[45]
Imaginaire social et représentations collectives.
Mélanges offerts à Jean-Charles Falardeau.
Première partie.
DIMENSIONS DE L’IMAGINAIRE SOCIAL
“La raison en quête
de l’imaginaire.”
Par Fernand DUMONT
Le thème de l’imaginaire est devenu à la mode dans la recherche sociologique. Au fait, il vaudrait mieux dire que ce thème est revenu sur le devant de la scène. Ce mouvement de pendule s’est répété plusieurs fois au long de l’histoire de la sociologie. Comte se faisait théoricien du positivisme ; il aboutit à la fondation d’une « religion ». Marx insistait sur la production, non sans déceler la part immense de l’imaginaire dans cette production. [1] Par allers et retours, Durkheim parcourait les chemins qui vont de la morphologie aux représentations, pour accorder finalement à celles-ci une prééminence qui se manifeste d’une manière éclatante dans Les formes élémentaires de la vie religieuse. Est-il possible, aujourd’hui, de dépasser cette dualité persistante de l’infrastructure et de la superstructure?
On le voudrait. L’explication scientifique aspire à la parfaite cohésion de ses références. Pourtant, à observer ce qui se passe dans les sciences de la nature, la cassure de la systématisation est la règle : ondes et corpuscules, phylogenèse et ontogenèse, d’autres oppositions foncières témoignent que les conflits, les antinomies importent souverainement au progrès de la pensée. En serait-il de même pour la classique opposition de l’infrastructure et de la superstructure ?
I
Envisager la société comme un objet de pensée suppose que l'on se place à l'écart. Comment y arrive-t-on ? Nous ne réfléchissons sur la société qu'à partir des schémas qu'elle nous fournit par son langage, ses idéologies, ses pratiques. Nul miracle ne saurait nous rapatrier dans un logos étranger à ce monde et qui nous fournirait en même temps des moyens de l'appréhender. Le sociologue ne va à la rencontre de son objet qu'à une condition : que cet objet lui-même l'y invite, que cet objet comporte une fissure où s'établisse l'ancrage de la science
[46]
Cette fissure, j’émets l’hypothèse que la vieille antinomie de l’infrastructure et de la superstructure la représente en son fond et que, par conséquent, elle est indépassable. Pour m’en assurer, je procéderai selon un raisonnement par l’absurde.
Premier surgeon de l’hypothèse : supposons que la réalité sociale soit homogène et qu’un jour la connaissance que nous en aurons le sera aussi. Disparaîtraient les frontières qui séparent infrastructures et superstructures. Entre la réalité et l’imaginaire, la fusion serait parfaite. Il n’y aurait plus de césure entre l’objet qui se propose à la pensée et nos efforts pour le penser. Le cours des choses suffirait à accomplir l’histoire. Alors il serait vain que l’historien ou le sociologue interviennent pour dire le devenir, pour l’interpréter.
Deuxième surgeon de l’hypothèse : l’antinomie entre infrastructure et superstructure persiste ; il n’y a pas de réconciliation a priori entre elles. Cependant, l’un des termes prédomine sur l’autre et, « en dernière instance » comme disent certains, il parvient à surmonter l’antinomie. Admettons-le provisoirement et, à partir de là, poursuivons le fil du raisonnement par l’absurde ; examinons l’antinomie à l’un et l’autre bout de ses extrêmes.
À un bout, j’affirmerai que l’infrastructure est le réel. La superstructure est l’imaginaire, le phantasme, l’idéologie, l’erreur, le surplus ; le retour au réel va dissiper cette fumée tout en l’expliquant. La pensée scientifique ne serait-elle pas alors la redondance futile d’une réalité qui l’engloberait par avance ?
À l’autre bout, et à l’inverse, je supposerai que toute pensée me vient de la superstructure, de l’imaginaire. Mes catégories d’interprétation me seraient conférées par devers moi ; je n’aurais qu’à m’y abandonner. Je ne serais que l’écho sans intérêt d’archétypes sans titulaire.
Dans les deux cas, portant la réflexion aux extrêmes, du côté de l’infrastructure ou du côté de la superstructure, la pensée scientifique ou philosophique abolirait son avenir sous prétexte de trouver des fondements assurés.
On dira qu’en poussant ainsi les postulats à leurs limites, je me facilite grandement les choses. En effet, ces raisonnements par l’absurde risquent d’empêcher la suite de la réflexion. Ils demeurent néanmoins utiles. Ils persuadent de la pérennité et de la vanité d’une volonté de surmonter une contradiction où la pensée scientifique trouve sa possibilité.
D’ailleurs, la dualité de l’infrastructure et de la superstructure n’est pas sans ressemblances avec bien d’autres. Réalisme ou idéalisme : dans cette alternance, la philosophie puise l’aménagement de sa tradition. [2] Expérimentation et théorie : la science va aussi de l’une à l’autre. Pour le sociologue, le dilemme porte cependant plus loin.
[47]
Décelant l’antinomie dans ses propres démarches, le sociologue la perçoit de même dans la société. Il se souvient de Marx : « La question de savoir s’il y a lieu de reconnaître à la pensée humaine une vérité objective n’est pas une question théorique, mais une question pratique. C’est dans la pratique qu’il faut que l’homme prouve la vérité, c’est-à-dire la réalité et la puissance de sa pensée dans ce monde et pour notre temps. La discussion sur la réalité ou l’irréalité d’une pensée qui s’isole de la pratique est purement scolastique. » [3] Voilà qui est bien dit. À la condition que cela soit inauguration d’un programme de travail. Inauguration, parce que la sociologie y emprunte sa raison d’être. Inauguration aussi, parce que la sociologie y est invitée à examiner le sort de la raison dans la société.
Le sort de la raison dans la société : ce défi a inspiré les philosophies de l’histoire depuis des siècles. Malgré la défiance que nous éprouvons aujourd’hui envers ces spéculations, on y revient subrepticement de diverses façons. Héritier et contestataire de ces philosophies, Marx a proposé une sorte de concordat en insistant sur la notion de pratique. Plusieurs revêtent ce concordat d’une auréole magique. Ils oublient que la pratique n’est qu’une idée directrice. Elle implique à la fois un schéma et un idéal de la pensée. Un schéma : joindre, en toute considération de la raison, la conscience qu’elle a d’elle-même et de sa faculté de transformer le monde. Un idéal : à l’œuvre dans les sociétés comme dans la science, la réconciliation de la raison et de l’histoire est constamment en devenir.
La pratique (le mot, la notion) est l’anticipation d’une identification du schéma et de l’idéal que la sociologie ou la science historique annoncent par avance, et qui leur permet d’exister. De même pour la société : en attendant que ses idéaux coïncident avec ses déterminations, la politique entretient la conviction que nous sommes dans l’histoire. Dans les deux cas, la raison est une mainmise efficace sur un réel hypothétique ; elle est une utopie quant à un avenir également hypothétique. Elle doit démontrer son efficacité et, en même temps, montrer que son utopie est valable. Elle doit débouter l’imaginaire et prouver, par contre, qu’elle a un sens pour l’imaginaire.
Je voudrais tracer la route d’une réflexion sur ce drame de la raison à la recherche de son sens. Je procéderai rapidement, la bride sur le cou. Je prendrai ici et là des exemples fort connus, sans m’attarder à les commenter dans le détail, espérant que leur rassemblement mènera l’interrogation plus loin.
II
Sans doute, la raison n’a-t-elle survécu que par la vertu de ses contradictions. C’est dans des crises qu’elle s’inquiète de ses schémas et de son idéal. [48] Ces crises ont jalonné son histoire ; je n’en tenterai pas une recension qui serait aussi superficielle que vaine. J’en rappellerai néanmoins quelques-unes qui, pour avoir été situées à des moments historiques déterminés, ont valeur de prototypes ; car elles se sont réactualisées par la suite, sous des figures différentes.
Je retiendrai d’abord deux exemples. Le premier concerne l’affrontement de la tradition et de la raison ; de sa fraîcheur première, nous font souvenir Socrate et les sages d’Israël. Le deuxième exemple met en évidence l’effort de la raison pour reconquérir son unité au sein de la multiplicité et de la contradiction de ses savoirs ; j’en appellerai là-dessus à l’inquiétude et à la tentative de Leibnitz. Tout cela pour introduire à la crise qui est la nôtre, à la scission entre l’histoire de la raison et l’histoire commune des hommes ; à cet égard, ce que l’on a appelé l’« ère du soupçon », pour qualifier des courants majeurs de la pensée du XIXe siècle finissant, peut être rapproché des orientations des sciences de la nature et de leur épistémologie à la même époque.
1. Socrate débattait des schémas et des idéaux de la pensée au cours d’une crise adolescente de la raison. Dans une société de transition, se heurtaient de vieilles traditions et les habiletés de la jeune sophistique, ivre de « vérités nouvelles ». Socrate assuma cette contradiction plus qu’il ne prétendit la résoudre.
On se souvient du beau portrait tracé par Bréhier : « Tous s’accordent sur l’étrangeté et l’originalité de ce sage ; le fils du tailleur de pierres et de la sage-femme Phénarète qui, vêtu d’un manteau grossier, parcourait les rues pieds nus, qui s’abstenait de vin et de toute chair délicate, d’un tempérament extraordinairement robuste, l’homme à l’extérieur vulgaire, au nez camus et à la figure de Silène, ne ressemblait guère aux sophistes richement habillés qui attiraient les Athéniens ni aux sages d’autrefois, qui étaient, en général, des hommes importants dans leur cité : type nouveau et qui va devenir le modèle constant dans l’avenir d’une sagesse toute personnelle qui ne doit rien aux circonstances... » [4] Ne rien devoir aux circonstances mais en s’y pliant avec résolution : avec Socrate, ce fut le premier idéal de la raison, la première reconnaissance de son autonomie. Cette conversion de la raison à elle-même ne se fit pas sans déchirement et sans arrière-pensée puisque Socrate, en rupture avec les conventions d’avant lui et avec les opinions à la mode, accepta de mourir par consentement aux règles de la cité.
Selon le fil d’autres traditions, en une époque de crise aussi, les sages d’Israël dessinaient à leur manière les voies de la raison. Les prophètes de jadis n’avaient plus de descendants. Les coutumes étaient menacées, le destin s’annonçait difficile. Dans un peuple obsédé par sa filiation historique et que [49] rien ne destinait apparemment aux spéculations que les Grecs nous ont habitués à qualifier de métaphysiques, ces sages ont découvert en creux la présence de la raison. Une raison amère, désenchantée, dans la mesure même où elle s’appliquait aux choses de ce monde. À l’encontre des prophètes, le sage d’Israël ne parle plus au nom de Dieu ; il écrit en son nom propre. Il est un individu. Il parle pourtant de Dieu encore ; il a pris place dans le corpus de l’Écriture sacrée, non sans avoir inscrit dans la tradition une brisure qui ressemble à celle que Socrate, critique et fidèle lui aussi, a introduite dans l’histoire de sa patrie.
Ces deux crises de la raison, ces deux cassures n’ont jamais été oubliées par la suite. Après avoir éclairé la présence de la raison, Socrate d’Athènes et les sages d’Israël consentaient à ce que cette raison continue d’habiter une culture, des croyances, des traditions, des cités. Pour ceux qui s’efforcent de penser aujourd’hui, la mémoire que nous gardons de ces surgissements anciens de la raison est plus qu’un souvenir. Elle nous maintient dans la méditation d’une origine, et sans issue prévisible.
2. Socrate et les sages d’Israël ont suivi la trace de la raison dans l’espace flou que la tradition ne parvenait plus à recouvrir. Pour autant, ils n’identifiaient pas la raison au savoir. Mais le savoir est le désir irrépressible de la raison. De sorte que le problème se déplaça du statut de la raison dans la cité au rôle de la raison dans le savoir. Ce problème vient de très loin. Arriva un moment de l’histoire où, les traditions se défaisant plus encore, la raison dut s’efforcer de faire l’unité de ses savoirs. Une unité qui fût la sienne, et qui fût l’espérance d’un rassemblement de la plus vaste culture.
De ce problème, on ressaisit le pressentiment tragique en songeant à Leibnitz.
Leibnitz a été le dernier des penseurs d’Occident qui ait poussé au plus loin la curiosité passionnée de toutes les facettes de ce monde et des savoirs que l’on en fabrique. Par un désir aussi impérieux, il a voulu rassembler et réconcilier. « La tâche, écrivait Boutroux, ne se présente pas dans les mêmes conditions que pour les Anciens. Il trouve devant lui, développées par le christianisme et par la réflexion moderne, des oppositions tranchées, et des contrariétés, sinon de véritables contradictions telles que les Anciens n’en ont jamais connues. »
De ces contradictions, Boutroux dresse une liste effarante : le général et le particulier, le possible et le réel, le logique et le métaphysique, le mathématique et le physique, le mécanisme et la finalité, la matière et l’esprit, l’expérience et l’innéité, la liaison universelle et la spontanéité, l’enchaînement des causes et la liberté humaine, la providence et le mal, la philosophie et la religion... « Tous ces contraires, de plus en plus dépouillés par l’analyse de leurs éléments communs, divergent maintenant à tel point qu’il semble impossible de les concilier, et que l’option pour l’un des deux, à l’exclusion complète de l’autre, [50] semble s’imposer à une pensée soucieuse de clarté et de conséquence. Reprendre, dans ces conditions, la tâche d’Aristote, retrouver l’unité et l’harmonie des choses, que l’esprit humain semble renoncer à saisir, peut-être même à admettre, tel est l’objet que se propose Leibnitz. » [5]
De cet objet, Leibnitz n’est pas parvenu à se saisir lui-même, que ce soit dans sa métaphysique, ses découvertes mathématiques, ses recherches historiques ou juridiques. Son échec, qui nous a laissé tant de beaux débris de vérités, reste exemplaire de ce que personne ne pourra plus jamais réussir, mais aussi d’une intention permanente, reprise de tant de façons.
3. Peu après survint une autre crise. La nôtre, déjà. Darwin, Marx, Freud, Nietzsche : avec eux, ce n’est plus la raison impatiente de rassembler qui s’affirme, mais la raison inquiète de ses origines, au point de les chercher en deçà d’elle-même. On a parlé d’une « ère du soupçon » pour qualifier ces dénonciations des prétentions de l’intelligence, des rationalisations, des idéologies. C’était pourtant la raison encore qui procédait au dévoilement des mécanismes de la sélection naturelle, des ruses de l’inconscient personnel ou de l’inconscience des classes sociales, des répressions de la volonté de puissance. En même temps qu’ils étendaient en tous sens le procès de la raison, Darwin, Marx, Freud, Nietzsche entendaient édifier une autre raison. Compromise dans le présent, la raison anticipait son triomphe dans l’avenir, dans l’avènement de ce « dieu logos » dont parle Freud dans une page étonnante de L’avenir d’une illusion. Ce triomphe n’était censé advenir qu’à la condition que la raison se dissocie des sagesses courantes, de la conscience, des opinions et des doctrines, qu’elle s’éloigne résolument de la culture commune afin d’être transparente à la vie personnelle et sociale. En attendant, la raison devait se donner les conditions de son propre progrès, des assises autonomes pour sa critique de l’autre culture.
Au même moment, l’étude des cultures connaissait un essor prodigieux avec le folklore, l’ethnologie, la sociologie, l’histoire, la psychologie. Jusqu’alors, ce genre d’investigations avait été peu pratiqué. Depuis fort longtemps, on opposait la « raison » à la « barbarie ». Avec l’« ère du soupçon », la raison place résolument devant soi les croyances, les pensées liées à la vie ordinaire des hommes, des peuples, des classes sociales. Aussi, l’« ère du soupçon » doit être comprise dans un ensemble plus vaste.
Par en arrière, elle fait relais avec la « philosophie des lumières » et, plus étroitement, avec le positivisme. À tout prendre, ce n’est que depuis l’avènement du positivisme du XIXe siècle que l’on a prétendu édifier un univers organisé du savoir superposable en son entier aux savoirs véhiculés par la coutume et la vie [51] quotidienne. Depuis des millénaires, on avait dénoncé les préjugés ; on n’avait pas vraiment cru à la possibilité de tisser, en s’appuyant sur des découvertes déjà faites et par anticipation de celles de l’avenir, un univers distinct de l’autre, assuré de ses fondements propres. Auguste Comte fournit un bel exemple : sa loi des trois états ne reposait évidemment sur aucune preuve que l’on puisse qualifier de scientifique ; elle consacrait une vue d’ensemble de l’histoire ; elle annonçait un nouvel âge où la science, devenue autonome au sein de la culture, donnerait désormais à celle-ci ses fondements et les orientations de son développement. Renan, Berthelot, Haeckel, tant d’autres, ont soutenu de semblables paris.
Le positivisme est apparu en amont de l’« ère du soupçon ». En aval de celui-ci comment ne pas en rapprocher les extraordinaires développements des sciences de la nature depuis la fin du XIXe siècle ? Certes, les hommes qui furent les initiateurs de ces progrès n’étaient pas tous positivistes ; ils ne l’étaient même pas en majorité. Ce n’est point par le contenu de leur pensée ni même par les présupposés plus généraux qui les inspiraient qu’on rattachera leurs œuvres à l’« ère du soupçon » ou au positivisme. C’est plutôt par leur conséquence : la création d’une cité scientifique qui soit étrangère à l’autre cité.
En se resserrant sur elle-même, en accroissant avec une rapidité vertigineuse ses moyens, ses institutions, ses ouvriers, la cité scientifique a renfermé ses débats dans un enclos de plus en plus délimité. Dans cet enclos, elle a entrevu ses raisons à elle, étrangères par des principes à toutes les autres ; elle a cherché son origine dans son propre exercice, au point de placer le savoir à son commencement. Bachelard l’a proclamé de bien des façons : « L’arithmétique n’est pas fondée sur la raison. C’est la doctrine de la raison qui est fondée sur l’arithmétique. Avant de savoir compter, je ne savais guère ce qu’était la raison. En général, l’esprit doit se plier aux conditions du savoir. Il doit créer en lui une structure correspondant à la structure du savoir. » [6] Il doit concevoir son histoire, son devenir, à partir de ses productions...
III
Trois crises de la raison ; trois affirmations de son pouvoir. Je n’oublie pas que ce ne sont là que des cas et des exemples. De toute manière, de ces crises, de ces moments de la raison, nous demeurons les contemporains. La raison de Socrate ou des sages d’Israël affrontait les traditions de la cité des hommes ; les intellectuels ne dédaignent pas aujourd’hui de faire de même. S’interroger, comme Leibnitz, devant la dispersion du savoir ; éprouver la nostalgie de l’unité, proposer des logiques ou des épistémologies unitaires, à moins que ce ne [52] soit des réconciliations doctrinaires : on le professe toujours chez les savants, et avec une grande abondance ces temps-ci. Quant à la construction d’une cité scientifique par l’assemblage de matériaux empruntés au positivisme, à l’« ère du soupçon », aux savoirs hermétiques, elle s’impose à l’attention d’une façon aussi éclatante que l’édification de l’antique Tour de Babel.
Nous souvenant de ces crises du passé, constatant qu’elles sont encore les nôtres, nous sommes mieux en mesure de vérifier la nouveauté de la crise actuelle de la raison. Pour s’être émancipée de la plus large culture, de la plus vaste société, la science est devenue elle-même une culture, une société. La raison s’est établie chez elle, dans ses meubles. Dans cette maison, dans ce décor, se refont des coutumes, se constituent des rôles et des statuts, se consolident des institutions, se déroulent des débats qui ressemblent fort à ce que l’on observe dans la vie quotidienne dont la raison a voulu s’écarter.
La science ne se borne pas aux libres parcours d’une raison à l’affût de strictes théories et de précises expérimentations. Elle comporte ses habitudes de discussions, ses luttes de pouvoirs, ses conventions. En plus de découvertes sensationnelles, le cours ordinaire de la science s’entretient de postulats communément reçus, de problèmes considérés comme pertinents et de méthodes acceptées comme valables par la plupart. Ç’aura été le grand mérite de Kuhn d’avoir proposé là-dessus son hypothèse sur la « science normale » ; elle a prêté à d’abondantes discussions, qui n’en dissipent pas la fécondité.
Un sociologue des sciences écrivait récemment : « La communauté scientifique est un lieu plein de bruit et de fureur non seulement à cause de la compétition forcenée entre groupes et à l’intérieur des groupes ou laboratoires, de la pression à publier vite, du vol scientifique..., mais aussi à cause du fait que le champ scientifique, pour un chercheur, à un moment donné, est un champ socialement défini, que ce champ s’oppose à d’autres champs qui peuvent avoir une moindre légitimité, non pas au regard de l’histoire achevée mais de l’histoire vivante, moindre légitimité qui tient à la position de ceux qui ont, de fait, le pouvoir de par leur prestige scientifique, leur place dans les différentes hiérarchies (membre d’une Académie, prix X ou Y, directeur d’un grand laboratoire, éditeur d’une revue scientifique où il faut publier pour être lu...), leur appartenance à un foyer social fortement émetteur si l’on peut utiliser cette image. » [7] Cette observation, que n’importe quel habitant de la cité scientifique confirmera, est capitale à deux égards : elle fait ressortir la porosité de l’univers scientifique envers la commune culture et, plus encore, l’homologie de leurs fonctionnements respectifs.
Dès lors, entre la raison et la plus vaste culture, comment s’effectue le passage ?
[53]
1. La raison a toujours supposé des apprentissages. Bachelard le soulignait dans des propos que je citais plus haut : la raison acquiert conscience d’elle-même au sein d’un savoir. L’esprit doit parvenir à ce savoir avant que, prenant appui sur lui, il en devienne le générateur. Pourtant, cet apprentissage n’est pas une sorte de passage magique du non-savoir au savoir. La culture commune enveloppe déjà des connaissances ; de son côté, je le rappelais à l’instant, l’univers scientifique comporte bien d’autres éléments que des savoirs strictement définis. Tout compte fait, l’apprentissage est une émigration d’une cité dans une autre cité.
Comme dans toutes les migrations, celle-là n’est possible que par un compromis ; ce qui vient du pays originel se marie avec ce que propose la terre d’élection. Personne n’accéderait à la science en ne percevant, à chaque étape, que des ruptures par rapport à ce qu’il pensait auparavant. On n’entre dans le pays des idées scientifiques qu’à la condition d’y reconnaître des parentés avec les idées de sens commun que l’on quitte. Par après, on revient en arrière, pour vérifier les ruptures et sonder les soubassements du territoire nouveau où l’on s’est implanté ; une fois rendu à destination, on s’adonne à l’épistémologie. Mais la migration est préalable à l’épistémologie : elle exige un repérage des itinéraires, des arrêts et des départs, des pauses où on fait le point sur ce que l’on abandonne et sur ce qui reste à parcourir, où on se souvient du sens de sa pérégrination.
De ces itinéraires, de ces louvoiements, de ces pauses, la pédagogie est censément l’ouvrière. Aussi, n’est-elle pas un résumé de la science pour ceux qui n’y sont pas encore installés. Elle n’est pas la simple translation d’un point à un autre, pas plus qu’une émigration ne se résume dans la translation d’une contrée d’origine à un pays d’arrivée. La pédagogie doit répondre à une double exigence : pourquoi quitter les assurances du savoir épars dans la vie quotidienne ; comment accéder à l’autre connaissance ? La pédagogie est une culture de surcroît, l’école est une société de surplus.
Au fond, Socrate n’a rien inventé qui soit de l’ordre de la découverte scientifique. Il était un pédagogue, un artisan des passages. Il dénonçait les fausses issues, les illusoires conquêtes de la raison, ramenant à la question du sens du savoir. Les pédagogies issues de la Renaissance n’avaient pas d’autres objectifs ; elles fondaient l’école comme culture, comme univers fermé des apprentissages, doué de ses pratiques et de ses idéaux. Sans s’inquiéter que l’école fût « coupée de la vie », elles se souciaient que l’école ne fût pas seulement un lieu de transit. Elles traçaient des itinéraires précis, inspirés des héritages anciens. Elles accordaient un privilège à l’histoire comme imagerie et comme matrice du cheminement de l’esprit hors de sa culture originelle. Aujourd’hui que cet humanisme s’est perdu, sans que nous puissions ou voulions le restaurer, la crise de la raison est devenue crise de la pédagogie.
Aux premières pages d’un Traité de pédagogie générale maintenant oublié, René Hubert rapportait de plus lointains propos de Paul Desjardins : « Les [54] réformateurs de l’éducation... ont découvert le vrai sur presque toutes les questions de détail : qui sur l’éducation des sens et sur le processus du jugement dans la première enfance ; qui sur l’usage à faire du travail manuel ; qui sur la gymnastique rationnelle ; qui sur la manière d’enseigner les langues ou la physique, ou le dessin, ou la musique vocale, etc. Découvertes contemporaines et diverses dont, en réfléchissant, le centre apparaît un ; mais ce centre d’où tout rayonne, il n’est marqué assez fortement nulle part... » [8] Je cite cette déclaration comme un document ; relu à distance, il ne manque pas de saveur.
Que dire aujourd’hui de cette unité, sinon qu’elle a été irrémédiablement perdue de vue ? L’extraordinaire expansion des techniques, des technologies pédagogiques s’est poursuivie. Ce qui, en assurant mieux certains apprentissages particuliers, a fini par obscurcir les finalités de l’éducation. Pour reprendre les imageries de l’émigration, on ne sait plus de quel pays l’on part et dans quel pays l’on vient. Les programmes scolaires sont des conventions, de moins en moins acceptées ; après tout, ils ne seraient que de fragiles remparts contre les brisures d’une culture faites d’îlots de savoirs sans raccords et sans médiations.
Par la voie de la pédagogie, on en revient à cette crise de l’unité qu’affronta Leibnitz. Celui-ci pouvait encore croire, devant la longue liste des antinomies que j’ai recensées à la suite de Boutroux, qu’un effort gigantesque de pensées et de dialogues parviendrait à les surmonter. Ces antinomies se sont multipliées, au point de devenir un immense casse-tête dont les pièces ne tiennent ensemble que par les modes idéologiques. La pensée n’est pas seulement débordée, comme au temps de Leibnitz ; pour assurer le passage de la culture commune à la connaissance, la pédagogie a perdu son dynamisme, son emprise sur l’une et sur l’autre.
2. La pédagogie est une transition entre une culture d’origine, faite de schémas et d’idéaux qui circulent communément dans une société, et une sphère de savoirs structurés autrement, se réclamant d’autres fondements. Cette transition se reconnaît dans toutes les pratiques sociales ; celles-ci intègrent un savoir de plus en plus conscient de ses enchaînements et professé par des spécialistes ; par ailleurs, ces pratiques s’immiscent dans la vie quotidienne des individus et des groupes, s’y confrontent avec des sentiments, des opinions, des besoins qu’entretient la culture commune. Les pratiques sociales sont donc des pédagogies elles aussi. Y trouverons-nous les mêmes problèmes que nous avons déjà aperçus, généralisés à l’ensemble de la vie collective ?
Considérons le cas de la médecine.
Si l’on remonte au XIXe siècle, à l’époque où la médecine a entrevu le statut qui est aujourd’hui le sien, on constate la complicité de deux tentatives : élaborer un idéal scientifique, pourvoir à l’organisation d’une pratique.
[55]
Avec Claude Bernard s’affirme une science thérapeutique que l’on a qualifiée de « médecine expérimentale ». À vrai dire, l’expression était ambiguë chez Claude Bernard lui-même. Pour qui se borne au premier chapitre de la célèbre Introduction à la médecine expérimentale, les principes et les règles de la démarche semblent aller de soi : là où jadis l’art de guérir ramassait pêle-mêle des recettes traditionnelles et des observations décousues, il faut faire place aux critères dont la science expérimentale a prouvé la fécondité. Ce n’est pas là toute la pensée de Claude Bernard, on le discerne mieux aujourd’hui. [9] Mais voilà ce qu’en a retenu une idéologie de la médecine du XIXe siècle et qui persiste toujours pour garantir l’emprise de la raison sur une pratique.
C’est aussi à partir du XIXe siècle que la pratique médicale s’est donné une organisation sociale plus complexe et plus strictement définie : réglementation de l’exercice de la profession, programmes de formation, élaboration d’un « humanisme médical » où l’idéal positiviste se mariait avec une éthique du dévouement, du secret professionnel, du service public. À la garantie du savoir expérimental, s’ajoutait ainsi, en supplément, un idéal moral de la science qui la fit proprement une médecine.
Deux pôles, de soi étrangers l’un à l’autre, se raccordaient aussi : une science inspirée par la physiologie, la chimie, la physique ; une organisation sociale de la profession, avec ses institutions de formation et d’exercice, ses références éthiques et juridiques, ses rôles sociaux. Cette synthèse, qui n’en était pas vraiment une, n’a pu tenir longtemps ensemble les deux rôles. Ceux-ci se sont développés selon leur logique respective.
Attentive aux progrès des sciences physico-chimiques, la médecine a accru ses potentialités thérapeutiques. Elle a dû, en conséquence, s’éparpiller en des spécialisations étanches (une trentaine officiellement reconnues). À la médecine des médecins s’est greffé un fouillis de disciplines dites paramédicales. Censé représenter malgré tout une certaine unité de la pratique, l’omnipraticien n’est souvent qu’un agent d’orientation vers les réseaux multiples des spécialités et des techniques. À cela s’est ajoutée une prodigieuse ramification de l’organisation des services de santé ; ce qui tient à la fois à la complexité de la science et à celle de la société.
Dans un espace aussi éclaté, ne résiste que par des fils ténus le raccordement de naguère entre « la médecine expérimentale » et « l’humanisme médical ». La [56] raison médicale ne perçoit plus la parenté de ses assises scientifiques et de son idéal éthique, sinon dans le ressassement des lieux communs qui confinent à ce que les psychanalystes appellent des « rationalisations ». La confusion s’étend aux techniques elles-mêmes ; s’y mêlent des savoirs fragmentés et des relents d’une éthique qui, après avoir été réduite à la déontologie, est à peu près disparue de l’enseignement officiel de la médecine.
On parlait autrefois de la clinique comme d’un art d’écouter, comme d’un dialogue de la raison médicale et des confidences du patient. Certes, ce dialogue a toujours été difficile. Le malade ne parle jamais de sa maladie comme d’un cas scientifique ; pour lui, les symptômes ont valeur pour sa propre vie, pour son destin. Par principe, la raison médicale s’agençait à ce langage étranger, de telle sorte que le savoir de l’un se conjuguât avec le vécu de l’autre. Le statut social du médecin contribuait à ce dialogue, l’enrobait de garanties et de réconfort. Travail pédagogique, en somme.
Ce travail est aujourd’hui menacé. Il se défait dans l’expansion des industries pharmaceutiques et chirurgicales, dans la bureaucratie des organisations de la santé, dans les imageries collectives de la consommation médicale. « Il y a trente ans, avoue un praticien, les malades exigeaient des médicaments ; si on ne leur donnait pas une prescription à la sortie de la consultation, ils considéraient que celle-ci n’avait pas été sérieuse. Aujourd’hui, ils attendent qu’on leur dresse une liste d’examens pour les laboratoires de l’hôpital. » La collusion de la science, de l’organisation, de la consommation est parfaite ; la clinique, le dialogue, la pédagogie se sont évanouis en cours de route. Les techniques ont tout réconcilié. Où est désormais l’unité de la pédagogie médicale ? Qu’est-ce que l’éducation, disais-je ? Qu’est-ce que la médecine ? Dans un cas comme dans l’autre, on ne sait quoi répondre... en pratique.
3. Examinerait-on le destin de toutes les professions que l’on parviendrait partout à des conclusions similaires. Chaque fois, on constaterait l’éparpillement des spécialisations, l’enchevêtrement des rôles, des statuts, des réseaux, la réduction des pratiques aux symboles inspirés par la technologie. Des institutions se constituent, d’autant plus vastes qu’elles sont plus morcelées ; les fragments y sont emboîtés au prix de communications enchevêtrées et fréquemment sans issues.
Naguère existait une sorte de formation de base, dite « humaniste », qui soutenait l’apprentissage technique des professions. S’y sont substitués des enseignements relevant d’une supposée « culture générale » dont on ne voit plus la cohésion, et qui font vite place à des spécialisations hâtives. Après les métiers de jadis, l’apprentissage des professions se désagrège à son tour : cause et conséquence de l’éclatement de l’éducation dont je fais état plus haut. Autrefois, les rôles et les statuts des professionnels intégraient les techniques, peuplaient des espaces où se rencontraient les praticiens, leurs clients, la société.
[57]
Les ont remplacés des réseaux, des techniques de communication, des comités qui mettent ensemble les débris des anciennes professions. Il en est de même pour la présence des professions à leurs publics. Une administration parallèle y pourvoit, avec ses dossiers, ses appareils, ses embouteillages ; avec son jargon, que d’autres techniciens s’efforcent de traduire, par les médias ou autrement, en messages pour une population anonyme...
Quoi qu’en aient dit beaucoup de sociologues, nous ne sommes pas entrés dans une société « post-industrielle ». Nous sommes plutôt dans une société industrielle généralisée, dans une société où la raison est devenue une industrie. Ce qui comporte deux conséquences : un désintérêt généralisé pour le travail, pour cet effort de maîtrise de la nature et de la société dont Marx exaltait si fort la valeur ; et par une contrepartie obligée, la dissolution d’une éthique du travail.
Dans tous les pays du monde, des enquêtes innombrables révèlent que le travail n’est plus guère une valeur. En Russie comme aux États-Unis, en France comme en Grande-Bretagne ou au Québec, les jeunes passent d’un emploi à un autre, gardant pour eux des raisons de vivre qui ne peuvent plus s’exprimer dans le travail. De sorte que le chômage, qui s’étend actuellement à la faveur de la crise économique, suscite bien d’autres problèmes que celui de la création d’emplois. La scolarisation massive, promesse de travail, ne provoque plus l’enthousiasme. Depuis que les cadres les mieux rémunérés jouissent davantage du pouvoir que de leur travail, depuis que beaucoup de médecins travaillent quatre jours par semaine pour assurer leurs loisirs, depuis que l’on fréquente l’école pour rassurer les idéologies sur l’élévation du taux de scolarisation, qu’est devenu le plaisir de travailler ? Comment faire encore, ailleurs que chez certains intellectuels, l’éloge de la praxis ?
Le ramassis des techniques pédagogiques ne constitue pas l’éducation ; le relevé des tests de laboratoire ne résume pas la médecine ; les façons de travailler ne sont pas plus le sens du travail. Celui-ci comprend des manières de faire, parfois des références scientifiques ; il n’est pas la somme de tout cela. Il est censé envelopper ces opérations dans des interactions sociales, comporter des vues d’ensemble sur la vie collective. Le travail n’a d’intérêt, la personne ne s’y exprime, autrui n’en reconnaît l’importance qu’à la condition qu’il existe ce que l’on appelait naguère une division sociale du travail. Grâce à celle-ci, le labeur de chacun s’intègre à la cité, en manifeste la vie organique, en fait ressortir le sens dans une concertation et dans des conflits que la technique ignore, fût-elle promue à la dignité de la planification.
Devenu nostalgique, l’idéal d’une division sociale du travail met aussi en évidence les questions éthiques que suscite l’exercice du métier. Cet exercice concerne le médecin et son patient, le juriste et son client, l’architecte et l’habitant des paysages ; un espace humain est en cause, et qui déborde la morale individuelle du spécialiste. Les valeurs impliquées dépendent d’un [58] certain état des mœurs qu’il est impossible de ratatiner dans des débats d’opinions. La santé et la maladie, le juste et l’injuste, les enracinements dans un quartier ou une région : tout cela en appelle à des conceptions collectives de l’existence.
Dans un ouvrage classique, Durkheim s’inquiétait du destin de la division sociale du travail et de ses aspects moraux. La préface de la deuxième édition soumettait, à cet égard, des propositions aujourd’hui vieillies. Je relève cependant ce passage qui a conservé une grande portée : « Une société composée d’une poussière infinie d’individus inorganisés, qu’un État hypertrophié s’efforce d’enserrer et de retenir, constitue une véritable monstruosité sociologique. Car l’activité collective est toujours trop complexe pour pouvoir être exprimée par le seul et unique organe de l’État ; de plus, l’État est trop loin des individus, il a avec eux des rapports trop extérieurs et trop intermittents pour qu’il lui soit possible de pénétrer bien avant dans les consciences individuelles et de les socialiser intérieurement. C’est pourquoi, là où il est le seul milieu où les hommes se puissent former à la pratique de la vie commune, il est inévitable qu’ils s’en déprennent, qu’ils se détachent les uns des autres et que, dans la même mesure, la société se désagrège. » [10]
Durkheim proposait un palliatif : le développement de solidarités, d’organismes intermédiaires. Pour une part, son vœu a été exaucé. Mais l’histoire de l’État a pris une autre voie que celle qu’il avait prévue. À l’exemple de tant d’autres organisations collectives, y compris les « corps intermédiaires », l’État a dissipé son sens comme lieu de concertation et comme endroit d’où l’on puisse voir la collectivité autrement que selon les imageries d’une énorme machine qui englobe et parasite toutes les autres. Le déclin actuel des « démocraties sociales », le procès de l’« État protecteur » que reprennent les idéologies néolibérales sont un avertissement. Avertissement ambigu, certes. L’État y devient un bouc émissaire pour les colères contre la technocratie. Si, de la technocratie, on voulait guérir l’État, c’est à la société tout entière qu’il faudrait appliquer le remède ; les dénonciations de l’État sont des manœuvres de diversion.
La question est autrement plus grave. En se coulant, en se perdant dans les technologies, la raison s’est partout répandue et partout perdue. Nous ne savons plus ce qu’est l’éducation ou la médecine. Il y a très longtemps que l’ouvrier ou l’employé ne savent plus ce qu’est le travail. Faut-il tellement nous étonner de ne plus savoir ce qu’est la politique ?
Savons-nous davantage ce qu’est la raison ?
IV
Au cours des temps, et surtout depuis un siècle, la raison s’est mise à l’écart de la culture commune. Sans doute devait-elle le faire. En tout cas, elle a ainsi [59] pris conscience de l’originalité de ses démarches. En des endroits déterminés, elle s’est approprié les crises et les polémiques qui la concernent ; n’est-il pas vrai que l’on ne saurait discuter autrement qu’en cercles fermés de la « thermodynamique du non-équilibre » ou de la « théorie des structures dissipatives » ? Dans une circonférence plus élargie, aux frontières plus floues, la raison s’est constituée en cité particulière au sein de la plus vaste cité. Elle y reporte à des querelles, à des institutions, à des idéologies qui lui appartiennent en propre, mais qui ressemblent étonnamment à celles où nous sommes impliqués chaque jour. Plus loin encore, à partir de la cité où elle s’est établie, la raison s’efforce de rendre raisonnable la société tout entière.
Au cours de ces manœuvres, la raison s’effrite sous prétexte de conquérir son domaine. Elle se défait en se spécialisant. Alors qu’elle paraît commander à l’éducation, à la médecine, à la politique, elle ne sait plus dire ce qu’est la sagesse, la santé, la cité.
Sauf dans les théories où elle se contemple comme dans un miroir, la raison exerce une autorité qu’elle est incapable de justifier en raison. Pour avoir élargi son empire, elle est impuissante à en dire la pertinence. Pour être omniprésente, elle s’est muée en techniques disparates ; elle y a dispersé et maquillé la vérité. Dans la technique, si la raison paraît s’imposer comme le sens de la vie, c’est que la vie s’y donne le masque, la caution de la raison. La raison dissimule son sens, sa portée sous des conventions, celles de la « rationalité », celles de la « science normale ». Elle se délègue dans la technocratie et la bureaucratie. Défendant de mieux en mieux la logique de ses exercices, la raison est de moins en moins apte à décrire la portée de sa diffusion dans la société des hommes.
D’où vient cette impuissance ?
Bergson en indiquait probablement la source permanente lorsqu’il écrivait dans une page célèbre : « Notre pensée, sous sa forme purement logique, est incapable de se représenter la vraie nature de la vie, la signification profonde du mouvement évolutif. Créée par la vie, dans des circonstances déterminées, pour agir sur des choses déterminées, comment embrasserait-elle la vie, dont elle n’est qu’une émanation ou un aspect ? » [11] Notons que Bergson parle de l’intelligence, qu’il ne confond pas avec la raison, pas plus que Kant n’identifiait celle-ci avec l’entendement. Mais, si l’on envisage le problème non plus seulement sous l’éclairage métaphysique mais par confrontation avec la culture, la question est de savoir comment la confusion s’établit malgré tout. On ne se trouve plus alors devant une erreur métaphysique mais face à un phénomène sociologique, face à la crise de la raison en tant qu’elle est une crise de la culture.
Après tout, si le problème se pose en termes métaphysiques, c’est qu’il habite la culture occidentale depuis ses lointaines origines. Comment la raison [60] a-t-elle tenté de surmonter ce problème dans le passé, en des circonstances et selon des manières diverses ? Je réponds par une brève formule : en refusant d’égaler la vérité à la vérification ; en concevant la vérité comme une valeur, comme une visée qui relève en définitive de la morale. Une fois de plus, quelques exemples connus nous en feront souvenir.
À l’aube de la philosophie grecque, Socrate plaçait la connaissance au centre de sa préoccupation. Mais il s’agissait de la connaissance du bien. Pour lui, la vertu était la science du bien et du mal ; la bonne conduite était le résultat d’une exacte évaluation des conséquences de l’action. En somme, la raison s’identifiait foncièrement avec le sujet moral. Quand, d’une manière plus systématique, Platon conjuguait une théorie des objets du savoir et une théorie du savoir lui-même, il traçait une double voie dont le Bien est le sommet réconciliateur ; que l’on se rappelle le schéma qui termine le VIe livre de la République. Certes, le problème n’était pas résolu pour autant ; la réconciliation de la connaissance et de l’éthique ne cesserait plus d’être une préoccupation pour la tradition de la pensée occidentale.
Avec l’avènement de la science moderne, la tension est devenue plus critique que jamais. Ainsi, Descartes distinguait soigneusement la physique et la morale, au point d’interdire, selon les premières apparences, toute parenté de leurs démarches respectives. Il ne s’y est pourtant pas résolu tout à fait. Dans les deux cas, suggérait-il, la déduction des vérités ne suffit pas : il y faut le recours à l’expérience. Celle-ci n’est pas de même nature, elle n’obéit pas aux mêmes critères pour la physique et pour la morale ; néanmoins, la certitude à laquelle aboutit la science est morale de quelque façon. Elle ressemble à celle qui est « suffisante pour régler nos mœurs », elle est aussi « grande que celle des choses dont nous n’avons point coutume de douter touchant la conduite de la vie ». [12] Raccord précaire, qui témoigne cependant d’une volonté têtue de ne point scinder le savoir et le sens, la science et le sens commun.
Je devrais m’attarder à Kant, à sa prodigieuse tentative pous subordonner la raison pure à la raison pratique. Mais le positivisme du XIXe siècle est plus instructif pour éclairer ce qui nous intéresse au premier chef : la crise de la raison aux prises avec le problème de sa signification éthique, de sa pertinence dans la culture. En effet, avec le positivisme, nous sommes à la veille de nos interrogations d’aujourd’hui. Les prétentions et les difficultés du positivisme sont les nôtres, mieux mises en évidence il y a un siècle parce qu’elles étaient des préfigurations en pensée de ce qui est devenu confusion en pratique.
Ces prétentions et ces difficultés, l’œuvre de Comte les éclaire mieux que toute autre.
[61]
Comte généralise l’idée de science, égale celle-ci à l’emprise globale de la raison : telle est, en bref, l’entreprise gigantesque du Cours de philosophie positive. Positif signifie d’abord référence au réel ; la science y pourvoit. Positif signifie aussi report à l’utile : selon Comte, la philosophie s’y emploie en dégageant les conditions de la transition du savoir à l’action. Pour ce faire, la sociologie est d’un indispensable secours : science dernière, elle est capable, par un mouvement de retour sur la généalogie des disciplines, d’imprimer à celle-ci un développement qui assurera la cohésion intellectuelle indispensable à l’unité organique de l’humanité.
La sociologie ne suffira pourtant pas à la tâche. Comte est contraint de faire place à l’éthique. Le voici, qui, dans le Système de politique positive, ajoute une septième science fondamentale à celles qu’il avait recensées : la morale. Celle-ci pénètre dans le champ clos du savoir, au point de le commander tout entier. D’un côté, elle dégage des lois semblables à celles des sciences : on paraît demeurer ainsi dans une même sphère homogène de la raison. Par ailleurs, les « lois morales » sont d’un autre ordre que les autres disciplines puisqu’elles concernent les fins de la destinée humaine. L’âge de la raison, identifiée d’abord avec la science, arrive à placer l’éthique au-dessus de la science, à lui faire prescrire au savoir sa fin et même ses démarches.
L’idée n’est pas propre à Comte. Son disciple Littré prétend que la justice a le même fondement que la science ; Paulhan propose de « réformer la logique sur le modèle d’une morale qui serait convenablement élargie ». [13] L’idée est partout dans l’air à la fin du XIXe siècle et au début du XXe.
De Socrate au positivisme de Comte, malgré les divergences énormes de principes et de doctrines, on discerne donc une ligne de fond dans les préoccupations : assurer la prédominance de la connaissance dans l’œuvre de la raison ; assurer la collusion de la raison et de la morale dans une demeure unifiée du savoir.
Le souci éthique devait conduire Comte plus loin que la morale. C’était logique. Si rigoureuse soit-elle, une morale ne se réduit pas à une suite de raisonnements qui satisfassent l’esprit. Elle procède d’une autre espèce de conviction que celle qui est produite par la démonstration ; elle provient de la vie et y reconduit. Elle se nourrit du sentiment, pour reprendre le mot un peu vague qu’affectionnait Comte. Elle suscite des accords autres que ceux qui rallient aux théories scientifiques. Certes, la morale ne consacre pas les invites des coutumes ; elle veut établir ses choix sur une élucidation minutieuse de ses critères ; mais il lui faut, en outre du consentement des intelligences, l’assentiment des volontés, la convergence des aspirations. Le système des sciences peut fonder une cité scientifique ; l’éthique en appelle à une cité morale.
[62]
Que serait une telle cité morale sans un travail collectif des hommes pour éclairer en commun des valeurs qui les rassemblent ? Ces valeurs ne seraient-elles pas de vaines abstractions, copiées sur les schémas de la science, si ne les suscitaient et ne les entretenaient des idéologies, des solidarités, des rêves susceptibles d’alimenter les sentiments de chacun et de les fondre dans un consensus collectif ? Ainsi, le cheminement de Comte aboutit à la « religion de l’humanité ». On s’est bien moqué de lui. Par-delà les fétiches et les calendriers ridicules que Comte a mis au point, retenons l’exigence : il ne peut y avoir règne universel de la raison, et moment éthique, sans qu’à l’univers de la science fasse contrepartie un univers de l’imaginaire. Et aux pratiques du premier doivent correspondre des pratiques du second ; à l’expérimentation, on joindra le culte...
Devant cet aboutissement du parcours de Comte, comme la plupart de ses disciples et de ses exégètes, nous sommes déconcertés. Les uns, comme Littré, regrettent le naufrage d’un grand esprit dans la folie. Les autres, à l’exemple de Lévy-Bruhl, mettent entre parenthèses ce qui leur semble une excroissance qu’il vaut mieux laisser dans l’ombre. [14] D’une manière ou d’une autre, le vieux problème du sens de la raison dans la culture, dont j’ai rappelé la traditionnelle persistance, est évacué en même temps que le sécateur détache de l’œuvre comtienne un rameau supposément maladif.
Qu’arriverait-il si l’on poursuivait ce travail de sarclage sur les pensées des successeurs d’Auguste Comte ?
Faut-il séparer de la psychosociologie de Fourier ses spéculations utopiques ? Peut-on considérer la méthode monographique de Le Play indépendamment de ses doctrines conservatrices ? Est-il aisé de nettoyer la sociologie de Sumner de ses plaidoyers pour le libéralisme ? Parvient-on à isoler la sociologie de Spencer de ses réflexions sur l’inconnaissable ? Arrive-t-on à distinguer les théories de Marx de son parti pris pour le prolétariat ? Comment oublier la morale de Durkheim (son souci principal) au profit de sa sociologie ou scinder la sociologie de Weber de ses préoccupations éthiques et politiques ?... On pourrait allonger la liste de pareilles questions jusqu’aux sociologues d’à présent. [15]
L’historiographie et l’enseignement de la sociologie n’en procèdent pas moins à ces nettoyages d’après coup. Pour que la sociologie offre à nos contemporains, plus particulièrement aux étudiants, le visage de la science, avec tous les traits d’une entreprise raisonnable, on effectue une chirurgie sur les œuvres de ceux qui les ont faites. Ces œuvres on les dépouille de leurs ramures [63] et de leurs racines. Débarrassant les artisans de la raison de leurs intentions plus amples, on rejette aussi aux oubliettes les angoisses des sociétés où ils ont vécu. Cette raison aseptisée, arbitrairement vouée à son indépendance, est toute prête pour être réinvestie dans les technologies de la raison. Là où le sens de la raison est tellement homogénéisé qu’il semble se confondre avec les impératifs de la logique. Là où on ne sait plus ce qu’est l’éducation, la médecine, la politique... ou la sociologie.
V
Nos sociétés contemporaines auraient-elles perdu de vue les interrogations traditionnelles de la raison quant à son sort dans la culture ? Les anciens affrontements de la raison avec les croyances, avec l’éthique, se sont-ils finalement dissipés dans les technologies ? Les irruptions subites de l’irrationnel, de l’imaginaire, auxquelles nous assistons avec stupéfaction, ne sont-elles que des phantasmes qu’il faut conjurer en les mettant à part dans des enceintes soigneusement gardées ? Ou bien, à l’inverse, isolée de l’éthique et de l’imaginaire, la raison serait-elle devenue le phantasme suprême d’une culture dont elle croit s’être définitivement libérée alors qu’elle est prisonnière des technologies ?
Est-il aboli le temps où la vérité était une valeur et non pas seulement la caution des techniques et des pratiques sociales ? Ce n’est pas certain.
Comme autrefois, mais d’autres façons, la raison d’aujourd’hui a ses origines ailleurs que dans ses démarches avouées. Elle a beau construire de belles forteresses bardées de logique et d’épistémologie, savamment défendues par des fossés et des barricades de laboratoires et d’universités ; elle a beau porter au loin l’offensive par des colloques et des livres dits de « vulgarisation ». À l’intérieur de ces ouvrages de défense et d’attaque, une cité semblable à la cité plus vaste s’est instaurée. La « science normale » y entretient des débats, des règles, des coutumes, une police qui débordent l’empire de la raison.
Aussi faut-il nous souvenir des commencements. De Socrate et des sages d’Israël, pour qui la raison devait habiter la Cité, être la répondante des coutumes en même temps que le questionnement des pratiques quotidiennes inconscientes d’elles-mêmes. De Descartes, parti à la recherche d’un sens commun avec lequel la science puisse se réconcilier. De Leibnitz, préoccupé par les déchirements du savoir et par l’éclatement de l’unité religieuse. De Comte, qui voulait désespérément réconcilier la raison et l’imaginaire dans une religion fabriquée de toutes pièces.
Mais tout cela ne serait-il pas vaine nostalgie ? Ces vieilles questions, ces vieilles intentions ne se sont-elles pas évanouies en cours de route ? Commencée et continuée grâce à des crises dont j’ai rappelé quelques exemples, une aventure paraît s’achever en douce : grâce à la technologie, grâce à des médiations dont [64] Socrate, les sages d’Israël, Descartes, Leibnitz ou Auguste Comte n’avaient pas le pressentiment.
Pourtant, ce n’est peut-être pas le dernier avatar de la raison à la recherche de son sens. Depuis qu’elle exerce partout son emprise, la raison éprouve le besoin de revenir sur elle-même, sur ses fondements. On ne saurait expliquer autrement l’extraordinaire expansion de l’épistémologie à partir du siècle dernier. Selon la même proportion où la technique prenait essor dans l’industrie, l’administration, l’éducation, les techniques sociales, la raison refluait sur les origines de ses opérations, sur la recherche logique, sur la psychologie et la sociologie de la connaissance.
Dans l’art particulièrement, l’imaginaire aussi s’est mis à l’écart. En des courants majeurs, la musique, la peinture, la poésie, le roman se sont repliés sur leurs actes fondateurs. Ce que l’on qualifie d’« art abstrait » correspond, au fond, à la même impulsion que celle qui anime l’expansion de l’épistémologie. Dans les deux cas se produit un retrait de la raison et de l’imaginaire hors d’une domestication qui leur est commune. En ces refuges, la technologie est tenue à distance, en même temps que le sont les médiations du savoir. La raison et l’imaginaire y campent au désert.
Comme au temps de Socrate ou des sages d’Israël, la raison n’a pas achevé la quête de son sens. Pour s’y encourager, il n’est pas vain qu’elle se souvienne de son histoire, de la tradition de ses questions ; qu’elle ressasse le tourment dont elle est née, qui l’a poussée à introduire la lucidité dans l’imaginaire de la Cité de tout le monde, dans l’imaginaire aussi de la cité scientifique.
Pour cela, il faut que l’imaginaire résiste à la raison, qu’il lui rappelle que jamais la superstructure ne se réconciliera avec l’infrastructure au point où la raison se fondrait ou se contemplerait dans l’épaisseur sans failles de la praxis. Car, ce n’est pas assez que la raison entretienne mémoire de sa raison d’être, de ses affrontements avec l’imaginaire. Il faut travailler à ce que l’imaginaire se fasse mémoire à son tour, récapitule son perpétuel combat contre la raison.
En partant de l’imaginaire, cette fois, il serait donc indispensable de poursuivre une lecture de notre culture semblable à celle que j’ai témérairement esquissée ici. À cet examen, il conviendrait de donner pour titre : l’imaginaire en quête de la raison...
Fernand DUMONT
Département de sociologie,
Université Laval.
Institut québécois de recherche sur la culture.
[1] Synthèse précise et nuancée de Pierre ANSART : « Marx et la théorie de l’imaginaire social », Cahiers internationaux de sociologie, XLV, 1968, pp. 99ss.
[2] Par exemple, F. ALQUIÉ, L’expérience, P.U.F., 1957.
[5] Émile BOUTROUX, préface à la Monadologie, citée par Paul HAZARD, La crise de la conscience européenne (1680-1715), Boivin, 1935, pp. 225-226.
[7] Gérard LEMAINE, « Science normale et science hypernormale : les stratégies de différenciation et les stratégies conservatrices dans la science ». Revue française de sociologie, XXI, 1980, p. 505.
[8] René HUBERT, Traité de pédagogie générale, P.U.F., 2e éd., 1949, pp. vii-viii.
[9] Canguilhem cite ce passage du Rapport sur les progrès et la marche de la physiologie générale en France (1867) : « On aura beau analyser les phénomènes vitaux et en scruter les manifestations mécaniques et physico-chimiques avec le plus grand soin ; on aura beau leur appliquer les procédés chimiques les plus délicats, apporter dans leur observation l’exactitude la plus grande et l’emploi des méthodes graphiques et mathématiques les plus précises, on n’aboutira finalement qu’à faire rentrer les phénomènes des organismes vivants dans les lois de la physique et de la chimie générale, ce qui est juste ; mais on ne trouvera jamais ainsi les lois propres de la physiologie. » (Georges CANGUILHEM, La connaissance de la vie, Hachette, 1952, p. 35, en note.)
[12] DESCARTES, Principes de la philosophie, 4e p., a. 205. Voir : Geneviève RODIS-LEWIS, La morale de Descartes, P.U.F., 1951, p. 119.
[13] Sur Paulhan, voir : André LALANDE, La raison et les normes, Hachette, 1948, p. 224. Lalande cite cette autre formule : « La logique n’est qu’une sorte de morale de l’intelligence ».
[14] Voir la conclusion de Lucien LÉVY-BRUHL à son livre classique sur La philosophie d’Auguste Comte, 3e éd., Alcan, 1913, pp. 395-417.
[15] Et la recommencer pour la psychologie, l’histoire, l’ethnologie, les sciences humaines tout entières.
|