RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Fernand Dumont, “La sociologie et Marcel Rioux.” In ouvrage sous la direction de Jacques HAMEL et Louis MAHEU, Hommage à Marcel Rioux. Sociologie critique, création artistique et société contemporaine, pp. 149-152. Montréal : Les Éditions Albert Saint-Martin, 1992, 228 pp. Collection “Cidar”.

[149]

Hommage à Marcel Rioux.
Sociologie critique, création artistique et société contemporaine
.
Deuxième partie :
Horizons et parcours de la sociologie critique

La sociologie
et Marcel Rioux
.”

Fernand Dumont
Université Laval


J'ai une bonne raison d'être court, et qui me permettra de taquiner mon ami Marcel. Dans le livre où il s'est raconté à Jules Duchastel, il déclare ce qui suit :

Un fils d'ouvrier voit d'abord les choses sous l'angle de l'opposition et de la confrontation. Un fils de paysan a une vision plus ouverte du monde et de la nature. Il dira de son ami Fernand Dumont [écrit l'auteur] qu'il est de tendance apollinienne. Ce dernier, fils d'ouvrier condamné au travail salarié à la Dominion Textile, aurait développé en raison de cette situation un caractère introverti. (Duchastel, 1981 : 18-19.)

Je ne cite pas plus avant. C'en est assez pour me prévenir : un introverti ne doit pas parler trop longtemps, sous peine de manquer à ses origines de classe ; ce qui, pour un sociologue, serait impardonnable...

D'ailleurs, je ne vais pas conclure des entretiens qui nous ont proposé un grand nombre d'hypothèses et de thèmes de réflexion. Je n'essaierai pas non plus de les résumer. J'insisterai plutôt sur le territoire qui a été dessiné dans les communications que nous avons entendues au cours de ce colloque. Ce territoire, ce me paraît être, en effet, celui de la sociologie ; et ce n'est pas un hasard s'il est celui que Marcel Rioux a arpenté.

Quel territoire ?

[150]

La sociologie est partagée entre deux pôles qui lui donnent à penser : d'une part, l'art, la littérature ce que j'appellerai la poétique sociale ; d'autre part, la politique, l'utopie. Ces deux pôles ne sont contradictoires qu'en apparence ; tous les deux donnent naissance à la sociologie, parce qu'ils la débordent, et qu'ainsi ils en sont l'indispensable inspiration.

Je ne veux pas simplement dire, on m'aura compris, qu'il y a une sociologie de l'art, de la littérature ou de la politique. Il y a des sociologies de tout, ce qui finit par tout banaliser. L'art n'est pas un objet, pas plus que la politique.

Certes, l'art est un produit de société ; mais c'est surtout ce qui met les sociétés en question par sa seule présence. Pour qui voudrait ramener les collectivités à des structures savamment découpées en instances ou en rondelles de saucisson, pour qui se bornerait à y voir simples mécanismes de régulation, l'art est une bien plus radicale opposition que la sociologie elle-même, fût-elle critique. L'art nous rappelle que la société est ouverte par en haut, qu'elle convoque à une espèce de transcendance et que cela est de sa nature même. Si elle est aménagée comme une structure, la société est aussi un poème. Celui qui prétend l'interpréter par des théories ou des monographies doit d'abord se mettre à l'écoute de ce qu'en disent les artistes et les écrivains. Marcel nous en a donné l'exemple, non seulement par ses travaux, mais par sa culture.

À l'autre extrême, la politique ne se réduit pas non plus à un ensemble d'objectifs conçus et mis en œuvre par des techniciens. Elle aussi est à sa manière dépassement, anticipation, utopie. Elle ressemble au poème. Ou plutôt elle devrait lui ressembler. Mais il y a piètre politique comme il y a mauvaise littérature. La garde de l'utopie, l'attention aux pratiques sociales qui en découlent, aux mouvements divers qui ouvrent les sociétés à leur avenir : ce n'est pas de la sociologie, mais c'est la promesse que celle-ci ne s'emprisonnera pas dans la servitude des pouvoirs. De cela, Marcel a témoigné, et avec cet humour qui demeure la meilleure façon d'entretenir à la fois l'esprit critique et la vénération des utopies.

L'art et la politique ne sont donc pas les frontières d'un domaine où la sociologie pourrait paisiblement cultiver son jardin. Elles sont le perpétuel recommencement de la sociologie, son incessante remise en mouvement. Elles l'empêchent de s'enliser dans ce positivisme qui est sa constante tentation. La sociologie est une maison de grands vents, où portes et fenêtres ne doivent jamais être fermées.

[151]

Ce qui ne l'empêche pas, au contraire, d'avoir ses démarches à elle. À partir de cette double ouverture, à une genèse et à une finalité qui la dépassent, elle poursuit son travail de rigueur. Et qui se traduit dans un double souci. D'abord celui de la monographie, où le chercheur se fait attentif à l'humble existence des hommes. Comment ne pas songer aux belles monographies de Rioux, à leur minutie, et plus encore, à la faculté d'écoute faite d'identification et de distance ? Souci aussi de la théorie, puisqu'il faut mettre provisoirement en forme des explications qui répondent à la double interrogation de la genèse et de la finalité, tout en se gardant de l'ambition de ramener le poème ou la politique à des systèmes. Théories critiques, par conséquent, et qui laissent voir leurs présupposés, leur fragilité, leur subordination à ce qui les provoque de plus loin. Marcel Rioux n'a pratiqué que des théories de cette sorte.

En définitive, nous n'avons pas seulement aujourd'hui rendu hommage à Marcel Rioux. Nous nous sommes souvenus que la sociologie doit se refuser au statut d'une sage discipline, convenablement rangée dans la classification des sciences ou dans le répertoire des départements universitaires. Ce souvenir, il faut le revivifier sans cesse, menacés que nous sommes par l'oubli des intentions de notre discipline, par l'éclatement de la sociologie en de multiples spécialités étanches, qui coïncident souvent avec les besoins des pouvoirs ou des mécanismes de normalisation de la vie en commun. D'avoir fait mémoire de ces intentions, je crois que c'est le résultat le plus certain des entretiens de cette journée. Et c'est aussi la plus pertinente façon de redire notre dette fraternelle à celui qui en témoigne éminemment par son œuvre et par sa présence, notre ami Marcel Rioux.

BIBLIOGRAPHIE

DUCHASTEL, J. (1981), Marcel Rioux. Entre l'utopie et la raison, Montréal, Nouvelle Optique.

[152]


Retour au texte de l'auteur: Fernand Dumont, sociologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le samedi 11 novembre 2017 13:51
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref