes que jamais [21]. Mais, surtout, les difficultés récentes rencontrées dans l'application du traité de libre-échange montrent à quel point la sécurité d'accès au marché américain tant recherchée est encore bien loin d'être assurée. C’est une donnée politique que le Canada et encore moins le Mexique ne peuvent contrôler.
L'ampleur du déficit extérieur et les difficultés économiques ont exacerbé, ces dernières années, les tendances protectionnistes, voire fait réapparaître un fort sentiment isolationniste aux États-Unis. La pénétration étrangère est de plus en plus vivement perçue aux États-Unis comme une agression et une véritable menace à la sécurité nationale ; qu'il s'agisse des marchandises, des capitaux ou des personnes. L'administration américaine doit composer avec des forces profondément ancrées dans la société et arbitrer entre les considérations d'ordre domestique et les considérations d'ordre international dans la définition de sa politique économique internationale (Government of the United States, 1991). Le problème, ce n'est pas que les sentiments isolationnistes et les tendances protectionnistes existent, mais que ceux-ci s'imposent avec suffisamment de force au point de détourner le projet de libre-échange de son objet, soit celui d'assurer l’accès aux marchés sur une base réciproque et de permettre un « repositionnement » des États-Unis, et avec eux de l'ensemble économique nord-américain, sur la scène économique mondiale, voire qu'elles enveniment les relations triangulaires à un degré tel que, placés devant une situation politiquement intenable sur le plan domestique, le Canada et le Mexique n'aient d'autre choix que de reculer (Pastor, 1989).
[45]
Même si un accord a finalement été conclu entre le Canada, les États-Unis et le Mexique, à la hâte il faut le dire et sous la pression des négociateurs américains, le 12 août 1992, on ne peut exclure la possibilité de voir celui-ci remis en question par l'un ou l'autre des trois signataires. Un tel scénario reste cependant pour le moment improbable. Les trois pays sont trop engagés politiquement dans le dossier et les enjeux économiques sont trop importants pour que les gouvernements puissent revenir en arrière [22]. En fait, si les trois pays semblent s'être engagés dans un processus relativement irréversible d’intégration continentale, c'est l'autre scénario qui semble le plus probable à l'heure actuelle, soit celui d'une escalade de tensions entre l'Amérique du Nord, l'Europe et le Japon, escalade qui pourrait alors faire du marché nord-américain un bloc économique sous hégémonie états-unienne.
- Une escalade de tensions ?
La position des États-Unis dans le dossier du libre-échange, rappelons-le, répond à un double impératif : un impératif économique et commercial, tout d'abord, soit redynamiser l’économie et restaurer l'équilibre de la balance commerciale ; un impératif politique, ensuite, soit faire avancer la vision libérale du monde qu'ils ont toujours défendu depuis la guerre. Or, sur ces deux plans, la position américaine se heurte à deux séries de problèmes. Premièrement, la carte économique du monde s'est profondément modifiée durant les 40 dernières années. Dans un monde devenu tripolaire, non seulement les États-Unis doivent-ils tenir compte des intérêts économiques et commerciaux que poursuivent ces deux autres grands acteurs de la scène économique internationale que sont aujourd'hui l'Europe et le Japon, mais aussi doivent-ils désormais composer avec d'autres visions de la sécurité économique internationale que la leur. Deuxièmement, confrontés à un déséquilibre grandissant de leur commerce, avec le Japon et les pays d'Asie du Sud-Est tout particulièrement, les États-Unis ne [46] peuvent comme autrefois compter ni sur le seul dynamisme de leur économie ni sur le seul jeu du marché pour assurer leur suprématie dans l'économie mondiale.
Face à la CEE, l'attitude des États-Unis a toujours été ambivalente (Bourinet, 1987 ; De Clerq, 1987 ; Hufbauer, 1989b ; Wellenstein, 1986). D'un côté, ils ont toujours souhaité une Europe forte, particulièrement au moment de la guerre froide, de l’autre, ils ont toujours fait preuve d'un certain agacement, voire d'une certaine agressivité, à l'endroit de ses politiques, et particulièrement de sa politique agricole, et de ses pratiques interventionnistes. En concurrence dans de nombreux domaines, les Américains ont toujours reproché aux pays européens leurs pratiques jugées déloyales en matière de commerce et leur politique de subsides et d'aide à l’industrie et à l'exportation. De leur côté, il faut le dire aussi, les Européens ont toujours reproché aux États-Unis leur paternalisme et leur politique de puissance à leur endroit et, plus récemment, de vouloir relier leur politique économique internationale aux aléas de leur déficit commercial.
Il est certain que la politique commerciale reste encore l'une des grandes faiblesses de l’Europe. Après 30 ans de fonctionnement, la CEE n’est pas vraiment parvenue à mettre sur pied une politique commune tout à fait cohérente. Le manque de pouvoirs des institutions communautaires et les pressions des États membres font que la CEE a toujours éprouvé certaines difficultés à arbitrer entre les intérêts nationaux et ceux de la Communauté dans son ensemble. Elle n'a pu non plus éviter que la politique commerciale présente certaines tendances au protectionnisme (Yannopoulos, 1985 ; Weidemann, 1990), à l'égard du Japon et des pays d'Asie du Sud-Est notamment [23]. Mais, faut-il préciser, ces tendances restent limitées, la CEE étant même, selon certains auteurs, plus ouverte que l'Amérique du Nord et l'Asie. Tout indique aussi que la réalisation du marché intérieur devrait parallèlement conduire à une ouverture plus grande vis-à-vis du reste du monde et à une plus grande unité sur la scène internationale (Maillet et Rollet, 1986 ; Nolling, 1988). En fait, malgré ses faiblesses, la politique commerciale reste une pièce importante du projet européen : c'est elle qui confère à la Communauté son statut de marché [47] unifié et qui lui donne son pouvoir de négociation sur la scène internationale [24]. C'est elle aussi qui constitue une source permanente de litige avec les États-Unis. Les dernières négociations du GATT, que ce soit à propos des politiques agricoles ou des barrières non tarifaires, l'ont d’ailleurs montré crûment. Mais, par delà le contentieux commercial proprement dit, on peut se demander si, en fin de compte, ce ne sont pas deux visions du monde, deux visions des relations économiques internationales qui s'opposent.
On a souvent tenté d'établir un parallèle entre le projet européen de marché unique qui doit voir le jour en 1993 et le projet nord-américain de libre-échange. Les deux projets se prêtent d'autant plus facilement à la comparaison que le qualificatif de forteresse peut être, non sans abus de langage il faut bien le dire, appliqué aussi bien à l'Europe qu'au projet nord-américain. Certes, tant en Europe qu'en Amérique du Nord, retrouvons-nous le même désir de constituer un grand marché pour mieux répondre aux exigences de la concurrence internationale et regrouper dans une « solide association économique » des pays que l'histoire et la géographie poussent tout naturellement à se rapprocher. Là s’arrête cependant la comparaison. Les données statistiques présentées plus haut nous ont permis de voir à quel point le degré de cohésion et de complémentarité entre les pays était beaucoup plus grand en Europe qu'il ne l’est en Amérique du Nord. Mais, surtout, les deux projets sont de nature beaucoup trop différente pour que nous n’en tenions pas compte dans le débat sur les blocs économiques. [25]
En se regroupant, les pays européens cherchent non seulement à créer un nouvel espace de souveraineté mais aussi à se doter d’institutions régionales qui répondent tout autant à des préoccupations sociales qu'à des préoccupations économiques. C'est peut-être là que [48] réside toute l'originalité du projet européen : vouloir mettre en place un modèle de gestion communautaire qui réponde tout autant aux exigences d'efficience économique qu'aux exigences d'une plus grande sécurité collective. En somme, ce qu'il s'agit de mettre en place à un niveau régional, c’est un véritable modèle d'économie mixte, un modèle que les contraintes de la libéralisation des échanges ne permettent plus de réaliser adéquatement sur une base nationale ; le modèle que les conditions d'après-guerre n'ont pas permis d'instaurer comme certains, à commencer par Keynes, auraient souhaité, sur une base multilatérale [26].
Le projet d'ALENA ne va pas du tout dans cette direction. Il relève d'une philosophie tout à fait différente des relations économiques internationales. L'intégration économique n’est envisagée que dans la perspective fonctionnaliste d'un démantèlement progressif des obstacles au commerce et à la libre circulation des marchandises et des capitaux [27]. Il ne s'agit donc pas à proprement parler d'engager la souveraineté des États dans un projet politique commun et encore moins d'envisager les conditions dans lesquelles doit se faire l’intégration autrement que sous l'angle d’une adaptation des trois économies aux [49] forces du marché [28]. On peut parler ici dans une certaine mesure de vide institutionnel. Un vide qui place les États-Unis dans une position tout à fait exceptionnelle non seulement pour faire avancer au travers du libre-échange leur vision institutionnelle du marché et de la démocratie au Canada et au Mexique mais aussi pour pouvoir rallier plus facilement ces deux pays à leurs vues sur toutes les grandes questions internationales [29].
Il s'agit là d'un point important : vulnérables vis-à-vis des États-Unis sur le plan économique, le Canada et le Mexique le sont aussi sur le plan politique ; et tout particulièrement sur toutes les questions d'ordre international. Ces deux pays souffrent à l'heure actuelle d'un double handicap par rapport aux États-Unis : premièrement, l'un comme l'autre ne sont jamais vraiment parvenus dans le passé, et ce malgré leurs efforts, à se distancer de leur puissant voisin et à pouvoir s'affirmer de manière durable comme puissances moyennes sur la scène internationale ; deuxièmement, en cherchant à se rapprocher des États-Unis, ils ont non seulement pris le parti d'accepter une forme beaucoup plus active d'intégration de leur économie à celle de ces derniers mais aussi celui de former avec eux une communauté d'intérêts qui les place directement, en raison de leur faible poids sur la scène internationale, en situation de partenaire junior des États-Unis. Et, en ce sens, disposant de beaucoup moins d'autonomie qu'auparavant sur le plan domestique, on voit mal comment, dans le cadre d’un accord de libre-échange trilatéral, le Canada et le Mexique pourraient échapper à l'influence des États-Unis sur la scène internationale [30]. On voit mal aussi comment, après avoir délibérément remis [50] en question leurs propres modèles d'intervention étatique, ces deux pays ne seraient pas enclins à reprocher aux Européens leur propre interventionnisme, voire une certaine forme d'isolationnisme que tend à favoriser le dynamisme des échanges intrarégionaux.
Géant économique, l’Europe n'a cependant pas sur le plan international le poids politique que lui confère son poids dans l'économie mondiale. Le conflit du Golfe l’a montré, elle ne semble pas non plus vouloir, et encore moins pouvoir, contester le leadership des États-Unis sur la scène mondiale. Par contre, les négociations de l'Uruguay Round ont montré que les États-Unis ne pouvaient plus compter comme autrefois sur les divisions internes et sur les faiblesses de sa politique commerciale. Les pays européens ont au contraire fait preuve en matière agricole d'une solidarité exemplaire que ni les attaques américaines ni celles des 14 pays du groupe de Cairns ne sont vraiment parvenues à ébranler. En fait, comme on le sait, seule la décision de reporter les négociations a permis d'éviter que cette ronde ne s'enlise dans un débat de principes. Une leçon doit cependant être tirée de ces discussions : le danger est de plus en plus grand de voir le fossé se creuser entre, d'un côté, une Europe en quête d'une véritable légitimité internationale et, de l'autre, une Amérique, entendons par là essentiellement les États-Unis, à la recherche de solutions à ses problèmes de déclin économique et commercial. Et, dans un cas comme dans l’autre, ce sont les règles internationales établies qui risquent d’être détournées, et ce d'autant plus facilement que l'article XXIV de l'Accord général n'est assorti d'aucun garde-fou.
Par rapport au Japon et, dans une moindre mesure, par rapport aux autres pays d'Asie du Sud-Est, les choses se présentent de manière différente : le problème relève essentiellement de la rivalité économique et le déséquilibre commercial constitue la principale pomme de discorde.
Le déséquilibre commercial avec le Japon constitue la principale source de litige avec les États-Unis. L'ensemble de la région concentre une part croissante du commerce extérieur des États-Unis, les exportations américaines à destination de cette région couvrent de moins en moins les importations en provenance de cette région et le déséquilibre commercial s'aggrave d'année en année. La forte montée du dollar américain a certainement contribué à la détérioration de la [51] balance commerciale des États-Unis, mais la faible sensibilité du déficit commercial à la dépréciation du dollar depuis lors montre que le problème a des causes structurelles qu'il faut rechercher dans le dynamisme en perte de vitesse de l'économie américaine, dynamisme auquel ils veulent redonner toute sa vigueur en prenant appui sur le marché nord-américain.
Dans un ouvrage récent, Robert Gilpin (1987) a évoqué la possibilité de voir se créer un axe États-Unis Japon. La constitution d'un tel axe (ce que Gilpin appelle Nichibeï Economy) semble d'autant plus plausible au premier abord que les deux économies dépendent étroitement l'une de l'autre et que les États-Unis disposent toujours d'une certaine avance technologique dans de nombreux domaines. Une autre hypothèse souvent envisagée est celle d'un regroupement économique des pays d'Asie du Sud-Est autour du Japon. Ces deux hypothèses se heurtent cependant à de nombreux obstacles, à commencer au Japon même.
Le commerce extérieur du Japon est trop orienté vers l'Europe et l’Amérique du Nord pour qu'un projet de regroupement économique en Asie du Sud-Est soit une option économique intéressante à l'heure actuelle. Le lourd contentieux historique du Japon avec les autres pays de la région constitue un autre facteur qui ne pousse pas dans cette direction. C’est du moins ce que semble confirmer la plupart des études consacrées à la politique économique internationale du Japon (Ikl et Nakanishi, 1990 ; Kalder, 1988). L’isolationnisme dont fait preuve le Japon sur la scène internationale et les atouts dont dispose son industrie rendent aussi très difficile la réalisation d’une relation bilatérale privilégiée avec les États-Unis.
En fait, les relations économiques entre le Japon et les États-Unis n’ont jamais été sereines. L’adoption du Bill Omnibus et la perspective d’un accord de libre-échange nord-américain ne sont pas de nature à améliorer les relations entre les deux pays. Et il en va de même dans les relations entre le Japon et l'Europe, tout particulièrement depuis l'adoption par la Communauté d'une réglementation anti-dumping directement orientée contre lui (Le Lièvre et Houben, 1987). Certes, pour le moment, la politique économique internationale du Japon reste encore essentiellement « réactive », mais certains changements sont observables [31]. La perspective d'un isolement sur la scène internationale et les risques de fermeture des marchés, que ce [52] soit en Europe ou en Amérique du Nord, l'obligent à abandonner l'approche low profile qu'il a toujours eue jusqu'ici et à chercher à jouer un rôle plus actif sur la scène internationale. Mais, ce faisant, les points de tension avec ses autres partenaires ne peuvent que se multiplier et peut-être alors pousser le Japon à rechercher lui aussi les avantages d'une association économique avec d'autres pays d'Asie du Sud-Est. En tout cas, le protectionnisme de zone que pratique l'Europe à son endroit et la définition de plus en plus tronquée que donnent les États-Unis à la notion de commerce loyal (fair trade) ne sont pas de nature à favoriser un climat de coopération entre les trois grandes régions économiques du monde.
On voit donc que, tant à l'égard de l’Europe que du Japon, la politique économique internationale des États-Unis se heurte à de sérieux obstacles. Le poids de l'Europe dans l'économie mondiale et le déséquilibre commercial avec le Japon et les autres pays d'Asie du Sud-Est ne les placent pas dans une position très favorable, que ce soit pour faire avancer leur vision du monde ou pour espérer redevenir le centre de gravité de l'économie mondiale. Sur le plan politique, ils doivent désormais composer avec l'Europe et sa vision du monde, et sur le plan économique, avec un Japon dont ils dépendent de plus en plus sur le plan financier. Dans ces conditions, le risque est grand que, ne pouvant atteindre leurs objectifs, les États-Unis, et avec eux dans leur mouvance le Canada et le Mexique, se trouvent finalement pris au piège de leur propre stratégie et que celle-ci se retourne contre eux en les entraînant dans une dynamique de repli sur l'espace continental qu'ils occupent.
Conclusion
Notre intention dans ce texte était de vérifier si l'hypothèse selon laquelle un ALENA pouvait conduire à la création d'un bloc économique en Amérique du Nord et, par le fait même, provoquer une fracture importante dans l'économie mondiale était fondée.
Notre démarche a consisté tout d'abord à voir ce que pouvait représenter un espace économique régional composé des États-Unis, du Canada et du Mexique au sein de l'économie mondiale. Un tel espace concentrerait alors 16,5 % des exportations mondiales et un peu moins de 20 % des importations. L'analyse statistique nous a cependant permis de faire ressortir quatre points importants. Premièrement, l'ensemble ne représente que la moitié du commerce total de la CEE, cette dernière représentant à elle seule environ 39 % des [53] exportations mondiales et 37 % des importations. Qui plus est, alors que la part de la CEE dans l'économie mondiale reste relativement stable, celle de l'Amérique du Nord décline, notamment au chapitre des exportations.
Deuxièmement, extrêmement polarisée sur les États-Unis, l’Amérique du Nord ne présente pas le même degré de cohésion interne que la CEE. En outre, la progression du commerce intrarégional n'est forte qu'au chapitre des exportations. Au chapitre des importations, les trois pays, à commencer par les États-Unis, ont davantage tendance à se tourner vers l'extérieur que les uns vers les autres.
Troisièmement, la région est non seulement très ouverte sur « le reste du monde », mais sa balance du commerce est aussi extrêmement déficitaire. De plus, ces deux tendances se sont accentuées durant la dernière décennie.
Quatrièmement, enfin, la création d'un marché unique offre aux trois pays des perspectives de croissance beaucoup trop limitées pour que l'on puisse envisager des effets de détournement de commerce importants. Le problème tient tout autant aux différences considérables de taille et de niveaux de développement qui existent entre les pays qu'au potentiel de substitution aux importations qu’offre chacun des trois pays.
Il ne semble pas, à la lumière des données économiques et politiques du problème, que l'on puisse envisager la création d'une association économique nord-américaine dans la perspective d'une stratégie de repli. Au contraire, et c'est ce que nous avons voulu aussi montrer, le libre-échange répond à des motivations de relance économique, dans le cas du Canada et du Mexique, et de « repositionnement » dans l'économie mondiale, dans le cas des États-Unis. Par contre, et c'est ce que nous avons démontré dans un deuxième temps, l'objectif des États-Unis de se servir d'un ALENA comme d'une puissante arme de négociation, voire de rétorsion, pour ouvrir les marchés et promouvoir leur vision du monde se heurte à deux types d'obstacle : aux objectifs que se sont eux-mêmes donnés le Canada et le Mexique d'une part, et, d'autre part, sur la scène internationale, aux objectifs que poursuivent les Européens à l'intérieur de leur projet communautaire et à la politique commerciale du Japon et, dans une moindre mesure, à celle des autres pays d'Asie du Sud-Est.
L'importance des liens économiques qui unissent le Canada et le Mexique aux États-Unis et le degré d'engagement politique dans le dossier du libre-échange nous empêchent d'envisager sérieusement un [54] scénario de rupture, sauf peut-être du côté américain en raison des craintes que suscite la menace d’une concurrence « par le bas » de la part du Mexique. C'est plutôt l'autre scénario qui semble dans leur cas le plus probable, soit celui d'une subordination progressive de leur politique économique internationale à celle des États-Unis et d'une régionalisation complète de leur statut international.
Sans aller jusqu'à dire avec Kindleberger (1981) qu'il ne peut y avoir de régime économique international stable sans l'existence d'une puissance hégémonique, force est cependant de constater que la configuration de l'économie mondiale n'est pas à l'heure actuelle très propice à la coopération internationale. Comme le soulignait Cooper (1987), tant et aussi longtemps que les pays ne parviennent pas à s’entendre sur les fins de la coopération internationale, il est bien difficile de s'entendre sur les moyens [32]. En ce sens, le projet d'ALENA ne doit pas faire illusion : une telle initiative n'est pas forcément de nature à favoriser cette entreprise ; ce serait même plutôt tout le contraire. Le régime économique international se trouve à l'heure actuelle sérieusement ébranlé par le déclin de puissance des États-Unis, déclin que ces derniers cherchent à contrer en se servant du libre-échange. Le problème de cette stratégie ce n'est pas qu’elle réussisse mais au contraire qu'elle échoue comme tout semble l'indiquer.
L'incapacité des États-Unis de faire avancer leur vision du monde et d’ouvrir davantage les marchés d'Europe et d'Asie pourrait en effet les amener à durcir leurs positions et les entraîner dans un unilatéralisme qui pourrait conduire l'Europe à se replier davantage sur elle-même et les pays d'Asie à se rapprocher davantage les uns des autres, voire à former aussi une association économique, même si ce n'est pas leur intention pour le moment. Une telle évolution des relations économiques internationales pourrait alors produire l'effet [55] contraire de celui recherché, soit la régionalisation des rapports internationaux et la consolidation des échanges autour de trois pôles, les États-Unis, le Japon et l'Allemagne. En repli sur leur espace, les États-Unis entraîneraient alors dans leur sillage le Canada et le Mexique et feraient de l'accès à leur marché un privilège qui ne serait accordé que sur une base réciproque.
En fait, ce qui ressort de notre analyse, c'est que le projet de libre-échange véhicule sa large part d'illusions. Illusions, dans la mesure où l'on ne peut qu'avoir des doutes sur la marge de manœuvre dont peuvent disposer le Canada et le Mexique sur la scène internationale face à la politique de puissance que poursuit leur puissant voisin. Illusions aussi dans la mesure où le régionalisme est mis au service d'un internationalisme qui relève davantage d'une vision géostratégique des relations internationales que de l'idéal de coopération. Et, si nous avons pu parler du libre-échange nord-américain comme du joker des États-Unis, reste à savoir si la carte peut vraiment être utilisée sans risque...
[56]
Références bibliographiques
ALLAIS, M. (1972), La libéralisation des relations économiques internationales, Paris, Gauthier-Villars.
BALASSA, B. (1961a), The Theory of Economix Integration, Homewood, Richard D. Irwin.
BALASSA, B. (1961b), « Towards a Theory of Economie Intégration », Kyklos, vol. 14, n° 1, 1-17.
BERGSTEN, F. C. (1990), « The World Economy after the Cold War », Foreign Affairs, été, vol. 69, n° 3, 95-112.
BHAGWATI, J. (1988a), « The United States and Trade Policy : Reversing Gears », Journal of International Affairs, vol. 42, n° 1, automne, 93-108.
BHAGWATI, J. N. (1988b), Protectionism, Cambridge Mass., MIT Press.
BOURINET, J. (1987) (dir.), Les relations Communauté européenne-États-Unis, Paris, Économica.
BRESSAND, A. (1987), « Prospective des relations économiques euro-américaines », dans : J. BOURRINET, (1987), 53-62.
BRUNELLE, D. et DEBLOCK, C. (1991), « Canada and Continentalism : an Analysis of the New Parameters of Integration », Montréal, Groupe de recherche sur la continentalisation des économies canadienne et mexicaine, Cahier de recherche, 91-2.
CANADA, Commission royale d'enquête sur l'union économique et les perspectives de développement du Canada (1985), Rapport, vol. 2, Ottawa, ministre des Approvisionnements et Services Canada.
CANADA, Affaires extérieures et Commerce extérieur Canada (1991a), « Déclaration du ministre du Commerce extérieur, M. John Crosbie, concernant les négociations sur le libre-échange entre le Canada, les États-Unis et le Mexique », Ottawa, 5 février.
CANADA, Affaires extérieures et Commerce extérieur Canada (1991b), « Le Canada et le libre-échange en Amérique du Nord. Notes pour une allocution du ministre du Commerce extérieur, M. John Crosbie, à Mexico », Mexico, 18 février.
COOPER RICHARD, N. (1987), « Coopération économique internationale : panorama d'ensemble et coup d'œil sur l'avenir », dans OCDE, Interdépendance coopération dans le monde de demain, Paris, 202-221.
DE CLERQ, W. (1987), « The US and EC : Brothers yet Foes ? », European Affairs, n° 3, juillet-août, 12-13.
DEBLOCK, C. (1990), « Les paramètres de la politique économique internationale canadienne », Mexico/Montréal, Groupe de recherche sur la continentalisation des économies canadienne et mexicaine, Cahier de recherche, 90-1.
DESTLER, I. M. (1986), American Trade Politics : Under Stress, Washington, Institute for International Economies.
EMMERIJ, L. (1989), « Quelques conclusions de principe », dans : OCDE (1989), 19.
[57]
GARTEN, J. E. (1985), « Gunboat Economics », Foreign Affairs, vol. 63, n° 3, 538-559.
GILL, S. (1990), American Hegemony and the Trilateral Commission, Cambridge, Cambridge University Press.
GILPIN, R. (1987), The Political Economy of International Relations, Princeton, Princeton University Press.
GOLDSTEIN, J. (1988), « Ideas, Institutions and American Trade Policy », International Organisation, vol. 42, n° 1, hiver, 179-218.
GOVERNMENT OF THE UNITED STATES (1990), « Remarks Announcing the Enterprise for the Americas Initiative, 2 july », Presidential Documents, vol. 26, n° 26, 1002-1003.
GOVERNMENT OF THE UNITED STATES (1991), Hearings of the Senate Finance Committee on US.-Mexico Free Trade, Washington, D.C., janvier.
HABERLER, G. (1943), « The Political Economy of Regional or Continental Blocs », dans : Seymour Harris (1943), 344.
HAMEL, B. (1991), « Le nouvel ordre international et la politique commerciale des États-Unis : quelques développements récents », Montréal, Groupe de recherche sur la continentalisation des économies canadienne et mexicaine, Cahier de recherche, 91-3, mars.
HARRIS, S. (1943) (dir.), Postwar Economie Problems, New York, Mc Graw Hill, 325-344.
HART, M. (1990), A North American Free Trade Agreement, Ottawa, Institute for Research on Public Policy, juillet.
HUBER, J. (1989), « The Practice of GATT in Examining Regional Arrangements under Article XXIV », Journal of Common Market Studies, vol. XIX, n° 3, 281-298.
HUFBAUER, G. C. (1989a), « Beyond GATT », Foreign Policy, vol. 77, hiver, 64-76.
HUFBAUER, G. C. (1989b), « Europe 1992 : An American Perspective », Washington, Brookings Institute.
IKL, F. C. et NAKANISHI, T. (1990), « Japan's Grand Strategy », Foreign Affairs, vol. 69, n° 3, été.
IMF (1991), « The Corning Emergence of Three Giant Economic Blocs », IMF Survey, premier avril, 89 et suiv.
KALDER, K. E. (1988), « Japanese Foreign Economic Policy Formation : Explaining the Reactive State », World Politics, vol. XL, n° 4, juillet.
KINDLEBERGER, C. (1981), « Dominance and Leadership in the International Economy », International Studies Quarterly, vol. 25, n° 2, 242-254.
LE LIÈVRE, L. R. et HOUBEN, L .G. (1987), « EC versus Japan : The Community's Legal Weapons », Common Market Law Review, vol. 24, n° 3, automne, 427-455.
LE PRESTRE, P. (1989), « Les États-Unis : vers un nouvel isolationnisme ? », Politique, automne, n° 16, 5-34.
[58]
LEYTON-BROWN, D. et RUGGIE, J. G. (1987), « The North American Political Economy in the Global Context : An Analytical Framework », International Journal, vol. 42, n° 1, 3-24.
LIPSEY, R. G. (1957), « The Theory of Customs Unions », Economica, février,
LIPSEY, R. G. (1960), « The Theory of Customs Unions : A general Survey », Economic Journal, vol. 60, 496-513.
LIPSEY, R. G. (1968), « Economic Unions », dans : D.L. Sills (1968), 540-547.
LIPSEY, R. G. et LANCASTER, K. (1957), « The General Theory of Second Best », Review of Economic Studies, vol. XXIV, 11-32.
LIPSEY, R. G. et SMITH, M G. (1985), Taking the Initiative : Canada's Trade Options in a Turbulent World, Montréal, C.D. Howe Institute.
LOWENTHAL, A. F. (1990), « Rediscovering Latin America », Foreign Affaire, vol. 69, n° 4, automne, 27-41.
MAILLET, P. et ROLLET, P. (1986), « L'insertion de l'Europe dans la division internationale du travail : appréciations et suggestions », Revue du marché commun, n° 299, juillet-août, 371-386.
MARTIN, P. (1990), « L'après-Tokyo round : la réciprocité spécifique dans la politique commerciale américaine récente », Études internationales, vol. XXI, n° 1, mars, 5-38.
NOLLING, W. (1988), « Single European Market », Intereconomics Review of International Trade and Development, vol. 23, novembre-décembre, 255-260.
OCDE (1989), Un monde ou plusieurs ?, Paris, OCDE.
OLEA SISNIEGA, M. A. (1990), « Las Negociaciones de Adhesion de Mexico al GATT », Foro Internacional, vol. 30, n° 3, février-mars, 497-535.
PASTOR, R. (1989), Limits to Friendship : The United States and Mexico, Vintage Press.
PREEG, E. H. (1974), Economic Blocs and U.S. Foreign Policy, Washington, National Planning Association.
ROBSON, P. (1980), The Economics of International Integration, Londres, Georg Allen & Unwin.
SILLS, D. L. (1968) (dir.), International Encyclopedia of the Social Sciences, Londres, MacMillan.
TINBERGEN, J. (1965), International Economy Integration, Amsterdam, Elsevier Publishers.
TOVIS, A. (1988), « Trade Discrimination in the Thirties and Eighties », World Economy, vol. 11, n° 4, décembre, 501-513.
VINER, J. (1950), The Customs Unions Issue, New York, Carnegie Endowment for International Peace.
WEIDEMANN, R. (1990), « The Anti-dumping Policy of the European Communities », Intereconomics Review of International Trade and Development, janvier-février, 28-35.
WEINTRAUB, S. (1990a), A Marriage of Convenience. Relations between Mexico and the United States, New York, Oxford University Press.
[59]
WEINTRAUB, S. (1990b), Transforming the Mexican Economy : The Satinas Sexenio, Washington, D.C., National Planning Association.
WELLENSTEIN, E. (1986), « Political Implications of US-EC Economic Conflicts », Government and Opposition, vol. 21, automne, 387-395.
YANNOPOULOS, G. (1985), « The Europe an Community's Common External Commercial Policy », Journal of World Trade, n° 19, septembre-octobre, 451-465.
[60]
Tableau 1
Commerce mondial :
Part de l'Amérique du Nord, de la CEE et de l'Asie
dans les exportations et importations mondiales
(années sélectionnées, en pourcentage du commerce total)
[61]
Tableau 2
Orientation du commerce :
Commerce régional et extra-régional, 1970-1987
(en pourcentage du commerce total de chaque région)
|
CEE
|
Amérique du Nord
|
Asie : Japon et NPI
|
Exportations vers :
|
|
Asie
|
CEE
|
A.N.
|
Autres
|
Asie
|
CEE
|
A.N.
|
Autres
|
Asie
|
CEE
|
A.N.
|
Autres
|
1970
|
3,1
|
63,6
|
10,1
|
33,3
|
13,5
|
25,3
|
37,2
|
23,9
|
26,7
|
11,5
|
32,9
|
28,8
|
1975
|
2,7
|
62,7
|
7,1
|
37,5
|
13,2
|
20,7
|
36,0
|
31,0
|
28,3
|
11,6
|
24,2
|
35,9
|
1980
|
2,8
|
66,7
|
6,9
|
33,7
|
15,8
|
22,9
|
33,1
|
28,2
|
30,4
|
13,3
|
25,6
|
30,7
|
1985
|
4,8
|
66,2
|
11,7
|
28,3
|
15,7
|
17,6
|
44,6
|
22,0
|
26,3
|
10,6
|
36,9
|
27,2
|
1987
|
3,8
|
68,6
|
9,2
|
28,4
|
17,8
|
18,8
|
43,2
|
20,1
|
26,6
|
13,1
|
35,6
|
25,9
|
|
CEE
|
Amérique du Nord
|
Asie : Japon et NPI
|
Importations en provenance de :
|
|
Asie
|
CEE
|
A.N.
|
Autres
|
Asie
|
CEE
|
A.N.
|
Autres
|
Asie
|
CEE
|
A.N.
|
Autres
|
1970
|
3,1
|
49,8
|
13,0
|
34,0
|
17,5
|
22,1
|
42,2
|
18,2
|
26,3
|
11,2
|
27,4
|
36,1
|
1975
|
3,6
|
60,3
|
10,2
|
35,9
|
15,1
|
16,1
|
36,0
|
32,7
|
26,7
|
8,6
|
22,5
|
43,2
|
1980
|
4,7
|
49,8
|
10,0
|
35,5
|
20,1
|
14,6
|
28,6
|
36,9
|
29,6
|
7,9
|
20,1
|
42,5
|
1986
|
5,8
|
63,1
|
9,5
|
31,5
|
28,9
|
18,1
|
34,0
|
19,1
|
34,3
|
9,0
|
21,5
|
35,3
|
1987
|
6,8
|
68,1
|
7,0
|
28,1
|
32,3
|
18,5
|
30,6
|
18,7
|
32,7
|
10,2
|
20,3
|
36,7
|
Source : ONU, International Trade Statistics Yearbooks, années choisies.
|
[62]
Tableau 3
États-Unis, Allemagne et Japon :
Commerce international et trilatéral
(En % du commerce total)
|
Exportations
|
Importations
|
1970
|
1975
|
1980
|
1985
|
1987
|
1970
|
1975
|
1980
|
1985
|
1987
|
|
(X / PIB)
|
(M / PIB)
|
Degré d’ouverture
|
États-Unis
|
4,3
|
7,1
|
8,2
|
5,4
|
7,0
|
4,0
|
6,9
|
9,6
|
9,1
|
9,4
|
Allemagne
|
18,3
|
21,6
|
23,6
|
29,6
|
28,7
|
16,0
|
17,7
|
22,9
|
25,3
|
22,7
|
Japon
|
9,4
|
11,6
|
11,0
|
11,1
|
9,8
|
9,2
|
11,9
|
11,9
|
8,2
|
7,6
|
Part dans le commerce mondial
|
États-Unis
|
13,6
|
12,1
|
11,1
|
11,1
|
12,1
|
12,1
|
11,7
|
12,6
|
17,9
|
15,6
|
Allemagne
|
10,9
|
10,1
|
9,6
|
9,5
|
11,4
|
9,1
|
8,2
|
9,1
|
7JS
|
8,6
|
Japon
|
6,2
|
6,2
|
6,6
|
9,1
|
9,2
|
6,7
|
6,4
|
6,8
|
6,3
|
5,7
|
Commerce trilatéral
|
Part des États-Unis dans le commerce de :
|
Allemagne
|
9,1
|
5,9
|
6,1
|
10,4
|
12,4*
|
11,0
|
7,7
|
7,6
|
7,0
|
6,3*
|
Japon
|
31,1
|
20,2
|
24,4
|
37,6
|
36,8*
|
29,5
|
20,1
|
17,6
|
20,3
|
21,7*
|
Part de l'Allemagne dans le commerce de :
|
États-Unis
|
7,9
|
6,0
|
4,6
|
6,3
|
6,6*
|
7,8
|
5,2
|
6,4
|
6,2
|
6,2*
|
Japon
|
2,8
|
3,0
|
4,4
|
4,0
|
6,6*
|
3,3
|
2,0
|
1,8
|
2,3
|
4,2*
|
Part du Japon dans le commerce de :
|
États-Unis
|
10,9
|
8,9
|
9,4
|
10,4
|
11,0
|
14,8
|
10,8
|
12,8
|
19,9
|
20,8
|
Allemagne
|
1,8
|
1,3
|
1,3
|
1,6
|
2,7*
|
13
|
2,2
|
3,1
|
4,4
|
6,6*
|
X : exportations ; M : importations
Sources : ONU. International Trade Statistics Yearbooks; OCDE : années choisies.
[63]
Tableau 4
Investissements directs internationaux :
Total et répartition par grandes régions, années choisies, 1967-1989
(Milliards $ US et en pourcentage du total des stocks des IDI)
|
Selon l’origine
|
Valeur des stocks
|
Distribution ( %)
|
1967
|
1973
|
1978
|
1983
|
1988
|
1989
|
1967
|
1973
|
1978
|
1983
|
1986
|
1989
|
Monde
|
115,1
|
213,1
|
378,9
|
572,8
|
803,4
|
1289,1
|
100
|
100
|
100
|
100
|
100
|
100
|
Pays industrialisés
|
112,1
|
207,0
|
366,4
|
555,2
|
781,3
|
1260,5
|
97,4
|
97,1
|
96,7
|
96,9
|
97,2
|
97,8
|
Amérique du Nord
|
60,3
|
109,1
|
176,3
|
256,1
|
299,4
|
419,5
|
52,4
|
51,2
|
46,5
|
44,7
|
37,3
|
32,5
|
Japon
|
1,5
|
10,3
|
26,8
|
32,2
|
58,1
|
154,4
|
1,3
|
4,8
|
7,1
|
5,6
|
7,2
|
12,0
|
C.É.E.
|
40,9
|
68,4
|
119,5
|
218,6
|
319,3
|
540,5
|
35,5
|
32,1
|
31,5
|
38,2
|
39,7
|
41,9
|
Autres
|
9,4
|
19,2
|
43,8
|
48,3
|
104,5
|
146,1
|
8,2
|
9,0
|
11,6
|
8,4
|
13,0
|
11,3
|
Pays en développement
|
3,0
|
6,1
|
12,5
|
17,6
|
21,1
|
27,7
|
2,6
|
2,9
|
3,3
|
3,1
|
2,6
|
2,1
|
|
Par destination
|
|
Valeur des stocks
|
Distribution ( %)
|
|
1967
|
1973
|
1978
|
1983
|
1986
|
1989
|
1967
|
1973
|
1978
|
1983
|
1986
|
1989
|
Monde
|
105,5
|
166,7
|
361,7
|
552,6
|
713,2
|
1142,6
|
100
|
100
|
100
|
100
|
100
|
100
|
Pays industrialisés
|
73,2
|
121,3
|
251,8
|
416,9
|
542,1
|
923,7
|
69,38
|
72,77
|
69,62
|
75,44
|
76,01
|
80.84
|
Amérique du Nord
|
29,1
|
49,3
|
91,7
|
196,6
|
315,6
|
519,0
|
27,58
|
29,57
|
25,35
|
35,58
|
44,25
|
45,42
|
Japon
|
2,5
|
1,3
|
6,0
|
4,1
|
6,5
|
9,2
|
2,37
|
0,78
|
1,66
|
0,74
|
0,91
|
0,81
|
Europe occidentale
|
31,4
|
60,8
|
136,2
|
197,8
|
193,9
|
360,3
|
29,76
|
36,47
|
37,66
|
35,79
|
27,19
|
31,53
|
Autres
|
10,2
|
14,3
|
23,9
|
30,1
|
43,2
|
61,8
|
9,67
|
8,58
|
6,61
|
5,45
|
6,06
|
5,41
|
Pays en développement
|
32,3
|
45,2
|
100,4
|
135,6
|
166,1
|
228,9
|
30,62
|
27,11
|
27,76
|
24,54
|
23,29
|
20,03
|
Note : pour le Japon, les données de 1967 sont celles de 1971.
Sources : FMI et UNCTC (Mexique : Banamex).
[64]
Tableau 5
Commerce régional en Amérique du Nord
Années choisies, en pourcentage du commerce total
|
États-Unis
|
|
Exportations
|
Importations
|
|
Can.
|
Mex.
|
total
|
Can.
|
Mex.
|
total
|
|
[1]
|
[2]
|
[l]+[2]
|
[3]
|
[4]
|
[3]+[4]
|
1970
|
21,02
|
3,94
|
24,96
|
27,76
|
3,06
|
30,82
|
1975
|
20,21
|
4,78
|
24,99
|
22,01
|
3,01
|
25,02
|
1980
|
16,03
|
6,86
|
22,89
|
16,34
|
4,99
|
21,34
|
198S
|
22,17
|
6,40
|
28,67
|
19,20
|
6,36
|
24,66
|
1990
|
21,10
|
7,22
|
28,32
|
18,14
|
5,96
|
24,10
|
|
Mexique
|
|
Exportations
|
Importations
|
|
E.U.
|
Can.
|
total
|
E.U.
|
Can.
|
total
|
|
[9]
|
[10]
|
[9]+[10]
|
[11]
|
[12]
|
[11]+[12]
|
1970
|
69,84
|
0,86
|
60,70
|
63,71
|
1,99
|
66,70
|
197S
|
67,44
|
1,48
|
58,92
|
62,60
|
2,22
|
64,82
|
1980
|
64,69
|
0,75
|
65,44
|
58,76
|
1,73
|
60,49
|
1986
|
60,35
|
1,78
|
62,13
|
66,62
|
1,75
|
68,37
|
1990
|
73,12
|
2,42
|
75,54
|
70,80
|
1,27
|
72,07
|
|
Canada
|
|
Exportations
|
Importations
|
|
E.U.
|
Can.
|
total
|
E.U.
|
Can.
|
total
|
|
[5]
|
[6]
|
[5]+[6]
|
[7]
|
[8]
|
[7]+[8]
|
1970
|
62,32
|
0,54
|
62,86
|
68,57
|
0,33
|
68,90
|
1975
|
62,41
|
0,64
|
63,06
|
65,62
|
0,26
|
65,88
|
1980
|
60,63
|
0,62
|
61,25
|
67,53
|
0,48
|
68,02
|
1985
|
75,22
|
0,32
|
76,53
|
68,71
|
1,24
|
69,95
|
1990
|
72,66
|
0,37
|
73,03
|
62,88
|
1,24
|
64,12
|
Amérique du Nord
Commerce régional (en % du commerce total)
|
|
Exportations
|
Importations
|
1970
|
36
|
41
|
1975
|
35
|
37
|
1980
|
34
|
32
|
1985
|
44
|
34
|
1990
|
41
|
34
|
Source : FMI (DOTS)
[65]
Graphique 1
[66]
Graphique 2
[67]
Graphique 3
Balance commerciale des trois grandes régions,
1979-1890, millions de $ US
[68]
Graphique 4
[69]
Graphique 5
Flux d’investissements directs régionaux et extra-régionaux
de l’Amérique du Nord et de la CEE, 1980-1989
[70]
Graphique 6
[71]
Graphique 7
Vocation exportatrice et pénétration des importations, Amérique du Nord
en % du PIB et du marché domestique apparent,
moyenne mobile de cinq ana, 1946-1967
[72]
Graphique 8
Amérique du Nord : commerce régional
1962-1968, en pourcentage du commerce total
[73]
Graphique 9
Commerce international et investissements directs internationaux croisés,
États-Unis et Canada, 1975-1989
[74]
Graphique 10
Commerce international et investissements directs internationaux croisés,
États-Unis, Canada et Mexique, 1975-1089
[385]
NOTES SUR LES AUTEURS
Christian DEBLOCK est professeur d’économie internationale au département de science politique de l’UQAM. Ses recherches portent actuellement sur le libre-échange et l'intégration nord-américaine. Président de l’Association d'économie politique de 1989 à 1992 il assure actuellement, avec Dorval Brunelle, la codirection du Groupe de recherche sur la continentalisation des économies canadienne et mexicaine. Il a, entre autres, publié, avec D. Brunelle, le libre-échange par défaut (Montréal, VLB éd. 1989). Il est membre du Groupe de recherche sur les transformations économiques et sociales (GRETSE).
[386]
Michèle RIOUX rédige actuellement une thèse de doctorat au département de science politique de l'UQAM. Ses recherches portent sur les investissements internationaux et les tendances du commerce international. Elle est l'auteure de plusieurs articles sur l’intégration nord-américaine.
[1] Les ententes économiques sont explicitement autorisées, du moins sous certaines conditions, par l’article XXIV de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT). L'article autorise les « zones de libre-échange » et les « unions douanières ». Les « unions douanières sont ainsi définies » comme « la substitution d'un seul territoire douanier à deux ou plusieurs territoires douaniers, lorsque cette substitution a pour conséquence i) que les droits de douane et autres réglementations commerciales restrictives [...] sont éliminées pour l'essentiel des échanges commerciaux entre les territoires constitutifs de l'union, ou tout au moins pour l'essentiel des échanges commerciaux portant sur les produits originaires de ces territoires ; ii) et que [...] leurs droits de douane et les autres réglementations appliquées pour chacun des membres de l'union au commerce avec les territoires qui ne sont pas compris dans celle-ci sont identiques en substance ». Quant aux « zones de libre-échange », elles sont définies de la façon suivante : « un groupe de deux ou plusieurs territoires douaniers entre lesquels les droits de douane et les autres réglementations commerciales restrictives [...] sont éliminées pour l'essentiel des échanges commerciaux portant sur les produits originaires des territoires constitutifs de la zone de libre-échange ». Avec la reconnaissance d'un statut particulier pour les pays du tiers-monde, c'est la seule exception autorisée au principe de non-discrimination contenu dans la clause de la nation la plus favorisée.
[2] Nous prendrons le terme d'entente ou d’accord économique régional dans le sens général que lui donne Maurice Allais pour désigner « toutes les conventions contractuelles entre États relatives au commerce, qu’il s'agisse de traités conclus pour une durée spécifiée relativement longue ou de conventions commerciales résiliables sur simple préavis ou qu'il s’agisse d'accords bilatéraux ou multilatéraux » (Allais, 1972, 21). Il peut s'agir d'accords tarifaires limités, d'accords de libre-échange sectoriels ou globaux, d'union douanière, de marché commun ou encore d'union économique (Lipsey, 1968, 540-547) Les termes de région, d’espace économique régional et de zone seront aussi pris dans le même sens.
[3] On parlera de détournement de commerce s’il y a diminution du commerce avec le « reste du monde » et remplacement d’une source d'importations avantageuse par une source qui l’est moins à l'intérieur de la zone. Le détournement de commerce sera d'autant plus important que le tarif avec le « reste du monde » sera élevé et que les échanges avec la zone commerciale étaient importants. Il y a dans ce cas risque de renforcement du protectionnisme.
[4] La théorie de l'intégration se développera autour de la notion de second best (Lipsey, 1957 ; Lipsey, 1960, 496-513 ; Lipsey et Lancaster, 1957, 11-32 ; Tinbergen, 1965).
[5] Selon un schéma classique, l'intégration passerait par les étapes successives suivantes : (1) l'adoption d'un système de tarifs préférentiel ; (2) la libéralisation progressivement complète des échanges qui conduit à la création d'une zone de libre-échange ; (3) l'union douanière, c'est-à-dire le libre-échange avec l'adoption d'un tarif extérieur commun ; (4) le marché commun, c'est-à-dire l'union douanière avec en plus la libre circulation des facteurs à l'intérieur de la zone et l'adoption de politiques subséquentes communes ; (5) l’union économique, lorsque toutes les politiques économiques seront communes ; et finalement, (6) l'intégration économique complète de tous les pays participants (Balassa, 1961a, 1 ; B. Balassa, 1961b, 1-17 ; Lipsey, 1968, 541-547).
[6] L'attitude à leur endroit sera d'autant plus souple que les parties contractantes seront toujours confrontées à un état de fait. De toute façon, dans la mesure où celles-ci pouvaient être considérés comme « un pas dans la bonne direction », c’est-à-dire comme un pas vers une plus grande libéralisation des échanges, il était somme toute préférable de les accepter tout en s'assurant que les conditions d'application prévues par l'article XXIV étaient remplies (Huber, 1989).
[7] On range généralement les arrangements commerciaux à caractère discriminatoire en quatre catégories : les ententes économiques régionales, le système généralisé des préférences, les programmes de restriction volontaire des exportations (Volontary Export Restraints : VER's) et les programmes de régulation des marchés (Orderly Marketing Arrangements : OMA's).
[8] II est un peu paradoxal de constater que ce sont moins les pays du tiers-monde que les États-Unis qui parlent aujourd’hui de nouvel ordre international. Les efforts déployés pour renouveler les institutions internationales ou les propositions récentes de remplacer le G-7 par un G-3 constitué du Japon, de l'Europe et d'eux-mêmes vont dans cette direction.
[9] Au sens économique du terme, nous pouvons définir un bloc économique comme « tout arrangement exclusif entre certaines nations qui tend à affecter les quantités ou les prix des marchandises et des facteurs de production sur les marchés internationaux ». Au sens politique du terme, nous pouvons définir un bloc économique, comme tout arrangement qui vise, premièrement, la recherche d'une plus grande interdépendance économique entre les pays concernés ; deuxièmement, un ajustement plus satisfaisant de la balance des paiements ; et troisièmement, la recherche d'une position favorable dans la poursuite d'objectifs économiques communs (Reg, 1974). C'est dans ces deux sens que nous prendrons le terme dans le texte. Tout processus institutionnalisé d'intégration économique qui conduit à la création d'une communauté régionale d'intérêts susceptible de perturber les courants économiques internationaux et de modifier à son avantage l'équilibre de relations internationales.
[10] Il faut traiter les données avec une certaine prudence ; la zone Asie ne constitue pas à proprement parler une véritable zone économique régionale et la politique économique internationale du Japon reste résolument tournée vers les grands marchés internationaux. En outre, nous avons volontairement exclu les échanges avec la Chine et l'Inde. Cependant, trois ordres de faits nous inclinent à définir une zone témoin : premièrement, ces dernières années, les échanges intrarégionaux se sont considérablement intensifiés en Asie du Sud-Est ; deuxièmement, le Japon constitue le pôle économique d'une région qui a connu un essor économique remarquable depuis 20 ans ; troisièmement, l'idée de regrouper les pays de l’Asie du Sud-Est au sein d'une association économique régionale fait son chemin rapidement comme le montre le projet récent de la Malaisie de créer un Groupe économique de l'Asie de l'Est. Dans le cas de la CEE, nous avons pris la définition actuelle de l'Europe des douze et les données pour l'Allemagne sont celles de la République fédérale d'Allemagne (RFA).
[11] Nous ne porterons notre attention dans le texte que sur les échanges commerciaux. Il convient de souligner qu'il ne s’agit là que d'une des dimensions que prend l'intégration économique. Néanmoins, aux fins de l'analyse, et dans la mesure où nous acceptons l'hypothèse selon laquelle ouverture, interdépendance et intégration économique vont de pair, nous pouvons retenir comme indicateur d'intégration la part que représente un pays donné ou un ensemble de pays dans le marché intérieur et le marché d'exportation d'un autre pays ou d’une région donnée (Robson, 1980).
[12] On peut compléter le tableau que nous venons de brosser en considérant les échanges triangulaires entre le Japon, les États-Unis et l’Allemagne. Comme le montre le tableau 7, tant en Allemagne qu'au Japon, la part des importations en provenance des États-Unis a tendance à décroître. Par contre, la part des exportations qui sont destinées aux États-Unis a tendance à s'accroître. On remarquera cependant que le Japon se trouve à j'égard des États-Unis dans une situation fort différente de celle de l'Allemagne ; à tout le moins le Japon est beaucoup plus lié aux États-Unis que ne l’est cette dernière. Enfin, on constatera que malgré une certaine progression ces dernières années, les liens commerciaux entre l'Allemagne et le Japon restent encore limités.
[13] Pour une présentation du projet, voir notamment Hart (1990) et Weintraub (1990a). Pour une présentation sommaire des différentes options applicables au cas canadien, voir notamment Lipsey et Smith (1985).
[14] Sur ces changements d'orientation, voir notamment Brunelle et Deblock (1991).
[15] Voir aussi Weintraub (1990b).
[16] Le débat se présente de manière différente au Canada et au Mexique. Notre constat appelle à n'en pas douter des nuances pour tenir compte des réalités des deux pays, et en particulier du côté mexicain de la question démographique.
[17] Nous prendrons ce terme dans le sens où on l'entend dans la théorie des relations internationales, soit par opposition à l'idéalisme. Voir, à ce sujet, Goldstein (1988).
[18] Comme le rappelait d’ailleurs récemment à ce propos l'ex-ministre du Commerce extérieur du Canada, John Crosbie : "Le but du Canada n'est pas d'en venir à un bloc commercial exclusif, mais plutôt à une base propice à une plus grande coopération internationale". C'est l'idée de communauté d'intérêt que défend ici le ministre canadien du Commerce mais ce qui est important, c'est peut-être moins le fait que le ministre défende une telle idée que le fait qu'il soit obligé aujourd'hui de se défendre de vouloir contribuer à créer un bloc économique nord-américain. Une telle défense est d'autant plus étonnante qu'il y a peu de temps encore, soit peu de temps avant que ne débutent les négociations commerciales bilatérales avec les États-Unis, le gouvernement canadien évoquait précisément, à la défense du libre-échange, le fait que le Canada n'avait pas accès à un bloc économique. C'était justement ce que devait assurer la signature d’un accord, soit l'accès sécuritaire des produits canadiens à leur principal marché (Canada, 1991b).
[19] Nous nous limiterons essentiellement dans cette section à présenter le débat d’un point de vue canadien.
[20] II faudrait bien sûr aussi évoquer les facteurs politiques internes dans les raisons qui motivent un tel choix, et en particulier le fait que, tant du côté canadien que mexicain, la crainte des États-Unis n'est pas étrangère à la décision de ne pas s'engager sur des voies qui risqueraient d'hypothéquer la souveraineté et la marge de manœuvre politique dont souhaitent pouvoir disposer les deux pays. Le renouvellement du personnel politique et le changement radical d'orientation des trois partis actuellement au pouvoir en matière de politique économique internationale est un autre facteur qui mériterait une attention particulière.
[21] II faut noter à cet égard que les données relatives au commerce extérieur sont un peu trompeuses. L'excédent commercial réalisé par le Canada et le Mexique est surtout attribuable à la dévaluation du dollar canadien et du peso par rapport au dollar des États-Unis. Dans les deux pays, la sensibilité du solde commercial par rapport au cours du change est très forte.
[22] Il n'en demeure pas moins que le projet d'intégration continentale sous sa forme actuelle ne peut être mené à terme sans qu'il n'y ait de concessions majeures de la part du Mexique et du Canada comme on a pu le constater lors des négociations bilatérales entre le Canada et les États-Unis. La garantie d'accès au marché américain ne fut alors obtenue qu'en contrepartie de reculs importants, que ce soit en matière de contrôle des investissements, de politiques agricoles, d'aide à l'industrie, de contenu national ou encore d'accès aux marchés publics. Il semble bien qu'il en a été de même lors des négociations trilatérales.
[23] Le recours à l'article XXII de l'Accord général sert notamment d'instrument de négociation avec le Japon.
[24] Rappelons encore une fois que tel n'est pas le cas dans le projet de libre-échange nord-américain. En théorie, chaque pays reste souverain en matière de politique économique internationale.
[25] Sans doute y a-t-il lieu d'être plus nuancé aujourd'hui. Dans une large mesure, l'adoption du Livre blanc sur l'achèvement du marché intérieur, puis la signature de l'Acte unique en février 1986, sont apparus comme des solutions un peu magiques pour surmonter les blocages auxquels faisait alors face la construction communautaire. Ce faisant, on a sans aucun doute ouvert de nouvelles perspectives à l'Europe en libérant les marchés des contraintes de plus en plus lourdes d'une Europe communautaire et en imposant aux États des contraintes d'ajustement dictées par les nécessités du marché. Mais ainsi, on peut se demander si l’Europe n'est pas du même coup en train de perdre la perspective politique au profit d'une perspective économique d'efficacité, et de perdre ce qui avait fait son originalité.
[26] Il y a une différence notable entre ce qui sera le projet d’économie mixte que l'on retrouvera à l’intérieur des pays et le projet d’ordre multilatéral que l'on implantera sur la scène internationale. On a trouvé cette formule d'ailleurs : Keynes à l'intérieur, Adam Smith à l'extérieur. La formule est sans doute exagérée. Les deux projets ont été, pour un temps du moins, intimement liés et ont répondu tous deux à une volonté politique nouvelle non seulement d'adapter les institutions aux nouvelles réalités économiques mais aussi, et surtout devrait-on dire, de trouver des formes institutionnelles qui réconcilient sur le plan intérieur l'État et le marché et assurent sur le plan extérieur la sécurité des marchés et des États. Mais alors que sur le plan domestique on est allé relativement loin dans ce processus de réencastrement de l'économique dans le social pour reprendre la formule de Polanyi, sur le plan international le projet d'ordre multilatéral s'est rapidement limité à une formule de compromis ; compromis qui devait permettre aux États de poursuivre les objectifs domestiques et aux marchés de se développer dans la stabilité. Cette formule a très rapidement montré ses limites avec le développement rapide des marchés internationaux que l'on a voulu de plus en plus libre de toute entrave, un développement qui est venu progressivement réduire la marge de manœuvre des États sans que, pour autant, l'on soit parvenu à accroître réellement le pouvoir d'intervention des institutions internationales. On peut sans doute discuter du degré de réalisme du second type de projet dans un monde de plus en plus ouvert mais il n'en demeure pas moins que si nous nous replaçons dans la perspective interventionniste d’après-guerre c’est sans doute celui qui se rapproche le plus tant de l'esprit que de la lettre du grand projet de sécurité économique internationale que l'on tenta d’instaurer.
[27] Il faudrait d'ailleurs noter que le projet d’ALENA laisse entièrement de côté le problème de la circulation des personnes. L'objectif serait même plutôt de parvenir à un meilleur contrôle des flux migratoires.
[28] Le gouvernement conservateur a toujours bien pris soin de souligner qu’il n’était pas question d'engager la souveraineté du Canada au-delà de la libéralisation des échanges et de négocier avec les États-Unis d’autres questions que commerciales. Seront ainsi rejetées d'autres formules possibles comme la constitution d'une union douanière ou la constitution d'un marché commun. De même, le gouvernement refusera-t-il toujours de discuter au moment des négociations bilatérales des questions relevant de la culture, du développement régional ou encore de la sécurité sociale du revenu. Mais dans quelle mesure est-il vraiment possible de tracer une ligne de démarcation bien nette entre ces questions et les questions purement commerciales ? C'est un problème qui est somme toute resté sans réponse. Voir, à ce sujet, Deblock (1990).
[29] L'alignement de la position canadienne sur la position américaine à propos de l'Europe lors des négociations de la Ronde Uruguay ou l'alignement du Mexique avec les Alliés lors de la guerre du Golfe indique à tout le moins un certain glissement de ce côté.
[30] Les faits parlent d'eux-mêmes en la matière : en 1987, le commerce entre l’Amérique du Nord et le reste du monde représentait 56,8 % des exportations totales et 69,3 % des importations totales (tableau 6). À eux seuls, les Etats-Unis étaient responsables de 85,8 % des exportations et de 91,3 % des importations hors-zone ; 71,2 % de leurs exportations et 78,5 % de leurs importations se font aussi avec le « reste du monde », c'est-à-dire avec les pays autres que le Canada et le Mexique. C'est 8,5 % des exportations et 12 % des importations mondiales.
[31] Voir l'article d’Alexander MacLeod dans cet ouvrage.
[32] L'état des discussions commerciales à Genève, la proposition américaine de remplacer le G-7 par un G-3, les efforts pour renouveler le GATT et mieux rapprocher cette institution du Fonds monétaire international, le nouveau rôle joué par l'Organisation de coopération et de développement économique dans la coordination des politiques économiques, voire le fait que ce soient aujourd'hui les États-Unis et non plus comme auparavant les pays du tiers-monde qui parlent de nouvel ordre international témoignent sans aucun doute des efforts qui sont poursuivis en ce moment pour en arriver à un nouveau compromis historique qui, à l'instar de celui qui permit au projet d'ordre multilatéral de voir le jour après la guerre, puisse à la fois répondre aux nouvelles exigences de la sécurité économique internationale et satisfaire les intérêts de puissance que défendent les États. Mais jusqu'où les pays, et en premier lieu les États-Unis, sont-ils prêts à aller dans cette grande entreprise ? L'impression d'urgence est-elle même simplement ressentie ? On peut en douter.
|