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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Fernand Dumont, “La culture savante : reconnaissance du terrain.” Un article publié dans la revue Questions de culture, no 1, sous la direction de Fernand Dumont, pp. 17-34. Québec: Institut québécois de recherche sur la culture (IQRC), 1981, 190 pp. Numéro intitulé: “Cette culture que l’on appelle savante.”

[13]

Questions de culture, no 1
“Cette culture que l’on appelle savante
.”

LA CULTURE SAVANTE :
RECONNAISSANCE DU TERRAIN

Fernand Dumont

La culture savante se définit volontiers par opposition à la culture populaire, aussi bien dans les critères de la vérité scientifique que dans ceux du goût artistique. Mettant en doute ce présupposé, l'auteur s'interroge sur les virtualités du langage pour y discerner la constitution d'un horizon, d'une historicité propre, d'une organisation sociale spécifique. Il croit retrouver dans la plus vaste culture des schémas analogues. Son hypothèse de fond est la suivante : la culture devient savante dans la mesure où, au lieu de se référer au réel communément reconnu, elle se prend elle-même de plus en plus carrément comme référence. Ce qui pourrait être prolongé, ainsi qu'il est suggéré à la fin, en une sociologie des intellectuels et de la bourgeoisie.

[17]

La culture savante :
reconnaissance du terrain


par
Fernand DUMONT

professeur au département de Sociologie de l'Université Laval.

On parle de la culture savante, tantôt pour l'opposer à la culture dite populaire, tantôt pour désigner un champ plus vaste que celui qui est balisé par les épistémologies et les esthétiques. Il y a là une commodité de langage qui est pour le moins ambiguë : elle désigne l'aperception d'un problème plutôt qu'elle n'éclaire la voie d'une définition. On ne niera pas pour autant qu'elle corresponde à un besoin de la recherche, encore vague il est vrai.

Je me propose de circonscrire ce besoin dans le présent essai. Je ne promets aucune problématique à proprement parler ; je m'attacherai tout au plus à une reconnaissance du terrain.

... Voici, près de ma table, la photographie de mon père. En salopette de travail, il est debout à côté de la turbine dont il a eu longtemps la responsabilité à l'usine de Montmorency. Je porte souvent les yeux vers lui avant de m'attaquer à la page blanche. Il a fréquenté l'école trois ou quatre ans ; il savait lire le journal, il n'a jamais rien écrit. Je le sens un peu perdu parmi tous ces livres qui m'entourent. Je me rappelle qu'il s'inquiétait des nuits de lecture de mon adolescence et, plus tard, en visite chez moi, qu'il levait les bras au ciel en pénétrant dans mon repère d'écriture.

Et voici, sur le mur opposé, la photographie de Gaston Bachelard, l'un des maîtres de ma jeunesse. Comme je l'ai fait tant de fois pour me donner du cœur à l'ouvrage, je reprends ce merveilleux petit livre, son dernier, la Flamme d'une chandelle. Je relis : « En me souvenant d'un lointain passé de travail, en réimaginant les images si nombreuses mais si monotones du travailleur obstiné, lisant et méditant sous la lampe, on se prend à vivre comme si l'on était le personnage unique d'un tableau. Une chambre aux murs flous et comme resserrée sur son centre, concentrée autour du méditant assis devant la table éclairée par la lampe... Naître dans l'écriture, par l'écriture, grand idéal des grandes veillées solitaires. » Je crois revoir Bachelard à son séminaire de l'Institut d'histoire des sciences, rue du Four, lever les bras au ciel comme mon père mais avec de tout autres [18] pensées, confessant comme dans ce livre : « J'étudie ! Je ne suis que le sujet du verbe étudier... »

Philippe Dumont, Gaston Bachelard : deux êtres que j'ai beaucoup admirés et aimés, qui m'ont appris non pas seulement des idées mais des images de la vie, des visions des choses qui me sont restées chères. De l'un à l'autre, deux cultures, sans doute ; une distance certes. La question de la culture savante ne se poserait-elle pas d'abord, selon les suggestions d'un imaginaire à la fois fécond et trompeur, au creux de cette distance ?

I

Au premier regard, on aperçoit une dissociation essentielle dans toutes les cultures que nous connaissons : entre le savoir du commun et le savoir de l'initié ; entre les apprentissages de tous et les initiations réservées à quelques-uns ; entre des langages ordinaires et des langages plus spécialisés. Cette dissociation a revêtu des formes diverses ; elle s'est formulée selon des tâtonnements variés. Elle est particulièrement visible à notre époque.

Du nouveau roman au feuilleton imprimé ou télévisé, de l'art abstrait à l'aimable paysage, la distance est devenue si grande que l'on convient forcément de la coexistence de deux cultures. Quant à la science, on sait à quel point elle s'éloigne du sens commun qui commande nos représentations ordinaires. D'ailleurs, des niveaux élémentaires aux institutions supérieures, l'école marque des césures de plus en plus nettes entre les apprentissages dispersés dans la vie quotidienne et ceux que, à l'écart, définissent les programmes, les examens, les diplômes, les métiers, les professions. Dans la langue elle-même, on perçoit (Bernheim, Labov, d'autres) des différences qui sont de vocabulaire et de syntaxe et, plus encore, des façons de concevoir l'espace social, de nommer et d'interpréter l'expérience.

À partir de cette impression première, on est entraîné à en déceler des correspondances dans le passé des civilisations. Le sorcier des sociétés archaïques n'était-il pas le titulaire d'une culture particulière ? Le philosophe grec, successeur du chaman, ne cultivait-il pas des savoirs, des arts, un langage auxquels on n'accédait que par un apprentissage aux étapes relativement délimitées ? La distinction, consacrée par les clercs médiévaux, entre minores et majores n'était-elle pas plus aiguë [1] ?... Finalement, elle nous semble de tous les temps cette déclaration d'un correspondant de Pierre Viret qui écrivait, en 1565, à propos des ouvrages des Pères de l'Église : «  Les gens simples ne peuvent profiter par la lecture de ces livres si curieux, mais se doivent contenter de la simplicité de la foy, sans s'avancer trop et tourmenter pour atteindre à la sapience et connaissance des choses [19] hautes. Ça toujours esté la coutume de l'Église, par autorité des pasteurs, d'assembler les conciles pour cognoistre la doctrine, et non pas amasser les artisans et les marchands pour en faire jugement [2]. » Préjugé du temps où les Églises exerçaient le pouvoir ? Non pas. On se souviendra que Désiré Nisard, savant critique du XIXe siècle, départageait d'une manière semblable ce qui, dans les livres populaires confisqués par la police de Napoléon III, pouvait revenir au peuple et ce qui devait être réservé à la curiosité des lettrés et des savants.

L'historien, l'ethnologue, le sociologue travaillent, comme on sait, à partir des suggestions de leur époque. Chez eux, cette dissociation de la culture savante par rapport à l'autre culture suscite actuellement d'innombrables recherches. Pourquoi ne pas considérer d'un regard critique cet entraînement ? Plusieurs motifs, quantité de sentiments, beaucoup de concepts y sont confondus. Savoir, art, école n'ont jamais eu les mêmes fonctions ou les mêmes significations selon les contextes de sociétés et de civilisations. La distinction du populaire et du savant, si commode et si confuse, ne saurait être projetée sans précaution sur d'autres civilisations que la nôtre ou sur notre propre passé.

Par l'assurance de son éloignement quant au savoir et au sentiment communs, la culture savante de notre temps conçoit mieux que jamais qu'il y a une autre culture. Elle s'y attache pour la mieux connaître. Elle en éprouve nostalgie et mauvaise conscience. Le savant ou l'artiste essaient alors de combler, par leurs activités politiques, par leur attendrissement ou leur solidarité envers le peuple, le remords de la distance. Manœuvres contradictoires. Car le travail de la culture savante s'effectue grâce à la distance que le savant, l'artiste, le critique, l'école ne cessent d'élargir afin de pousser plus loin leurs initiatives.

En l'occurrence, deux mythes contemporains s'opposent. D'un côté, le savant ou l'artiste doivent créer ; c'est-à-dire produire du jamais vu et du jamais entendu, innover, sortir des sentiers battus, fuir loin de ce qui menace de devenir savoir ou sentiment assurés de tous et chacun. D'autre part, le savant et l'artiste doivent s'installer dans le monde, susciter des écoles, être attentifs à ce que disent d'eux les médias, fonder des pédagogies nouvelles, faire signe au prolétariat...

Ainsi se dessinent, en une première vue des choses, les alentours de la culture savante. La science et l'art servent de cautions ; mais, à la culture savante, il faut, de surcroît et dans une sphère idéologique plus complexe, définir la distance qu'elle prend envers la plus vaste culture.

Je citerai deux exemples parmi tant d'autres qui viennent à l'esprit.

Les livres de Léon Brunschvicg ont eu une grande influence en France avant la Seconde Guerre mondiale. Ils relèvent pour une large part de l'épistémologie, mais ils visaient davantage : la constitution d'une philosophie de l'esprit où celui-ci s'assurât de son dynamisme foncier. L'épistémologie s'achève et se dépasse alors dans l'élaboration d'une culture. Celle-ci emprunte [20] à la science, moins dans ses résultats que dans la réforme incessante qu'elle impose à la raison. En quoi consiste cette réforme ? À épouser le mouvement des constructions scientifiques, en prenant conscience de leurs sources et de leurs implications. Elle consiste aussi, et du même mouvement, à censurer la pensée commune. Voici deux textes qui illustrent ces deux tactiques complémentaires.

Le premier texte résume l'enseignement de la science : « Le trait dominant de la pensée du XXe siècle, c'est que la théorie idéaliste de l'intelligence s'y achève, en parfait équilibre, par la liaison constante, intime, de l'activité spirituelle et de la réaction expérimentale, sans s'égarer à poursuivre ce qui a été la double chimère du réalisme, le sujet en soi, l'objet en soi [3]. »

Dans le second texte, Brunschvicg en appelle, sans apparente coupure de la pensée, à une autre justification ; il affirme cette fois l'éloignement de la pensée authentique, de la culture savante, par rapport au sens commun identifié sans plus avec la pensée populaire : « Platon avait défini l'ascèse de la raison pure qui est le caractère du philosophe, la conversion à la clarté intime de l'idée, en opposition radicale de rythme et de sens avec la foi qui se tourne vers les images des poètes, vers les mythes de la tradition populaire [4] »...

À lire de pareils propos, on constate qu'il ne suffit pas à la culture savante de s'identifier avec la science ; celle-ci n'arrive pas, par sa seule existence, à assurer une vérité qui dépasse l'ordre du savoir. Sans quoi Brunschvicg se serait borné à pratiquer les mathématiques et la physique plutôt que d'y ajouter d'inutiles redondances philosophiques. Son entreprise, son œuvre s'expliquent par une exigence supplémentaire : la création d'une vie, d'une culture plus larges, que la science fonde sans les décrire, et que contredit l'autre culture, celle du sens commun et du peuple. Encore une fois, il est impossible de réduire ce travail, à partir de la science et contre la culture commune, à l'exploration de ses fondements que la science effectue et qui confine à l'épistémologie au sens le plus strict ; car la culture savante ne serait alors que vaine répétition de l'activité scientifique.

La vérité dont il est ici question ne se confond pas avec la vérification ; elle I se veut critère et pratique de l'existence. D'où l'exigence d'ajouter à la k science, qui les garantit, d'autres critères, d'autres normes, d'autres polémiques où l'on ne s'étonne plus de retrouver la récusation de « la tradition populaire ».

Cette idée de la vérité, plus ample et plus floue que celle qui se cherche dans le cercle étroit de la science, on en trouve une correspondance dans la notion de goût que l'art suggère. Le parallélisme est frappant. Le scientifique ne s'embarrasse guère d'éclairer les tenants et aboutissants de l'idée de vérité, la science lui fournissant les normes du vrai et du faux, les règles pour en discuter ; le peintre, le poète, le romancier ne s'interrogent pas non plus sur le goût, du moins quand ils peignent ou écrivent. C'est par une reprise de l'œuvre d'art pour la transformer en une conscience, en une [21]

culture plus large, que se propose ouvertement la question du goût. Ainsi que, dans un autre contexte, et par une dérive semblable, la vérité scientifique devient problème de culture.

Là-dessus, comme nous l'avons fait pour la science, il faudrait interroger moins l'artiste que le critique. Celui-ci ajoute à l'œuvre d'art ; il ne se limite pas à la répéter, pas plus que Brunschvicg ne répétait ce que la science dit fort bien à elle seule. Qu'ajoute donc le critique ? Il professe n'appuyer son commentaire que sur l'œuvre ; il n'est qu'un exégète privilégié parmi un plus large public. C'est là son assurance première, comme la science l'est pour l'épistémologie. Cependant, pour faire sourdre des œuvres des résonances qu'elles comportent mais qu'elles ne suffisent pas à dire, le critique les inscrit dans un univers plus vaste. Il classe les œuvres, les évalue, polémique contre la paresse des « philistins » ou contre les conceptions de l'art opposées à la sienne. Son effort est de faire de l'art une culture.

Voyons-le chercher ces critères de culture chez un historien de la littérature, contemporain de Brunschvicg. Dans un petit ouvrage qui naguère fut un classique, Van Tieghem définissait sa méthode : « La première opération est un choix : n'est digne du nom de littérature que ce qui offre une valeur, et une valeur littéraire, c'est-à-dire un minimum d'art. Ces écrits offrent à l'esprit, au cœur, une jouissance plus ou moins vive dans laquelle entre déjà parfois l'admiration [5]. » Valeur, valeur littéraire, jouissance, admiration : ne nous hâtons pas de dénoncer ce que peuvent avoir de vague et d'arbitraire de pareilles expressions. Il serait aisé de prélever dans le vocabulaire et les théories d'autres critiques d'art et de littérature des concepts plus rigoureux... ou plus hermétiques. Cela ne change en rien la nature du problème. Qu'il s'agisse de la critique impressionniste ou de celle qui s'inspire des structuralismes ou des sémiotiques, le commentaire vise toujours à situer l'œuvre dans un contexte de perception, de lecture, d'interprétation. Il en dégage une culture à la fois particulière, puisqu'elle est censée procéder des œuvres, et plus large, puisque le critique ambitionne de fonder ses choix dans le prolifique pays des goûts et des valeurs. La référence aux produits de l'art obéit au même impératif que celle qui prend garantie dans la science : se libérer de la culture commune, construire une culture savante.

Cette constatation se confirme si l'on élargit le regard à des pratiques sociales où la science et l'art sont présents, soucieux même de leur originalité, mais où ils sont aussi impliqués dans des pratiques sociales plus resserrées, plus pesantes, plus visibles. Il en est ainsi de la théologie pour la religion, du droit pour les appareils judiciaires, politiques, économiques. Alors, la science s'érige en norme d'institutions sociales ; elle en représente même une sorte d’axiomatique, de fondement réflexif [6]. Elle ne satisfait à cette prétention qu'en assumant les suggestions des pratiques qu'elle régente, [22] en faisant un sort aux expériences communes. La théologie s'alimente au consensus fidelium [7] ; le droit, à la coutume et à la jurisprudence. En somme, si la science s'éloigne de la culture commune, c'est pour se conférer autonomie et transcendance ; mais, en s'isolant ainsi, elle donne naissance, en retour, à ce qui ne saurait s'identifier seulement avec la science : elle engendre une culture savante.

Par suite de leur liaison à des pratiques sociales, théologie et droit sont particulièrement éclairants pour la question qui nous occupe. Mais l'enseignement que l'on en peut tirer s'étend à l'ensemble des disciplines scientifiques aussi bien qu'à l'ensemble des œuvres d'art et de littérature ; toutes sont intégrées, selon des degrés divers, à des pratiques sociales. Les sciences physiques sont liées aux développements des techniques et en sont influencées. Il en est de même pour les sciences humaines dans leur présence aux techniques sociales. Quant à l'art, fût-il d'avant-garde, il ne répugne pas à s'inspirer du folklore et, plus largement, des manières de sentir et de vivre, des objets les plus humbles de l'existence quotidienne ; à l'inverse, les innovations les plus audacieuses (on pense à l'art abstrait, entre autres) se diffusent dans l'architecture, l'ameublement, la publicité... Par ces emprunts réciproques, se forme un univers. L'épistémologie et l'esthétique y tracent des frontières pour confirmer la science et l'art dans l'originalité de leurs desseins ; elles sont impuissantes à justifier les compromissions de la science et de l'art dans des pratiques, ce qui leur permet de les informer, d'en retirer des suggestions, de devenir une culture.

Cette culture, les seuls critères du vrai et du faux, du bon ou du mauvais goût ne sont pas susceptibles d'en rendre compte. De la science à la technologie se constatent, non pas seulement une mise en application de vérités objectives, mais la jonction de la science avec des impératifs de l'économie et des pouvoirs, et même avec des préjugés et des modes quant aux finalités des sociétés. De la science à la diffusion ou à la «  vulgarisation  », il n'y a pas que la traduction de la connaissance acquise en procédures pédagogiques ; il se produit une transmutation du savoir par la vision du monde de ceux qui l'accueillent, au point où l'on a pu suggérer que ce qui est la science, à l'origine, devient une mythologie chez le consommateur. De même, l'art éclate en de multiples directions, sans doute sous les poussées imprévisibles de la créativité, mais aussi par la prolifération des publics, de leurs opinions. Ces publics, ces usages de la science et de l'art, on n'arrive pas tout à fait à les expliquer par des classes sociales ; ils se constituent aux environs de la science et de l'art. Insatisfaits des répartitions des publics en fonction des origines sociales, Escarpit a cru utile de distinguer entre « public actif » et « public passif » — la distinction prenant origine dans l'univers propre de la lecture [8].

[23]

Nous voilà amené, sinon à dissiper, du moins à dénoncer un préjugé que nous avions perçu au départ et qui se dissimule au cœur de toute tentative pour circonscrire la culture savante. Ce préjugé consiste à définir la culture savante selon une opposition symétrique à la culture populaire. Pareille opposition existe ; elle a une portée idéologique certaine. L'élite savante n'a jamais cessé de se concevoir par sa distance quant au « vulgaire » ; à l'inverse, le « peuple » n'a jamais manqué de reconnaître l'existence d'un savoir hermétique qui n'est pas le sien.

Cela ne saurait nous suffire. Ne serait-ce que pour la raison évidente que la culture bourgeoise, pour sa part, si elle cherche dans la culture savante les marques de son pouvoir et de son prestige, n'arrive pas à s'identifier avec elle. L'art aussi bien que la science, surtout dans les temps modernes, ont assez stigmatisé la « bêtise bourgeoise », le « mauvais goût bourgeois » pour que l'on ne s'y trompe pas. Dans ses justifications idéologiques, surtout dans les périodes de mutations du savoir ou de l'art, la culture savante use du repoussoir des « traditions bourgeoises » tout autant qu'elle mène le procès des « traditions populaires ».

Il y a davantage dans l'idéologie qui anime la culture savante qu'une opposition de classes sociales. Nous l'avons pressenti dans cette première approche du problème. La science et l'art acquièrent liberté envers la plus vaste culture, y récusant ce qu'il est convenu d'appeler le « sens commun ». Or cette dernière expression, courante aussi bien dans les ouvrages d'esthétique que dans les travaux d'épistémologie, est à double portée. D'une part, elle désigne les schémas habituels qui, dans une culture donnée, servent à percevoir le monde, à communiquer avec autrui, à exprimer l'existence de tous les jours ; pour s'en déprendre et poursuivre leurs constructions propres selon de nouveaux fondements, la science et l'art doivent se concevoir comme leur contrepartie. Il est devenu accoutumé, par surcroît, de confondre ce sens commun — partagé dans le quotidien aussi bien par le savant, l'artiste que par les autres hommes — avec le populaire. Ce préjugé s'est renforcé depuis que la science moderne, par une reprise de son dessein, a fait des peuples archaïques et des paysans l'objet d'un savoir systématique [9].

La confusion a pourtant un sens et un intérêt : ne serait-ce que de montrer que la science et l'art ne se suffisent pas en leurs démarches et leurs visées propres, qu'elles se cherchent de surplus une garantie qui soit de culture. Il faudra écarter cette méprise pour pousser plus avant l'analyse ; admettons néanmoins qu'elle contribue à définir notre objet, qu'elle nous assure à sa manière de l'existence d'une culture savante... Car on ne sonde des idéologies, comme je l'ai fait dans cette première partie de ce travail, que pour en extraire des enseignements susceptibles de conduire plus loin.

[24]

II

Par des ruses que nous avons entrevues et qu'il reste à démêler peu à peu (et au-delà de la présente esquisse), la culture savante s'exhausse au-dessus des pratiques terre à terre de la vie collective. Elle n'est pas en-dehors de la société ; elle est pourtant une sorte de société particulière où se formulent des critères, se cherchent des fondements. Dans un premier cheminement, j'ai repéré à gros traits des dégradés de cet univers : la science et l'art, vus de l'extérieur, dans le splendide et douteux isolement où leurs artisans nous les offrent ; l'épistémologie et l'esthétique, déjà plus compromises dans leurs tentatives pour ne dépendre que de la science et de l'art tout en se légitimant en contrepartie d'un environnement plus étendu ; des pratiques sociales, qui sont en liaisons plus ou moins directes avec les œuvres scientifiques ou artistiques, avec l'épistémologie et l'esthétique. Nul ne songerait à entériner cette espèce de transcendance que suggèrent les idéologies professées par la culture savante. Encore serait-il puéril de perdre de vue la logique de ces constructions, ce qui fait leur particularité parmi tous les phénomènes de culture, ce qui est susceptible d'éclairer en son ensemble la genèse de toute culture.

Puisqu'il a été jusqu'ici question d'idéologie, et pour ne point interrompre le fil des suggestions recueillies, n'est-on pas obligé de remonter jusqu'aux fonctions de la parole, du langage ?

D'une certaine manière, la parole est une conduite comme les autres. Émettre un énoncé équivaut à poser un geste. Par contre, le langage est un présupposé de l'action ; avant que je parle, une réserve de significations, de modèles et de règles est disponible dans le langage et qui prédétermine ou du moins annonce ce que je vais dire. Mais, à y bien penser, il n'en est pas autrement pour n'importe quel comportement : les schémas de la plupart de mes conduites, parfois jusque dans leur détail, ont été acquis auparavant, dans des processus d'apprentissage. Et pour que mes conduites s'intègrent à celles d'autrui, pour que je m'attende de sa part à des réactions prévisibles, je suis contraint, et lui aussi, d'adopter, fût-ce pour la contestation, des schèmes d'action dont nous pourvoient des conventions préalables. Comment ces schémas seraient-ils appropriés, comment ces apprentissages seraient-ils possibles sans l'acquisition de repères, de signes, qui émergent des essais et erreurs et constituent ainsi des modèles et des formes transférables ou adaptables ensuite à des situations changeantes ? L'expérimentation sur le conditionnement ou l'apprentissage des animaux le montre avec évidence. Dans le labyrinthe, le rat répète plus ou moins longuement les essais et erreurs qui mènent au bon objectif ; il finit par acquérir des points de repère, des signes qui, surgissant des tâtonnements, donneront formes à des comportements proprement dits. De quelque manière, il en est ainsi pour les conduites de l'homme. Sauf que ces repères et ces signes, partout présents dans nos vies, le langage articulé les assume, les dépasse, les refoule dans un nouveau travail de l'expression.

[25]

Le psychologue Bruner distingue dans le langage trois fonctions principales et complémentaires : représenter ce qui est absent ; transformer la réalité selon des règles conventionnelles ; coder l'expérience [10].

Le langage me permet de me représenter ce qui est absent. Je ne parle pas uniquement de ce qui est là, dans mon champ de perceptions. J'évoque des personnes qui sont loin ou même des gens que je n'ai jamais rencontrés ; je fais allusion à des lieux où je ne suis pas, à d'autres que je n'ai pas visités ; je me réfère à des événements que je ne connais que par ouï-dire. Je parle du passé, je suppute l'avenir. Me faisant surmonter la perception ou l'expérience immédiate que j'ai des autres et de la nature, cette faculté de me représenter ce qui est absent me permet de transformer le monde qui m'entoure d'après des techniques modifiables, discutables qui affirment ma présence en tant qu'acteur responsable de la signification de l'univers. De la sorte est possible la codification de l'expérience, un retour sur elle, la confrontation de ses normes, la redescente vers ses fondements.

1. Le langage n'est pas un simple rassemblement des signes inhérents à mes autres conduites. Il possède sa structure propre, au point où il m'égare souvent très loin de mes gestes et de mes intentions. Si le langage s'appuie sur mes autres conduites, s'il en procède, il les domine aussi comme un horizon. Bruner remarque pertinemment que l'enfant ne cumule pas les expériences qui en feraient, à la fin, un adulte ; l'enfant organise ses expériences. Certes, il y arrive par son langage à lui ; mais ce langage, bien loin d'être la redondance de sa propre expérience, se forme par confrontation avec le langage de l'adulte. L'enfant parle pour assumer ses conduites ; il en propose à l'adulte un « compte rendu », réorganise celui-ci en conséquence du dialogue qui s'ensuit [11]. L'adulte, on l'aura compris, ce n'est pas seulement la mère, le père, mais tous ceux qui sont les titulaires d'un héritage de techniques, d'informations, de sens.

2. Horizon, le langage est par conséquent doué d'une historicité propre. Nous rendant capables de nous représenter ce qui est absent, aptes même à évoquer le néant, le langage tisse sa propre trame à travers nos autres conduites ; il soutient le sentiment que nous avons d'une histoire personnelle et d'une histoire collective. Grâce à lui, nous nous fabriquons une continuité, une mémoire. Celle-ci serait-elle illusoire, c'est par le langage encore que nous la dénonçons et par lui aussi que nous en élaborons une nouvelle tout aussi précaire et tout aussi nécessaire. Dans le cours habituel du temps, je ressens mon identité sans m'en inquiéter ; quand il [26] m'arrive de m'en enquérir, je me parle à moi-même et aux autres pour construire mes souvenirs ; comme l'enfant qui réorganise ses propositions spontanées devant l'urgence d'une plus large cohérence, urgence qui lui vient de l'adulte.

3. Constituant un horizon, capable d'une historicité qui lui soit spécifique, on comprend que le langage comporte des lieux propres et des modalités originales d'exercice au sein de la vie personnelle et collective. Ces lieux et ces modalités forment une espèce d’organisation sociale du langage dont on pourrait, je crois, déterminer trois composantes : des « cercles de parole », des processus d'apprentissage, des rôles.

À propos des cercles de paroles, les observations de Bruner fournissent une première illustration en mettant en évidence l'importance des dialogues de l'enfant et de l'adulte. Il nous est loisible d'élargir ces observations à des réseaux de conversations, à des circonstances souvent prédéterminées par des conventions où intervient le discours, à des complexes de choses nommées et à nommer, à des conduites typiques à comprendre par la médiation du langage.

Quant à l'apprentissage du langage — en particulier pour ce qui concerne cette relation à l'adulte dont j'ai souligné l'importance décisive — il dépend de formes sociales particulières : de la famille ou de ses substituts, de la relation maître-élève, de ces recettes pédagogiques héritées de la coutume ou transmises par des recueils de conseils si répandus aujourd'hui, du statut du spécialiste des troubles du langage, du contact quotidien plus ou moins intense avec les noms de rues, les affiches, la publicité des magasins.

Enfin, les cercles de paroles, les procédures d'apprentissage supposent des rôles originaux : parents et enfants, maîtres et élèves, pédagogues et clientèles, etc. La plupart de ces rôles ne sont pas uniquement voués au langage ; ils placent néanmoins dans des situations types de paroles. Ils encadrent des conversations et indiquent parfois leurs contenus : il y a, par exemple, des manières qu'ont le père ou la mère de parler à leurs enfants, et réciproquement, qui sont faites de règles plus ou moins explicites ; il y a des choses que l'on se dit, dans ces relations, qui ne seront pas exprimées ailleurs ou ne le seront pas de la même façon...

III

La parole reprend, prolonge ou conteste les signes qui, de toute manière, participent à un même univers que lui. Il me paraît que l'on puisse, à propos de la culture, discerner un autre dédoublement qui n'est pas sans analogie avec le premier.

La parole, telle que j'en ai faite état jusqu'ici, est encore au ras de la pratique quotidienne. À bien des indices, elle y prend une place originale, comme nous l'avons reconnu à propos des « cercles de paroles », des apprentissages et des rôles ; elle y demeure néanmoins en continuité avec [27] une existence tissée d'une même étoffe. La langue, en tant qu'elle transcende à sa façon la parole, nous porte à un autre niveau, introduit à un dédoublement qu'il m'est arrivé ailleurs de qualifier en termes de culture première et de culture seconde.

La culture première n'est pas un « morceau » de la culture ; elle est tout entière culture en tant que celle-ci est vécue comme un milieu de mes actions et de mes velléités. Au long de ma vie quotidienne, je me sens dans un univers significatif ; les choses, les personnes font courir de moi à elles, d'elles à moi des correspondances de signes et de symboles où je me reconnais ; j'use de la parole sans m'attarder à sa logique ou à ses mystères, le langage me semblant spontanément à portée de mes intentions. Par contre, à certaines heures, la culture est ramassée devant moi, dans des œuvres, qui mettent en cause le sens accoutumé du monde, d'autrui. Le poème, le roman, le théâtre, la peinture, la musique, la liturgie, la science viennent au-devant de moi ; ils interrogent les perceptions, les conduites, les paroles qui, elles, me paraissent provenir tout naturellement de moi. Renversement de perspectives dont la science et l'art contemporains témoignent avec une particulière évidence. Ce renversement se retrouve aussi dans le mythe, dans les codes juridiques, dans les théologies ; et tout autant dans les idéologies, auxquelles j'adhère sans les avoir fabriquées, qui se proposent à moi comme des discriminants de mes intentions, et non comme leurs simples reflets.

Pas plus que dans la démarcation des signes et de la parole, qui nous a d'abord retenu, on ne saurait trouver, dans cette distinction de la culture première et de la culture seconde, une radicale répartition de matériaux de culture. Les poèmes ou les romans que j'ai lus, les pièces de théâtres ou les films auxquels j'ai assisté, les connaissances scientifiques que j'ai assimilées, les pratiques juridiques ou religieuses auxquelles j'ai été mêlé, les idéologies que j'ai épousées ou contestées, tout cela est désormais mêlé à mes perceptions, à mes sentiments de chaque jour. Une constatation semblable s'impose pour l'histoire collective : le romantisme est devenu conception courante de l'amour, les meubles que nos grands-mères admiraient dans le catalogue d'Eaton sont maintenant décor obligé, l'architecture de béton nous est familière ; par contre, à lire le nouveau roman on regrette Flaubert, le grégorien provoque la nostalgie... C'est du sein de l'existence que la culture se dédouble. Les éléments de l'une et l'autre culture se déplacent ; les uns, d'horizons qu'ils étaient hier, sont devenus milieux ; d'autres ont surgi comme horizons. De sorte que le dédoublement nous conduit non pas à un dénombrement mais à une histoire de la culture.

1. Ce n'est donc pas par hasard que voulant désigner l'originalité de la culture seconde, j'ai spontanément utilisé un mot qui m'avait servi déjà pour distinguer la parole des autres signes ; j'ai parlé d’une fois de plus. C'était simplement marquer que, de la musique à l'idéologie, les œuvres de culture me confrontent plutôt qu'elles ne m'habitent. Quand les scribes mirent par écrit les traditions orales du peuple juif, ils ne désiraient qu'enregistrer des coutumes insérées dans la vie collective depuis fort longtemps ; pourtant, ces récits, lus devant le peuple dans les cérémonies [28] solennelles, en acquéraient une autre existence. Transposée et remaniée dans l'écriture, la culture naguère vécue devenait objet de culture, défi, norme, contestation de la vie. Il n'en va pas autrement pour le poème, le roman, le théâtre, la musique, la science. Toutes ces œuvres de la culture seconde empruntent aux perceptions, aux sentiments, aux conflits, à l'imaginaire accoutumés. Elles les assument ; elles les contredisent aussi.

2. Il est dès lors légitime d'invoquer une historicité spécifique de la culture seconde, comme nous l'avions fait pour la parole à un autre palier. Une fois nés, les mythes en suscitèrent d'autres ; on tenta de les concilier dans des ensembles, d'en discerner des fondements et des justifications. Du moment où les traditions furent mises par écrit, de nouveaux commentaires devinrent possibles sur leurs sources, leur transmission. L'idéologie conteste d'autres idéologies dans un univers original du langage, des partis, des factions, des événements. L'œuvre d'art et de littérature, la découverte scientifique, la doctrine philosophique s'engendrent selon des devenirs historiques particuliers, donnent lieu à des mutations, à des querelles et à des écoles que la critique s'efforce de situer dans des sphères qui leur soient propres.

Cette historicité, ces histoires de la culture seconde nous donnent l'impression de relever d'un autre niveau de l'existence que celui où nos actions se déroulent sans laisser de traces qui méritent d'être superposées à la monotonie de nos jours. Elles servent de repères à notre sentiment qu'il y a une histoire tout court : un passé qui s'étend loin derrière nous, un avenir qui se prolongera peut-être au-delà de notre mort. La culture seconde nous sort de la quotidienneté ; elle nous force à convenir qu'il y a une culture, c'est-à-dire un devenir du monde et de l'humanité. Quand le mythe décrivait les origines des choses, quand le conteur populaire racontait les légendes, chacun des auditeurs se haussait au-dessus de lui-même pour envisager l'univers infini du sens où il se trouvait pris. Quand l'historien grappille de-ci de-là dans les signes qui nous restent du passé, parfois les plus humbles, et qui autrefois faisaient partie sans problème de la culture première, il nous entraîne au-delà de notre propre vie ; il nous persuade qu'il y a une histoire de l'humanité. De même, et peut-être davantage, quand j'écoute Bach ou que je relis Platon.

3. En conséquence, la culture seconde contribue, à l'exemple de la parole, à créer des lieux de production et de transmission, des modes d'apprentissage, des rôles qui forment une organisation sociale particulière. Cela est même plus évident que pour la parole ; mais, d'un cas à l'autre, l'homologie est suggestive.

Ainsi qu'il existe des « cercles de paroles », il y a des cercles de la culture seconde. Les discussions sur les œuvres se déroulent toujours, de quelque façon, à part des autres. Les commentaires du mythe ou de ses rites, les confrontations idéologiques, les écoles artistiques, scientifiques ou philosophiques supposent des aires de discussion, des critères élaborés et spécialisés d'évaluation. L'art, la science, l'idéologie suscitent des publics particuliers, des cercles de pensée et de sentiments tout autant qu'ils s'en alimentent.

[29]

Il en résulte des apprentissages, des institutions de support, des initiations consacrés officiellement. Avec leurs cheminements obligés, leurs rites de passage, leurs diplômes, leurs infrastructures politiques, les systèmes scolaires en sont le plus éclatant exemple. Les écoles artistiques, philosophiques, scientifiques, les académies et les revues spécialisées en témoignent tout autant. Les groupes d'initiés, les associations d'amateurs de toutes espèces, les maisons d'édition, les entreprises multiformes de l'industrie culturelle, tout cela aussi contribue au monde bigarré de l'apprentissage. Des modestes écoles d'autrefois aux sessions de fin de semaine qui aujourd'hui initient à l'art de comprendre autrui ou d'élever ses enfants, l'apprentissage relève d'une énorme organisation où la culture première se reporte de plus en plus à une culture seconde.

Du même mouvement, la culture seconde engendre des rôles qui lui sont propres : le chaman, le mage, le prophète, le prêtre, le philosophe, le professeur, l'humaniste, le savant, le chercheur, l'écrivain ou l'écrivant, l'artiste, l'intellectuel... Chacun de ces rôles ne se comprend que dans des contextes qui ont varié à la mesure des changements de la culture seconde, des formes qu'elle a prises dans les civilisations, des variétés d'apprentissage qu'elle a suscitées, des assises qu'elle a cru se donner ou s'approprier.

IV

La parole est de l'ordre de tous les signes ; elle s'en dégage pourtant pour s'affirmer en un univers propre dont, par sa vertu de dominer la parole elle-même, le langage est la plus éclatante confirmation. De même, la culture seconde se mêle à la culture première, y déverse ses produits pour en faire un milieu commun d'existence ; néanmoins, par les œuvres qu'elle construit, l'organisation sociale qu'elle se donne, elle est un horizon similaire à la parole, plus semblable encore au langage. Mais analogie n'est pas raison. À partir de ces suggestions fournies par des impressions premières, il reste à chercher où pourrait bien, dans l'ensemble de la culture, se situer la rupture, le renversement qui fonde la culture seconde, engendre la culture savante.

Les signes renvoient à des référents ; ils désignent des choses, des situations, des autrui. Ils sont aussi agglomérés entre eux. Les gestes qui s'entremêlent avec mes paroles ne font pas que désigner des réalités ; ils déroulent des chaînes de sens. Une conversation n'est pas qu'une suite de références au monde ; elle comporte son organisation propre, sa morphologie, sa syntaxe. Il y a donc une épaisseur, une logique des signes qui leur confère un autre statut que celui d'une réduplication d'une hypothétique réalité.

Cette constatation banale indique la possibilité de la culture seconde. Elle ne suffit pas pour en démontrer la nécessité. Peut-on énoncer, en une brève formule, ce qui conduit de cette possibilité à cette nécessité ? Je m'y [30] essaierai. Si les signes reportent à des référents tout en s'associant entre eux, si la culture désigne un monde tout en étant elle-même un monde, une virtualité s'en dégage et prend forme dans la culture seconde, devient en quelque sorte officielle dans la culture savante : à la limite, la référence aux choses s'estompe ; la culture se réfère à elle-même.

Pour m'en expliquer, je mettrai ensemble des observations que l'on peut faire de gauche et de droite.

La première, je l'ai déjà enregistrée en insistant sur sa teneur éminemment suggestive. Je l'ai empruntée à Bruner. Dans l'apprentissage du langage par l'enfant, la parole ne croît pas en complexité par son seul rapprochement avec des situations différenciées ni même par les seuls pouvoirs des signes ; il lui faut affrontement de langages. Apparaît alors la culture en ce qu'elle a d'irréductible à la référence aux choses.

Restons tout près de ce premier exemple. L'apprentissage de la lecture chez l'enfant semble obéir à des exigences du même genre. Il a paru longtemps évident que l'enfant apprend à lire en rappliquant des signes écrits sur des choses correspondantes. N'est-ce pas vérité de sens commun ? Ne passe-t-on pas des mots parlés aux mots écrits en superposant des signes à d'autres ? Nos expériences personnelles d'apprentissage auraient dû nous en prévenir : alors que l'école nous enseignait péniblement à déchiffrer l'alphabet, c'est par le contact avec l'imprimé (les bandes dessinées du journal que lisait à haute voix mon père, me tenant sur ses genoux...) que l'écrit s'est révélé à chacun. S'appuyant sur des recherches méthodiques, un psychopédagogue nous confirme dans nos souvenirs : il est « fort probable que l'enfant d'aujourd'hui apprend à lire en s'imprégnant précocement des différents types d'écrits qui lui sont lus par les adultes qui l'entourent. L'usage du livre illustré par l'enfant qui ne sait pas encore lire en est un bon exemple : non seulement ces livres lui sont lus, mais il éprouve souvent un grand plaisir à les raconter à son tour après avoir mémorisé une grande partie du matériel linguistique dont ils sont faits. À l'inverse, beaucoup d'enfants qui semblent savoir lire dans leur manuel de lecture sont incapables de transférer leur apparente capacité à d'autres écrits : il se trouve que ce sont ceux qui sociologiquement ne bénéficient que d'un apport très limité de culture écrite avant leur apprentissage [12] ».

Ainsi, il ne suffirait pas, pour savoir lire, d'apprendre de nouveaux signes et leurs correspondances à des choses ; il faudrait se hausser jusqu'à la référence à des signes particuliers qui soient eux-mêmes des référents, un monde. Bien plus, ce monde n'est pas seulement celui de l'imprimé. Il constitue une culture : un environnement où l'écrit a sa place, fait converger vers lui l'écoute du sens, fait rayonner de lui une autre vision des choses.

Je greffe là-dessus, au passage et en attendant d'en développer ailleurs les implications, d'autres données et d'autres problèmes. Ainsi les recherches sur les analphabètes dans nos sociétés occidentales montrent que [31] beaucoup d'entre eux ont fréquenté l'école et ont oublié ensuite, faute d'un contact maintenu avec l'écrit. Les difficultés d'apprentissage en milieux dits « défavorisés » sont évidemment liées à la misère matérielle et à la désorganisation sociale ; mais il se pourrait qu'elles fussent dues plus encore à l'absence de contacts quotidiens avec le papier, le journal, l'écrit. Et, à la suite, on fera l'hypothèse que l'école du passé n'a réussi, après bien des louvoiements et des échecs, à vaincre l'analphabétisme moins par la multiplication des établissements ou par la scolarisation obligatoire qu'en faisant du milieu scolaire, plus refermé sur lui-même, un cercle de culture seconde ; relativement coupé de son milieu habituel d'existence, l'enfant a pu se reporter à l'univers de l'écrit comme à un référent particulier... [13]

Accéder à la parole par confrontation avec les paroles de l'adulte, parvenir à la lecture par la confrontation avec l'écrit : il n'y a pas là des continuités de sens mais des ruptures.

Pourquoi, en conséquence, n'admettrions-nous pas que l'écrit existe grâce à son autonomie quant aux choses, qu'il y fait allusion plutôt qu'il ne les désigne ? Je lis un roman sans y chercher une description d'une réalité interposée. Sans doute, si je n'existais pas parmi les êtres de ce monde, je ne comprendrais rien de ce que l'auteur me raconte. Mais le récit (quand il s'en trouve encore) me porte dans un autre univers, comme le conte et la légende le faisaient pour mes ancêtres. C'est sur lui que je maintiens l'attention, au point où mon existence se perd au profit d'une autre, que plutôt que de m'attarder au déroulement des événements de ma propre vie, je m'attache à ces délégués de l'auteur, à ces délégués de moi-même que sont les personnages du roman. Ce livre que je tiens dans mes mains est, à l'exemple du conte des anciens, à lui seul un objet bien concret et enfermé sur son dire ; il est une référence. Et s'il me rappelle d'autres romans et d'autres romanciers, il est l'indice d'un report à un autre monde que celui-ci : à celui de la littérature.

Choisissant le roman, je n'ai pas élu le cas le plus décisif. Le poème, la peinture, la musique sont encore plus probants quant à une culture seconde qui ne se constitue qu'en produisant des œuvres, qu'en se produisant comme référence. À la limite, le signe n'y est que signe de la signification. Comment entendre autrement la musique ? Ou ces vers de Valéry que je lisais hier :

La mort veut respirer cette rose sans prix
Dont la douleur importe à sa fin ténébreuse...

[32]

Cette mort qui veut et qui respire, qui est attentive à la rose, ce n'est la mort de personne. C'est la poésie qui la suscite. Comme sa propre rose, sa douleur, sa fin, sa ténèbre... L'écriture s'est établie en son domaine [14].

En est-il autrement pour la science ? À les comparer côte à côte, rien de plus étrangers l'un à l'autre qu'un poème et une théorie scientifique. Ils ont cependant, dans l'empyrée de la culture seconde et dans l'espace de la culture savante, un trait fondamental en commun. Pas plus que l'art, la science ne décrit le monde. Elle en construit un autre ; elle explique l'univers familier à nos sens en n'y voyant plus que prétexte pour sa propre organisation des références. Elle se reporte à elle-même autant qu'à sa différence. Comment comprendre autrement l'alternance de l'expérimentation et de la théorie et, plus encore, leurs conjonctions de plus en plus subtiles ? « L'esprit scientifique installe, par l'organisation rationnelle des concepts, de précieux robots psychologiques... Toute pensée scientifique se dédouble en pensée assertorique et en pensée apodictique, entre une pensée consciente du fait de pensée et pensée consciente de la normativité de pensée... Dans l'effort de la pensée scientifique, la conscience juge son jugement. Elle apporte une valeur au-dessus d'un fait [15]. » On ne saurait mieux dire que la science engendre une culture seconde parce qu'elle a conquis, aux dépens du monde, sa référence à elle-même, aux procédés, aux signes, aux valeurs qu'elle a produits [16].

[33]

V

Je n'ai brodé que quelques approximations autour d'une hypothèse qui paraît féconde.

De la plus modeste parole aux œuvres de la culture seconde, de celle-ci aux idéologies de la culture savante, la culture tout entière serait traversée par un déplacement de la référence qui, du monde, se reporterait vers la culture. Sans doute, les paroles, le langage, le poème ou la théorie de la relativité font appel aux choses ; sans quoi, ils me seraient inintelligibles. Mais ils deviennent à leur tour des choses, qui me sont autant repères que cette réalité à laquelle m'ont accoutumé ma vie quotidienne et les conventions de ma société.

C'est pourquoi, à bien y songer, nous sommes devenus capables de parler de la culture comme d'une entité : en dédoublant le monde et les procédés par lesquels nous l'interprétons, en faisant de l'interprétation un monde en soi. La culture comme horizon, comme engendrement d'une histoire qui lui soit propre, emprunterait de là sa possibilité et son emprise.

Tenant ferme à cette hypothèse centrale, nous sommes invités à revenir en arrière, à réexaminer à nouveau cette organisation sociale de la culture seconde qui nous avait déjà retenus.

Ce que j'appelais des « cercles de culture », ne serait-ce point des milieux particuliers où, dans des conjonctures historiques tort diverses, la référence à la culture s'est conquise aux dépens de la référence au monde ? L'agora des Grecs, les universités médiévales, les réseaux de relations des humanistes de la Renaissance, la chambre du Père Mersenne ou les collèges des Jésuites, la Royal Society ou l'Académie des sciences, les écoles de littérature ou de peinture, le laboratoire ou l'observatoire : la recension serait infinie et elle ne devrait pas manquer de souligner les différences de conditions de temps et de sociétés. Elle offrirait une sorte de phénoménologie de ce vaste processus par lequel, de la société plus vaste, on est arrivé à des sociétés plus restreintes, où le monde est apparu différent parce que l'on portait moins le regard sur lui que sur la manière de l'appréhender.

Quant aux apprentissages, ne sont-ils pas un ensemble de procédés pour rompre les références accoutumées au monde, pour tourner l'attention vers la culture ? Apprendre les langues anciennes, comme il fut longtemps de mode, apprendre les mathématiques, s'initier à la littérature ou à l'art, n'est-ce point décrocher d'un ensemble de références pour en acquérir d'autres qui soient envisagées pour elles-mêmes ? Ces dernières n'étant pas la réplique ou la simple extension des signes habituels, la pédagogie suppose une conversion. De cette conversion, les dialogues socratiques demeurent une bonne description ; il faudrait en retrouver les variantes dans le fouillis des institutions et des doctrines pédagogiques des temps modernes.

Pour ce qui est des rôles liés à la culture savante, notre hypothèse engage à les envisager moins comme un produit de la division du travail social que comme un produit d'une division du travail culturel : en tant qu'ils prennent sens dans le déplacement de la référence. L'intelligentsia participe, il est vrai, aux répartitions des tâches communément reconnues : [34] elle est faite de conseillers des princes, de professeurs, de journalistes, de chercheurs... Mais sa singularité foncière lui vient d'un dépassement (effectif ou illusoire, n'en discutons pas ici) qu'elle s'attribue par rapport à la culture commune.

En certaines conjonctures historiques, ce dépassement fait question. Il manifeste alors sa teneur paradoxale. On se souvient du fameux « Manifeste des intellectuels » publié, au cours de l'affaire Dreyfus, par le journal l'Aurore. Il suscita de vives réactions... chez d'autres intellectuels. Il vaut la peine de citer la dénégation de Barrés : « Une demi-culture détruit l'instinct sans lui substituer une conscience. Tous ces aristocrates de la pensée tiennent à affirmer qu'ils ne pensent pas comme la vile foule. On le voit trop bien. Ils ne se sentent plus spontanément d'accord avec leur groupe naturel et ils ne s'élèvent pas jusqu'à la clairvoyance qui leur restituerait l'accord réfléchi avec la masse. Pauvres nigauds qui seraient honteux de penser comme de simples français... [17] »

Barrés écrivait des romans, cultivait un nationalisme nourri de littérature ; il était mal placé pour invoquer la conscience des « simples français ». Chez lui, la culture savante en appelle à l'autre culture, à la fois pour confondre l'adversaire et s'assurer de son propre dessein. Le cas n'est pas unique, et il n'est pas exclusif à ceux que l'on range communément à droite ; aujourd'hui comme hier, l'intellectuel de tous les horizons politiques éprouve le besoin de se réconforter en se déclarant l'écho ou l'éducateur du peuple.

Ce malaise illustre, à nouveau, le déplacement de la référence dont nous parlions : l'assurance que la culture savante se donne de ses propres assises, la légitimation qu'elle croit ensuite y trouver pour se prononcer sur les débats de la culture commune. Là encore, on le voit, il ne saurait suffire que l'intellectuel se réclame des critères de l'épistémologie ou de l'esthétique : en quoi ceux-ci confèrent-ils autorité pour juger de l'affaire Dreyfus, de la décolonisation ou du sort du prolétariat ? À partir de là, une théorie de la culture savante devrait se convertir en une sociologie de l'intellectuel.

Et pourquoi pas aussi, en une sociologie de la culture bourgeoise ? Il n'est pas question — j'en ai rappelé plus haut les raisons — de confondre culture savante et culture bourgeoise. Par contre, on n'a pas tout dit de celle-ci quand on a souligné qu'elle emprunte à celle-là ses emblèmes et ses arguments. La bourgeoisie n'appuie pas seulement sa domination, on le sait, sur le pouvoir économique ou politique ; il lui faut montrer que ce pouvoir est légitime, qu'il relève d'un style de vie plus élevé, plus universel que les autres. Ce travail pour se distinguer du populaire, du commun, vise à faire de la culture bourgeoise une référence spécifique ; et c'est, en retour, l'originalité de la culture bourgeoise d'entretenir sans cesse, par mille moyens renouvelés, les signes de cette spécificité. Comment, dans ces efforts, ne pas reconnaître, une homologie certaine avec ceux de la culture savante ? Ce qui expliquerait que l'on confonde souvent les uns et les autres.

Me voilà aventuré bien au-delà de la première reconnaissance du terrain que j'avais promise...



[1] Voir, pour un cas précis, l'étude de Benoît Lacroix et Albert Landry : « Quelques thèmes de la religion populaire chez le théologien Thomas d'Aquin », dans Pierre Boglioni (éd.) : la Culture populaire au Moyen Âge, Paris, L'Aurore, 1979, p. 163-181.

[2] Cité par Robert Mandrou : Des humanistes aux hommes de science, XVIe et XVIIe siècles, Paris, Seuil, 1973, p. 16-17.

[3] Léon Brunschvicg, De la vraie et de la fausse conversion, Paris, P.U.F., 1951, p. 105.

[4] Ibid., p. 4.

[5] P. Van Tieghem, la Littérature comparée, Paris, Colin, 1931, p. 10.

[6] On en dira autant de l'art dans certains cas ; je pense, entre autres exemples, à la liturgie et (pourquoi pas ?) à la présence du chansonnier ou du savant dans les manifestations politiques...

[7] De cette inspiration, j'ai montré brièvement ailleurs la complexité, les antinomies, les difficultés : « Remarques critiques sur la théologie du consensus fidelium », dans Foi populaire et foi savante, Paris, Éd. du Cerf, 1976. Il serait intéressant de poursuivre un examen parallèle pour le droit.

[8] Robert Escarpit, « Y a-t-il des degrés dans la littérature ? », Société française de littérature comparée, Actes du VIe congrès, Littérature savante et littérature populaire, Paris, Didier, 1964, p. 8.

[9] Voir mon essai sur « la genèse de la notion de culture populaire dans la culture savante », Actes du congrès international sur les cultures populaires, à paraître.

[10] Les travaux de Bruner sur le développement de l'enfant n'ont pas été, à ma connaissance, traduits en français. On se reportera à une excellente synthèse, qui fait juste place à l'expérimentation : Nadia Archambaud, « Le rôle du langage dans le développement cognitif selon Jérome S. Bruner », Bulletin de psychologie, 29, 320, 1975-76, p. 45-56. Cet article m'a été communiqué par ma fille Hélène.

[11] « Si l'on observe l'apprentissage du langage à ses débuts, on constate qu'il se base sur l'échange avec l'adulte et l'enfant plus âgé. L'enfant émet un message dans une forme qui lui est propre. Son interlocuteur élargit ce qu'il vient de dire dans une forme grammaticale d'adulte. Puis l'enfant compare sa réplique au modèle. Le dialogue est un échange informateur et formateur. » (N. Archambaud, art. c/t., p. 47). Bruner se souvient du dialogue socratique...

[12] Jean Hébrard, « École et alphabétisation des Français au XIXe siècle : approche psychopédagogique à des documents historiques  », Annales, 35, 1, janvier-février 1980, p. 69.

[13] Voilà qui contredit les idéologies à la mode sur I ouverte. Ouverte à quoi ? Sur un autre milieu, de bourgeoisie, où le livre, les propos savants sont monnaie courante ? Ou sur un milieu autre, où l'écrit n'a pas de signification ? Pour ma part, je me félicite que les frères maristes à Morency ne m'aient rien donné à apprendre qui supposât une bibliothèque familiale ou des parents savants. Pour le mieux ou pour le pire, j'y ai pris la passion de la lecture et de l'écriture et j'y ai trouvé ma vocation de professeur ; j'y ai découvert que l'école n'est pas la redondance de la société mais une société de référence. Aussi n'ai-je pas eu de mal à comprendre Bachelard quand il proférait cet apparent paradoxe : l'école n'est pas faire pour la société, c'est la société qui est faite pour l'école.

[14] Reprenant la distinction, bien connue des linguistes, entre première et deuxième articulation, A. Cioranescu considère la littérature comme l'analogue d'une troisième articulation. Il s'appuie sur une constatation semblable à la mienne, mais il limite celle-ci à la littérature : « La différence du discours littéraire par rapport au discours purement linguistique est évidente : celle-ci me maintient attaché au référent réel et à son environnement de facticité, tandis que dans le discours littéraire je construis et j'invente mon référent à mesure que je formule mon énoncé. (« Troisième articulation : la littérature », Diogène, 109, 1980, p. 13). Cette restriction est abusive ; par les exemples que j'ai cités, je crois avoir fait pressentir l'existence d'un champ plus vaste.

[15] Gaston Bachelard, le Rationalisme appliqué, Paris, P.U.F., 1949, p. 25.

[16] Les propos de Bachelard sont d'une trop grande ampleur, m'objectera-t-on. Il semble pourtant que des recherches plus circonscrites, plus proches de la monographie, confirment mon hypothèse de fond : à savoir que, dans la science, celle-ci devient référence. Je retiens les conclusions d'un ouvrage de Latour et Woolgar (Laboratory Life. The Social construction of scientific facts, Beverley Hills, 1979). Faute d'avoir pu disposer à temps de ce livre, je rapporte le résumé qu'en donne Helga Reuter dans un numéro récent de Sociologie du travail (22, 4, 1980, p. 460) : « L'explication des données qu'apportent Latour et Woolgar ouvre une nouvelle perspective à la discussion sur la nature des disciplines scientifiques. En effet, en montrant que l'objet de travail des chercheurs qui servait comme base de la distinction entre domaines de la science (la nature en sciences de la nature, l'homme en sciences de l'homme, etc.) perd sa signification face à un objet de travail beaucoup plus réel : les énoncés. Ainsi, l'objectif de toute activité scientifique consisterait-il non pas dans le désir de produire de la réalité, mais dans l'intention agnostique d'agir sur des énoncés existants et de les remplacer par des énoncés moins facilement invalidables. L'ensemble des actions sur des énoncés constitue le champ agnostique dans lequel s'affrontent les efforts pour imposer des faits plus inattendus et plus durs que ceux des autres. »

[17] Cité par Louis Bodin, les Intellectuels, Paris, P.U.F., 1962, p. 8.


Retour au texte de l'auteur: Fernand Dumont, sociologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le mercredi 19 avril 2017 14:31
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cegep de Chicoutimi.
 



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