[17]
Gilles DOSTALER † [1946-2011]
Économiste, Université du Québec à Montréal
“le R.I.N. :
un parti de gauche?”
Un article publié dans la revue Parti pris, revue politique et culturelle, vol. 4, nos 5-6, janvier-février 1967, pp. 17-32.
Le R.I.N. fut créé pour répandre l'idée de l'indépendance. Il en vint à donner un contenu à cette indépendance, et à se donner le moyen de la réaliser en se transformant en parti politique. Le R.I.N. est le seul mouvement indépendantiste à avoir survécu aux embourbements qui eurent raison des autres. À vrai dire, il les goba tous, et incarna aux yeux de la population québécoise l'idée de l'indépendance, la fit respectable, valable, l'imposa même aux forces politiques traditionnelles. Le 5 juin, le R.I.N. présentait des candidats dans 73 comtés et obtenait 7.3% du vote populaire dans ces comtés, contribuant à faire pencher la balance du côté U.N. Et le R.I.N. continue, fait des campagnes d'abonnement, manifeste, et se prépare aux prochaines élections. Quiconque s'intéresse à l'avenir, quiconque en particulier le pense irrespirable sans l'indépendance, ne peut ignorer la présence du R.I.N., qu'il en approuve ou non les modes d'action, les prises de position, le programme politique. Parti-pris, dès sa parution, s'est intéressé au R.I.N., a suivi son évolution, a critiqué ses options politiques, et continue de s'interroger. Mais critiquer l'idéologie du R.I.N., nier le bien-fondé de son action est une chose. Comprendre la force du R.I.N., en retracer la genèse, s'interroger sur ses cadres, ses membres, sa puissance réelle en est une autre, appelée en complément. Cette recherche, nous allons tenter de l'entamer. Avec des moyens toutefois limités. [1] Décrire exhaustivement le R.I.N. est une entreprise ardue. Le R.I.N. a choisi la voie de l'élection traditionnelle. Par le fait même il se voit forcé de jouer le jeu; et des considérations tactiques l'empêchent ainsi de livrer sa force réelle, de se décrire. L'entreprise demeure toutefois moins ingrate que celle de pénétrer ces monstrueux pantins que sont les vieux partis, associations d'intérêt qui doivent par le fait même se cacher et tromper le public. Le R.I.N. n'est pas, nous essaierons de le voir, une association d'intérêt. Il se laisse donc percer plus facilement. Et il n'y a pas au sein du R.I.N. cette dissociation bouffonne entre une assemblée dont on se demande la raison d'être, une députation inerte, un gouvernement lui plus [18] ou moins actif, et autre chose encore derrière. Le R.I.N. parti politique est le R.I.N. mouvement politique. Le R.I.N. c'est l'assemblée générale des membres, le Conseil central, l'Exécutif, le Président. Nous voulons savoir si on peut faire confiance au R.I.N., si cet organisme peut devenir le mouvement dont le Québec a besoin. Du moins nous voulons savoir ce que représente le R.I.N., d'où il émane; s'il faut le combattre ou le supporter; s'en méfier ou lui faire confiance. Après avoir retracé brièvement le chemin suivi par le R.I.N. des origines à son dernier congrès, nous décrirons à grands traits son organisation, ses structures. Nous chercherons ensuite à nous représenter la personnalité, les intérêts, les motivations, de ceux qui ont fait le R.I.N., qui le dirigent aujourd'hui. Nous décrirons ensuite l'assemblée des membres du R.I.N. Nous nous interrogerons enfin sur cette expérience importante qu'a vécue le R.I.N., l'élection, et chercherons à définir la nature de l'électorat du R.I.N. Nous pourrons alors essayer de répondre aux questions que nous nous posons; quoique les conclusions dépasseront nécessairement les prémisses, du fait des limites de notre enquête.
Historique
Le Rassemblement pour l'Indépendance Nationale est né le 10 septembre 1960, dans un hôtel des Laurentides. Trois mois après le début officiel de la Révolution tranquille. Il existait déjà au Québec deux mouvements indépendantistes : l'A.S.I.Q. (Action socialiste pour l'Indépendance du Québec), fondé par Raoul Roy peu de temps auparavant et l'Alliance Laurentienne de Raymond Barbeau, qui fut le premier à remettre l'idée de l'indépendance à l'actualité. Marcel Chaput, chimiste à l'emploi du gouvernement fédéral, et André d'Allemagne, publicitaire et traducteur, voulaient fonder un mouvement qui ne donnerait pas du Québec libre une image définie, socialiste (A.S.I.Q.) ou corporatiste (Alliance Laurentienne).
- "Au moment de la fondation de l'Action Socialiste, André d'Allemagne et moi projetions déjà depuis plusieurs mois la fondation d'un mouvement populaire consacré uniquement à la propagation de l'idée de l'indépendance du Québec"
-
- (J’ai choisi de me battre, Marcel Chaput, p. 59)
[19]
Trente Québécois mirent au mon, de le R.I.N. : un groupe de Montréal et un groupe de Hull. Le groupe de Hull, autour de Marcel Chaput, se réunissait déjà depuis un certain temps pour discuter de l'indépendance et organiser des causeries qui l'amenèrent une fois à inviter Raymond Barbeau et un de ses lieutenants, André d'Allemagne. Il est intéressant de noter dès maintenant que ces gens n'avaient en commun, sur le plan des idées politiques, que le désir de voir se réaliser l'indépendance politique du Québec. Plusieurs d'entre eux s'étaient éveillés au problème national des québécois en travaillant pour le compte du gouvernement fédéral. Un an plus tard, après le Congrès d'octobre 1961, le Conseil Central du R.I.N. créera un Comité Politique dont la première tâche sera d'opérer un sondage parmi les membres afin de connaître leurs opinions politiques. Alors seulement, le R.I.N. commencera à élaborer un programme politique, à proposer une indépendance qu'il se donnera ensuite comme but de réaliser en se transformant en parti politique.
L'assemblée de fondation votait une constitution provisoire et se donnait un bureau de direction sous la présidence d'André d'Allemagne; Marcel Chaput était élu vice-président. Le premier Congrès du R.I.N., qui réunissait environ 80 membres, le 26 novembre 1960, ratifiait l'élection du 10 septembre et complétait la Constitution. [2] On fonda les deux premières sections du R.I.N., Montréal et Hull. Le R.I.N. grossit peu à peu le nombre de ses membres par le moyen d'assemblées d'information, avant de connaître son premier grand succès public le 6 avril 1961, un soir de finale de hockey; 600 personnes écoutèrent alors Marcel Chaput et Pierre Bourgault parler d'indépendance.
L'année 1961 vit Marcel Chaput incarner aux yeux du peuple québécois le séparatisme, et donner par là son vrai départ au R.I.N. Chaput publiait en septembre Pourquoi je suis séparatiste; démissionnant avec fracas de son poste à Ottawa en décembre, il devenait le premier martyr de la cause. Le second congrès du R.I.N., en octobre, l'élisait à la tête du parti dont il deviendra le premier membre rémunéré.
L'année suivante vit naître les premières scissions importantes au sein du R.I.N. La direction de Chaput, qui plongea le mouvement dans d'interminables difficultés financières, pesait à plusieurs. Et surtout, à partir du Congrès suivant tenu le 12 juin à Québec, qui décida en principe de la transformation du R.I.N. en un parti politique, on vit se dessiner deux tendances au sein du mouvement. La première, réclamant la transformation immédiate du R.I.N., se souciait plus d'organisation purement électorale [20] que de définition doctrinale. Les tenants de la seconde tendance préféraient attendre que le R.I.N. se soit donné un programme politique complet, et qu'il devienne alors un parti axé sur une idéologie précise, qui aurait plus à proposer qu'une indépendance vide de contenu. Le conflit s'est soldé au Congrès d'octobre 1962. Chaput était défait à la présidence par un avocat de Québec, M. Guy Pouliot. Le Comité politique, qui avait proposé en juin 1962 la transformation éventuelle du R.I.N. en un parti politique et l'élaboration d'un programme de transformation politique, économique et sociale, fit voter par l'assemblée un programme qui est l'embryon de la doctrine actuelle du R.I.N. On prévoyait pour l'année 1964 le Congrès de fondation du nouveau parti. Pouliot se proposait de préserver l'essence démocratique du R.I.N., d'opérer sa décentralisation et de le doter d'un appareil administratif moderne, tous problèmes dont Chaput s'occupait peu. Ce dernier, peu après le Congrès, fondait un parti politique, le P.R.Q. C'était la première crise grave du R.I.N. Chaput, expulsé du parti en février 1963, entraînait avec lui le tiers des membres du R.I.N.; des sections entières étaient démembrées. Mais il s'opérait du même coup une épuration du groupement, débarrassé d'éléments de droite.
Devant cette situation, le Conseil Central convoqua un Congrès spécial en mars 1963, qui transformait le R.I.N., du groupe de pression et d'éducation qu'il se voulait à sa fondation en un parti qui se proposait de faire l'indépendance en prenant le pouvoir à Québec. À ce même Congrès, M. Pierre Verdy présentait à l'assemblée générale des membres le rapport du comité de la constitution créé au Congrès de l'automne 1962; le document, rédigé par Verdy, allait devenir la constitution définitive du R.I.N. Quelques légers amendements lui ont été apportés depuis.
La défection de Chaput provoqua un ralentissement de la croissance et des activités du R.I.N. En même temps naissait le F.L.Q., dont plusieurs membres étaient des rinistes insatisfaits. M. Pouliot, qui habitait à Québec, avait peu de temps à consacrer au nouveau parti. M. Pierre Renaud [3], nommé administrateur du parti, remettait lentement ses finances sur pied. Au Congrès de mai '64, contre Pouliot se présentait à la direction du parti un journaliste de 32 ans qui s'était fait remarquer déjà par ses dons d'orateur, et avait occupé divers postes au sein du R.I.N., dont celui de rédacteur-en-chef du journal L'Indépendance, organe mensuel fondé en septembre 1962. Bourgault se proposait de faire du R.I.N. un parti discipliné, en faisant d'importante modification dans la régie interne, et de plonger rapidement le R.I.N. dans l'action électorale :
[21]
- "Des cadres, des structures solides, des membres qui savent ce qu'est le parti, ce qu'est l'indépendance, ce qu'est la révolution, c'est l'objectif global qu'il faut atteindre cette année." Pierre Bourgault, Discours au Congrès (publié dans parti-pris, déc. 63 p. 21)
Bourgault fut élu. Guy Pouliot était nommé vice-président, et Rodrigue Guité, qui avait résigné le poste, directeur. André d'Allemagne et Marc Girard étaient les deux autres directeurs élus. Dès lors le R.I.N. prenait une tournure résolument populaire, s'intéressait aux problèmes concrets du Québec. Un Gala organisé par le R.I.N. en mai, groupant une trentaine d'artistes prestigieux, attirait 8,000 personnes au forum. Le parti nomma un secrétaire exécutif national, Bernard Tremblay. Dès le mois d'octobre, Bourgault entreprit une tournée à travers toute la province, où il prit conscience sur place des organisations du R.I.N. Une seconde crise secouait le R.I.N. durant l'été, et se terminait par l'expulsion du président de la région de Québec, M. Miville-Dechesne, et du vice-président Jean Garon. De là naquit le R.N.
Un nouveau comité politique, créé au printemps 64, prépara avec l'aide d'une trentaine de spécialistes un programme politique qui fut présenté au Congrès de 1965, tenu au début de mai à Montréal. Le R.I.N. comptait alors près de 10,000 membres. 311 délégués étaient inscrits au Congrès. Ils se partagèrent en trois comités (économique, social, culturel) pour étudier le programme politique qui allait devenir la plate-forme électorale officielle du parti. Pierre Bourgault était réélu à sa direction. Le 27 juin, le R.I.N. tenait sa première convention dans Duplessis. Il allait devenir un parti officiellement reconnu en février 1966, après la tenue d'une dixième convention. Le R.I.N. présentait 22 candidats à une grande assemblée tenue au Monument national le 27 février. Au total, 73 comtés allaient être représentés par un candidat R.I.N.
Peu après le Congrès de 1965, le R.I.N. accueillait dans ses rangs un membre influent de la F.L.Q., Maurice Leroux, qui était aussitôt élu directeur national. Il prit en main le journal qui avait cessé de paraître en février, dans le but d'en faire un bihebdomadaire, et éventuellement un hebdomadaire, se suffisant financièrement à lui-même. Le journal était distribué dans les kiosques. On fonda une association Les Amis de 1'Indépendance pour venir en aide au journal. L'entreprise a plus ou moins bien réussi. Et depuis les élections, le journal n'est plus vendu dans les kiosques.
À part la préparation des élections, le R.I.N. poursuivit ses activités coutumières - assemblées publiques, assemblées d'informations, assemblées [22] de salon réunissant une quinzaine de personnes autour d'un conférencier, manifestations de plus en plus nombreuses et variées (Sit-in), prises de position diverses. De plus en plus fréquemment, le R.I.N. intervient dans les grèves fréquentes dans notre État, par une présence directe et des prises de position. Il arrive parfois (grève à la Noranda Mines de Valleyfield, juillet 1965) que les grévistes eux-mêmes font appel au parti.
Les élections modifièrent la structure du R.I.N. en ce que les comtés prirent plus d'importance, aux dépens des régions. Mais fondamentalement, la structure du R.I.N. demeure la même, et ses activités. Dès le début de cette année toutefois, le R.I.N. commencera à préparer activement la prochaine élection. À son dernier Congrès, tenu à Québec en octobre, le parti décidait de se pencher plus profondément sur le problème des travailleurs. Un comité spécial sera créé à cet effet. Quelques transformations de la régie interne et une modification de la constitution étaient votées.
l'organisation du R.I.N.
L'organisation du R.I.N. tient à la fois de celle du parti de cadres et du parti de masse. Elle emprunte des éléments à ces deux modèles qu'elle fond en une constitution propre adaptée aux buts du R.I.N. Le R.I.N. tire la principale partie de son argent des cotisations; l'affiliation au parti est volontaire. Il existe des sections dans le schéma de l'organisation du parti, et on entrevoit, dans le cadre des décisions du dernier congrès, la mise sur pied de cellules ouvrières.
La constitution du R.I.N., telle qu'elle existe actuellement, a été rédigé par M. Pierre Verdy, aviseur légal du R.I.N., avec la collaboration de cinq personnes formant le Comité de la Constitution, dont la vie fut de courte durée. Rédigée durant l'hiver 62-63, transformée substantiellement à la demande du Conseil central à la suite de l'affaire Chaput, elle fut votée au Congrès de 1963, celui-là même qui transforma le mouvement en parti. Depuis lors, la constitution ne fut que légèrement retouchée.
Les trois organes principaux du R.I.N. sont l'Assemblée générale des membres, le Conseil central et le Comité exécutif. L'autorité ultime du parti est détenue par l'assemblée générale des membres, qui se réunit théoriquement une fois par année, au début du mois de mai (le dernier Congrès ayant été retardé à cause des élections). Tous les membres du R.I.N. sont invités à l'Assemblée, mais tous n'ont pas droit de vote. [23] Ceci afin de préserver la démocratie du parti; certaines régions ne pouvant se permettre de déléguer que peu de membres. Les délégués officiels au Congrès sont les 7 membres du Comité exécutif, 3 délégués des organisations étudiantes, 5 délégués de chacune des régions, 16 délégués des organisations étudiantes régionales, 5 délégués des 108 comtés. En pratique, quelques comtés étant mal organisés et plusieurs comtés étant inorganisés, la représentation est moindre. Il y avait par exemple 311 délégués inscrits au Congrès de 1965. Le quorum est de 50 membres. L'Assemblée générale élit les officiers de l'exécutif, est responsable en dernier ressort de l'orientation politique du mouvement (le programme n'est officiel qu'après adoption par le congrès), est gardienne de la constitution, revoit enfin les politiques des différents corps, particulièrement l'exécutif; elle considère toute matière d'importance jugée suffisante.
Le Conseil Central comprend les 7 membres de l'exécutif, 2 membres de chaque exécutif régional et 3 délégués étudiants spéciaux. Le Conseil revoit et dirige les affaires du R.I.N. entre les Congrès. Il exerce un contrôle serré sur le parti. Il se réunit régulièrement six ou sept fois par année et joue un rôle important de coordination. Le Conseil central est le corps suprême du parti entre les assemblées.
Le Comité exécutif est composé du président, du vice-président, de trois directeurs nationaux élus et de deux directeurs nommés par le Conseil central. Le Comité exerce le pou, voir que lui délègue le Conseil central. Il est responsable de la direction du parti entre les réunions du Conseil, il fait le plan des politiques du R.I.N., dirige les affaires du parti dans les limites assignées et fait face aux situations urgentes. Il se réunit formellement 20 fois par année, mais il y a beaucoup de communications privées entre ses membres. L'exécutif est en pratique le Comité dirigeant du parti. Étant représenté en totalité sur le Conseil central, il exerce sur lui une très forte influence. Le président est le chef du parti. Ses fonctions sont variées et ont subi une certaine évolution depuis la fondation du parti, dépendant de la personnalité du président. Bourgault, président depuis mai 1964, est une figure dominante du parti. Il s'occupe de près des plans de politique, des questions électorales et autres types d'action politique. Les fonctions des autres membres de l'exécutif dépendent aussi des personnalités, et de leurs activités précédentes au sein du parti. Il a été stipulé au dernier Congrès que chaque directeur sera responsable d'un comité; il y aura à partir de l'an prochain 7 directeurs à l'exécutif. Actuellement, Pierre Renaud s'occupe des finances, [24] Thérèse Desrosiers de la propagande Gabriel Rufiange de la régie interne, Claude Chapdeleine du Comité politique.
Les 7 comités du R.I.N. sont responsables devant le Conseil. Ils sont d'importance inégale, sur le plan de l'autonomie et de la composition. Les comités de la constitution et du congrès ont une activité intermittente. Le comité du secrétariat dépend directement de l'exécutif, exécute le travail de routine; il y a un chef de secrétariat employé à temps plein, les autres membres travaillent bénévolement et par le fait même irrégulièrement. Le Comité de la propagande compte environ 60 membres; il fut dirigé par Pierre Renaud durant les élections, et procédait par projets : par exemple l'opération-tv. Le comité du journal, responsable de la publication et de la distribution du journal, jouit d'une grande autonomie. Son directeur est employé à temps plein par le parti. Le comité politique, comptant 5 membres, est responsable du programme politique qu'il doit tenir à date. Il s'occupe aussi des cours de formation politique que le R.I.N. offre au public depuis trois ans. Enfin, le comité des finances, sous les ordres de Pierre Renaud, est responsable de toute matière financière.
Le parti est théoriquement organisé en onze régions (Montréal, Québec, Gaspésie, Abitibi, Saguenay-Lac St-Jean, Mauricie, Outaouais, Estrie, Richelieu, Laurentides, Côte-Nord, dont la structure est analogue à celle de l'organe central. Parmi les régions, celle de Montréal est la plus importante et la mieux organisée. La région de l'Abitibi commence à naître et celle de la Gaspésie est plus qu'embryonnaire. Le R.I.N. est semblablement organisé au niveau des 108 comtés; en pratique 65 comtés sont organisés. De même, chaque comté est théoriquement organisé en sections. La région est orientée à la fois vers le national et le comté. Elle offre un service de consultation aux comtés et les réorganise si nécessaire. Elle s'occupe de la publicité spécialisée (télévision), des larges assemblées publiques, joue un rôle important de coordination. Son personnel est ordinairement recruté parmi celui des comtés. Le comté est l'unité de base du R.I.N., ayant le premier contact avec les membres. Son rôle principal est le recrutement. Il organise les assemblées de salon, les assemblées d'information. Il doit trouver du travail à ceux qui sont intéressés. De plus, nous l'avons souligné plus haut, au fait des élections, le rôle du comté devient très important. Le principal travail électoral se faisant à ce niveau.
Les étudiants dans le R.I.N. ont une place spéciale. Les sections universitaires ont des structures variables, soumises à beaucoup de changements à cause des vacances, etc. [25] La plus importante des sections universitaires est celle de l'U. de Montréal, dont la vie est confuse. Après une croissance rapide la première année (100 membres), le R.I.N. de l'Université a reculé jusqu'à ce qu'un président administrateur en 63-64 redéfinisse les structures. Le nombre des membres s'accroît de nouveau jusqu'à 150 l'année suivante. Le R.I.N. universitaire exerce une certaine influence sur le campus par le biais d'autres institutions, telles l'A.G.E.U.M., le Quartier Latin. Ses options politiques se situent plus à gauche que celle du R.I.N. national.
les figures dominantes du parti
Une étude poussée de la composition du R.I.N. au niveau de ses membres (âge, métier, profession, état civil, origine), déjà très difficile à faire, ne suffit pas à se faire une image concluante du parti. Puisqu'en définitive, le R.I.N. est d'abord fait par un certain nombre de personnalités dominantes très dévouées au parti, et qu'on retrouve à tous les postes des Conseils, exécutifs, comités. Ce sont les chefs du R.I.N., ceux qui en dernier ressort lui impriment son mouvement général. On peut se trouver parfois en présence d'un membre influent qui n'occupe aucun poste dans la hiérarchie, mais le cas est assez rare. La masse des simples membres est passive, à tel point qu'il est parfois difficile de faire renouveler les cotisations. Et même parmi les délégués aux Congrès, qui sont en général choisis parmi les exécutifs régionaux et de comté, les officiers nationaux dominent fortement.
Ces figures dominantes, quelles sont-elles ? Nous avons esquissé plus haut certains traits des membres fort, dateurs du R.I.N. Des individus qui n'ont en commun, sur le plan des idées politiques, que le désir de l'indépendance, et qui souvent ont peu d'opinions politiques précises. Ils se recrutaient, à Hull particulièrement, parmi des fonctionnaires au service du gouvernement. Cette situation s'est toutefois transformée à la suite des schismes qui en étaient, à long terme, la conséquence logique. De sorte qu'une certaine communauté de pensée, de situation aussi, unit aujourd'hui les dirigeants du parti.
Il semble qu'en général, les personnalités dirigeantes du R.I.N. sont d'origine montréalaise, et que la plupart habitent la métropole. Ce sont des hommes dont l'âge oscille autour de la quarantaine. Plusieurs sont mariés, et ont des enfants. Ils sont d'éducation catholique, mais plusieurs [26] ont abandonné la croyance religieuse. Ils ont en général reçu une éducation classique, et par suite universitaire. La plupart à Montréal, à McGill. Plusieurs se sont engagés dans une carrière professionnelle, dans les affaires, ou au service du gouvernement fédéral. Quelques-uns jouissent d'une position stable. D'autres changent souvent de position. Il arrive même que certains dirigeants aient changé de métier. Probablement tous ceux qui étaient au service du gouvernement fédéral ont abandonné cet emploi. La plupart ont eu des contacts plus ou moins prolongés avec des communautés anglo-saxonnes. Ils sont membres du R.I.N., en général, depuis trois ou quatre années, et consacrent environ une journée par semaine au R.I.N. Le R.I.N. emploie actuellement à temps plein le président, l'organisateur général (M. Bernard Beauchamp), le directeur du journal, le chef de secrétariat et un responsable du service de Presse.
Il y a certaines caractéristiques générales que l'on retrouve fréquemment dans les motivations qui ont poussé ces personnes à se rallier au R.I.N., et à la cause de l'indépendance en général. L'expérience personnelle joue un rôle prépondérant. Tel dû séjourner en Ontario. Tel fut à l'emploi d'une compagnie anglaise, relégué aux bas échelons. Ce sont souvent des gens que rien ne poussait à prime abord à s'intéresser à la politique (le contraire étant même fréquent), mais que ces expériences ont mis en face du problème national. Une réaction passionnée d'abord.
les membres du R.I.N.
Il est très difficile de dessiner avec précision le profil du R.I.N., au niveau des membres. Et même si cela était, il reste que de cet ensemble d'individus, une minorité seulement est active au sein du R.I.N., minorité variable peut-être, qui peut même grossir à certaines occasions (les élections), minorité infime tout de même. La seule publication du R.I.N. sur le sujet concerne l'âge moyen des membres du parti, évalué en juillet 1964. À cette époque, l'âge moyen était de 31 ans. Au niveau national, 10% des membres avaient moins de 20 ans; 41.7% entre 20 et 29, 25.5% entre 30 et 39; 22.8% plus de 40. La proportion la plus forte de jeunes se trouvait à Montréal; l'âge moyen en province, hors de Québec, était plus élevé; et celui des membres de Québec était le plus élevé.
Les remarques qui suivent sont des hypothèses auxquelles l'ensemble des faits perceptibles, et des déclarations des dirigeants du parti, donnent beaucoup [27] de poids. Le R.I.N. recrute ses membres, en majeure partie, parmi les membres relativement aisés et/ou scolarisés de la société québécoise. Les femmes forment sans doute environ 10% du chiffre total des membres. Mais elles sont en général assez actives au sein du R.I.N., en particulier au niveau du travail de secrétariat. La moitié des membres vient de Montréal, une grande partie de Québec, et le reste d'un peu partout dans la province. Un groupe important du R.I.N. est formé de professionnels et d'intellectuels. Les étudiants sont présents, mais pas en si grand nombre qu'il pourrait d'abord sembler. Il y a aussi dans le R.I.N. quelques hommes d'affaires (surtout petits), quelques employés publics, et quelques travail, leurs, spécialisés ou non. En bref, le R.I.N. semble recruter le gros de son actif chez les jeunes professionnels, semi-professionnels, hommes d'affaires indépendants et commerçants spécialisés : petits bourgeois, quelques collets blancs, pas ou très peu d'ouvriers.
les élections
Le Rassemblement pour l'indépendance nationale a vécu une seconde naissance au mois de juin 1966. Dès l'été 1965, l'exécutif proposait un plan d'action aux comtés. Il s'agissait pour le R.I.N. de faire le travail de propagande le plus efficace possible avec les équipes de bénévoles dont le parti pouvait disposer. Sous les ordres d'un candidat élu en convention, et qui est en général un membre influent du R.I.N. de la région ou de l'extérieur, devaient travailler trois ou quatre officiers d'élection, eux-mêmes commandant un groupe d'officiers de poll et d'assistants. La campagne se faisait par des assemblées publiques, des assemblées de salon. Le comté cherchait à dresser des listes de votants classés d'après leur intérêt pour le R.I.N., afin d'attaquer au mieux. Une telle organisation a permis au R.I.N. d'obtenir dans certains comtés des résultats prodigieux, compte tenu du budget du candidat, comparative, ment aux deux vieux partis.
Le R.I.N. a concentré ses efforts là où le parti était le plus solidement implanté; le national monnayait son assistance selon ce critère. 73 comtés étaient représentés par un candidat R.I.N. N'avaient pas de candidat R.I.N. 3 comtés de la région de Montréal, 4 de la Mauricie, 5 des Cantons de l'Est, 8 de la région de Québec, 7 du Bas St-Laurent-Gaspésie, 4 du Saguenay-Lac St-Jean, 2 du Nord-Ouest, 1 de la Côte-Nord. Proportionnelle, ment, la Mauricie, les Cantons de [28] l'Est, la Gaspésie et le Saguenay étaient les régions les moins bien représentées (moins de 50% des comtés). Tous les comtés de l'Outaouais et de la région métropolitaine étaient représentés.
130,000 québécois ont appuyé le R.I.N. et se sont donc joints aux quelques milliers de membres. Il importe évidemment de savoir qui a voté R.I.N., avec une certaine précision, pour évaluer la puissance réelle du parti. Mais ici encore, il faudra se contenter d'approximations, d'hypothèses, elles-mêmes basées sur des travaux fragmentaires. Il reste encore beaucoup à déchiffrer concernant les dernières élections. L'effort le plus sérieux a été entrepris par la revue "Socialisme 66"; le R.I.N. a lui-même entrepris une étude limitée de la situation socio-économique de ses électeurs. Ce travail n'est malheureusement pas encore disponible.
Le R.I.N. a obtenu 12% des suffrages populaires sur la Côte Nord (16.0%); 9.4% (9.4%) dans la région métropolitaine; 8.0% (8.0%) dans l'Outaouais; 5.6% (6.0%) dans le Nord-Ouest; 3.5% (8.85%) la région de Montréal; 3.7% (4.0%) dans Trois-Rivières; 3.0% (5.0%) dans Québec; 1.5% (4.79%) dans les Cantons de l'Est; 0.9% (6.32%) au Saguenay; 0.6% (3.35%) en Gaspésie. Soulignons que le R.N. obtenait 21.1% du vote dans le Nord. Ouest, 13.1% au Saguenay, 7.1% sur la Côte Nord, 4.2% à Québec. Les chiffres entre parenthèses sont calculés à partir d'un réajustement tenant compte des comtés ou le R.I.N. ne présentait pas de candidats. Dans les 73 comtés où il s'est présenté, le R.I.N. a obtenu 7.3% du vote. Il a 2 candidats en seconde position (Bourgault dans Duplessis, d'Allemagne dans Outremont) et des 71 autres, 63 sont en troisième position. Bourgault a obtenu dans son comté plus de 30% des voix; 18 candidats de la région métropolitaine, et de Chambly, Taillon, St-Maurice, Hull, Papineau, ont obtenu entre 10% et 20% du suffrage.
Mais il importe surtout de savoir qui a voté R.I.N. On ne dispose sur ce point que de quelques résultats fragmentaires. Une enquête menée par Serge Carlos [4] sur le vote des jeunes dans la région métropolitaine indique d'abord que le vote pour le R.I.N. s'accroît en même temps que le pourcentage des jeunes, jusqu'à un plafond à 15.5%, puis décroît. De la composition des comtés étudiés, on peut conclure que la variable ethnique, par rapport au vote R.I.N. comme au vote U.N., compte plus que le statut social ou la présence des jeunes. Il semble enfin que la prédiction suivant laquelle la jeunesse constituait un atout majeur pour le R.I.N. ne se soit pas vérifiée. Ainsi par exemple dans 11 comtés sur 29, le pourcentage du vote R.I.N. dépasse le pourcentage des jeunes. Au moins le quart des [29] votes R.I.N. proviendrait de gens de plus de 24 ans. D'autre part, une enquête [5] menée avant l'élection chez un groupe de jeunes démontre que les votants R.I.N. possèdent les caractéristiques générales suivantes : leur scolarité excède souvent 12 années, ce sont ceux qui se prétendent le plus informé sur la campagne. Leur vision sur l'indépendance dépasse le seul problème national. Les jeunes rinistes sont d'autre part peu en faveur de l'intervention de l'état dans les conflits du travail.
Enfin, une analyse plus globale du vote dans les comtés [6] montréalais amène les conclusions suivantes. Elle vérifie d'abord le fait évident que le vote R.I.N. est directement relié à l'ethnie. Il apparaît d'autre part que le R.I.N. obtient ses voix dans les milieux plus scolarisés, mais cela n'est qu'une légère tendance, de même que la tendance à obtenir plus facilement de suffrages dans les milieux bourgeois et dans la classe moyenne que dans la classe ouvrière. Une enquête portant uniquement sur le vote canadien-français montre d'ailleurs que le R.I.N. n'a pu s'implanter dans les comtés ouvriers à forte tendance U.N. Il semble aussi que le R.I.N. ait ravi en général la clientèle du parti libéral plutôt que celle de l'U.N. Les résultats laissent voir d'autre part que le R.I.N. a obtenu plus de 20% du vote canadien-français dans quatre comtés (dont le tiers des voix dans Outremont), et de 15% à 20% dans huit autres comtés. Le R.I.N. a obtenu 12.5% du vote canadien-français de la région métropolitaine.
conclusion
De cette description fragmentaire quelques traits se dégagent, susceptibles d'apporter un élément de réponse aux questions que nous nous posions au début de cet article. Qu'il soit en. tendu que certaines conclusions ne sont que des hypothèses issues d'une étude dont nous avons décrit les limites.
Il apparaît d'abord avec évidence que le R.I.N. est un parti fortement structuré, et par là solidement implanté au Québec d'une part. Essentiellement démocratique d'autre part. Le groupement originel, qui ne voulait que répandre l'idée de l'indépendance dans une province sortant d'une longue léthargie, s'est rapidement donne une organisation très solide. Depuis le Congrès de 1963, le R.I.N. a comme organisme la forme qu'on lui connaît actuellement. Et il commence à prendre forme concrètement, à renaître définitivement au moment où Pierre Bourgault en prend la tête. Par ce trait déjà, le R.I.N. est loin au-delà des tiers partis éclairs qui éclatèrent, naissant et mourant rapidement, à divers [30] moments de l'histoire du Québec. Tel le Bloc Populaire, qui pourtant avait recueilli plus de 15% du vote. Pour le R.I.N., cette élection n'était pas décisive, en ce qu'elle pouvait difficilement le tuer.
Structure démocratique. Assemblée générale souveraine. Le R.I.N. est une structure ouverte. Les délégués aux congrès sont actifs. Une très forte proportion des propositions présentées au congrès sont amendées, renvoyées pour étude ou simplement rejetées. Théoriquement, et jusqu'à un certain point en pratique, l'Assemblée générale est le corps suprême du parti R.I.N. Pour ébaucher le programme politique du futur parti, le Comité politique entreprenait une enquête auprès des membres pour connaître leurs options politiques, plus d'un an après la naissance du R.I.N. Voilà d'ail, leurs une première ambiguïté dans ce parti.
Cette idéologie "construite" par le comité politique, il ne nous appartient pas ici de la discuter. Cela a été fait ailleurs et sera fait encore dans cette revue. Contentons-nous toutefois de signaler plus que son imprécision, son ambiguïté fondamentale (qui a pris forme entre autre de ces résolutions rejetées par le dernier Congrès), dont nous chercherons plus bas à chercher la cause dans la nature même du parti, objet de cet article.
Le R.I.N. n'est pas, autre trait frappant de son visage, une association d'intérêts plus ou moins voilés telles que le sont les associations fantoches des deux vieux partis. Il est né, a été construit et est dirigé par des militants sincères, préoccupés de définir le mieux possible l'avenir d'un Québec séparé. Du moins serait-il enfantin de croire que le R.I.N. représente consciemment et volontairement les intérêts d'une classe soucieuse de préserver et même d'accroître ses privilèges dans l'éventualité d'une séparation du Québec. Le R.I.N. non, une partie de ses membres peut-être.
Le R.I.N. n'est ni une association d'intérêts, ni un organisme politique construit autour d'une idéologie précise, si ce n'est celle de l'indépendance. Il n'est ni l'un ni l'autre justement à cause de la forme qu'a pris sa naissance. Et qui demeure jusqu'à maintenant puisque l'un des apports les plus nets du R.I.N. fut de répandre cette idée de l'indépendance, de la faire respecter par la population, de lui donner corps. À tel point que les vieux partis se sont vus forcés de l'assumer (par quoi se découvre une autre ambiguïté dans l'existence même du R.I.N.). Ce n'est qu'un an après sa fondation que le R.I.N. a commencé à sentir le désir de se définir politiquement, afin d'assumer, seul, l'indépendance ("nous voulons l'indépendance, pas n'importe laquelle"). Mais qui, alors, se définissait ? Des professionnels, des petits commerçants, industriels, [31] managers, des employés civils, des techniciens, des intellectuels. Milieux relativement aisés, scolarisés. Classes moyennes, si l'on groupe sous ce commun dénominateur artificiel la petite bourgeoisie d'une part, la classe des salariés non-manuels d'autre part. Le R.I.N. a recruté dans le premier groupe du moins la majorité de ses dirigeants, sinon de ses membres. Des gens à qui l'on a démontré, au cours d'une assemblée d'information ou mieux d'une assemblée de salon (c'est une des méthodes de recrutement les plus efficaces du parti) que l'indépendance, c'était quelque chose de sérieux, de viable, que ça ne bouleverserait pas le Québec, qu'au contraire ça améliorerait la situation. Des gens qui avaient assez de conscience pour se sentir mal à l'aise, à l'étroit, dans leur peau de canadiens français, mais qui se méfiaient.
Jean-Marc Piotte, dans un article récent [7], cherchait à définir et à expliquer la montée au Québec, depuis 1960, d'un néo-nationalisme dont le Parti Libéral s'est fait le porte-parole. Produit justement de cette classe de petits bourgeois progressistes, conscients de la barrière qu'opposait l'ethnie à leurs intérêts. La classe des collets blancs, à un degré moindre, est aussi consciente du frein qu'oppose l'ethnie à sa mobilité sociale; elle s'est donnée, selon Piotte, le R.I.N., avant-garde de la libération nationale, qui trace la voie d'autre part aux petits bourgeois progressistes du Parti Libéral. Notre étude démontre que ces deux groupes, auxquels nous accolons l'étiquette commune de classe moyenne, se retrouvent au sein du R.I.N., la petite bourgeoisie s'y trouvant même sans doute aux échelons supérieurs. Ces classes moyennes, ainsi définies, n'ont, on le voit bien, aucun intérêt commun, si ce n'est celui de voir disparaître l'aliénation ethnique des Québécois la confusion idéologique dont fait montre le R.I.N. est la conséquence immédiate de ce fait. Le R.I.N. n'est pas une association d'intérêt. Le R.I.N. n'a pas d'idéologie précise. Et il est normal que le R.I.N. prenne des votes au parti libéral, et que ça fasse le jeu de l'Union Nationale. Pour combien de temps ? Ceux-là qui ont fait passer leur vote du P.L. au R.I.N. se raviseront-ils aux prochaines élections, voyant la gaffe ? Tel peut être un des visages de l'avenir du R.I.N. Ou pire, sa puissance grandissant, il peut se faire aussi que l'un des deux partis, acculé au mur, emprunte le seul argument idéologique du R.I.N., sa raison d'être, du moins sa nécessité première, et nous voilà citoyen d'un État libre, libéré au profit d'une classe particulière. Ce qui restera d'effectifs de cette classe au sein du R.I.N. quittera ce parti, le tuant.
Mais le R.I.N. est une structure ouverte, avons-nous écrit plus haut. Et rien n'empêche l'organisme de devenir [32] l'instrument que nous attendons. Le R.I.N. représente actuellement les classes moyennes, parce que ce sont des membres de ces classes qui font partie du. R.I.N. qui élisent ses chefs, qui discutent son programme politique. N'est-il pas interdit de penser, d'abord, que cette fraction des classes moyennes dont les intérêts ressemblent à ceux des ouvriers, les uns et les autres étant salariés, que cette fraction (qui elle est vraiment une classe susceptible d'engendrer une idéologie) s'empare du parti, ainsi qu'on peut s'emparer du R.I.N. Et qu'enfin la classe des travailleurs manuels soit résolument intégrée au R.I.N., en le créant parti de la gauche québécoise.
Le R.I.N., actuellement, descend dans la rue, se mêle aux grévistes, manifeste, et place son dernier con. grès sous le thème Le R.I.N. et les travailleurs. Il confesse qu'il lui faut sans plus tarder rejoindre cette classe. Le pourra-t-il, en se contentant de copiner les jours de grève. Ou encore, le mot rejoindre peut signifier beaucoup de choses : la prise du pouvoir par l'U.N. en est une illustration. Non, tel qu'il est actuellement, le R.I.N. ne peut que s'étendre (et il peut s'étendre encore beaucoup, devenir très fort, avoir des députés au parlement, peut-être même devenir l'opposition officielle) qu'au sein de ces ambiguës classes moyennes; parce que tous les membres actuels en sont, et que tous les membres nouveaux sont convaincus d'adhérer au parti, du moins de voter pour lui, lors d'une assemblée d'information, ou de salon, ou d'une conversation. Et que ce soit au salon ou à la cuisine, on s'y rencontre toujours entre voisins. Le R.I.N. peut alors avoir l'intention louable de rejoindre les travailleurs, d'en faire adhérer quelques-uns au parti, d'obtenir les votes de quelques autres. Il se sera alors appuyé sur les travailleurs (les ravissant à l'U.N.). Il n'aura pas répondu à l'attente.
[1] En plus de conversations avec des membres et organisateurs du parti, nous avons tiré beaucoup de renseignements de la collection des journaux "L'Indépendance", organe' officiel du parti, de divers documents publiés par le Secrétariat national ("L'histoire du R.I.N." P. Renaud "L'Age moyen des membres du R.I.N."), et certains autres documents parmi lesquels :
"J 'ai choisi de ma battre" de Marcel Chaput,
"Socialisme 66" no 9-10,
"Le Devoir" mois de juin 1966.
[2] "La Constitution du R.I.N." document publié par le secrétariat national, "L'Indépendance", Vol I à V.
[3] "L'Historique du R.I.N.", conférence prononcée par Pierre Renaud et publiée par le Secrétariat national.
"L'Indépendance", Vol I, II, II, IV, V.
"J'ai choisi de me battre" Marcel Chaput.
[4] Serge Carlos "Les jeunes québécois et leur insertion dans le jeu politique" Socialisme 66, no 9-10, p. 50.
[5] Pierre Guimond "Le vote des Jeunes", Socialisme 66, no 9-10, p. 31.
[6] Robert Boily, "Montréal, une forteresse libérale", Socialisme 66, no 9-10, p. 138.
[7] Jean-Marc Piotte, "Sens et limites du néo-nationalisme" Parti-Pris, Vol 4, No 1, p. 24.
|