Gérard Dussouy
Doctorat d’État en science politique, Agrégation de géographie
professeur émérite, Université Montesquieu à Bordeaux
membre du Centre Montesquieu de Recherche Politique (CMRP)
“Les 13 super-régions,
un échelon territorial de plus !”
Un article publié sur le blog de Michel Abhervé, Alternatives économiques.fr, 31 janvier 2015.
https://www.alternatives-economiques.fr/blogs/abherve/2015/01/31/les-13-super-regions-un-echelon-territorial-de-plus/
Nous avions publié dans ce blog les propositions d’un géographe bordelais, Gérard Dussouy (voir “Afin que la réforme territoriale aboutisse et réussisse” ou la contribution d’un géographe et Une carte évolutive ? Alors, profitons-en pour l’améliorer), sur l’évolution du périmètre des régions. Nous publions volontiers un nouveau texte rédigé après le vote définitif de la loi, d’autant plus que nous partageons nombre de ses constats (voir Des régions plus grandes, des départements confortés, une réforme régressive)
Les réformes, en France, ne sont pas à un paradoxe ou à une contradiction près. Leurs conséquences sont souvent contraires au but initialement fixé. Celle qui concerne nos territoires, et dont la première phase vient de s’achever, ne déroge pas à cette fâcheuse tradition. En effet, elle va ajouter un échelon territorial de plus, au lieu d’en réduire le nombre, comme cela était l’objectif annoncé. Nous en aurons, désormais, cinq au lieu de quatre, de haut en bas de la hiérarchie administrative française : l’Etat, les 13 super-régions, les régions que celles-ci vont rassembler, mais sans véritablement les fusionner, [à titre d’illustration Le projet de calendrier des vacances scolaires 2016 2017 n’intègre pas la fusion des régions] à partir du 1er Janvier 2016, les départements, et enfin, les communes toujours aussi nombreuses.
Deux raisons à cela : une évidente - la non suppression du département - et l’autre qui l’est moins, parce qu’elle est un effet induit et pervers de la réforme elle-même - le fait que certaines régions ont été conçues trop grandes, et sont trop incohérentes. Et qu’il va falloir ménager les susceptibilités et calmer les appréhensions légitimes des entités régionales associées en leur accordant, à chacune, au sein de la nouvelle super-région un statut implicite de sous-région. C’est clairement ce qui s’esquisse dans la région Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes, où il convient de rassurer les territoires les plus éloignés de Bordeaux, quant au risque pour chacun d’eux d’être « l’oublié » du nouveau pouvoir régional. On en serait presque à envisager une présidence tournante des différentes sous-régions, chacune conservant une part des prérogatives dudit pouvoir. La maîtrise locale d’une partie de ces dernières s’inscrit de façon inévitable, compte tenu de la vastitude de certaines super-régions, dans la recherche des modalités de fonctionnement qui permettront à chaque partie prenante de ne pas se sentir en position d’être lésée.
Finalement, parmi les nouveaux regroupements peu d’entre eux vont aboutir à une véritable fusion. Par conséquent, il n’y aura, nulle part, aucune réduction des effectifs administratifs ; ni aucune économie, cela va de soi. Pourtant, la règle aurait dû être, avec comme toujours des exceptions ponctuelles nécessaires, que là où l’on réunit trois régions, deux fonctionnaires territoriaux sur trois disparaissent ; et que là où l’on regroupe deux régions, un poste sur deux soit supprimé.
Par ailleurs, la métropolisation ne va pas manquer, de son côté, de favoriser les doublons entre postes métropolitains et postes communaux.
Cet échec de la réforme territoriale est tout à fait symptomatique du mal français. Il réside dans l’incapacité à penser une restructuration territoriale complète et cohérente, et, dans l’action, à aller jusqu’au fond des choses.
Un découpage régional incohérent,
à corriger dès que possible (2017 ?).
Sur les treize régions dessinées par la réforme, quatre sont immenses et ne sont pas cohérentes. Il s’agit de l’Alsace-Lorraine-Champagne (ALCA), de l’Auvergne-Rhône-Alpes (ARA), du Midi-Pyrénées-Languedoc (MPL) et de l’Aquitaine-Poitou-Charentes-Limousin (APCL). Elles sont lourdes de querelles internes, immédiates ou à venir, de rivalités sourdes et de frustrations plus ou moins déclarées. A côté d’elles, le Centre doit se satisfaire de son maigre potentiel, alors que les Pays de la Loire et la Bretagne vont continuer à se disputer la ville de Nantes. Quant à la région Ile de France, elle ne couvrira toujours pas la zone d’attraction immédiate de Paris, tandis que pour d’autres régions, quelques rectifications de leurs limites ne seraient pas superflues.
Dans un premier temps, on aurait pu penser que le « droit d’option » des départements pourrait être un moyen de corriger les incongruités les plus remarquables du découpage arrêté. En permettant, par exemple, au Gard de rejoindre la PACA. Mais, on sait combien l’exercice de ce droit va s’avérer délicat et difficile, comme cela l’a été montré dans ce blog.
Il faudra sans doute attendre les prochaines élections législatives, celles de 2017, et une nouvelle majorité parlementaire, pour qu’une rectification des limites régionales soit envisageable. Il ne sera pas trop tard, parce que les 13 super-régions inaugurées en 2016 n’en seront qu’à leurs balbutiements et qu’elles n’auront pas vraiment pris corps. Et, comme en matière d’affaires humaines, tout est construit, tout peut être déconstruit.
Pour notre part, dans le prolongement des articles que nous avons publiés ici et en tenant compte des remarques dont ils ont été l’objet, nous défendrons toujours une carte de France à 14 régions, comme celle qui figure ci dessous :
Publication de la carte en attente
de résolution du problème technique
Il nous apparaît, en effet, fondamental de respecter la vocation rhénane de l’Alsace ; de restaurer l’entité du Massif-Central (en lui octroyant, si nécessaire, un plan spécifique d’équipement) afin que ses régions de montagne ne soient pas pénalisées, et encore plus économiquement rétrogradées, par leur inclusion dans des régions qui ont de tout autres horizons ; et de régler la question du grand Ouest en créant, d’une part, une vaste région du Val de Loire (en additionnant à celle du Centre plusieurs départements voisins), et en unissant, d’autre part, la Bretagne ( celle, historique, des cinq départements, en comptant la Loire Atlantique) et la Vendée, sans que cela soit culturellement dommageable pour aucune de ces deux provinces.
Suppression des départements
et création de « larges “Pays”
basés sur la cohérence des bassins de vie »
(Gérard Onesta).
Afin que la réforme n’aboutisse pas à un alourdissement de l’administration territoriale de la France (ce qui serait le contraire du but recherché), il faut que les régions créées soit cohérentes et intérieurement équilibrées, de façon à ce que certaines de leurs composantes ne recherchent pas, à terme, des solutions de sauvegarde dans le cloisonnement.
C’est le premier point. Mais, il ne suffit pas. Il faut aussi que soient appliquées les « six règles » de Gérard Onesta (voir Réforme territoriale : l’impossible réforme ? Une contribution de Gérard Onesta (l’architecture)), dans le cadre d’un redéploiement des compétences, et que nous faisons nôtres :
- « 1- Il faut supprimer le département et répartir ses compétences entre la Région et les bassins de vie (appelés ci-après “Pays”) ;
- 2- La Région doit voir son domaine de compétences accru notamment au travers de schémas structurants prescriptifs ;
- 3- Les “Pays” (nouvelles entités venant en remplacement de toutes les anciennes formes d’intercommunalités) doivent être chargés des politiques de proximité (social, équipements de la vie quotidienne ;
- 4- L’administration d’État doit désormais s’articuler sur la base des Régions et Pays, et non plus au niveau départemental ;
- 5- Les Régions doivent obtenir un droit d’adaptation des lois » nationales (encadré dans leur strict domaine de compétence) ;
- 6- Les Régions doivent conserver un droit d’expérimentation au travers du maintien de la clause de compétence générale ».
C’est la simplification des structures qui doit être recherchée. Ce qui n’est pas le cas, non plus, avec la création des « Métropoles ». Alors, pourquoi ne pas laisser les régions, une fois leur redéfinition rationnelle réalisée, s’auto-organiser, chacune à sa manière, et en fonction de ses spécificités ? Rien n’oblige, sinon l’idéologie centralisatrice française, à ce qu’elles obéissent, chacune, au même schéma de construction.
On est loin, aujourd’hui, de toutes ces considérations. Mais rien n’est jamais définitif. Et l’on peut croire, et espérer, qu’à la suite des difficultés rencontrées et des déboires enregistrées, une nouvelle législature finira, peut-être, par mener la réforme territoriale à bon port.
Gérard Dussouy
Pour ceux que le sujet intéresse, nous ne pouvons que conseiller la lecture d’une histoire des projets de découpages (voir L’imaginaire régionaliste à l’épreuve du territoire, ou un apport de géographes ) et de l’ensemble des articles de Gérard Onesta auquel Gérard Dussouy fait référence qui représentent la réflexion la plus aboutie sur une réorganisation complète des territoires qui pourrait fonder la vraie refonte dont notre pays a besoin (voir Réforme territoriale : l’impossible réforme ? Une contribution de Gérard Onesta (le contexte), Réforme territoriale : l’impossible réforme ? Une contribution de Gérard Onesta (l’état des lieux), Réforme territoriale : l’impossible réforme ? Une contribution de Gérard Onesta (les compétences), Réforme territoriale : l’impossible réforme ? Une contribution de Gérard Onesta (les moyens), Réforme territoriale : l’impossible réforme ? Une contribution de Gérard Onesta (l’architecture) et Réforme territoriale : l’impossible réforme ? Une contribution de Gérard Onesta (la conclusion)) , et qui n’est en aucun cas la réforme contre productive actuelle (voir Des régions plus grandes, des départements confortés, une réforme régressive et “La nouvelle délimitation des régions en France, décision sans équivalent en Europe, ne renforce nullement les régions françaises au sein de l’UE”
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