Le présent ouvrage marque une étape importante dans l'évolution de la pensée de Marc-André Delisle. Fort de l'expérience de plusieurs recherches empiriques, effectuées sur des problèmes concrets du vieillissement, l'auteur y élargit sa vision de la gérontologie sociale pour y englober une perspective à la fois historique et téléologique. La refonte de sa thèse de doctorat, qui est à la base de cette étude, reflète l'approche systémique de la recherche universitaire. Quoi qu'il en soit, il faut le féliciter de sa persévérance grâce à laquelle il a réussi à apporter au développement de la gérontologie sociale québécoise une contribution sociologique d'envergure.
L'originalité de La République du silence réside avant tout dans la façon inédite dont a été réuni et réagencé le matériel sociologique disponible sur la marginalisation, si marginalisation il y a, des aînés québécois. Sans que le lecteur y découvre nécessairement des données nouvelles, il y trouvera une bonne définition des concepts de solitude, d'aliénation, de marginalité, d'isolement social et de sentiment de solitude, ce qui lui permettra de suivre en connaissance de cause la présentation de la problématique sous un éclairage nouveau.
Une fois esquissé le débat qui oppose les chercheurs convaincus de la marginalisation des gens âgés à ceux qui les trouvent, au contraire, socialement bien intégrés, l'auteur adopte une position voulant qu'au stade actuel le problème de la solitude des personnes âgées tienne à la fois « du mythe et de la réalité ». C'est dû, selon lui, au fait que la question est difficile à trancher tant et aussi longtemps que l'isolement social est mesuré exclusivement par le volume des contacts de la personne âgée, pour la bonne raison qu'on se trouve devant un indicateur qui ne peut rendre compte ni de la qualité des contacts ni de leur importance pour la vie affective de l'individu vieillissant.
C'est dans cette perspective qu'il propose la théorie des sphères, la seule à pouvoir rendre compte à la fois des dimensions temporelles, spatiales et sociales du vécu des gens âgés et à embrasser ainsi la solitude dans sa totalité.
À ceux qui pourraient lui reprocher de ne pas tenir compte des composantes bio-psychologiques de la solitude, mises en relief par la théorie du désengagement, on peut répondre que l'auteur aborde le phénomène dans une perspective sociale qui est plus limitée que celle de la gérontologie, à cheval sur les sciences sociales et les sciences de l'homme.
Rendu au dernier chapitre, l'auteur se sert de la théorie des sphères pour analyser, à trois époques de son histoire, l'évolution de la situation de la population âgée du Québec. Ces époques ne sont pas délimitées d'une façon précise, pour la bonne raison que les divers modes de vie ont mis du temps à s'imposer. Il s'agit grosso modo des époques pré-industrielle, industrielle et de celle des services dont les débuts se situent aux environs de 1970. Même si l'analyse n'est pas poussée à fond, elle donne une bonne idée de l'évolution du statut et des rôles de la personne âgée au sein de la population au cours de ces trois époques.
Pour terminer, disons que l'étude de Marc-André Delisle est une première au Québec. On y trouve un effort concerté pour asseoir la problématique du vieillissement, envisagée dans une causalité sociale plutôt qu'individuelle, sur des bases plus solides. La recherche, orientée dans ce sens, qu'elle soit empirique ou théorique, pourra s'y alimenter avec profit dans les années à venir.
Nicolas Zay [1]
Directeur
Laboratoire de recherches,
en Service Social, Université Laval.
[1] M. Nicolas Zay est décédé en 1994.