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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Francis Dupuis-Déri, “Anarchisme et libéralisme: réflexions sur la notion de «libéral-libertaire».” in ouvrage sous la direction de Benoît Coutu et Hubert Forcier, Les deux faces de Janus. Essais sur le libéralisme et le socialisme, pp. 197-226. Montréal: Les Éditions libres du Carré rouge, 2011, 365 pp. [M. Benoît Coutu nous a accordé, le 6 mai 2020 l’autorisation de diffuser en accès libre à tous ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

[197]

Les deux faces de Janus
Essais sur le libéralisme et le socialisme.

Anarchisme et libéralisme :
réflexions sur la notion de
« libéral-libertaire »
.”

Par Francis Dupuis-Déri *

Qu’il y ait des affinités entre l’anarchisme et le libéralisme relève de l’évidence. Ainsi, la liberté et l’égalité sont des valeurs que l’anarchiste et le libéral ont en partage. Mais qu’il y ait une ou deux ressemblances entre deux phénomènes ne signifie pas qu’ils sont identiques. Si l’anarchisme et le libéralisme ont des éléments communs tenant à leur histoire et à leurs principes, il s’agit néanmoins de deux idéologies distinctes qui entretiennent à la fois des rapports d’émulation et d’opposition. À la suite de la turbulence de Mai 68 en France, des voix se sont pourtant élevées en Occident pour accuser la fronde, de sensibilité anarchiste ou « libertaire », de faire le jeu du libéralisme économique, voire de relever de la même logique, d’où l’épithète dénigrante « libéral-libertaire ». Serge Audier, dans son ouvrage La pensée anti-68, a bien expliqué comment l’événement Mai 68 a été présenté, dans une perspective plus ou moins critique, comme l’occasion [198] d’une fusion entre le libéralisme et l’anarchisme [1]. « Je suis un libéral-libertaire », finit même par lancer en 1999 Daniel Cohn-Bendit, figure emblématique de Mai 68, qui s’explique : « [v]oilà le cadre dans lequel j’installe ma réflexion politique : un réformisme écologico-social lié à une tradition libertaire qui est effectivement non étatique. Je revendique l’accusation d’être un libéral-libertaire [2]. »

Le recours à l’expression « libéral-libertaire » pour marquer la critique se pratique aussi bien à l’extrême droite (voir, par exemple, Alain Soral) qu’à gauche et à l’extrême gauche, ainsi que chez les conservateurs. Même du côté des anarchistes, Murray Bookchin réduit les débats historiques au sein de l’anarchisme à une opposition entre deux tendances, soit l’approche individualiste, qui prône l’ « autonomie » et qui propose une vision « minimaliste » de l’anarchisme comme opposition à l’État pour le bien de l’individu, et l’approche collectiviste qui prône la liberté (freedom) et qui propose une vision « maximaliste » de l’anarchisme comme force révolutionnaire qui peut créer une nouvelle société [3]. Selon Bookchin, les anarcho-individualistes des années 1990 se complaisaient à expérimenter un « anarchisme-de-style-de-vie » (lifestyle anarchism) se réduisant à des choix esthétiques vestimentaires et musicaux, un régime alimentaire et une participation sans grande conséquence à quelques manifestations au-dessus desquelles flotte le drapeau noir. Les anarchistes lifestyle seraient égoïstes, narcissiques, irrationalistes et contre toute forme d’organisation collective [4]. Bookchin précise que leur approche « libérale » [5] peut facilement être récupérée par le capitalisme qui commercialise les produits de la contre-culture [6].

[199]

La critique de Bookchin a le mérite de distinguer minimalement deux formes d’anarchisme, prudence dont ne font pas preuve les autres détracteurs du phénomène « libéral-libertaire ». À titre d’exemple, le polémiste marxiste français Michel Clouscard présente lui-même l’objectif de son ouvrage au titre évocateur, Critique du libéralisme libertaire, comme une riposte à « la contre-révolution du libéralisme social-libertaire [7] », tout en dévoilant « les fondements d’une pensée devenue commune aux libéraux, aux sociaux-démocrates, aux contestataires libertaires [8] ». Selon Clouscard, il convient de distinguer deux « dimensions libertaires » propres au capitalisme lui-même, soit un espace d’expression (contre)culturel réservé à la bohème issue de l’élite et « une structure libertaire de la société ». Il précise, en référence au « libéralisme libertaire », qu’« [u]ne société capitaliste accomplie est une société libertaire. On peut même considérer que cette nature libertaire de la société est la finalité du capitalisme. Avec le libertaire, le libéralisme accomplit son concept [9] », et vice-versa.

Le politologue contemporain Gilles Labelle, plutôt conservateur ou anarchiste-tory [10], en appelle à la [200] réhabilitation des institutions, de l’autorité et de l’asymétrie [11]. Il s’en prend aux activistes du mouvement altermondialiste et à leur « idéologie libertaire-libérale [12] ». Selon Labelle, « [l]e néolibéralisme, qui accompagne la mondialisation marchande tous azimuts, n’est en ce sens aucunement contredit par le démocratisme libertaire. » En fait, « il s’en nourrit et se combine avec lui [13] », puisque

[l]a version « de gauche » – c’est-à-dire altermondialiste ou radicale - qu’appelle la version « de droite » – c’est-à-dire néolibérale – de la société fondée sur l’individu délié, non seulement n’est pas une critique, mais elle forme avec son « adversaire » une sorte de couple maudit et participe, par là (même si c’est à son corps défendant) à la configuration  idéologique qui définit les paramètres de la doxa contemporaine [... et...] par là même, s’en trouve nourrie la puissance du marché[14]

Cette critique se déploie sous le mode de la thèse de l’effet pervers. Les anarchistes peuvent être de bonne foi dans leurs critiques et leurs actions contre le libéralisme économique. Malgré cela, ils en font la promotion et « nourrissent la puissance du marché » (selon les mots de Gilles Labelle), en raison de leur manière d’être qui incarne les principes du libéralisme économique. Les critiques du prétendu phénomène « libéral-libertaire » identifient l’anarchiste à l’être libéral, soit à un individu égoïste et « délié », puisque s’épanouissant hors de toute institution (famille, université, parti, État, etc.). Les raisons et les émotions qui motivent l’engagement politique des anarchistes seraient identiques aux raisons et aux émotions qui motivent le libéral qui s’engage dans le marché du travail et, surtout, de la [201] consommation avec pour unique objectif de satisfaire momentanément un désir personnel égoïste.

À s’amuser à raisonner ainsi par amalgame[15], pourquoi ne pas reprocher à l’anarchiste de « nourrir la puissance » du régime de la Corée du Nord, puisque tous deux rejettent le capitalisme… Ou de « nourrir la puissance » du Catholicisme, puisque les anarchistes et le Pape sont – en principe – contre les frontières nationales et pour une solidarité universelle [16]… À dénoncer ainsi les anarcho-nord-coréens et les anarcho-papistes, qu’y gagnerait-on, sinon l’apparence d’une problématique originale, voire sophistiquée qui carbure à coup de syllogismes [17].

[202]

Au-delà de cet amalgame qui tire sa force sans doute en partie de l’effet rythmique obtenu en accolant les deux termes, les critiques du phénomène « libéral-libertaire » expriment souvent une profonde inquiétude face à la dégénérescence d’une société en perte de sens et de normes qui permettraient de distinguer le beau du laid, le bien du mal et le vrai du faux, autant de distinctions laminées par le capitalisme et son esprit individualiste. Gilles Labelle et d’autres attribuent une grande importance à ce qu’ils nomment, de manière quelque peu abstraite, « l’institution du sujet ». Ils font ici référence à la fondation et à la formation psychologique, morale et sociale de l’individu. Pour Gilles Labelle, « on ne naît pas un sujet, on le devient. On s’institue comme sujet et le sujet humain s’institue comme sujet dans un processus assez long, assez difficile. […] Contrairement au libéralisme, les sujets ne sont pas donnés dans l’état de nature [18] ». La fondation et la formation du sujet ne seraient possibles que dans le cadre d’institutions où l’individu reçoit d’une autorité les normes et principes nécessaires pour donner un sens moral et social à son existence. Selon les auteurs, les institutions si importantes pour fonder le sujet individuel et collectif sont l’État et ses représentants qui incarnent le « bien commun », le Parti (nationaliste ou communiste), l’Université, l’Église, la famille. Les autorités instituées importantes sont – selon les auteurs – l’enseignant ou le professeur ou les auteurs « classiques », le père de famille ou les anciens, un chef de parti ou d’État, un curé, un rabbin ou un imam [19]. Les institutions fondent et représentent les sujets collectifs, comme la nation ou la classe ouvrière qui incarnent le bien commun face à la vague de l’individualisme libéral promu par le marché capitaliste. De même, les autorités  proposent à la communauté des normes communes qui permettent à leur tour le maintien des liens d’une solidarité organique qui offre la possibilité d’une véritable résistance face au capitalisme. On reprochera alors à l’anarchiste (comme au libéral) de se penser [203] comme un sujet autofondé et libre de toute contrainte, c’est-à-dire de se considérer comme toute puissance individuelle, et d’autant plus puissante que « déliée » de toute institution et de toute autorité. On lui reproche aussi de confondre l’autorité (bonne et nécessaire) et la domination, fondée sur la coercition et la violence.

En se croyant capable de mener une lutte politique contre le capitalisme hors des institutions ou sans aucune institution ni autorité, l’anarchiste marcherait naïvement vers sa propre défaite individuelle et vers l’écrasement inévitable de son mouvement de contestation peut-être sympathique, mais contre-productif puisque « nourrissant la puissance du marché ».

Cette critique fait écho à d’autres auteurs (ou aux mêmes) qui s’en prennent, avec des arguments similaires, aux luttes « identitaires » ou « spécifiques », soit celles des « Autres » (femmes, Afro-américains, Amérindiens, personnes homo ou bisexuelles, etc.), qui relèveraient elles aussi d’un réflexe avant tout égoïste et nuiraient à la constitution et la consolidation d’un mouvement nationaliste [20] ou socialiste [21] seul apte à définir et promouvoir le bien commun. De ce côté, on rejette également le « principe libéral-libertaire », on déplore « les attaques du libéral-multiculturalisme », on prétend que « la culture, le symbolique et les institutions politiques offrent un certain cadre et perpétuent certaines formes, certains contenus, des “réserves de traditions” qui ont ouvert l’espace de lutte de classes », et on conclut en proposant « un conservatisme de gauche » qui « refuse d’adhérer spontanément au progressisme libéral et au discours libéral-libertaire [22] ».

Certes, plusieurs anarchistes sont individualistes et égoïstes en tout temps, ou occasionnellement. Mais l’intelligibilité de l’engagement anarchiste ne saurait se réduire [204] au simple amalgame « libéral-libertaire », pas plus d’ailleurs que les rapports complexes qu’entretiennent l’anarchisme et le libéralisme.

Hypothèses quant à l’origine de l’anarchisme

Cet amalgame entre anarchisme et libéralisme oblitère les débats au sujet de l’origine et de l’histoire de l’anarchisme comme pensée politique et mouvement social. Plusieurs thèses concurrentes – mais qui ne sont pas mutuellement exclusives – expliquent l’émergence de l’anarchisme et de ses tendances diverses, soit la thèse ontologique [23], la thèse économiste, la thèse idéologique, la thèse politique et la thèse historique. Cette diversité révèle une histoire et une logique de l’anarchisme qui ne sauraient se réduire à un amalgame pur et simple avec le libéralisme.

La thèse ontologique postule que l’humanité est par nature porteuse de deux forces antagonistes : le principe de liberté ou d’autonomie, qui peut être identifié à l’anarchisme, auquel s’oppose de tout temps le principe d’autorité ou de domination. Cette opposition n’est pas dialectique, car elle ne peut se résorber ou être dépassée dans une synthèse ; selon les époques et les régimes, l’une des tendances sera plus ou moins influente. Cette thèse permet de retracer des moments (proto)anarchistes avant même que le mot « anarchisme » ne soit utilisé, comme dans les communautés amérindiennes d’Amérique du Nord, ou encore dans la philosophie politique non-occidentale, comme le Taoïsme [24] ainsi que dans la tradition occidentale, comme les Cyniques et les Stoïciens [25].

La thèse économiste considère que l’anarchisme est une réaction conservatrice de la paysannerie réfractaire et même effrayée par les transformations économiques et l’émergence du capitalisme qui menacent son mode de vie et [205] de production. Selon cette conception, l’anarchiste est un petit paysan individualiste, peu éduqué et fondamentalement pré-moderne ou même anti-moderne. Il cherche à préserver à la fois son autonomie individuelle, sa culture rurale (face à l’urbanisation et l’industrialisation) et les coutumes et pratiques politiques du village, dont les terres communales et l’assemblée d’habitants qui s’est toujours montrée fière de son indépendance face aux rois et à ses agents [26].

La thèse idéologique présente l’anarchisme comme une composante intellectuelle de la grande pensée socialiste du XIXe siècle [27]. L’anarchisme y retrouve une certaine influence lorsque le courant plus autoritaire – marxiste-léniniste – est en perte de légitimité, comme en Mai 68 (voir le marxisme libertaire d’Herbert Marcuse 1969) et à la suite de la chute du Mur de Berlin (voir le néo-marxisme libertaire de Hardt et Negri, qui se défendent toutefois d’être anarchistes).

La thèse politique, proche de la thèse idéologique, présente l’anarchisme comme une force politique liée aux mouvements sociaux d’extrême gauche. L’anarchisme est né dans le mouvement ouvrier au XIXe siècle et en a été la principale idéologie révolutionnaire pendant quelques décennies, avant de se faire doubler par le marxisme-léninisme, surtout après la victoire des bolchéviques, lors de la Révolution russe de 1917, et la catastrophe de la Révolution espagnole de 1936-1939. À la suite de l’assimilation du mouvement ouvrier au système libéral et à ses institutions, l’anarchisme est réapparu comme force politique dans les nouveaux mouvements sociaux des années 1960, puis dans le mouvement altermondialiste.

La thèse historique compte pour sa part trois perspectives, celle de longue durée, celle de courte durée et celle du présentisme. Dans la perspective de longue durée, l’anarchisme est une force inhérente à l’histoire occidentale qui prend racine aux débuts du christianisme, avec le message égalitaire et libertaire de Jésus Christ. C’est la thèse défendue [206] par Jacques Ellul, dans son livre Anarchie et christianisme, où il discute des principes et des valeurs. C’est aussi la thèse, plus historique que philosophique, qui voit dans les mouvements millénaristes une poussée anarchiste, que ce soit à la sortie du Moyen Âge dans les courants radicaux de la Réforme, ou même chez des anarchistes espagnols au XIXe et XXe siècles. John Corbin explique ainsi que « l’anarchisme en Andalousie a été compris davantage comme un phénomène religieux que politique ou économique, en recherche d’une transformation totale et radicale de la moralité de la société [28] ».

La perspective historique de courte durée présente l’anarchisme comme l’enfant maudit de la Révolution française, qui tentera aux XIXe et XXe siècles d’en terminer la mission, pour réaliser pleinement ses principes de liberté, d’égalité et de solidarité [29]. Il s’agit là d’une perspective qui peut se concilier avec la critique du « libéralisme-libertaire ». Une variante de cette perspective identifie la Révolution française non pas tant à des idéaux libéraux que peuvent s’approprier les anarchistes, mais bien au début de la lutte engagée entre la bourgeoisie et le prolétariat (ou à tout le moins les forces qui rêvaient d’une égalité économique) dont l’anarchisme défend aujourd’hui les intérêts.

La perspective historique du présentisme considère que nous vivons aujourd’hui en postmodernité, c’est-à-dire dans une civilisation sans grands récits unificateurs ni sujets collectifs (nations, classes), et qui ne fait société que par le réseautage plus ou moins chaotique d’individualités atomisées et d’identités collectives fragmentées (femmes, homosexuels, etc.). Un anarchisme renouvelé par l’intégration de la nouvelle [207] sensibilité poststructuraliste (voir des auteurs comme Michel Foucault et Gilles Deleuze) offrirait la philosophie politique la plus cohérente dans ce contexte, à la fois pour analyser la configuration des nouveaux rapports de force, et pour s’engager dans une lutte désenchantée mais (relativement) efficace [30]. Cette approche est parfois désignée par l’étiquette « postanarchisme », un objet plutôt flou qui a fait couler sans doute trop d’encre dans les cercles intellectuels et universitaires anarchistes [31], et qui saurait s’attirer les foudres des critiques du prétendu phénomène « libéral-libertaire ».

Ce survol rapide des thèses explicatives de l’émergence et des renouveaux de l’anarchisme rappelle que l’anarchisme est une philosophie, une idéologie et une force politique qui traverse l’histoire moderne de l’Occident, sans que le sens de cette traversée soit définitivement donné. Ces thèses qui ne s’excluent pas mutuellement indiquent diverses variables qui influencent le dynamisme ou l’effacement de l’anarchisme selon tel contexte idéologique et politique. Associer simplement et uniquement l’anarchisme au libéralisme a pour effet d’évacuer des raisons et des émotions historiques et politiques qui donnent sens à l’anarchisme d’hier comme d’aujourd’hui.

[208]

Retour sur le prétendu phénomène
« libéral-libertaire »


Si l’anarchisme entretient un rapport d’affinité avec le libéralisme, soit parce que tous deux proviennent de la même matrice (la Révolution française), ou parce qu’il s’agit de deux forces s’opposant au fil des siècles de manière parfois meurtrière (surtout pour les anarchistes), on pourrait avancer – comme le font les critiques du phénomène « libéral-libertaire » – que l’anarchisme a influencé le libéralisme.

Luc Boltanski et Ève Chiappelo ont montré comment l’esprit anarchisant de Mai 68 a influencé – ou a été récupéré par, selon la perspective privilégiée – le « nouvel esprit du capitalisme » qui s’incarne dans les approches du nouveau management pour cadres intermédiaires, et qui fait la promotion de la réalisation de soi, de la participation et d’une certaine forme d’autonomie [32]. Cette thèse pourrait plaire aux critiques du prétendu phénomène « libéral-libertaire ». La philosophe Christiane Vollaire note toutefois que cette récupération « elle-même n’en demeure pas moins l’un des signes de [la] vitalité » de l’anarchisme et de ses idées. « Que les dimensions les plus radicales d’une pensée de la subversion puissent être aussi constamment recyclées et marchandisées, ne nous donne ainsi qu’une preuve supplémentaire de leur impact, et fait percevoir les ondes de choc du redoutable séisme intellectuel qu’a provoqué, dans la culture contemporaine, l’irruption de la pensée anarchiste [33] ».

Rappelons par ailleurs que de très nombreux libéraux au XIXe siècle considéraient raisonnable de s’opposer aux droits politiques et sociaux des femmes – à la contraception et à l’avortement –, à l’éducation mixte pour toutes et tous, à l’homosexualité, au syndicalisme et au droit de grève, aux droits « libéraux » des minorités ethniques (Amérindiens, Juifs, etc.), tout en étant favorables au travail salarié des enfants, au colonialisme, au service militaire obligatoire et à la peine de mort. Sur tous ces sujets, plusieurs anarchistes du XIXe siècle [209] avaient des perspectives qui apparaissent aujourd’hui comme relevant du libéralisme le plus modéré. C’était des anarchistes bien plus que les libéraux qui militaient pour que les hommes et les femmes aient les mêmes droits, que les femmes puissent « contrôler leur corps » (slogan déjà en vogue au XIXe siècle chez les anarchistes), que l’homosexualité soit décriminalisée, que l’éducation soit ouverte à toutes et tous, que les ouvriers puissent se regrouper en syndicat et y pratiquer l’aide mutuelle, que le colonialisme et le militarisme soient abandonnés et la peine de mort abolie [34]. Ce militantisme des anarchistes n’aura pas suffi à lui seul, malgré leurs efforts, leurs sacrifices et la répression qui les frappa, à élargir chez les libéraux leur entendement de la liberté et de l’égalité. Cela dit, le libéralisme d’aujourd’hui est plus proche de l’anarchisme du XIXe siècle sur bien des enjeux, que du libéralisme du XIXe siècle. Est-ce en ce sens qu’il faut dénoncer le « libéralisme-libertaire », ou doit-on être nostalgique d’institutions comme la famille patriarcale instituée par le droit des pères, l’école réservée aux garçons, la médicalisation et la criminalisation de l’homosexualité, les colonies, l’armée obligatoire et la potence ou la guillotine [35] ?

Le libéralisme influence l’anarchisme

Si l’on souscrit, au moins minimalement, à la thèse historique qui associe l’anarchisme au libéralisme de la Révolution française et aux principes de liberté, d’égalité et de solidarité, on ne saurait s’étonner qu’anarchistes et libéraux aient en partage certaines valeurs, dont la liberté individuelle. Il est raisonnable de supposer qu’une société dominée par l’idéologie libérale produira un certain nombre d’anarchistes, soit des personnes socialisées de manière à chérir des principes libéraux (entre autres, la liberté), mais qu’elles les auront redéfinis de façon plus radicale, c’est-à-dire anarchiste. Ces [210] principes communs au libéralisme et à l’anarchisme entraînent donc une possible permanence de l’anarchisme au sein d’une société libérale, le libéralisme en tant que philosophie ne pouvant se débarrasser une fois pour toutes de l’anarchisme puisqu’il l’entretient avec ses propres principes (la même chose pouvant être dite du christianisme).

Cette émulation peut être entendue de deux manières : (1) l’anarchisme serait une forme radicalisée de libéralisme, un mouvement politique et philosophique qui compte d’ailleurs diverses tendances (néolibéralisme, national-libéralisme [36], libéralisme social-démocrate, libéralisme cosmopolite, etc.) [37] ; (2) l’anarchisme serait autre chose que le libéralisme, mais trouverait sa source dans les principes organiques du libéralisme lui-même, l’anarchisme réinterprétant ces principes à la fois dans une perspective critique du libéralisme et dans une perspective programmatique proposant un projet de société anarchiste.

Liberté n’est pas toujours synonyme de liberté

La proximité entre le libéralisme et l’anarchisme a été constatée par plusieurs théoriciens anarchistes de renom, dont Michel Bakounine, qui se réclamait explicitement des principes « de justice, de liberté, d’égalité et de fraternité » [38], et Pierre Kropotkine, pour qui l’anarchie est un projet qui porte « l’humanité vers la liberté, l’égalité et la fraternité » [39]. Kropotkine déclare que « ce qu’on apprend […] en étudiant la Grande Révolution [française], c’est qu’elle fut la source de toutes conceptions communistes, anarchistes et socialistes de [211] notre époque ». Il continue en précisant que ce choc politique et philosophique a ouvert « à l’humanité de larges horizons, avec des mots : Liberté, Égalité, Fraternité, luisant comme un phare vers lequel nous marchons [40] ». Aux États-Unis, l’anarchiste Lucy Parsons réfère également à ces trois principes pour synthétiser le projet anarchiste [41].

Le partage de ces principes entre l’anarchisme et le libéralisme ne devrait pas mener à postuler la présence de deux êtres identiques se confondant dans la prétendue identité « libérale-libertaire ».

Les principes que le libéralisme et l’anarchisme ont en commun – liberté, égalité, etc. – sont des concepts essentiellement contestables et contestés, comme l’évoquent les réflexions de W.B. Gallie (1962) et de Chantal Mouffe (2005), pour qui les luttes politiques s’articulent souvent autour de concepts que les diverses forces cherchent à s’approprier et à définir selon leurs intérêts et leurs objectifs. Les idées centrales du libéralisme étant des concepts essentiellement contestables, il est possible que des citoyens réfléchissant à leur signification politique et morale les définissent selon une perspective anarchiste, ce qui provoque au sein du libéralisme un problème de perte de légitimité.

Quiconque prend le temps de prêter attention aux propos des anarchistes dans leurs tracts, pamphlets et chansons, ou qui a l’opportunité de discuter de leurs motivations politiques, devrait comprendre rapidement que la notion de « liberté » n’a pas du tout pour eux la même signification que pour les libéraux. Le principe de « liberté » est cher aux libéraux comme aux anarchistes, mais le même mot ne veut pas dire la même chose selon qu’on est libéral ou anarchiste, car il ne nourrit ni la même critique du pouvoir, ni le même espoir politique.

[212]

Diego Paredes rappelle que la liberté pour les libéraux est individualiste par essence et qu’elle est prépolitique ou présociale, puisque c’est en principe un droit naturel : tous les êtres humains naissent libres. On connaît le mythe du contrat social : libres dans l’état de nature, ils se craignent et fondent par contrat un État à qui ils remettent le pouvoir coercitif, pour qu’il assure au-dessus d’eux l’autorité, c’est-à-dire la loi et l’ordre qui permettent à chacun – en principe – de jouir de soi et de ses propriétés.

Si l’anarchiste peut éventuellement affirmer que les êtres humains naissent en principe libres et égaux, c’est pour ajouter que les être humains naissent en réalité inégaux dans tous les régimes politiques, sauf l’anarchie. Partout les gouvernants dominent leurs subalternes, qui ne sont pas libres tant que ne survient pas la révolution anarchiste qui permettra d’émanciper le peuple et les individus qui le composent, puisque la liberté est un fait sociopolitique et ne peut être que collective [42].

Tomás Ibáñez suggère que l’exigence de liberté est le principe premier de l’anarchisme, duquel découle l’opposition à la domination [43]. Mais alors que le libéral comprendra la « liberté » comme compatible avec un État assurant par sa police et son armée la sécurité (la loi et l’ordre) nécessaire à la jouissance de cette prétendue liberté, l’anarchiste comprendra la liberté comme incompatible avec l’existence d’un État et des appareils coercitifs (police, armée, prison). Dans la mesure où les institutions ne sont pas autonomes des sociétés et des régimes inégalitaires, mais en constituent des éléments centraux, les anarchistes sont donc effectivement critiques des institutions et des autorités instituées, puisqu’elles rendent [213] impossible de par leur existence même la réalisation de la liberté et de l’égalité. L’objectif ultime de l’anarchisme est donc une révolution qui permettra de fonder une nouvelle société et de nouvelles institutions permettant et maintenant l’égalité et la liberté individuelle et collective.

Diego Paredes en conclut que l’anarchisme ne radicalise pas le principe de liberté emprunté du libéralisme, mais qu’il définit et pense la liberté autrement que le libéralisme [44]. Pour le libéralisme d’aujourd’hui tel que stigmatisé aussi bien par les anarchistes que par les critiques du prétendu phénomène « libéral-libertaire », la liberté est en grande partie pensée en lien avec l’argent (libre-marché, liberté d’entreprise, liberté de choix de consommation) et l’action libre est dite rationnelle si elle est motivée par une recherche de profit ou une réduction des coûts. Au fil du XXe siècle, sous l’influence du néolibéralisme, toutes les sphères d’activité humaine en viennent à être abordées sous l’angle de cette rationalité économique. Politiquement, l’individu est considéré d’autant plus libre qu’il n’a pas à consacrer du temps à la politique, d’où l’utilité de la délégation des pouvoirs à des représentants (c’est ce qu’expliquait déjà Benjamin Constant, au début du XIXe siècle, à propos de la « liberté des modernes »), alors que les politiciens qui se prétendent préoccupés par le bien commun font de la politique une carrière professionnelle et cherchent à en tirer profit pour eux et leurs amis.

Chez les anarchistes, l’argent n’est pas un indicateur de liberté, mais plutôt d’injustice et d’inégalité : plus vous avez de l’argent, plus grande est l’inégalité entre vous et les pauvres, et plus grande l’illégitimité de votre position sociale. Même leur consommation marchande est parfois déterminée par des jugements politiques, ce qui explique des pratiques comme le troc, le commerce équitable, le boycott de certains produits et services, le vol, la récupération de produits jetés aux ordures.

[214]

Selon le libéralisme tel qu’il s’incarnerait dans l’individualisme égoïste dont le néolibéralisme et le marché capitaliste de la consommation font la promotion, l’individu cherche certes des associations volontaires dont il peut se délier selon son désir, mais celles-ci ne sont pas considérées comme politiques : il s’agit d’associations d’affaire, de loisir, d’amitié, d’amour… L’individu (néo)libéral se pense ou se veut apolitique [45], alors que les motivations qui animent l’engagement des anarchistes sont politiques. L’anarchiste pense la liberté en lien avec l’engagement politique : plus on peut s’engager en politique et plus on affirme sa liberté.

Pas de liberté sans égalité

Les anarchistes ne peuvent comprendre la liberté qu’en lien organique avec d’autres valeurs, dont l’égalité et la solidarité, là encore définies de manière bien différente des libéraux.

Alors que le libéral comprendra l’« égalité » en termes d’égalité des chances (par exemple, d’occuper des fonctions et des postes d’autorité, ou de devenir millionnaire) et d’égalité formelle devant la loi, l’anarchiste comprendra l’égalité comme incompatible avec une hiérarchie de fonctions et de postes d’autorité, et avec une inégalité de propriété et de ressources. Pour l’anarchiste, cette question politique de l’égalité doit se poser en principe dans toutes les sphères d’activité humaine, c’est-à-dire dans tous les rapports sociaux et toutes les institutions. À la rationalité économique qui détermine la conception de la liberté des libéraux, les anarchistes opposent une rationalité politique qui propose une équation à deux termes, la liberté et l’égalité.

La position anarchiste à ce sujet fait écho à la proposition d’« égaliberté », un concept développé par le philosophe politique contemporain Étienne Balibar. Ses réflexions mettent en relief le simplisme du concept « libéral-libertaire », fondé sur une conception réductrice de la liberté et l’oubli de l’égalité. Pour Balibar, il faut se dégager de « la représentation de l’égalité comme un enjeu exclusivement collectif alors que la liberté (en tout cas la “liberté des [215] modernes”) serait essentiellement liberté individuelle [46] ». Plus précisément, la liberté et l’égalité ne sont pas deux principes ou phénomènes qui peuvent être distingués ou séparés l’un de l’autre dans la réalité politique, ainsi que dans les rapports sociaux. Balibar avance de plus que la lutte pour la liberté est à la fois une lutte pour l’égalité, et vice-versa, puisque « égalité et liberté sont contredites exactement dans les mêmes conditions, dans les mêmes “situations”, parce qu’il n’y a pas d’exemples de conditions supprimant ou réprimant la liberté qui ne suppriment ou ne limitent – c’est-à-dire n’abolissent – l’égalité, et inversement. […] Il n’y a pas d’exemples de restrictions ou suppression des libertés sans inégalités sociales, ni d’inégalité sans restriction ou suppression des libertés, ne serait-ce que pour mater les résistances » et la contestation contre la domination et l’injustice [47].

Et la solidarité ?

En partant de quelques principes communs, le libéral et l’anarchiste évoluent selon des conceptions différentes, voire opposées, de la liberté et de l’autonomie individuelles, des rapports sociaux et des institutions. De plus, ces principes en partage sont souvent ordonnancés différemment dans l’anarchisme et le libéralisme, qui n’accordent pas la même importance à tel ou tel principe. Au sein du libéralisme contemporain, la responsabilité de solidarité est souvent reléguée aux services offerts par des organismes caritatifs ou par l’État (libéralisme social-démocrate), qui assure la priorité aux concitoyens d’une même nation (on pourra alors parler de national-libéralisme), ou à des étrangers selon un principe d’humanisme universel (le libéralisme cosmopolite).

Chez les anarchistes, la solidarité est un principe moteur, qui souvent les poussera à prendre des risques pour le bien d’individus qui leur sont inconnus et qui ne partagent pas nécessairement leurs idées et valeurs. C’est le cas de très nombreuses mobilisations anarchistes en Occident en solidarité avec les sans-papier et autres immigrants [216] « illégaux » [48], qui souvent ne sont pas anarchistes, et qui peuvent même embrasser une conception plutôt rigoriste de l’Islam.

La consommation des causes

Pour le sociologue Jean-Philippe Warren, qui critique les activistes altermondialistes d’aujourd’hui, l’anarchiste serait individualiste et même égoïste, malgré ses références à l’égalité et à la solidarité. L’engagement politique anarchiste serait inspiré par une recherche de plaisir : plaisir d’être ensemble, plaisir d’être juste… Bref, tout cela ne mène pas à un « véritable militantisme », puisque ce mouvement ne répondrait qu’à la maxime « Faites ce que vous pouvez et faites-le par plaisir [49] ».

En écoutant les activistes, on découvre que le moteur de leur action n’est pas tant un plaisir égoïste qu’un rapport fort à la notion de « justice sociale », ou plutôt d’« injustice » inhérente au libéralisme. Le libéralisme est producteur d’injustices de fait (voir les pays capitalistes aujourd’hui) et par principe (inégalité entre gouvernants et gouvernés, patrons et employés, riches et pauvres). Loin d’être un individualiste « délié », l’anarchiste tend à s’engager politiquement au sein de collectifs pour contester les injustices propres au libéralisme. Certes, des nostalgiques des jours grandioses des partis communistes ou nationalistes reprocheront aux anarchistes de se regrouper en associations volontaires et autres groupes d’affinité, dont les liens peuvent être déliés à volonté, sur le mode de la consommation marchande : aujourd’hui je milite dans un collectif contre le capitalisme, demain dans un autre contre la guerre, puis je fonderai avec des amis un squat d’où nous seront expulsés par les policiers, ce qui m’encouragera à joindre un comité contre la brutalité policière. Mais cette [217] liberté d’association et la pluralité du choix des engagements possibles ne relèvent pas de l’éthique libérale consumériste.

Premièrement, il ne s’agit pas de consommation, mais de participation.

De plus, la notion de liberté d’association traverse la tradition anarchiste, en lien avec d’autres notions, comme le fédéralisme, un terme aujourd’hui remplacé par « réseau » dans le vocabulaire anarchiste.

Pierre Kropotkine, par ailleurs, a expliqué dans son analyse de l’origine de l’État moderne en Occident que cette institution est en fait responsable de la montée de l’individualisme, puisqu’elle a détruit au fil des siècles toutes les institutions qui permettaient la vie commune et la solidarité organique, soit les communes et leurs assemblées d’habitants, ainsi que les guildes et les fraternités, et leurs assemblées, qui formaient un vaste réseau animé de l’« esprit fédéraliste ». L’idée et la pratique des libres associations n’ont pas pour origine le libéralisme individualiste, selon Kropotkine, mais la vie sociale et politique de l’Europe médiévale, qui « était essentiellement fédéraliste », l’Européen étant alors un « [h]omme de libre initiative, de libre entente, d’unions voulues et librement consenties [50] ». Or l’État, pour s’imposer comme institution souveraine sur un territoire et une population, a commencé par dépouiller et détruire les communes et les guildes, proposant donc l’individualisme comme fondement des rapports sociaux, chaque individu étant seul face à l’État qui prétendait représenter les intérêts communs, être redevable devant les doléances des individus et source unique de sécurité. Les États ont créé l’individualisme, disait Kropotkine avant même l’État-providence : « nous vivons côte à côte sans même nous connaître. […] Votre voisin peut mourir de faim […] – cela ne vous regarde pas [51]. »

Un anarchiste peut évidemment gagner à s’engager politiquement, en termes de liens affectifs et sociaux, de [218] réciprocité, de reconnaissance du milieu, de plaisir d’être ensemble, ce qui est aussi vrai pour les militantes et militants fascistes, nationalistes, et pour les libéraux qui adhèrent à des partis politiques, surtout celles et ceux qui en font une carrière politique. À qui sait voir et entendre, pourtant, l’engagement anarchiste est aussi source de larmes, de peine, de colère et de douleur, de blessures [52], d’épuisement et de dépressions nerveuses, d’exclusion et de pauvreté, puisque l’anarchisme est insubordination et contestation, et qu’il pousse à la confrontation avec le système libéral et ses représentants, dont parfois les policiers.

L’anarchisme contre le libéralisme

Précisons enfin, car on l’oublie trop souvent, que l’anarchisme en terre libérale est une force d’opposition, de contestation, souvent très marginale. Ce que cache la critique du « libéral-libertaire », c’est que le libéral est chez lui dans le système, et qu’il est heureux dans son pays dans la mesure où il peut avoir de l’argent et consommer. Pour sa part, l’anarchiste est un étranger, un ennemi, voire un traître, et que son engagement s’inspire de la colère ressentie face à l’injustice inhérente du libéralisme perçu comme un système maudit. Comme les libéraux dans des régimes antilibéraux forment des associations libres de dissidents, plus ou moins clandestines, plus ou moins permanentes, l’anarchiste d’aujourd’hui forme librement des collectifs pour y militer, c’est-à-dire pour contester un système (libéral) jugé injuste et illégitime. S’il ne s’identifie pas aux institutions de sa société, c’est que l’anarchiste s’y sent étranger et qu’il y est étranger, ces institutions ne représentant ni ne correspondant à ses valeurs, à ses raisons et à ses émotions d’être. Si l’anarchiste est une femme, féministe de surcroît, son sentiment d’étrangeté et d’aliénation sera encore plus fort face aux institutions libérales.

Donnez aux anarchistes l’occasion (c’est-à-dire : ne les massacrez pas) de fonder société au sein d’une population et d’un territoire, et vous verrez sans doute alors des anarchistes développer des liens de longue durée avec des institutions de [219] leur société, comme leur quartier et son assemblée, leur lieu de travail et son assemblée, leur établissement d’éducation et son assemblée, leur commune et son assemblée.

Conclusion

Cette présentation sans doute trop rapide d’axes de tension entre le libéralisme et l’anarchisme cherchait à complexifier la réflexion plutôt unidimensionnelle des critiques du prétendu phénomène « libéral-libertaire ». Le libéralisme et l’anarchisme entretiennent un double rapport d’émulation et d’antagonisme, cette tension provoquant des effets et des modifications au sein du libéralisme et de l’anarchisme. Le travail de cette tension entre l’anarchisme et le libéralisme ne suffit toutefois pas à déterminer la nature des deux mouvements.

Pour terminer, cinq reproches spécifiques peuvent être adressés à la critique du prétendu phénomène « libéral-libertaire ».

Premièrement, il ne s’agit pas d’une attitude intellectuellement et politiquement ouverte à l’égard de l’anarchisme. Plusieurs philosophes politiques provenant d’horizons différents, dont Emmanuel Mounier et Bertrand Russel, ont abordé avec respect la philosophie anarchiste parce qu’elle pose des questions fondamentales à la philosophie politique et morale. Comme l’affirment les auteurs de l’introduction du numéro de la revue Nomos (1978) consacré à l’anarchisme, « [l’]exploration de l’anarchisme nous ramène à la philosophie politique [53] ». Encore faut-il prendre le temps de participer de cette exploration, et pas seulement avancer sans vérification empirique et philosophique des faussetés sur l’anarchisme, son histoire et son actualité. L’anarchisme, aujourd’hui comme hier, compte de très nombreuses tendances, parfois des oppositions et des rivalités, et il est porté par des activistes dont l’engagement est diversifié dans sa  [220] source, sa forme, son intensité, sa régularité, sa durée. Réduire l’anarchisme à du libéralisme individualiste réduit l’intelligibilité à la fois de l’anarchisme et du libéralisme.

Deuxièmement, il semble que la critique se fonde sur des impressions, sans doute des rencontres fortuites ou quelques expériences personnelles dans des milieux militants, sur des campus, ou ailleurs. Or il existe des études empiriques – dont plusieurs proposant des analyses d’entrevues approfondies avec des dizaines d’activistes – qui traitent des motivations, de l’imaginaire, des valeurs, des principes et des conditions de militance et de vie des anarchistes d’aujourd’hui, aussi bien dans la sphère francophone qu’anglophone, qu’au sein ou hors du mouvement altermondialiste[54]. Pour avoir moi-même demandé à des anarchistes de définir l’anarchisme, j’ai pu constater une diversité de conceptions qui ne concordent pas toujours avec la définition du libéralisme égoïste individualiste. Selon un militant, l’anarchiste serait quelqu’un qui considère que « la liberté, l’égalité, la solidarité et l’entraide sont des valeurs primordiales pour l’humanité ». Pour un autre, l’anarchisme, « c’est un processus de décision collective. En extrapolant, cela se situe sur la limite très fine entre le collectivisme et l’individualisme. Les individus participent et prennent leurs responsabilités, ils redéfinissent le pouvoir. L’anarchisme, c’est aussi la reconnaissance des différences massives de pouvoir dans notre système, sur les lignes économiques, de genres, de races, etc… ». Pour une autre, « [c]’est être toujours critique à l’égard du capitalisme et de l’État en tant que soutien au capitalisme ». Il est malheureux de constater que les critiques du phénomène « libéral-libertaire » ignorent ces paroles, dans lesquelles les notions de liberté et d’égalité sont souvent discutées en détail.

Troisièmement, cette approche impressionniste gomme les tendances et les différents types d’anarchisme. Parle-t-on, au sujet du prétendu phénomène « libéral-libertaire », des anarcho-communistes ou des anarcho-syndicalistes ? Ou plutôt des anarcha-féministes ? Ou des anarcho-écologistes ? Ou des anarcho-individualistes ? Et [221] pourquoi pas des « anarcho-capitalistes » ? Et les insurrectionnalistes [55] ? L’anarchisme aujourd’hui est-il identique en Amérique du Nord, en Europe, en Amérique latine ? Tout cela n’est-il vraiment que du pareil au même, sans histoire ni logique politique à distinguer ?

Au-delà de ces tendances, il est aussi possible de distinguer cinq types d’anarchisme qui font référence à autant de façons d’incarner la pensée et les principes anarchistes dans la réalité politique et sociale [56] :

(1) L’anarchisme politique ou l’anarchisme officiel est celui d’organisations explicitement anarchistes. En France, par exemple, c’est la Fédération anarchiste, Alternative libertaire, l’Organisation communiste libertaire et des médias comme le journal Le Monde Libertaire et Radio libertaire à Paris. En Amérique du Nord, la Fédération des anarcho-communistes du Nord-Est (NEFAC), qui est devenue l’Union des communistes libertaires (UCL), relève également de l’anarchisme politique.

(2) L’anarchisme culturel s’exprime dans des colloques et des débats, mais aussi par le biais de livres, de l’art et de la musique – dans les chansons des Bérurier Noir ou de Léo Ferré – qui traitent directement de l’anarchisme ou qui évoquent la liberté et l’égalité et la rébellion face aux pouvoirs. Ce texte participe à sa manière de cet anarchisme culturel…

(3) L’anarchisme existentiel est porté par des individus psychologiquement réfractaires à l’autorité et à la  [222] hiérarchie pour des raisons de sensibilité personnelle. L’anarchisme existentiel s’exprime par exemple lors d’une explosion de colère face à un parent, un professeur ou un patron. Cet anarchisme passionné peut être purement individualiste et conduire au désespoir face à une société profondément injuste, ce qui pourra s’exprimer par la surconsommation d’alcool et de drogues, voire le suicide [57]. Une culture plutôt individualiste – comme la culture occidentale contemporaine – encourage l’essaimage de ce type d’anarchisme. La rencontre d’un collectif militant peut offrir à de telles personnes un lieu où exprimer collectivement leur anarchisme.

(4) L’anarchisme social s’exprime au sein de mouvements sociaux de contestation, dans divers groupes militants qui ne sont pas explicitement anarchistes et qui ne se vouent pas à la promotion de l’idéal anarchiste, mais qui fonctionnent selon des principes organisateurs anarchistes, c’est-à-dire sans chef(s) et par prises de décision collectives et consensuelles. Les membres peuvent ou non s’identifier comme anarchistes [58].

(5) L’anarchisme du quotidien s’incarne dans des lieux libérés, comme des squats, des usines autogérés et des communautés autonomes, où les gens vivent selon des principes anarchistes, sans nécessairement se revendiquer de l’anarchisme. La Curious George Brigade parle pour sa part de « pop-anarchie » (folk anarchy) pour évoquer cette anarchie populaire qui n’est pas le produit de militantes et militants qui se déclarent anarchistes, mais d’individus qui rejettent l’autorité pour vivre en collectivité, prendre des décisions de façon délibérative et consensuelle, et pratiquer l’aide mutuelle [59]. Ainsi compris, l’anarchie [223] existe ici et maintenant un peu partout autour de nous. Y participent le mouvement zapatiste au Mexique, les assemblées de quartier en Argentine, ainsi que plusieurs communautés qui vivent dans les bidonvilles [60].

Ces divers types d’anarchisme, qui ne sont pas mutuellement exclusifs, entretiennent-ils tous les mêmes rapports avec le libéralisme ? C’est ce que la critique du prétendu phénomène « libéral-libertaire » ne permet pas de penser.

Ensuite, il convient de rappeler que l’histoire occidentale des derniers siècles a révélé que les institutions chères aux critiques du phénomène « libéral-libertaire » ont bien su composer avec le capitalisme (sans parler du patriarcat, du racisme et des autres systèmes de domination) : l’État et les partis politiques, l’Université, la famille et toutes les autres institutions d’importance n’ont pas seulement été incapables de réellement endiguer le capitalisme et de permettre la fondation d’une société émancipée, mais elles ont été utilisées par le capitalisme quand elles n’y ont pas volontairement participé. De plus, ces institutions n’ont rien d’éternelles ni de permanentes, et la plupart ont été (re)façonnées de façon substantielle par le libéralisme aujourd’hui hégémonique, c’est-à-dire par ses lois, son esprit et son éthique, surtout depuis environ 150 ans en Occident. Pourquoi voudrait-on aujourd’hui les sauver, avec l’espoir naïf qu’il y a là une place forte où tenir contre le capitalisme et l’individualisme consumériste ? Les anarchistes d’aujourd’hui ne sont pas aussi naïfs, et croient sans doute avec raison que ce sont bien plutôt les détracteurs des « libéraux-libertaires » et les institutions qu’ils vénèrent qui font le jeu du système et en sont des alliés objectifs. Ainsi, lorsque des critiques reprochent aux activistes radicaux contemporains « d’adhérer spontanément » au « discours libéral-libertaire » qui refuse « d’entrer en rapport réfléchi avec les formes [les institutions], par exemple la famille [61] », on oublie deux réalités importantes : l’anarchisme réfléchit depuis un ou deux siècles au sujet des institutions que [224] leurs détracteurs lui demandent de respecter, dont la famille (rapports sexuels, amoureux, parentaux), l’éducation et l’État. De plus, dans leur réalité sociale, les anarchistes peuvent être tout à fait engagés dans des institutions comme l’école ou la famille. Certes critiques de la famille et du patriarcat, je connais des militantes féministes radicales et des anarcha-féministes qui ont des enfants et les élèvent de façon tout à fait responsable, et d’autres qui se sont totalement mobilisées pour un père gravement malade et dans le besoin, précisément par sens de responsabilité familiale et par amour filial. Les hommes qui les critiquent assument-ils tous leur juste part de responsabilités domestiques et parentales ?

Pour terminer, je pose l’hypothèse que cette critique du phénomène « libéral-libertaire » cache, parfois mal, une condamnation politique de l’anarchisme en soi et pour soi, et non parce qu’il serait identique au libéralisme. À l’extrême droite (Alain Soral par exemple), c’est bien sûr la condamnation d’un ennemi qu’on ne cherche pas à convaincre ni à rallier ; à gauche, ainsi que chez certains conservateurs, il s’agit d’une condamnation doublée d’un espoir de voir les moutons (noirs) égarés revenir joindre le troupeau de celles et ceux qui savent bien comment rompre avec le libéralisme et le combattre, soit en investissant des institutions qui incarneraient le « bien commun », comme le mouvement ouvrier révolutionnaire (pour Murray Bookchin) ou la nation, mais surtout les institutions comme les partis politiques sociaux-démocrates ou nationalistes, et l’État (c’est ce que dira Jean-Philippe Warren explicitement [62]).

Cette critique du phénomène « libéral-libertaire » a l’avantage rhétorique de se présenter comme bienveillante, quoique paternaliste et condescendante. On nous dit : vous êtes fort sympathiques, mais je vois bien, moi, que vous faites fausse route, puisqu’en fait vous reproduisez inconsciemment ce que vous reprochez au système, et que vous êtes donc au final votre propre adversaire. C’est alors pour votre bien que je vous critique, en vous enjoignant de ne plus être ce que vous êtes, de ne plus promouvoir les principes que vous défendez, puisque vous ne faites que copier le système libéral que vous [225] dites détester. Abandonnez vos groupuscules anarchistes, et devenez plutôt partisan d’un parti social-démocrate ou nationaliste, et de l’État.

À les lire et à les entendre, j’en viens à croire que ces détracteurs du phénomène « libéral-libertaire » aimeraient que ces anarchistes repentis s’engagent dans des partis politiques et au sein de l’État libéral. Ce que les critiques du prétendu phénomène « libéral-libertaire » demandent aux anarchistes, c’est d’être plus libéraux qu’ils ne le sont.

Ce que les critiques du prétendu phénomène « libéral-libertaire » proposent en fait aux anarchistes, c’est un suicide.

[226]



* L’auteur tient à remercier Yves Couture et Marc-André Cyr pour leurs commentaires à la suite de la lecture d’une version précédente de ce texte, et le Fonds québécois de la recherche sur la société et la culture (FQRSC) pour une subvention visant un programme de recherche sur les rapports entre le libéralisme et l’anarchisme (ironique, non ?).

[1] Serge Audier, La pensée anti-68 : Essai sur les origines d’une restauration intellectuelle, Paris, La Découverte, 2008, p. 119.

[2] José Fort, « La tête de liste des Verts s’affiche – Cohn-Bendit : “Je suis un libéral-libertaire” », L’Humanité, 7 janvier 1999.

[3] Murray Bookchin, « Social Anarchism or Lifestyle Anarchism », dans Murray Bookchin, Social Anarchism or Lifestyle Anarchism : An Unbridgeable Chasm, San Francisco, AK Press, 1995, p. 4.

[4] Ibid., p. 9.

[5] Ibid., p. 11.

[6] Ibid., p. 2.

[7] Michel Clouscard, Critique du libéralisme libertaire : Généalogie de la contre-révolution, Paris, Delga, 2005, p. 18.

[8] Ibid., p. 14.

[9] Ibid., p. 230.

[10] L’expression « anarchisme tory » désigne une posture qui consiste à critiquer les diverses élites (qui seraient corrompues) politiques, économiques, médiatiques et culturelles, tout en encourageant au respect de certaines traditions et institutions appréciées ou associées au peuple. Ce terme est surtout utilisé pour désigner des figures au parcours original dans la sphère culturelle en Grande-Bretagne, comme George Orwell. Il ne s’agit pas d’un mouvement social, mais bien d’une posture adoptée principalement par des individus isolés les uns des autres. Pour plus d’information, voir l’analyse de ce phénomène qu’en propose Peter Wilkin, « (Tory) Anarchy in the UK : the very Peculiar Practice of Tory Anarchism », Anarchist Studies, vol. 17, no 1, 2009, pp. 48-72 ; à voir également : Jean-Claude Michéa, Orwell, anarchiste Tory, Paris, Climats, 2008. En mars 2010, le Centre interdisciplinaire de recherche sur la citoyenneté et les minorités (CIRCEM) de l’Université d'Ottawa a organisé un colloque intitulé « L’anarchisme tory », où des penseurs comme le sociologue Michel Freitag ont également été identifiés à cette posture.

[11] André Baril, « La figure de la subjectivité moderne : Entretien avec Gilles Labelle », dans André Baril (dir.), Philosopher au Québec. Deuxièmes entretiens, Québec, PUL, à paraître (2011).

[12] Gilles Labelle, « Le Québec et le problème de l’autofondation », Argument, vol. 4, no. 2, 2002, p. 37.

[13] Ibid., p. 38.

[14] Gilles Labelle, « Essai sur l’idéologie dominante de la démocratie avancée (ou : à quoi sert le différentialisme ?) », Stéphane Vibert (dir.), Pluralisme et démocratie : Entre culture, droit et politique, Montréal, Québec Amérique, 2007, p. 124.

[15] Ce discrédit par jeu d’amalgame se pratique également chez ceux qui veulent à la fois écorcher les islamistes et les féministes. On reprochera à des féministes comme Andrea Dworkin et Catharine A. Mackinnon, ou encore à la Fédération des femmes du Québec (FFQ), leur critique de la pornographie, parce que ce serait « EXACTEMENT le discours tenu par les islamistes. Les bonnes filles se voilent et font preuve de pudeur. Les autres sont des traînées ». Pour marquer le coup, une conclusion en forme de dicton, « qui s’assemblent se ressemblent » (Richard Martineau, « Quand féminisme rime avec islamisme », Le Journal de Montréal, 12 mai 2009, p. 6). On devrait comprendre que les féministes radicales et les miliciens islamistes se mobilisent en réponse aux mêmes motivations, poursuivent les mêmes objectifs et mènent les mêmes actions, avec les mêmes effets qui opprimeraient ou stigmatiseraient pareillement les femmes. Le jeu d’amalgame participe ici d’une réduction drastique de l’intelligibilité des phénomènes discutés, et produit des effets de délégitimation du féminisme.

[16] Des intellectuels, dont au moins un politologue, ont sérieusement affirmé que les anarchistes du mouvement altermondialiste et les islamistes qui ont organisé l’attaque du 11 septembre 2001 contre les États-Unis sont animés par le même esprit ou la même morale, chacun s’en prenant à des symboles du capitalisme : les anarchistes en manifestation à des vitrines de banques ou de McDonald’s, les islamistes aux tours du World Trade Center. Pourquoi alors ne pas parler d’« anarcho-islamisme » ? Pour une analyse de cette condamnation par amalgame, voir Francis Dupuis-Déri, Les Black Blocs : Quand la liberté et l’égalité se manifestent, Montréal, Lux, 2007 [3e éd.], pp. 222-225.

[17] Le syllogisme est une forme rhétorique qui permet de dire, par exemple, que (1) les chats ont des moustaches ; (2) Adolf Hitler avait une moustache ; (3) Adolf Hitler était un chat ; ou que (1) les libéraux aiment la liberté ; (2) les anarchistes aiment la liberté ; (3) les anarchistes sont donc des libéraux.

[18] Commentaire émis lors du colloque sur l’anarchisme tory à l’Université d’Ottawa, en mars 2010, www.mondecommun.com/index.php/enjeux-et-debats/discussion1.

[19] En fait, on préférera sans doute, chez les détracteurs du phénomène « libéral-libertaire », les curés aux rabbins, et surtout aux imams…

[20] Voir Jacques Beauchemin, La société des identités, Outremont, Athéna, 2009 [2e éd.] ; Gilles Labelle, dans Stéphane Vibert (dir.), op. cit., 2007.

[21] Walter Benn Michaels, La diversité contre l’égalité, Paris, Raisons d’agir, 2009.

[22] Éric Martin, « Politique, idéologie et classes sociales : L’angle mort de la gauche », Les nouveaux cahiers du socialisme, no. 1, 2009, p. 144, p. 146, p. 149.

[23] Ontologie : la nature ou l’essence des êtres.

[24] Peter Marshal, Demanding the Impossible : A History of Anarchism, Londres, FontanaPress, 1993, p. 53-59.

[25] Ibid., pp. 66-73 ; Derry Novak, « The Place of Anarchism in the History of Political Tought », The Review of Politics, vol. 20, no 3, p. 313 ; Jean Préposiet, Histoire de l’anarchisme, Paris, Tallandier, 2002, pp. 18-19.

[26] E. J. Hobsbawm, Primitive Rebels : Studies in Archaic Forms of Social Movements in the 19th and 20th Centuries, New York, W. W. Norton, 1965, p. 82.

[27] Daniel Guérin, L’anarchisme, Paris, Gallimard, 1981.

[28] John Corbin, El Anarquismo Andaluz : Perspectiva desde la Anthropologia Social, Madrid, Complutense (Revista de Anthropologia Social, no 2), 1993, p. 74 (merci à Étienne David-Bellemare, pour cette référence et la traduction). Voir aussi : Peter Marshal, Demanding the Impossible : A History of Anarchism, Londres, Fontana Press, 1993, pp. 74-85 ; Jean Préposiet, op. cit., 2002, pp. 19-29 ; Jacques Ellul, Anarchisme et christianisme, Lyon, Atelier de création libertaire, 1988 ; James Joll, The Anarchists, Cambridge [MA], Harvard University Press, 1979, pp. 4-24.

[29] David Miller, Anarchism, Londres, J.M. Dent & Sons, 1984, p. 3 ; Max Nettlau, L’Histoire de l’anarchisme, Paris, Éditions de Université et de l’enseignement moderne, 1983.

[30] Todd May, The Political Philosophy of Poststructuralist Anarchism, University Park (PENN), Pennsylvania State University Press, 1994 ; Olivier Meuwly, Anarchisme et modernité, Lausanne, L’Âge d’homme, 1998, p. 8.

[31] Jason Adams, « Postanarchism in a Bombshell », Collectif, Five Essays on Anarchy and Post-Structuralism, Diogenes Editions, mai 2008, pp. 4-9 ; Todd May, The Political Philosophy of Postructuralist Anarchism, University Park (PENN), The Pennsylvania State University Press, 1994 ; Saul Newman, « Anarchism, Poststructuralism and the Future of Radical Politics », SubStance, no 113 (vol. 36, no 2), 2007, pp. 3-19 ; Benjamin Franks, « Postanarchism : A Critical Assessment », Journal of Political Ideologies, vol. 12, no 2, 2007, pp. 127-145 ; Allan Antliff, « Anarchy, Power, and Poststructuralism », SubStance, no 113 (vol. 36, no 2), 2007, pp. 56-66 ; Ruth Kinna, « Fields of Vision : Kropotkine and Revolutionary Change », SubStance, no 113 (vol. 36, no 2), 2007, pp. 67-85.

[32] Luc Boltanski et Ève Chiapello, Le Nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999.

[33] Christiane Vollaire, « L’anarchie esthétique », Lignes, no 16, février 2005, p. 169.

[34] Don Herzog, « Romantic Anarchism and Pedestrian Liberalism », Political Theory, vol. 35, no 3, 2007, pp. 313-333.

[35] Certes, les critiques réactionnaires du prétendu phénomène « libéral-libertaire » sont sans doute pas nostalgiques de l’époque où garçons et filles ne partageaient pas les mêmes classes, le mariage était interdit aux homosexuel-le-s, le divorce interdit aux épouses, l’avortement plus difficile d’accès pour les femmes et où le colonialisme apportait la civilisation à des peuples « primitifs ».

[36] Contrairement à l’expression « libéral-libertaire » qui laisse entendre que les deux éléments sont identiques, l’expression « national-libéralisme » n’est pas un amalgame, mais une juxtaposition d’une position à la fois nationaliste et libérale.

[37] À l’opposé de l’anarchisme dont il est ici question, qui participe de la mouvance d’extrême gauche, l’anarcho-capitaliste Pierre Lemieux déclare à son tour qu’« il existe une voie anarchiste en continuité avec le libéralisme ». Pierre Lemieux, Du libéralisme à l’anarcho-capitalisme, Paris, Presses Universitaires de France, 1983, p. 20.

[38] Michel Bakounine, « Étatisme et anarchisme », dans Michel Bakounine, Œuvres complètes, vol. IV, Paris, Champ libre, 1976 [1873], p. 217.

[39] Pierre Kropotkine, La science moderne et l’anarchie, Paris, Phénix, 2004 [1913], p. 132.

[40] Pierre Kropotkine, La Grande Révolution – 1789-1793, Paris, Stock, 1909, pp. 745-746.

[41] Lucy Parsons, « The Principles of Anarchism », Lucy Parsons, Freedom, Equality and Solidarity : Writings and Speeches, 1878-1937, Chicago, Charles H. Kerr, 2004 [1905-1910 ?], p. 38.

[42] Diego Paredes, « L’anarchisme, entre libéralisme et “moment machiavélien” », Réfractions, no. 24, mai 2010, p. 146 ; Michel Bakounine disait : « [l]’homme n’est pas seulement l’être le plus individuel de la terre – il en est encore le plus social. » Michel Bakounine, Théorie générale de la révolution, Paris, Nuits rouges, 2001, p. 181 ; voir aussi F. Dupuis-Déri, « La fiction du contrat social : Uchronie libérale, utopie anarchiste », Politique & sociétés, 26 (2), 2009, pp. 3-24.

[43] Voir le chapitre « Points de vue sur l’anarchisme et aperçus sur le néo-anarchisme et le postanarchisme », dans Tomás Ibáñez, Fragments épars pour un anarchisme sans dogmes, Paris, Rue des cascades, 2010, p. 318 et suiv.

[44] Selon Diego Paredes, si la conception de la liberté des anarchistes est à rapprocher d’une autre philosophie politique, ce serait du républicanisme qui encourage l’engagement civique. Paredes, op. cit., mai 2010, pp. 143-149.

[45] Paredes, op. cit., mai 2010, p. 145.

[46] Étienne Balibar, La proposition de l’égaliberté, Paris, PUF, 2010, p. 58.

[47] Ibid., p. 71.

[48] Voir les campagnes No Border, Solidarité sans frontière, Personne n’est illégal, Anarchists Against the Wall, qui sont autant de mobilisations qui comptent plusieurs anarchistes.

[49] Jean-Philippe Warren, « “Faites ce que vous pouvez et faites-le par plaisir” : Les jeunes intellectuels québécois de gauche vus à travers quelques revues », dans Francis Dupuis-Déri (dir.), Québec en mouvements : Idées et pratiques militantes contemporaines, Montréal, Lux, 2008, p. 50.

[50] Pierre Kropotkine, L’État - son rôle historique, Marseille, Le flibustier, 2009, p. 78.

[51] Pierre Kropotkine, L’Anarchie, Paris, De Sandre, 2006 [1896], p. 46.

[52] J’ai proposé des récits d’anarchistes ayant pleuré pour des raisons politiques, dans Lacrymos, Montréal, Écosociété, 2010.

[53] Gerald F. Gaus et John W. Chapman, « Anarchism and Political Philosophy : An Introduction », dans J. Roland Pennock et John W. Chapman, Nomos XIX (« Anarchism »), New York, New York University Press, 1978.

[54] Dans le cas du Québec, voir les travaux du Collectif de recherche sur l’autonomie collective à l’adresse www.crac-kebec.org.

[55] « Nous embrassons le meilleur de l’individualisme et le meilleur du communisme. […] L’individualité peut seulement fleurir là où l’égalité d’accès aux conditions d’existence devient la réalité sociale. Cette égalité est le communisme. […] Il n’y a aucune contradiction entre l’individualité et le communisme. » Anonyme, Notes sur l’anarchisme insurrectionnaliste, éd. Non Fides, sans date, p. 9.

[56] Je m’inspire ici librement de la typologie de Mimmo D. Pucciarelli, qui distingue pour sa part quatre types d’anarchisme dans « Entre les 100% à gauche et les anarchistes purs et durs, mon cœur balance », Contretemps, Paris, février 2003, no 6, p.  129. De plus, Pucciarelli nomme « anarchisme social » la catégorie que je nomme « anarchisme politique », attribuant pour ma part le nom de « social » à ma cinquième catégorie.

[57] Ibid., p. 129.

[58] Murray Bookchin, « New Social Movements : The Anarchic Dimension », dans David Goodway (dir.), For Anarchism : History, theory, and Practice, New York-Londres, Routledge, 1989, p. 259-274.

[59] Curious George Brigade, Anarchy in the Age of Dinosaurs, Canada, CrimethInc., 2003, p. 133 (le texte du livre est disponible libre de droit sur Internet : www.ageofdinosaurs.net).

[60] Ibid., pp. 113-115 et pp. 120-121.

[61] Martin, op. cit, , 2007, pp. 149-150.

[62] Warren, dans Dupuis-Déri (dir.), op. cit., 2008, pp. 55-56.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 4 juin 2020 15:00
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé à l'Université du Québec à Chicoutimi.
 



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