Avant-propos
Quand j'ai commencé la rédaction de cet ouvrage, qui devait initialement comporter trois tomes, je me suis posé une question préalable à laquelle je pensais pouvoir répondre en quelques phrases bien senties : « Mais qu'est-ce donc que le Québec ? » Afin de trouver une réponse satisfaisante, il m'a fallu puiser dans vingt ans d'étude, de réflexion et d'action. La complexité de la question se révélait au fur et à mesure de mes efforts et je me rendis compte que ma réponse prenait l'ampleur d'un livre. Je laisse au lecteur le soin de juger du fruit de mon labeur mais jamais encore question ne m'a donné autant de fil à retordre ! Ai-je bien répondu ? À lui d'en juger. Mais, s'il est Québécois, qu'il sache qu'il est bien plus que l'objet de ma recherche. Il en est à plus d'un titre le sujet, car c'est en lui autant qu'en moi que j'ai cherché des réponses plausibles aux questions qui, en cours de route, se sont posées à moi.
Une mise en garde s'impose : les questions que je soulève dans ce livre sont nombreuses. Je sais d'avance que je ne pourrai répondre à toutes de façon satisfaisante. Nombre de mes propos relèvent du sentiment, non de la logique. Il se peut même qu'on me surprenne en flagrant délit de contradiction avec moi-même. En ceci je ne ferai que refléter l'état d'esprit de nombreux Québécois qui doivent constamment interroger leur conscience pour résoudre les dilemmes que leur pose notre situation face au monde, au pays et à la nation.
J'avoue d'emblée que je ne dispose pas d'un fil conducteur unique et susceptible d'ordonner toutes ces questions les unes par rapport aux autres en une thèse centrale d'où émergerait, de la multitude des points de vue, une explication globale. J'ose m'appliquer une fois de plus cette sentence qui fut le leitmotiv de ma vie professionnelle : « Bienheureux ceux qui commencent parce qu'ils croient et espèrent en ce qu'ils font. Et bienheureux ceux qui continuent toujours de commencer. »
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Je voudrais que l'on puisse dire de cet ouvrage qu'il est le fruit neuf d'un homme neuf. À l'exception de certaines questions à propos desquelles je me suis battu pendant plus de vingt ans, telles la langue et la Constitution canadienne, je n'ai même pas cité mes écrits antérieurs, sauf si des passages précis me revenaient spontanément à la mémoire, et il se pourrait bien que dans nombre de cas les positions que j'adopte diffèrent de celles que j'ai tenues dans le passé.
Je ne dispose pas non plus d'un arsenal de théories explicatives ni d'hypothèses de départ. Mes réflexions sur le Québec m'ont toutefois conduit à isoler une question particulière qui hante les Québécois depuis toujours, et de façon plus lancinante encore depuis trente ans : celle de leur identité comme nation ou comme peuple. Soulever pareille question, c'est sans aucun doute s'attaquer à un problème insoluble. Or, c'est peut-être précisément parce qu'elle ne comporte pas de solution satisfaisante ni finale que les Québécois, aux diverses étapes de leur histoire, se sont vus contraints d'en discuter entre eux et parfois même, comme ces derniers temps, de la placer au cœur de leurs préoccupations : successivement habitants de la Nouvelle-France, Canadiens, Canadiens français et, pour finir, Québécois ou même Français d'Amérique, qui sommes-nous, où allons-nous, quelles influences avons-nous subies et comment avons-nous changé ? Quel est notre destin, qu'en était-il hier, qu'en est-il aujourd'hui, qu'adviendra-t-il de notre « patrie » : quel sera son territoire, sa population, que deviendra sa volonté de persister ? Mais est-ce là une entreprise sensée ? Jean-Jacques Simard en doute fortement [1]. Je sais que le défi est de taille. Mais les questions posées par la recherche de l'identité nationale du Québec sont à la fois si passionnantes et primordiales que je n'ai pu résister à la tentation, après d'autres, mais en m'y prenant autrement, de relever ce défi. D'ailleurs, le thème que j'ai choisi de traiter, « À la recherche du Québec », est plus général. Ma démarche particulière me permettra de m'appuyer sur bien d'autres concepts que sur celui de l'identité au sens strict du terme et surtout d'échapper au piège d'une analyse purement « linéaire »du problème initial.
Sans être « concept opératoire », l'identité québécoise représente toutefois une question primordiale et inévitable. Plus encore : je la vois comme une catégorie-charnière dont va découler la majeure partie de la thématique du présent livre.
J'entends aborder les nombreux sujets que le cours de mes exposés m'amèneront à traiter avec une franchise entière. Je ne saurais toutefois prétendre à ce degré de détachement qui a nom « objectivité » ou « neutralité ». Loin d'adopter le point de vue de Sirius, sur chaque thème, je vais sans réticence préciser mes choix et énoncer mes préférences.
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Comme tant d'autres, je constate qu'un sentiment de lassitude s'est emparé de bien des esprits. Fruit amer des déceptions accumulées depuis tant d'années, le désenchantement semble s'intensifier à propos de la politique, du syndicalisme, de l'Église, de la famille, de l'éducation, et d'autres institutions d'encadrement social. Je ne sais quels seront les états d'esprit quand je mettrai le point final à mon ouvrage. Dans le passé, les Québécois ont toujours su se tirer des plus dures épreuves. Je suis d'avis qu'ils sauront profiter des récents déboires qu'ils se sont, il faut bien l'avouer, en partie infligés eux-mêmes pour accomplir un autre bond en avant. Je ne saurais taire que l'un de mes buts est de tenter de rallumer la flamme de l'espoir. En dépit de la tristesse qui assombrit tant de visages chez les jeunes, les adultes et les personnes âgées, j'ai foi en l'avenir parce que j'ai foi en eux tous. De tant de rêves brisés au cours des trente dernières années, il est ressorti au moins deux acquis dont on ne saurait sous-estimer la portée : l'individu: s'est libéré de bien des tutelles inhibitrices et le Québec tout entier est sorti du cocon protecteur qui le paralysait et s'est ouvert au monde. Les sentiments d'anxiété ou d'espoir, face à leur présent et à leur avenir, de Jacques Cartier et ses compagnons, qui plantèrent en 1534 à Gaspé une croix au nom du roi de France et de l'Église, de ceux qui subirent la Conquête de 1760, qui vécurent les événements de 1837-1838, de 1867, de 1960, de 1976, de 1980 et d'autres événements semblables, constituent les axes de l'histoire du Québec et forment autant de sédiments de l'identité des Québécois en tant que nation.
[1] Jean-Jacques SIMARD, « Fragments d'un discours fatigué (…) pp, 163-179.
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