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Les Haïtiens au Québec.
Propos liminaire
La présence haïtienne au Québec est un phénomène relativement récent. Vers 1950, on comptait à peine une quarantaine d'Haïtiens au Canada et principalement au Québec. On peut parler aujourd'hui de population haïtienne au Québec et non plus seulement d'immigration haïtienne, au caractère totalement différent de celui des années 1950 et 1960.
Six années de travail constant au sein de la communauté haïtienne de Montréal nous ont permis d'amasser une somme de données et d'informations dont d'autres devraient pouvoir tirer profit et c'est pourquoi nous livrons aujourd'hui, sans prétention et sans arrière-pensées, ces pages de renseignements, d'observations et de réflexions sur les origines et l'évolution de l'immigration haïtienne au Québec ; sur l'apport aussi des Haïtiens comme groupe, à la société québécoise en construction et les problèmes rencontrés dans le pays d'accueil.
Un traitement spécial sera réservé à deux de ces problèmes : la question des jeunes et de leur identité, à cause de son importance évidente pour l'avenir de la communauté haïtienne ici et le drame de la déportation des travailleurs haïtiens, à cause du poids déterminant que peut avoir, sur le futur, un événement passé, s'il est correctement appréhendé dans ses plus profondes significations.
La première partie de l'ouvrage se propose de rendre accessibles des renseignements et des statistiques souvent éparpillées ou par trop approximatifs, sur l'immigration haïtienne au Québec.
Il ne nous a pas semblé indispensable de refaire l'historique du cheminement de toute la population haïtienne ; néanmoins, pour une meilleure intelligence de la situation actuelle du groupe haïtien immigré au Québec, il n'est pas inutile d'évoquer, ne serait-ce que de façon très schématique, les principales étapes de ce cheminement.
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Le génocide des premiers habitants de l'île d'Haïti, colonisée à partir du 6 décembre 1492 par Christophe Colomb, au nom des très catholiques rois d'Espagne, amena les nouveaux occupants à importer, dès 1506, des esclaves noirs, d'abord des îles environnantes où l'odieux trafic avait déjà commencé, puis directement d'Afrique, de nations et d'ethnies fort diversifiées. Le révoltant commerce du bois d'ébène ne fit que s'accentuer lorsqu'à la domination espagnole succéda la domination française, sanctionnée par le traité de Ryswick (1697) qui céda à la France la partie ouest de l'île. Cette partie de l'île, s'étendant sur environ le tiers de la superficie totale, s'appellera dorénavant la colonie de Saint-Domingue, avant de recouvrer son nom d'Haïti, en 1804. La partie est de l'île deviendra, plus tard, la république Dominicaine.
Géographes et historiens sont à peu près d'accord pour affirmer qu'à la fin de l'époque coloniale, la population de la partie française de l'île était d'environ 500 000 habitants se répartissant comme suit : 91 % d'esclaves, 2% d'esclaves devenus libres, 7% de blancs [1]. Après que les esclaves et les libres eurent chassé les blancs, en 1804, l'importation des noirs d'Afrique cessa, mais l'accroissement de la population n'en continua pas moins. De près de 500 000 à l'aube de l'indépendance, la population haïtienne avait doublé en 1860. Elle atteignait 2 millions en 1920, dépassait 3 millions trente ans plus tard, pour être évaluée actuellement à plus de 5 millions, à l'intérieur d'Haïti.
Pour analyser le flux migratoire haïtien au Québec, après avoir passé en revue les principales causes de l'immigration haïtienne vers cette région du nord de l'Amérique, nous utiliserons, en les expliquant au fur et à mesure, les divisions, termes et concepts couramment employés par les services canadiens de l'Immigration. Nous ne garderons, à l'intérieur du texte, que les tableaux et graphiques strictement nécessaires à sa compréhension, les autres étant, dans la mesure du possible, condensés et reportés en annexe. Nous pensons que malgré leur caractère nécessairement aride, des données chiffrées devaient être fournies chaque fois qu'elles permettaient d'étayer des explications ou des analyses afin d'éviter de tomber dans l'arbitraire ou la fantaisie.
Dans la deuxième partie de l'ouvrage, la présence haïtienne au Québec sera évoquée dans son triple apport : économique, social et culturel, avec tous les problèmes inhérents à l'insertion d'une communauté humaine dans un milieu nouveau.
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Nous avons cru normal, avant de tenter une esquisse de la communauté haïtienne au Québec comme telle, de camper cette communauté vis-à-vis des différents groupes de population du pays d'accueil et particulièrement vis-à-vis des autres groupes d'origine africaine.
Nous avons volontairement limité notre champ de réflexions aux réalités touchant de plus près la seule communauté haïtienne, évitant de nous engager dans des chemins peu en rapport avec notre propos. Dans cette perspective, réduite à dessein, nous nous sommes néanmoins assurés que toutes nos observations reposent sur des données scrupuleusement vérifiées.
Sans vouloir privilégier a priori un problème plutôt qu'un autre, la situation et l'avenir des jeunes Haïtiens au Québec nous sont apparus suffisamment prégnants pour que leur soit consacrée la troisième partie du livre. Trop d'éléments nous manquent pour pouvoir traiter de façon exhaustive de nombreux aspects de cette question. Nous pensons néanmoins devoir attirer l'attention de tous ceux qui ont à cœur une évolution positive et enrichissante de la communauté haïtienne au Québec, sur une catégorie qui constitue le noyau même de cette évolution : la jeunesse.
Nous souhaitons vivement que les éléments de solution proposés ici et d'autres encore que l'on ne manquera pas de découvrir, soient explorés à fond et rapidement, dans le dessein de prévenir d'irréversibles dégradations.
Seul le titre de la quatrième partie de cet ouvrage : le drame des 1500 ou la déportation des Haïtiens, sonnera un peu sibyllin. Cette dernière partie consistera en un rappel des principales étapes d'un événement qui s'est étalé sur plus de deux ans, entre 1972 et 1975. Il a été, pour de nombreux Québécois et Canadiens, l'occasion d'une prise de conscience des implications insoupçonnées de la politique d'immigration de leur pays.
À partir du drame d'un millier de travailleurs haïtiens menacés d'être déportés du Canada, des groupes et des individus, en nombre impressionnant, ont été amenés à se poser des questions sur ce que recouvrent, dans la réalité, des décisions gouvernementales ou des législations apparemment ordonnées à la seule sauvegarde des intérêts supérieurs de la collectivité. Nous laisserons ici les faits parler d'eux-mêmes, nous contentant de relever les ferments d'espoir contenus dans le pathétique mouvement d'opinion qui traversa, d'un bout à l'autre, le pays dans son entier.
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