[189]
Shmuel Noah Eisenstadt
“La modernité
comme défi à la sociologie.” [1]
Un article publié dans la « Revue du MAUSS », 2004/2, n° 24, pages 189 à 204. Paris : Les Éditions La Découverte.
- Introduction [189]
- Les processus de mondialisation et de transformation du modèle classique de l'État-nation [189]
- Réévaluation des concepts fondamentaux de l'analyse sociologique : société civile et espace public [193]
- Réévaluation des concepts fondamentaux de l'analyse sociologique : hétérodoxie et construction de l'identité collective [196]
- Les identités collectives dans le contexte international [199]
- Sur l'applicabilité des concepts fondamentaux de l'analyse sociologique à la scène contemporaine [200]
- Cadres occidentaux et cadres non occidentaux [201]
- Bibliographie [202]
Introduction
Dans son processus de cristallisation et de développement en Europe au XIXe siècle puis plus tard également aux États-Unis, la sociologie s'est donné pour objet la compréhension de la modernité telle qu'elle s'était présentée en Europe. Elle a considéré que les contours fondamentaux de cette modernité européenne constituaient de fait le modèle de la société moderne. Elle a également considéré, sans rigoureusement analyser ce postulat, que l'État-nation moderne, tel qu'il s'était cristallisé en Europe, représentait le cadre naturel de la société moderne et qu'il donnait naturellement corps au programme institutionnel et culturel de la modernité.
Ces postulats ont reçu leur formulation la plus claire dans les théories de la modernisation et de la convergence des sociétés industrielles, dont les analyses fortement ancrées dans la sociologie classique supposaient, fût-ce de manière implicite, que les constellations institutionnelles fondamentales nées de la modernité européenne et le programme culturel de la modernité seraient en fin de compte « naturellement » adoptés par toutes les sociétés en voie de modernisation.
La réalité s'est révélée complètement différente. Si la modernité s'est effectivement répandue presque partout dans le monde, elle n'a pas donné naissance à une seule civilisation ou à un schéma institutionnel unique, mais à plusieurs civilisations ou schémas civilisationnels modernes, c'est-à-dire à des civilisations partageant des caractéristiques communes bien que développant des dynamiques idéologiques et institutionnelles différentes et pourtant de même origine ; en d'autres termes, ce sont des modernités multiples. Déplus, des transformations de grande envergure débordant du cadre des prémisses originelles de la modernité sont également survenues dans les sociétés occidentales.
Les processus de mondialisation et de transformation
du modèle classique de l'État-nation
Ces interprétations multiples et divergentes de l'âge « classique » de la modernité se sont cristallisées, au cours du XIXe siècle mais surtout dans [190] les six ou sept premières décennies du XXe siècle, en un certain nombre d'États-nations territoriaux, d'États révolutionnaires et de mouvements sociaux très différents en Europe, aux Amériques et, après la Seconde Guerre mondiale, en Asie. Les contours institutionnels, symboliques et idéologiques des États nationaux et révolutionnaires modernes, dont on pensait qu'ils incarnaient la modernité, ont été considérablement transformés par la récente intensification des forces de mondialisation. Cette tendance s'est manifestée en particulier par l'autonomie grandissante des flux financiers et commerciaux, par l'intensification des migrations internationales et par le développement concomitant à l'échelle de la planète de problèmes sociaux tels que les épidémies, la prostitution, le crime organisé et la violence des jeunes. Tout cela a contribué à réduire le contrôle de l'État-nation sur ses affaires économiques et politiques en dépit d'efforts soutenus pour consolider ses politiques technocratiques, rationnelles et sécularisées dans divers domaines. Les États-nations ont également cédé une partie du monopole qu'ils avaient acquis - et qui est resté toujours partiel - sur la violence interne et externe à des groupes séparatistes ou terroristes, locaux ou internationaux. Enfin ces processus de globalisation sont visibles dans le domaine culturel avec l'expansion hégémonique, au travers des principaux médias de nombreux pays, de programmes et de points de vue culturels qui sont, en apparence, uniformément occidentaux, mais sont en réalité avant tout américains [2].
La centralité idéologique et symbolique de l'État-nation comme son statut charismatique de lieu géométrique des principales composantes du programme culturel de la modernité et de l'identité collective en ont été affaiblis ; de nouvelles visions politiques, sociales et civilisationnelles, de nouvelles visions de l'identité collective se développent. Ces visions et ces identités originales ont été propagées par des nouveaux mouvements sociaux qui, bien que différents, avaient été jusqu'alors au cœur de la pensée politique et culturelle.
Parmi ces mouvements, les deux premiers qui firent leur apparition en Occident, les mouvements féministes et écologistes, étaient étroitement liés - quand ils n'en étaient pas issus - aux mouvements étudiants et à la mobilisation contre la guerre du Viêt-nam de la fin des années soixante et du début des années soixante-dix. Ils étaient révélateurs d'un changement plus important survenu dans de nombreux pays, qu'ils soient « capitalistes » ou « communistes » : le passage de mouvements centralisés et tournés vers l'État à des mouvements dotés d'un horizon et d'un programme plus locaux. Au lieu de se concentrer sur la reconstitution des États-nations ou de résoudre des conflits macro-économiques, ces forces nouvelles - qui se [191] désignaient souvent comme « postmodernes » ou « multiculturelles » - diffusaient une politique culturelle ou une politique d'identité généralement présentées sous le nom de multiculturalisme et se donnaient comme objectif la construction de nouveaux espaces sociaux, politiques et culturels autonomes [3]. Un peu plus tard émergèrent au sein des communautés musulmanes, juives et protestantes des mouvements fondamentalistes qui parvinrent à occuper une place centrale dans de nombreuses sociétés nationales et, de temps en temps, sur la scène internationale. De manière similaire, au sein des cultures hindoues et bouddhistes, des mouvements religieux communautaires qui avaient en commun de fortes thématiques antimodernes et/ou anti-occidentales firent leur apparition [4]. Le troisième grand type de nouveaux mouvements ayant pris de l'ampleur, surtout au cours des deux dernières décennies du XXe siècle, est celui des mouvements et des identités « ethniques » particularistes. Tout d'abord observés dans les anciennes républiques d'Union soviétique, ils ont surgi de manière terrifiante en Afrique et dans certaines régions des Balkans, particulièrement en ex-Yougoslavie.
Tous ces mouvements se sont développés parallèlement à des transformations sociales de grande envergure, qu'ils ont d'ailleurs contribué à accélérer, participant ainsi à la consolidation de nouveaux cadres et de nouvelles architectures du social. Pour ne citer que deux des plus importants, le monde connaît désormais de nouvelles diasporas, notamment musulmanes, chinoises et indiennes. Après l'effondrement de l'Union soviétique, de nouveaux types de minorités ethniques sont apparus, qui sont devenus des acteurs importants dans de nombreux États ayant succédé à l'URSS ainsi que dans les anciens pays communistes d'Europe orientale.
Tous ces processus ont réduit la capacité de contrôle de l’État-nation sur ses propres affaires économiques, sociales et politiques, et cela en dépit du renforcement continu des politiques rationnelles, sécularisées et « technocratiques » dans de nombreux domaines comme l'éducation ou le planning familial. De manière concomitante, on estima que le modèle de l'État-nation avait perdu sa centralité symbolique, car il avait dû concéder une partie de son monopole de la violence interne et externe à de nombreux groupes séparatistes ou terroristes - locaux et internationaux - dépourvus d'État-nation ; même les actions concertées de divers États-nations ne parvenaient pas à endiguer les manifestations récurrentes de cette violence.
L'un des dénominateurs communs de ces nouveaux mouvements est indiscutablement le fait qu'ils ne se sentent pas liés aux prémisses culturelles fortement homogénéisantes du modèle classique de l'État-nation, et [192] moins encore liés par la place qui leur est accordée dans l’espace public de ces États. Cela ne signifie pas qu'ils ne désirent pas être « domiciliés » dans leurs pays respectifs. Une partie de leur combat consiste au contraire à chercher à y élire domicile, mais sur des bases nouvelles par rapport aux modèles classiques d'assimilation.
Dans ce cadre - et dans bien d'autres - ont émergé de nouvelles formes d'identité collective dépassant les modèles de l'État-nation et de l'État révolutionnaire et ne se fondant plus sur eux. Beaucoup de ces identités jusqu'alors « assujetties » - identités ethniques, locales, régionales, transnationales - sont devenues centrales, selon des voies tout à fait inédites, dans leurs sociétés respectives et, bien souvent également, sur la scène internationale. Elles ont remis en cause l'hégémonie des vieux programmes d'homogénéisation et revendiqué une place autonome dans les programmes institutionnels centraux : programmes éducatifs, moyens de communication, débouchés médiatiques. Étant parvenues, avec un succès grandissant, à avancer des revendications de grande envergure quant à la redéfinition de la citoyenneté ainsi que des droits et devoirs afférents, elles sont devenues des forces avec lesquelles il faut compter. Dans ce cadre, les préoccupations et les intérêts locaux sont généralement conjugués selon des modalités nouvelles, au-delà du modèle de l'État-nation classique, à partir d'alliances nouées avec des entités transnationales comme l'Union européenne ou de vastes identités collectives enracinées dans des grandes religions comme l'islam, l'hindouisme, le bouddhisme ou les branches protestantes du christianisme. Qui peut douter que des transformations significatives et durables soient en train de se produire dans le rang et l'influence relative de centres de la modernité distincts, pris dans un mouvement pendulaire entre l'Est et l'Ouest ? Cela ne peut qu'engendrer une compétition accrue entre ces centres pour asseoir leur influence dans un monde qui se globalise [Tiryakian, 1991, 1996].
Simultanément on assiste à une décomposition continue de l'image plus ou moins ramassée qu'offraient pour la définition de l'« homme civilisé » les styles de vie et les mondes vécus issus des systèmes traditionnels de croyances qui avaient accompagné l'émergence et la diffusion du programme initial de la modernité [5]5. On assiste à la pluralisation et à l’hétérogénéisation de ces images et de ces représentations. De nouvelles interprétations des identités collectives modernes ont vu le jour, sous la forme de réformulations radicales de l'identité nationale et des espaces sociaux de la modernité ou par exemple, des villes et des environnements urbains, chacune d'entre elles redéfinissant la modernité dans ses propres termes.
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Réévaluation des concepts fondamentaux
de l'analyse sociologique :
société civile et espace public
Tous ces développements montrent bien l'affaiblissement, la transformation et le déclin de l’État-nation « traditionnel », ou classique. Mais ils témoignent surtout du découplage de ses principaux éléments constitutifs -la citoyenneté, les identités collectives, la construction des espaces publics et des modes de participation politique. Ils ont également entraîné de profondes modifications de l'espace public ainsi que des relations entre la société civile et la sphère politique, que ce soit au sein des États ou sur la scène internationale, ouvrant ainsi la voie à la cristallisation de nombreux espaces publics nouveaux - locaux, translocaux et internationaux. Au nombre de ces changements de grande ampleur, il faut compter l'apparition de nouveaux modes de constitution des espaces publics et de la société civile en relation avec l'État et la revendication d'une redéfinition radicalement nouvelle de la citoyenneté, ainsi que des droits et des devoirs qui lui sont associés.
Témoins d'une nouvelle phase dans la cristallisation des modernités multiples, ces développements obligent donc à réexaminer nombre des concepts et postulats qui ont orienté jusque-là l’analyse sociologique. Voilà l'un des plus grands défis que devra affronter la sociologie du XXIe siècle. Pour l'illustrer, j'examinerai le destin de deux concepts : le couple « société civile-espace public », puis le « nationalisme ».
L'élaboration de la notion de « société civile » trouve son origine dans différents contextes européens au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, et tout particulièrement dans la tradition intellectuelle connue sous le nom de « Lumières écossaises » - mais elle est déjà présente chez un auteur comme Pufendorf. Cependant, le regain d'intérêt de la science sociale contemporaine pour ce concept s'est curieusement limité pour l'essentiel à la conceptualisation particulière de la société civile qui fut esquissée, principalement chez Hegel, dans le contexte européen - et continental - du passage des monarchies absolues aux États et aux nations. Cette conceptualisation ne correspondait certainement pas à d'autres sociétés européennes telles que les pays Scandinaves, la Hollande ou même l'Angleterre, dans lesquelles les relations entre « État » et « société » étaient caractérisées par une influence de cette dernière bien plus forte que dans les États allemands ou même en France [Eisenstadt et Schluchter, 1998],
Quelles que soient ses forces et ses limites, il est significatif qu'en science sociale, le discours sur la société civile soit longtemps resté en sommeil avant de retrouver de la vigueur après la chute de l'empire soviétique et d'être promu au rang de norme pour la reconstruction des sociétés d'Europe centrale et orientale. Cette renaissance est liée à l'attention de plus en plus grande portée, après la Seconde Guerre mondiale, au concept d'« espace [194] public » tel qu'il fut présenté par Jürgen Habermas [1989] dans un ouvrage qui allait marquer le discours contemporain. Dans ce discours, les concepts d'espace public et de société civile allaient fréquemment de pair, se recoupant, se confondant presque, au point qu'il était souvent difficile d'établir une distinction claire entre les deux. On y trouvait de surcroît un postulat très fort selon lequel le développement de l'espace public et de la société civile était une condition indispensable à la formation et au développement de régimes constitutionnels et démocratiques [6].
Un simple coup d'œil à la documentation historique et contemporaine disponible suffit pour constater le caractère éminemment problématique de ce postulat. Et avant tout, parce que les relations entre la société civile, l'espace public et le domaine politique présentent bien plus de variantes qu'il ne le laisse à penser.
Le concept d'espace public implique l'existence d'au moins deux autres espaces dont il se différencie plus ou moins tant institutionnellement que culturellement : l'espace officiel et l'espace privé, n s'agit donc d'un espace situé entre l'espace officiel et l'espace privé. C'est un espace dans lequel sont enjeu les améliorations collectives et le bien commun. C'est aussi le cas de l'espace officiel mais, dans l'espace public, ce travail est accompli par des groupes étrangers aux groupes dirigeants. L'espace public recrute plutôt ses membres dans l'espace privé. Comme l’a montré Albert O. Hirschman [1970, 1982] pour l'époque actuelle, il s'étend ou se contracte au gré des implications changeantes de ses membres. Les espaces publics ont tendance à développer des dynamiques propres qui, bien qu'étroitement liées à celles du domaine politique, ne se confondent pas avec elles et n'en dépendent pas non plus. Selon les sociétés, ils évoluent de manière différente selon des rapports différents avec les dirigeants, mais aussi avec ce que l'on a l'habitude de désigner sous le nom de société civile.
Cela a pour conséquence que ces deux concepts - espace public et société civile - ne devraient pas être confondus. Il faut considérer l'espace public comme un espace intermédiaire entre l’officiel et le privé, qui s ' étend et se contracte selon le recrutement et la force des secteurs de la société qui ne relèvent pas des cercles dirigeants. L'existence de la société civile implique celle d'un espace public, mais tous les espaces publics n'impliquent pas l'existence d'une société civile, économique ou politique, telle qu'elle est définie dans le discours contemporain et telle qu'elle s'est développée en Europe au début de l'ère moderne par l'intermédiaire de la participation directe - à travers les corps constitués ou par un droit de vote plus ou moins étendu - selon un processus dans lequel les intérêts privés jouent un rôle essentiel. Même si l'on s'attend effectivement à ce qu'un espace public prenne forme dans toute civilisation complexe et disposant de l'écriture, [195] ce n'est pas pour autant qu'il correspondra nécessairement à une société civile de type européen [Eisenstadt, 1987, 2000],
Quelles que soient les différences dans les rapports qu'entretiennent l'espace public, la société civile et le domaine politique, ils entraînent dans toutes les sociétés une contestation permanente du pouvoir, de l'autorité, de sa légitimation et de sa responsabilité. C'est ainsi que s'est développé dans les sociétés musulmanes un espace public autonome très dynamique, constitué par les écoles de droit - les nombreuses institutions et organisations du waqf - et les ordres soufis, donc uniquement des institutions islamiques, c'est-à-dire un ensemble construit par le regroupement des différents secteurs ulema de la communauté auxquels les dirigeants participaient, mais où ils n'étaient pas prédominants. L'élément central de ces coalitions a été l’ulema en tant que défenseur de la sharia - la loi islamique - et incarnation d'une vision originelle de l'islam [7].
L'autonomie des ulema, l'hégémonie de la sharia et la vitalité permanente, quoique d'intensité variable, des espaces publics dans la société musulmane, n'impliquent pourtant pas - comme on pourrait le déduire de certaines discussions récentes sur la société civile - une participation autonome à l'espace politique central. Ces différents facteurs n'ont pas entraîné un accès autonome et direct à l'espace politique ou, pour être plus précis, à l'espace du pouvoir, ni au processus de désignation des dirigeants, contrairement à ce qui s'est produit en Europe dans les parlements et les corporations des villes, même s'il va sans dire que de nombreuses sociétés musulmanes ont connu des tentatives - parfois très fortes - d'aller dans ce sens. En matière de politique concrète, et en particulier en ce qui concerne les affaires étrangères et la défense, mais aussi les questions intérieures telles que la collecte des impôts, le maintien de l'ordre public ou le contrôle des employés d'État, les dirigeants sont restés tout à fait indépendants des différents acteurs composant l'espace public.
Face à la figure du chef masculin des temps anciens prit forme une vision transcendantale de l'islam originel, qui est devenue l'élément idéologique central dans la défense de l'ordre moral et de la cohésion de la communauté, même si concrètement, sur un plan pratique, c'était là une condition nécessaire à la mise en œuvre de la sharia. Par conséquent, il se mit en place dans les sociétés musulmanes, particulièrement quand elles étaient sunnites, un découplage tout à fait intéressant entre la construction de l'espace public et l'accès aux sphères décisionnelles. Ou encore, et pour être plus précis, la relation entre un espace public autonome et plein de passion, et la sphère politique, entre cet espace et les dirigeants, a évolué dans les sociétés musulmanes selon des directions tout à fait différentes de celles [196] constatées en Europe occidentale et centrale. Et distinctes également des directions prises dans les sociétés asiatiques, qu'il s'agisse de l'Inde - où l'ordre politique ne constituait pas un espace primordial pour la mise en œuvre de la vision morale et transcendante dominante, où la souveraineté était fortement fragmentée et où le pouvoir était dans une très large mesure enchâssé dans le cadre très souple du système de castes [8], ce qui permit l'émergence d'un espace public très dynamique assez fortement lié aux dirigeants - ou de la Chine au sein de laquelle, en revanche, l'ordre politique était fondamental pour la mise en œuvre des visions transcendantes et où les dirigeants eux-mêmes, avec les lettrés confucéens, étaient les gardiens de cet ordre qui ne laissait que peu de place pour un espace public autonome [9].
On peut constater la même variabilité dans la construction de la société civile et de l'espace public, ainsi que de leurs relations avec la sphère politique, dans d'autres États-nations, pourtant très différents, au cours de la période classique de la modernité et encore plus à l’époque contemporaine.
Réévaluation des concepts fondamentaux
de l'analyse sociologique :
hétérodoxie et construction de l'identité collective
Des conclusions identiques s'appliquent à l'analyse du nationalisme. Quelles que soient l'importance et l'urgence des problèmes posés par le nationalisme en Europe orientale, par les conflits et les différends communautaires en Inde ou parles guerres civiles dans divers États africains, la question de la nation et du nationalisme est d'un intérêt scientifique limité aussi longtemps qu'on ne la rapporte pas au thème plus général de l'identité nationale, conçue comme n'étant qu'une version possible de l'identité collective, qui n'apparaît dans l'histoire que relativement tardivement et qui n'est en aucune façon omniprésente [Eisenstadt et Schluchter, 1998].
De nombreuses théories récentes du nationalisme considèrent la nation soit comme la manifestation pérenne d'une primordialité, soit comme une communauté « imaginée » qui s'est développée à l'époque moderne en réponse à l'expansion du capitalisme, de l'industrialisation et de l'impérialisme. Une étude plus précise des faits historiques et contemporains montre que les identités collectives en général ne sont pas des « donnés » [197] naturels mais des constructions culturelles, et que de telles constructions ont toujours été une dimension fondamentale de la constitution de la société. Cette approche va également à rencontre des postulats implicites de la plupart des théories sociologiques et anthropologiques classiques pour lesquelles ces constructions sont éphémères ou secondaires au regard des rapports de pouvoir ou des rapports économiques.
Les identités collectives se forgent dans la construction culturelle de frontières permettant de distinguer ceux qui sont inclus de ceux qui ne le sont pas. Mais le maintien de la frontière exige des efforts constants d'interprétation au cours desquels se créent de la solidarité et de la confiance entre les membres de la collectivité. Un aspect crucial de cette construction est la promulgation et la définition de l'attribut de « similarité » entre ses membres. Cette distinction pose aussi une autre question : comment gérer le franchissement des frontières établies ? L'étranger peut devenir un membre de la collectivité et vice versa. La conversion religieuse et l'excommunication sont de parfaites illustrations de ces éventualités.
La construction des identités collectives est influencée ou façonnée par des codes à travers lesquels des prémisses ontologiques ou cosmologiques de même que des conceptions de l'ordre social dominant définissent les arènes principales. Les codes fondamentaux de la construction de l'identité collective sont la primordialité (primordiality), la civilité (civility) et le sacré.
Cette construction des identités collectives s'est poursuivie dans toutes les sociétés humaines au fil de leur histoire par l'interaction d'acteurs sociaux spécifiques. Elle s'est déroulée continûment dans des contextes historiques différents, y compris pour les civilisations axiales ou non axiales comme le Japon [Eisenstadt, 1995]. Cependant, seules les civilisations axiales ont mis en place des identités collectives universelles et « religieuses » distinctes des identités politiques et primordiales. Dans l'histoire de ces civilisations, des changements incessants dans la composition de l'élite donnèrent naissance à de très importantes modifications dans la constitution des identités collectives. Pour nombre d'entre elles, l'une des évolutions les plus importantes a été liée à la vernacularisation de conceptions auparavant plus œcuméniques. Ailleurs qu'en Europe, cela ne s'est pas produit entre le XVIe et le XVIIIe siècle, mais parfois bien plus tôt et parfois bien plus tard.
S'il est évident que la construction des identités collectives qui s'est cristallisée au cours de la période moderne et que l'on désigne sous le nom de nations ou d'États-nations présente des caractéristiques propres, il est capital, pour comprendre cette spécificité, d'analyser les traits qu'elle peut avoir en commun avec d'autres modes de construction des identités collectives, et de la comparer avec d'autres modes relevant de périodes et de cadres historiques différents.
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Nous l'avons mentionné, cette construction des identités collectives s'est effectuée à travers l'interaction d'acteurs sociaux spécifiques - les porteurs (carriers) de la solidarité collective, d'autres élites et des secteurs plus larges de la société. Dans l'histoire de l'humanité, cette construction est continue et se déroule dans des cadres historiques différents, y compris au sein des principales civilisations axiales - comme les Chinois ou les Indiens - et d'une société, ou civilisation, comme le Japon qui se trouva toujours sous l'influence de ces civilisations axiales. C'est au sein de ces dernières, en lien étroit avec leur tendance à l'expansionnisme, que se développèrent de nouvelles collectivités « civilisationnelles » ou « religieuses », distinctes des identités politiques ou primordiales, mais qui, sans cesse empiétant sur elles et interagissant avec elles, donnèrent lieu à une reconstruction permanente de leurs identités collectives respectives. Ces processus de reconstruction étaient mis en branle par la lutte, la compétition et les interactions continuelles entre les nouvelles élites culturelles autonomes porteuses de la vision axiale et les divers porteurs de la solidarité - ou élites politiques - des différentes communautés « locales » et politiques sans cesse reconstruites.
Les changements dans la composition de ces différentes élites donnèrent lieu à de grandes transformations des identités collectives correspondant aux sociétés évoluant au sein de ces civilisations. Comme nous l'avons signalé plus haut, l'une de ces évolutions les plus importantes fut le passage d'une conception œcuménique de la collectivité civilisationnelle à des conceptions plus territoriales. L'histoire de la construction de ce type d'identité ou de conscience collective en Europe à partir du XVIe siècle, qui devait déboucher sur la cristallisation d'États territoriaux puis d'États-nations, a été étudiée en détail. Cette importance de la territorialité se manifesta de façon parallèle en terre d'Islam au sein de l'Empire ottoman safavide et de l'Empire mongol ; en Chine sous les Ming et les Ching, ainsi qu'au Viêt-nam ; au Japon sous les Tokugawa, et même en Asie du Sud-Est. Cependant, ce développement parallèle n'implique pas nécessairement - contrairement à ce qu'affirment beaucoup d'études contemporaines - que le schéma des relations entre cette territorialisation et les autres composantes de l'identité collective - surtout les identités primordiales -, ainsi que leurs relations avec le centre des sociétés, suivait la même direction qu'en Europe. Des schémas distincts d'identité collective - c'est-à-dire les relations entre les composantes de base de l'identité collective (civile, primordiale, culturelle-universelle) et le territoire - se mirent en place en Inde, en Chine ou en Asie du Sud-Est au cours de ces périodes. Ces sociétés montraient aussi de grandes différences quant à la façon dont le centre diffusait de puissants engagements symboliques et affectifs, et des programmes culturels spécifiques. Dans toutes ces sociétés, ces évolutions impliquaient des relations différentes selon la dynamique des espaces publics qui s'y développaient.
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Les identités collectives
dans le contexte international
Telle qu'elle s'effectue, par combinaisons multiples et spécifications concrètes des codes et des sous-codes principaux, la construction des identités collectives s'est poursuivie tout au long de l'histoire et dans toutes les sociétés humaines. Entrelacée avec les processus économiques et politiques, elle se déroule dans différents espaces institutionnels, qu'ils soient territoriaux, communautaires ou religieux, ainsi que dans différents cadres économiques ou politico-écologiques, que ce soit dans des petites cités-États ou des grands royaumes.
Dans la construction des identités collectives, les contacts intersocié-taux et intercivilisationnels sont d'une importance cruciale. Aucune « société » n'est un système clos et isolé. Les populations vivant à l'intérieur des limites de ce que l'on désigne comme une « société », ou un ordre macro-social, ne s'organisent jamais en un seul mais bien en plusieurs « systèmes », ce qui inclut les systèmes politiques, les formations économiques, les différentes collectivités ascriptives comme les cadres civilisationnels. Chacun de ces « systèmes » ou de ces cadres, doté de frontières flexibles, est porté par des coalitions spécifiques. Ces différentes structures font montre de schémas d'organisation, de continuité et de changement différents. Es peuvent varier au sein de la « même » société selon des formes ou à des degrés différents dans divers domaines de la vie sociale. De plus, il est très rare que les membres d'une population soient confinés à une seule « société », et ce même si cette « société » semble être leur ordre macro-social ; ils vivent généralement dans une multiplicité de cadres et de contextes.
L'importance de ces forces « internationales » ou de ces interactions intersociétales pour le processus de construction des identités collectives est particulièrement visible dans le cas de la désintégration de petites unités tribales ou territoriales parallèlement à la cristallisation des grands empires archaïques - égyptien, assyrien et méso-américain - puis des civilisations de l'âge axial. Dans tous les cas, ces processus de désintégration et de reconstruction des identités collectives furent liés à des progrès technologiques dans l'agriculture et les transports, à l'imbrication mutuelle grandissante de populations économiques (nomades, sédentaires, etc.) et ethniques hétérogènes, à une certaine instabilité politico-écologique internationale en général, et en particulier à des processus d'immigration et/ou de conquête. La différenciation structurelle interne progressive impliquait la cristallisation concomitante de nouvelles collectivités plus larges, ainsi que de nouveaux schémas d'identité collective.
À l'intérieur de ces différents cadres, la construction de l'identité collective d'une société ou d'un groupe entraîne généralement la sélection et la redéfinition de certains de leurs thèmes et codes plus larges comme de [200] leurs différentes combinaisons. Cette sélection se fait au travers d'un processus de contestation et de lutte entre différents acteurs sociaux agissant dans une situation sociale particulière et à l'intérieur d'un certain cadre d'actes symboliques. La sélection et la reconstruction des thèmes et des codes se font selon les diverses coalitions d'acteurs.
Ces processus de construction des identités collectives dans un contexte international plus large entraînent également la cristallisation de multiples collectivités ou identités collectives, aussi bien entre les différentes collectivités qu'au sein d'une macro-collectivité pourtant définie de manière assez étroite. La nature de cette pluralité et de cette hétérogénéité diffère grandement selon la constellation des codes et des thèmes constituant les collectivités, en particulier les macro-collectivités respectives, mais aussi selon la nature du contexte international plus large dans lequel elles se développent et l'interaction entre ce contexte et les divers groupes et élites internes - en particulier l'interaction entre les porteurs respectifs de ces orientations et les autres acteurs politiques et économiques.
Sur l'applicabilité des concepts fondamentaux
de l'analyse sociologique à la scène contemporaine
L'analyse qui précède a des implications en ce qui concerne la question de savoir dans quelle mesure l'analyse sociologique contemporaine est encore liée aux thèmes généraux de la grande tradition sociologique, aux diverses « grandes théories » des xixe et xxe siècles, ou si nous sommes désormais au-delà de ces thèmes.
Il me semble qu'à plusieurs points de vue, il existe une forte continuité du discours sociologique. Cette continuité se manifeste premièrement, dans son objectif de compréhension des principales dimensions de la vie sociale, de l'ordre social et du désordre social ainsi que des principaux schémas de la formation de la société tels qu'ils se manifestent dans le monde moderne et contemporain, mais aussi dans toute l'histoire humaine, comme en témoigne l'émergence de nombreuses écoles de sociologie historique et comparée. Deuxièmement, comme nous l'avons montré plus haut, il existe une forte continuité dans les concepts utilisés pour l'analyse et les problématiques théoriques fondamentales guidant cette dernière : relations entre culture et structure sociale, action (agency) et institution, etc.
Naturellement, il y a aussi de grandes discontinuités. La première d'entre elles concerne l'étude des institutions concrètes et la reconnaissance grandissante de la multiplicité des schémas sociaux et culturels possibles, l'une comme l'autre allant beaucoup plus loin que la plupart des études classiques - sinon toutes -, à l’exception notable de Weber, ce dernier point expliquant dans une certaine mesure la résurgence des approches wébériennes dans la [201] sociologie contemporaine. On reconnaît de même la difficulté qu'il y a à subsumer cette multiplicité des formes de vie et d'institutions dans un simple et grand récit ou dans un schéma en surplomb, qu'il soit historique ou évolutionniste - ce qui implique par ailleurs la nécessité d'analyser ces multiples formations selon leurs propres termes. Deuxièmement, il existe une rupture très sensible dans l'utilisation des principaux concepts et des problématiques théoriques. Contre le postulat d'une sorte de relation fixe entre les concepts, on a vu émerger une approche plus ouverte et plus diversifiée - illustrée ici même par le papier d'Ilana Silber - de l'analyse de ces relations entre structure sociale et structure culturelle ou entre institution et action. À bien des égards, on peut considérer ces discontinuités comme une évolution constructive et incessante des paradigmes sociologiques de base, car si elles vont certainement au-delà des plus anciens d'entre eux, elles partagent leur problématique théorique fondamentale [Eisenstadt et Curelaru, 1976].
Par ailleurs, les analyses précédentes ont également des implications importantes en ce qui concerne l'examen de l'applicabilité des concepts sociologiques au-delà du monde - ou des mondes - occidental.
Cadres occidentaux et cadres non occidentaux
La pluralité et la multiplicité des collectivités et des identités collectives construites de manière différente dans différentes civilisations et dans différents contextes historiques - dans les anciens royaumes comme dans les cités-États, dans les diverses civilisations axiales, dans les États territoriaux et les États-nations à l'époque moderne et contemporaine - exigent la réévaluation des postulats de l'analyse sociologique et des concepts qu'elle utilise [Eisenstadt et Schluchter, 1998]. Cette réévaluation doit fournir des éléments relatifs à l'applicabilité des concepts sociaux occidentaux à des contextes non occidentaux. Si on ne peut les remplacer, on peut les rendre pour ainsi dire « souples » par la différenciation et la contextualisation. Une telle tentative implique de mettre en œuvre plusieurs perspectives pour l'analyse de ces civilisations, mais aussi d'encourager le dialogue interculturel entre elles.
De la sorte, l'usage de concepts tels que les trois dimensions des identités collectives (primordialité, civilité, sacré) n'est utile qu'à condition de ne pas présupposer que la façon dont ces composantes se sont construites et combinées en Europe constituerait le mètre étalon de la modernisation des autres civilisations et des autres sociétés. La construction des identités collectives peut prendre bien des directions différentes selon, notamment, les principaux symboles disponibles, et en particulier : l'importance relative des composantes religieuse, idéologique, primordiale et historique parmi [202] ces symboles ; la conception de l'ordre politique et la relation entre cet ordre et les autres ordres sociétaux ; la conception de l'autorité politique et de sa responsabilité ; les caractéristiques de l'espace public ; la conception du sujet ; enfin, la modalité des relations entre le centre et la périphérie.
Si nous comparons les civilisations historiques et modernes à l'aide de concepts comme ceux d'ordre politique, d'identité collective et d'espace public, nous devons éviter les chausse-trappes de l'ethnocentrisme occidental ou oriental. On trouve un exemple de ce dernier dans la littérature nihonjinron qui revendique l'exceptionnalité incomparable du Japon. L'exceptionnalité ne peut se mesurer sans comparaison. Or, la posture de 1' « orientalisme inversé », que l’on peut retrouver chez les chercheurs occidentaux et japonais les plus critiques et qui s'est développée en réaction à la littérature nihonjinron, a conduit à refuser de considérer que certaines catégories de pensée japonaises puissent servir à l'analyse de l'expérience historique et contemporaine du Japon. Cette approche se montre paradoxale, puisqu'elle empêche d'explorer des catégories qui avaient pourtant été mises en avant par les critiques de l'approche « orientaliste ».
L'existence de débats sur ces questions atteste de la complexité de la recherche comparative et témoigne des principaux défis que doit relever l'analyse sociologique au XXIe siècle. Le fond du problème ne provient pas seulement du fait que, jusqu'à une période récente, la plupart des chercheurs traitant de ces questions ont été des Occidentaux, mais aussi de ce que cette forme de recherche s'est presque entièrement développée - si l'on excepte Ibn Khaldun - à l'intérieur du discours occidental moderne. L'émergence de prises de position critiques à l'égard de l'ancienne littérature « orientaliste » - en Occident, en Inde, au Japon, et ailleurs - est restée interne à ce discours. La reconstruction permanente de ce dernier par des intellectuels venant de pays non occidentaux l'a beaucoup transformé. Cependant, la plupart de ces interventions n'en ont pas repoussé les limites. Savoir s'il est possible de les dépasser constitue l'un des plus grands défis que doit relever la sociologie du XXIe siècle.
(Traduit par Stéphane Dufoix)
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[1] Ce texte est la version remaniée d'un chapitre de New Horizons in Sociological Theory and Research. The Frontiers of Sociology at the Beginning of the Twenty-First Century, publié sous la direction de Luigi Tomasi chez Ashgate Publishing Ltd, Aldershot (pp. 99-124).
[2] Dans l'immense littérature consacrée à la globalisation, on peut consulter : J. Friedman [1994], U. Hannerz [1992], G. Marcus [1993], J. Smolicz [1998].
[3] Voir G. Marcus [1993], S. N. Eisenstadt [2000], notamment le chap. 4, et 2000a].
[4] Voir S. N. Eisenstadt [2000], Martin E. Marty et R. Scott Appleby [1991, 1993a, 1993b, 1994, 1995].
[5] Voir D. Eickelman [1983,1993], D. Eickelmanet J. Piscatori [1996], R. Helher [1998].
[6] Pour un examen critique, voir J. Cohen [1999], R. Marsden [1999], B. Barber [1999].
[7] Ces réflexions s'appuient sur les résultats d'une journée d'études consacrée à« l'espace public et l'islam » qui s'est déroulée à l'institut Van Leer de Jérusalem.
[8] Voir par exemple, Gloria Goodwin Raheja [1988], S. Rudolph et L. Rudolph [1967, 1987], A. Wmk [1994].
[9] Voir E. Balazs [1968], Chang Chuyng-li [1955], B. O. Van der Sprenkel [1956], F. Wakeman Jr. [1998], A. Woodside [1998], S. N. Eisenstadt [1992].
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