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AVANT-PROPOS

Il a semblé utile de rassembler dans un même ouvrage un certain nombre de textes inédits ou parus dans divers journaux et revues. Bien que les sujets abordés traitent virtuellement de tous les aspects de la société – technologie, économie, stratification sociale, politique, culture, visées d'action et finalités – une même unité d'inspiration et de contexte relie l'ensemble de façon organique.

Mes vues personnelles, la tournure de ma pensée ont sans aucun doute évolué au cours des derniers dix ans. Comme tous les contemporains, j'ai subi l'influence des événements et des fluctuations de la conjoncture. Tout en partageant les craintes et les espoirs de la collectivité, tout en ne me dérobant pas aux engagements qui ont sollicité mes prises de position dans les occasions les plus diverses, je me suis cependant toujours efforcé de conserver le sens de la mesure dans l'expression de mes idées. Celui qui use de la parole assume une responsabilité analogue à celui qui manie les armes. Si Valéry avait raison de dire que c'est entre les mains des hommes politiques et non des philosophes qu'est placée la guillotine, il convient également de se souvenir que c'est Saint-Just qui inspirait Robespierre. C'est donc, pour une bonne part, ce souci constant de la mesure qui procure son unité au présent ouvrage.

La cohérence des différents textes résulte également et peut-être plus fondamentalement encore du fait qu'ils portent tous sur une même société – ou tout au moins ont été écrits par référence à une même société – la société québécoise. Tous ensemble, ces textes décrivent et fixent un moment critique de l'évolution de cette société. Ils la montrent obligatoirement solidaire du destin de l'Occident mais en même temps engagée dans l'approfondissement de ses propres particularismes.

De graves crises ont assailli le Québec ces dernières années. On en retrouvera ici abondamment l'écho. Loin d'être une cause de distorsion, les efforts d'analyse de soubresauts de toute nature – linguistiques, sociaux, politiques – que constituent [10] ces textes montrent en gros plan des facettes signifiantes de la société québécoise. Si des crises mal surmontées provoquent des brisures parfois irréparables dans le devenir des sociétés, il n'en est pas de même de ces crises dont on saisit à temps comment les composantes dialectiques sont susceptibles de déboucher sur de nouvelles synthèses des structures et des idées.

Un lien rattache cependant la « prochaine révolution » au présent et au passé. Les soubresauts qui se produisent à un rythme croissant depuis quelque temps dans le tissu de la société constituent comme autant de secousses sur le fil de la continuité historique. Ce qui, plus que tout, fait l'unité de ce livre, c'est précisément le souci constant de tenir ce fil et de montrer comment il peut être possible, par-delà les nécessaires évolutions, d'en prévenir la rupture.