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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Léon Dion, “Le libéralisme du statu quo: le droit protecteur” (1961)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Léon Dion, “Le libéralisme du statu quo: le droit protecteur”. Un article publié dans la revue Recherches sociographiques, vol. 2, no 1, janvier-mars 1961, pp. 69-100. Québec: Les Presses de l'Université Laval. [Autorisation accordée par Mme Denyse Dion, épouse de M. Dion, le 30 mars 2005].
Introduction

Dans le numéro précédent de cette revue, Léon Dion a étudié le libéralisme du statu quo au niveau de l'idéologie : il a montré les conséquences du refus d'ajuster les principes libéraux aux conditions de la civilisation industrielle américaine. Il analyse ici les manifestations de ce refus, sur le plan juridique. Nous avons souligné déjà l'importance de ces travaux dans la perspective des études comparatives sur le Canada français.

Le libéralisme classique ou originel dérivait sa conception de l'État de la sociologie et de la psychologie élémentaires qui lui étaient implicites. Selon la doctrine libérale, les lois du marché constituaient le principe auto-régulateur de l'existence et du développement de la société [1] (*). Et l'individu, par l'effet d'une singulière coïncidence finale de ses motifs personnels et des buts sociaux, était l'agent de l'harmonie générale. La société se chargeait donc elle-même, par l'action libre des individus, de satisfaire de la meilleure façon possible les besoins humains et, par conséquent, de remplir un des buts les plus élevés qui aient traditionnellement été associés à l'idée d'État. L'État, dès lors, ne pouvait guère constituer qu'un produit dérivé de la société et n'exercer qu'une influence secondaire dans le cours de la production et de la distribution des biens économiques et, en général, dans l'établissement des conditions de l'ordre et du progrès sociaux. On considérait que sa fonction était d'assurer les conditions générales permettant de préserver "la chance égale d'individus égaux" ; de mettre en force et de sanctionner les communes mesures des unités de valeur et de poids ; de maintenir à la disposition des citoyens des cours de justice ; d'assurer la protection de chacun par la police ; et, le cas échéant, de défendre la vie et les biens des individus contre les attaques venant de l'extérieur.

Il est clair que cette conception n'était applicable que si la société capitaliste réalisait convenablement son objectif : la prospérité et l'harmonie sociale. Or, elle faillit à la tâche. Cet échec rendit manifeste le paradoxe inhérent à la conception même de l'État libéral. Le libéralisme, dont l'inspiration initiale avait été profondément révolutionnaire, fut transformé en instrument protecteur du statu quo... Le libéralisme du statu quo, au palier idéologique, chercha à se perpétuer, au sein de l'ère nouvelle, par l'intensification de l'orientation individualiste du libéralisme initial [2].

De même, du point de vue politique, il s'efforcera de maintenir l'État dans la position subordonnée qu'il lui a au départ assignée. Néanmoins, face aux pressantes demandes de réformes de la part des masses populaires, que les insuffisances du système capitaliste rendent de plus en plus revendicatrices, les groupes dominants se voient dans l'obligation, pour la sauvegarde même du régime social qu'ils ont établi, de développer au plan étatique un solide réseau de mécanismes protecteurs. Ils attendent de l'État qu'il oppose une barrière infranchissable aux demandes de législations sociales qui surgissent de partout : demandes de reconnaissance syndicale, d'assurances sociales, de salaire minimum, de protection de l'enfance et des malheureux, de réformes des prisons, d'instruction gratuite universelle, de meilleurs services publics, et ainsi de suite. La pression de la part des groupes dominants, grande bourgeoisie en Europe et ploutocratie aux États-Unis, devint si impitoyable que leurs alliés et leur clientèle se détournèrent graduellement deux. On comprend dès lors à quoi tient le désabusement d'un Spencer qui, à la fin du XIXe siècle, ne voyait guère plus que les conservateurs traditionnels pour défendre activement les positions du libéralisme alors que, selon lui, ceux qui s'appelaient "libéraux", trahissant le principe individualiste, étaient en train de devenir des réformistes et des interventionnistes. Plus soucieux d'écarter des débats politiques les conséquences non désirées de l'application des principes libéraux que d'éviter le paradoxe, Spencer se trouva conduit à identifier, en pratique, l'État "libéral" à un protectionnisme de classe des plus rigoureux.

D'après le libéralisme initial,, l'État, par suite du développement de la prospérité et de l'harmonie sociale, devait devenir de moins en moins nécessaire et cela pour l'ensemble de la population. Les conditions prévues ne s'étant pas réalisées, on dut, bon gré mal gré, pour ne pas renoncer aux prémisses libérales, transformer l'État en un instrument de protection des intérêts d'un groupe restreint. Il s'agissait, en définitive, de restreindre l'exercice de la fonction politique à ceux que le statu quo favorisait et, inversement, d'empêcher la reconnaissance politique des revendications populaires. En Europe, ce furent avant tout les parlements qui permirent la réalisation de ce double objectif. Il fallait s'assurer, notamment par de rigides restrictions imposées à la franchise électorale, que les membres des assemblées parlementaires seraient en majorité des représentants de la bourgeoisie capitaliste ou des intérêts de celle-ci [3]. Aux États-Unis, par contre, le contrôle parlementaire s'avéra insuffisant. Le suffrage avait été à peu près généralisé au cours de l'ère jacksonienne et les réformistes de toute nature menacèrent bientôt, surtout au niveau des États, de constituer des minorités parlementaires suffisamment importantes pour imposer, à l'occasion, des législations progressistes [4]. Aussi, les groupes dominante jugèrent-ils à propos de se donner, au plan même des mécanismes du gouvernement, un instrument de plus grande protection. Cet instrument, ils le trouvèrent dans la Cour Suprême.

L'exposé qui va suivre a pour objectif d'établir, à partir de l'exemple américain, comment le libéralisme du statu quo trouva dans le droit l'“effet compensateur” qui lui permit de tenir en échec les efforts de législation sociale des assemblées populaires. Dans une première partie, nous montrerons quelles garantie s'offrait la Cour Suprême à ceux qui étaient anxieux de perpétuer leur domination au sein d'une société démocratique ; dans une seconde partie, nous examinerons les principaux caractères des arguments juridiques en tentant plus particulièrement de découvrir dans quelle mesure ils reproduisaient les maximes de l'Évangile de la richesse.


[1] Sur le marché comme "modèle" social, voir : Karl POLANYI, The Great Transformation : the Political and Economic Origins of Our Time. Boston, Beacon Press, 1957.

* Voir "Références et notes explicatives" à la fin de l'article.

[2] Voir : Léon DION, "Le libéralisme du statu quo : l'idéologie protectrice", Recherches sociographiques, vol. 1, no 4, octobre-décembre 1960, pp. 435-465. Dans l'introduction et la conclusion de cet article, on pourra voir comment se présente, selon nous, le paradoxe de l'État libéral.

[3] Dans son Histoire parlementaire de France (Paris, Michel Lévy, 1863-64, 5 vols, notamment III, 104-105), François GUIZOT s'est expliqué longuement sur les raisons de la restriction du suffrage. À moins de vouloir expressément le bouleversement du régime social, l'extension du suffrage ne peut qu'être proportionnelle à l'accroissement de la richesse parmi les diverses classes sociales. Sur l'ensemble du sujet, voir : Jean LHOMME, La grande bourgeoisie au pouvoir, 1830-1880. Paris, Presses Universitaires de France, 1960.

[4] Il ne faudrait cependant pas exagérer l'ampleur de la menace réformiste au sein des Chambres des Représentants et encore moins des Sénats. Le libéralisme du statu, par l'étendue même de son influence, laissait peu de place à des philosophies sociales et politiques opposées. Démocrates comme Républicains étaient pour la plupart d'ardents fidèles de cette idéologie. Elihu Root, William Howard Taft, Herbert Hoover et plusieurs autres hommes politiques éminents comptaient parmi les principaux protagonistes de l'Évangile de la richesse Par contre, si l'importance des mouvements populiste et progressiste fut à certains moments considérable au niveau régional, leur signification globale demeura relativement minime. Jamais, durant l'"âge doré", ils ne furent une menace sérieuse à la suprématie de l'idéologie dominante. Le "Square Deal" du premier Roosevelt et la "New Freedom" de Wilson, eux-mêmes, ne réussirent pas à abolir les contrôles exercés au nom de la ploutocratie par les cliques partisanes dominantes.


Retour au texte de l'auteur: Léon Dion, politologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le samedi 20 janvier 2007 18:55
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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