[7]
Le retour des Juifs dans l’Histoire (2002)
Préface
Shmuel Noah Eisenstadt :
un sociologue face à l'Histoire
Shmuel Noah Eisenstadt a été qualifié par Talcott Parsons de « sociologue le plus prolifique de la seconde moitié du XXe siècle ». Edward Shils le considérait pour sa part comme l'un des plus grands héritiers du courant post-wébérien [1]. Dès lors il peut paraître surprenant - et dommageable - qu'une si faible partie de son œuvre (indiquée dans les notes) ait été traduite en français !
C'est dans un souci de redécouverte des recherches de cet illustre représentant du courant de la sociologie historique que s'inscrit le présent ouvrage. Car si les travaux majeurs de Shmuel Noah Eisenstadt datent des années soixante-dix et quatre-vingt, les conclusions d'une grande richesse auxquelles il a abouti et les analyses qu'il a proposées conservent aujourd'hui encore toute leur pertinence. Sa méthode, dite « civilisationnelle », déployée ici, invite à appréhender les sociétés et les phénomènes sociaux sans négliger leur complexité, dans le but de s'interroger en profondeur sur leurs fondements culturels, notamment religieux, proches et lointains.
Né le 10 septembre 1923 à Varsovie, Eisenstadt perdit son père à l'âge de six ans. Sa mère se chargea de l'élever et l'amena vivre en Palestine en 1935 [2]. Presque toute la famille suivra le même chemin, exception faite [8] d'une tante, tuée par la Shoah, et de quelques membres communistes, qui émigrèrent en Russie et y connurent le même sort.
Jeune étudiant, Eisenstadt devint l'élève d’Arthur Ruppin, de Martin Buber et de Richard Koebner à l'Université hébraïque de Jérusalem. Il rédigea son mémoire de maîtrise en 1944 sous la direction de Koebner et sa thèse de doctorat en 1947 sous celle de Buber. C'est à l'occasion des cours de ce dernier qu'il fut initié à l’œuvre de Max Weber et qu'il acquit une très grande familiarité avec la littérature sociologique allemande du premier tiers du XXe siècle. Il étudia à la fois l'histoire, la sociologie et l'anthropologie, suivit une formation pluridisciplinaire qui imprégnera définitivement l'ensemble de ses travaux. Ses études post-doctorales a la London School of Economics (1947-1948) furent décisives. Il y devint de surcroît l'élève et l'ami d'Edward Shils [3].
Membre de l'Université hébraïque de Jérusalem depuis 1946, Shmuel Noah Eisenstadt y enseigne la sociologie depuis 1949 (en tant que professeur émérite depuis 1990). Il a été directeur du département de sociologie de 1951 à 1969 et doyen de la faculté des sciences sociales de 1966 à 1968. Détenteur de nombreux prix, membre d'une foule d'organisations philanthropiques et d'associations scientifiques, il s'est vu inviter un nombre incalculable de fois en tant que visiting professor ou fellow, principalement aux États-Unis (Harvard, MIT, Université de Chicago... ), mais aussi en Norvège (Université d'Upsala), aux Pays-Bas, en Suisse, en Australie, en Allemagne (où il a tenu un séminaire important à Heidelberg à l'été 1997), en France (il fut notamment à Paris directeur associé à l'École des hautes études en sciences sociales et donna un séminaire comparatiste au Centre d'analyse politique comparée de l'Université Montesquieu de Bordeaux). Il a [9] aussi voyagé en Amérique latine, en Afrique, au Japon, en Inde. Ces séjours à l'étranger ont eu une influence incontestable sur ses travaux, spécialement ceux concernant l'étude des civilisations. Ils lui ont permis en outre de se tisser un réseau d'amis qui ont bénéficié de ses connaissances et de l'immense liste de ses champs d'intérêt, mais qui ont en retour contribué à les accroître. Shmuel Noah Eisenstadt vit aujourd'hui à Jérusalem avec sa femme, qu'il a épousée en 1948 à Tel-Aviv, et avec laquelle il a eu trois enfants.
Auteur prolifique (il a écrit ou co-édité près d'une cinquantaine d'ouvrages et monographies en anglais ainsi que de nombreux articles), Eisenstadt s'est penché au cours de sa carrière sur une étonnante diversité de sujets : la sociologie wébérienne, la société israélienne, le processus comparé de construction de l'État et de modernisation politique, les civilisations (surtout les civilisations juives, japonaises, indiennes et européennes), les mouvements fondamentalistes, les crises politiques et les révolutions, le système politique de l'Empire, la théorie sociologique... Ces thèmes de recherche se trouvaient déjà en gestation lorsque, étudiant à Tel-Aviv à la fin des années trente, il fut témoin d'événements politiques et sociaux déterminants, à la fois en Israël (lutte pour l'établissement de l'État jusqu'en 1948, mise en place de la société israélienne...), et sur la scène internationale.
C'est avec le souci de contribuer à la compréhension des relations entre facteurs civilisationnels, société et institutions politiques, qu'il a privilégié deux axes de recherche : les études comparatives de grande échelle, combinant l'histoire et l'analyse sociologique, les travaux sur la modernisation et le développement politiques, envisagés comme des processus historiques uniques suscitant de nouvelles formes de civilisation. Ces deux directions ont convergé dans l'étude comparative [10] des civilisations et de leurs dynamiques. Enfin, en toile de fond, Shmuel Noah Eisenstadt a montré un intérêt permanent pour la théorie sociologique.
Fortement influencé par son professeur Martin Buber, philosophe d'origine autrichienne, figure religieuse et activiste sioniste notoire, ainsi que par les sociologues classiques (Max et Alfred Weber, Georges Simmel, Émile Durkheim et Karl Marx), mais aussi par certains textes fondateurs des grandes civilisations (comme par exemple le Tao Tö King), Eisenstadt a été amené à s'intéresser de près à l'influence des « cadres civilisationnels ». Il s'est particulièrement attaché à la question du rapport au sacré dans l'élaboration continue des structures sociales et de la créativité [4] dans la longue durée de l'histoire humaine. Ses travaux sur les concepts de charisme [5] et de culture [6] illustrent particulièrement bien cette démarche.
En tant que socio-historien, il considère que la façon dont l'expérience historique influence les principes structurels d'une société et les institutions qui en découlent se montre déterminante. Les civilisations, dont il a bâti une célèbre typologie [7], constituent selon lui une variable explicative fondamentale. Il affirme ainsi : « Au-delà de corrélations générales [...], il y a eu peu d'analyses systématiques des relations existantes entre les différentes traditions culturelles et les dynamiques politiques. Il n'y a pas eu d'étude comparable à celle que Max Weber a tentée (une mise en relation des traditions culturelles et de la vie économique), bien que son travail contienne beaucoup d'intuitions pertinentes sur ces questions. » [8]
D'inspiration indéniablement wébérienne [9], la sociologie eisenstadtienne plonge par ailleurs ses racines dans l'ontologie aristotélicienne. Il écrit a ce propos : « La reconnaissance de la diversité des types d'ordre social (ou plutôt politique) remonte au moins à Aristote, [11] de même que la recherche du rapport de cette diversité avec les attitudes civiques et morales des individus. Dans ces deux voies, l'analyse sociologique moderne suit de près la tradition d'Aristote. » [10]
L'héritage wébérien a conduit Eisenstadt à s'engager dans une démarche comparative qui lui permet par exemple de montrer la singularité de l'ordre politique et social moderne et d'établir une typologie des systèmes politiques. Ami et collaborateur de feu le politologue norvégien Stein Rokkan pendant près de trente ans, Eisenstadt est devenu rapidement l'un des chefs de file de la sociologie historique sur le plan international. Il a participé activement au renouveau de la socio-histoire qui, aux États-Unis notamment, fut longtemps cantonnée aux recherches des quelques « farfelus » qui n'adhéraient pas aux méthodes quantitativistes et behavioralistes [11]. Ce n'est au demeurant qu'à partir du milieu des années soixante-dix que, grâce aux efforts de chercheurs d'envergure tels Charles Tilly ou Immanuel Wallerstein, la science politique et la sociologie ont redécouvert les vertus de la synthèse historique, dans la grande tradition durkheimienne en France (pensons à L'Année sociologique et à la collection d'ouvrages dirigée sous cette bannière par Henri Berr), wébérienne en Allemagne. Dès lors, afin de sortir des impasses auxquelles avaient abouti des macrothéories prétendument « explicatives » comme le systémisme, le structuro-fonctionnalisme ou le développementalisme, la socio-histoire a cherché à réhabiliter la longue durée du politique, à réintégrer les conflits, à proposer une étude « néo-institutionnaliste » de l'État et du politique, à en étudier les spécificités, mais aussi à réintégrer les faits culturels et à dépasser la césure artificielle entre passé et présent [12].
Opter pour une analyse « civilisationnelle » revient pour Eisenstadt à appréhender systématiquement les [12] différentes variables à expliquer en les resituant dans le « contexte civilisationnel au sein duquel celles-ci se développent et se transforment au fil de l'Histoire » [13]. Il s'agit alors d'admettre et de se confronter à la spécificité de chaque société, en réfutant du même coup les théories explicatives à portée universelle. Cette démarche méthodologique révèle la nature résolument instable et évolutive de tous les systèmes politiques. Ainsi, bien que parfois assimilé au courant structurofonctionnaliste, Eisenstadt a très tôt intégré le conflit, les phénomènes de contestation et les velléités de changement dans ses analyses.
C'est en 1951 que le socio-historien a trouvé dans un ouvrage de Talcott Parsons et Edward Shils (Values, Motives and Structures of Action) la clef de lecture qu'il cherchait pour organiser tous les matériaux déjà réunis. Après un premier ouvrage sur l'immigration juive, il publie From Generation to Generation [14], dans lequel il sollicite une immense littérature monographique traitant de nombreuses cultures, puis Essays on Sociological Aspects of Political and Economic Development.
En 1963, il fait paraitre The Political Systems of Empire [15], qui va bouleverser durablement sa position dans le monde académique. La particularité de ce colossal travail comparatif est de reposer sur une masse de données secondaires permettant au sociologue d'échelonner les empires qu'il étudie [16] selon un certain nombre de variables telles que le degré d'autonomie des dirigeants, le niveau de différenciation des structures, le type de légitimité des gouvernants...
Eisenstadt situe l'empire, en tant que forme politique de longue durée, à mi-chemin entre le système traditionnel et le système moderne. Il s'agit d'un type d'organisation politique qui arbore certaines caractéristiques propres au premier : un gouvernement exercé par des [13] monarques se réclamant d'une légitimité traditionnelle sacrée, une population majoritairement passive. Mais l'empire affiche aussi des attributs plus modernes, comme une structure plutôt unifiée et centralisée, des organes administratifs et de lutte, une concurrence politique parfois intense... D'où la double pertinence de l'analyse de cette institution qui permet à la fois de comprendre les dynamiques des systèmes complexes et les processus de modernisation, mais également l'origine interne des systèmes politiques modernes [17]. L'ouvrage reste d'ailleurs pour le politologue américain Gabriel Almond « le plus grand succès en sociologie historique depuis les travaux de Max Weber » [18].
Cette étude des empires a inauguré une réflexion fertile sur les systèmes politiques que Shmuel Noah Eisenstadt a poursuivie, par exemple dans The Early State in African Perspective, écrit en collaboration avec M. Abitbol et N. Chazan [19], ainsi que dans plusieurs travaux sur le « patrimonialisme » et le « néopatrimonialisme » [20].
Au début des années soixante, Eisenstadt est devenu professeur invité à Harvard et au Massachussetts Institute of Technology. Il a inscrit alors ses hypothèses dans une perspective purement comparatiste, profitant de ses contacts avec Dan Lerner, Lucien Pye, Robert N. Bellah et divers membres du Social Science Research Council Committee on Comparative Politics : Gabriel Almond, Karl Deutsch, Reinhart Bendix, Robert K. Merton. Un second réseau primordial sera celui constitué par les membres du Committee on Political Sociology de l’Association internationale de sociologie : Seymour M. Lipset, Maurice Janowitz, E. Allardt, Hans Daalder, Juan Linz, Giovanni Sartori et surtout Stein Rokkan. Surgira de ces travaux une série d'articles réunis plus tard dans Modernization, Protest and Change en 1966 [21], puis, en 1973, l'ouvrage [14] Tradition Change and Modernity [22]. La même année paraissent les deux volumes de Building States and Nations, publiés avec Stein Rokkan [23]. En 1978, Revolution and the Transformation of Society [24] poursuit les investigations engagées sur les processus de changement. Enfin, plus récemment, Eisenstadt s'est interrogé sur la civilisation et la société japonaises ainsi que sur les mouvements fondamentalistes [25].
En parallèle, le socio-historien israélien a abordé certains concepts clefs de la théorie sociologique comme le charisme ou le centre politique. Il a par exemple rédigé une introduction pour l'ouvrage Max Weber. On Charisma and Institution Building [26], des livres généraux de sociologie [27], ainsi que de nombreuses études traitant de ces différents thèmes [28]. Dans Power, Trust and Meaning [29], il a rassemblé une intéressante série d'articles ou d'extraits d'ouvrages plus directement liés à ces questions épistémologiques.
Comment situer, dans cette étonnante « nébuleuse sociologique », ses recherches sur la société et l'État d'Israël ? Il a consacré des travaux à la question de l'absorption des immigrants en Israël, à l'étude de sa société telle qu'elle s'est structurée à partir de l'établissement de l’État israélien. Toutes ces investigations ont abouti à l'ouvrage Israeli Society [30], puis à sa version remaniée, The Transformation of Israeli Society [31].
Comme le montre la présente étude sur Le Retour des Juifs dans l'Histoire, pour Shmuel Noah Eisenstadt, la civilisation juive doit être envisagée comme ayant introduit une forte tension entre l'ici-bas et l'au-delà. Attaché à comprendre la particularité du peuple juif, il déploie sa méthode socio-historienne pour prouver que seul le terme de civilisation permet de s'interroger sur la plus grande énigme de l'expérience juive : sa continuité, longtemps sans terre et sans État, à travers trois millénaires. Les Juifs n'ont pas été absorbés ou n'ont [15] pas disparu, et c'est en cela qu'ils sont uniques. Beaucoup d'entre eux, exilés à Babylone, ont continué à rêver d'un retour à Sion. À partir de la conquête de la Perse par Babylone, certains d'entre eux ont commencé à rejoindre Israël, d'abord en groupes dispersés, puis sous la direction de Néhémie et Esdras, ils ont rétabli et reconstruit leur religion et leurs institutions en rebâtissant le Temple et en se forgeant une nouvelle identité nationale. Après la seconde destruction du Temple en 70, à l'occasion d'une rébellion contre les Romains, ils ont perdu à nouveau leur autonomie politique. Mais malgré cet événement et les nouvelles dispersions qui s'ensuivirent, l'identité collective est demeurée.
Les Juifs ne forment plus uniquement une minorité nationale ou religieuse dans un environnement étranger, car les racines historiques et les prémisses culturelles des sociétés qui les ont accueillis sont étroitement imbriquées à l'histoire et à la foi juives.
Et ces civilisations n'ont pas évolué indépendamment de cette variable juive, parce que celle-ci a constitué un défi idéologique et un point de référence ambivalent dans la mesure où l'attachement des Juifs à leur foi et à leur mode de vie ne fut pas simplement curieux, mais représenta aussi une menace idéologique pour leur propre existence.
Eisenstadt précise à ce propos : « Quel peuple ne possède pas de territoire, seulement la mémoire ou l'espoir d'un retour vers celui-ci et une forte orientation politique mais pas d'unité politique indépendante ou autonome ou de continuité territoriale ? » [32]
L'expérience historique juive transcende ainsi les catégories de la religion, de la nation ou du groupe ethnique. D'où le recours approprié au terme de « civilisation ».
Précisons encore que si, selon Shils, Eisenstadt, en tant que citoyen, a été impliqué dans certaines affaires [16] politiques et militaires en Palestine lors de l'établissement du nouvel État juif, sur l'avenir actuel du processus de paix, le socio-historien se déclare « pessimiste le matin et optimiste en fin de journée ». Mais il a toujours reconnu qu'il s'agirait d'un parcours semé d'embûches [33].
Pourtant, si on lit attentivement son message sur un sujet dont l'intérêt dépasse celui de la seule analyse comparative, on perçoit que dans Le Retour des Juifs dans l'Histoire, Shmuel Noah Eisenstadt propose des clés de compréhension pour l'avenir. Déployant son immense culture, il démontre qu'Israël, loin d'être porté par une religion exclusiviste qui capterait le politique de façon unilatérale, voire violente, ne peut exclure le dialogue, héritage de toute son histoire. Celui-ci, complexe et tourmenté, commence d'ailleurs, au sein du monde juif, entre les religieux et les laïques, comme l'illustre notamment la vie politique interne d'Israël que le sociologue a décortiquée par ailleurs.
Dépassant l’œuvre de Max Weber sur Le Judaïsme antique, qui isolait, comme l'historien Toynbee et beaucoup d'autres, le monde juif en l'enfermant sur lui-même, le continuateur du sociologue allemand révèle que c'est dans un univers mêlé et sans cesse en évolution que « les » civilisations juives successives ont défini leurs principes comme leur rapport particulier à la vie institutionnelle, assumant ainsi une grande continuité dans une diversité interne et externe. Les diasporas juives du monde, non réductibles au sionisme, constituent un atout pour l'État sioniste d'Israël, qui, lui, né d'une résistance multiforme, souvent héroïque et inouïe contre l'adversité de l'Histoire, tirant aussi les leçons de la Shoah, reste un repaire et un centre civilisationnel d'accueil pour tous.
C'est précisément le caractère unique de cette civilisation, balancée entre particularisme et universalisme, [17] exil et étatisation, assimilation et autonomie, ici-bas et au-delà, projets communautaires et modernité individualiste, droite et gauche, qui lui fait rejoindre les principes de pluralisme, d'accueil, de tolérance et de liberté. Au-delà des controverses et des drames passagers d'aujourd'hui, l'existence de plusieurs civilisations juives dans le monde ainsi que la confrontation de la civilisation juive israélienne avec les civilisations musulmane et chrétienne sur la même terre, permettent d'envisager une paix durable et un dialogue constructif voire, pourquoi pas, la création d'un État dont les fondements pourraient enfin intégrer les différents peuples concernés.
Tel est le type de rêves que suscite la lecture (optimiste !) de cet ouvrage démystificateur.
Au-delà de l'aspect actuel de son regard sur la civilisation juive, Shmuel Noah Eisenstadt, qui a l'art de réconcilier la sociologie avec la science historique comme le vieux et beau concept de « civilisation » avec l'analyse objective des faits, reste bien, sur la scène intellectuelle internationale, un des chercheurs les plus stimulants et attachants pour la théorie politique.
Vanessa Ruget
Chercheure au Centre d'analyse politique comparée de l'Université Montesquieu de Bordeaux
[1] Cf. E. Cohen (dir.), Comparative Social Dynamics. Essays in Honor of S.N. Eisenstadt, West View Press Inc, 1985, plus précisément la préface d'Edward Shils, « S.N. Eisenstadt, some personnal observations ».
[2] Les informations biographiques qui vont suivre sont issues notamment du témoignage d'Edward Shils publié dans E. Cohen (dir.), Comparative Social Dynamics. Essays in Honor of S.N. Eisenstadt, op. cit., de l'article non publié « From comparative political systems to the analysis of civilizations. The civilizational framework european politics », ainsi que d'un entretien personnel avec Shmuel Noah Eisenstadt le 16 mai 1996 à Bordeaux.
[3] Cf. « Cultural traditions and political dynamics : the origins and modes of ideological politics », The British Journal of Sociology, vol. 32, n° 2, juin 1981.
[4] In S. N. Eisenstadt (dir.), Martin Buber. On Intersubjectivily and Cultural Creativiiy, Chicago et Londres, University of Chicago Press, 1992.
[5] Cf. par exemple « L'anthropologie des sociétés complexes », Cahiers internationaux de sociologie, vol. 60, 1976.
[6] Consulter notamment : « Cultural orientations, institutional entrepreneurs and social change : comparative analysis of traditional civilizations », American Journal of Sociology, vol. 85, n° 4, p. 840-869 ; « Culture and social structure revisited » et « The order-maintening and order-transforming dimensions of culture », in Power Trust and Meaning. Essays in Sociological Theory and Analysis, Chicago, University of Chicago Press, 1995.
[7] The Origins and Diversity of Axial Age Civilizations, Albany, State University of New York Press, 1986. Consulter également, pour une lecture critique, Bertrand Badie, Culture et politique, troisième édition, Paris, Économica, 1993, p. 91-99.
[8] « Cultural traditions and political dynamics : the origins and modes of ideological politics », article cité, p. 156.
[9] Comme l'avance G.G. Hamilton au cours de la critique stimulante qu'il a écrite sur la méthode du sociologue israélien, il tendrait même parfois à s'approprier cet héritage et à critiquer à l'occasion les « prétentions » de Talcott Parsons et de Reinhart Bendix à être eux aussi des auteurs post-wébériens. Eisenstadt reproche ainsi à Bendix de faire de l'histoire un ensemble sans forme, chaotique, ne laissant la voie à aucune interprétation possible. Fustigeant l'historicisme de Bendix et l'évolutionnisme de Parsons, Eisenstadt se ménage finalement une position confortable dans le champ de la sociologie post-wébérienne. Pour autant, cela ne signifie en aucune sorte qu'Eisenstadt ait toujours été en désaccord avec Talcott Parsons. Il a bel et bien commencé sa carrière au sein du courant structuraliste, et à certains égards, y appartient encore. Cependant, dès 1965, il ne cite plus Parsons pour justifier son propre travail et prend ses distances. Certains de ses concepts sont malgré tout encore directement empruntés à la sociologie parsonienne, cf. Théda Skocpol (dir.), Vision and Method in Historical Sociology, Cambridge et New York, Cambridge University Press, 1984.
[10] Cf. « La tradition sociologique », Cahiers internationaux de sociologie, vol. 65, 1978, p. 247.
[11] Cf. cette observation d'une autre figure de proue de la sociologie historique, Théda Skocpol : « Seuls des individus âgés et cosmopolites travaillant dans un relatif isolement par rapport aux recherches empiriques dominantes dans la discipline étaient considérés comme capables de produire de tels travaux historiques majeurs, tandis que les sociologues ordinaires utilisaient les techniques quantitatives pour étudier certains aspects spécifiques des sociétés actuelles », « Emerging agendas and recurrent strategies in historical sociology », in Théda Skocpol (dir.), Vision and Method in Historical Sociology, op. cit., p. 356.
[12] Yves Deloye, Sociologie historique du politique, Paris, La Découverte, 1997. Cf. aussi le numéro spécial de la Revue internationale des sciences sociales sur la sociologie historique, n° 133, août 1992, tout particulièrement les articles de Bertrand Badie, « Analyse comparative et sociologie historique » ; Guy Hermet, « À propos de l'obstination historique » ; Philip Mc Michael, « Repenser l'analyse de l'État dans un contexte post-développementaliste » et Charles Tilly, « Prisonniers de l'État ». Enfin, pour un tour d'horizon complet de ce domaine de recherche, se reporter à D. Smith, The Rise of Historical Sociology, Cambridge, Politiy, 1991.
[13] Approche comparative de la civilisation européenne, Paris, PUF, 1994, p. 18.
[14] New York, Free Press of Glencoe, 1956.
[15] New York, Free Press of Glencoe, 1963.
[16] Ce qu'il appelle les HBE (Historical bureaucratic empires), c'est-à-dire les empires anciens de l'Égypte, de Babylone, l'empire inca ou aztèque, l'empire chinois de la période Han à la dynastie Ch'ing, les divers empires perses, notamment l'empire sassanide et dans une moindre mesure ahménide, les empires romain et grec, l'empire byzantin, différents anciens États indiens, le Califat arabe et les États arabo-musulmans, les États absolutistes européens de l'Est, de l'Ouest et du Centre, et enfin les empires conquérants, c'est-à-dire les systèmes établis dans des pays non européens en raison de l'expansion, de la colonisation et des conquêtes européennes.
[17] Cf. S. N. Eisenstadt, The Political Systems of Empires, Londres et New York, Free Press of Glencoe, 1963, p. 4-5.
[18] Gabriel A. Almond, « Reviews of Political System of Empires », American Sociological Review, n° 29, 1964, p. 418.
[19] M. Abitbol, S. N. Eisenstadt, N. Chazan, The Early State in African Perspective. Culture Power and Division of Labor, Leiden, E. J. Brill, 1988 ; consulter également en français : S. N. Eisenstadt, « L'analyse anthropologique des sociétés complexes », Cahiers internationaux de sociologie, vol. 60, 1976, p. 24 ; S. N. Eisenstadt, « De l'État », Revue internationale des sciences sociales, vol. 32, n° 4, 1980 ; M. Abitbol, S. N. Eisenstadt, N. Chazan, « Les origines de l'État, une nouvelle approche », Annales, Économie, Sociétés, Civilisations, n° 6, nov. - déc. 1983.
[20] « Traditional Patrimonialism and Modem Neo-Patrimonialism », Sage Research Papers in the Social Science, vol. 1, Beverly Hill, Sage, 1973 ; S. N. Eisenstadt, Luis Roniger, Patrons, Clients and Friends, Cambridge et New York, Cambridge University Press, 1999.
[21] England Cliffs, Prentice Hall, Inc.
[22] New York, John Wiley and Sons, 1973.
[23] Londres, Sage Publication, Beverly Hills, 1973.
[24] New York, The Free Press, 1978.
[25] Japanese Models of Conflict Resolution, Londres et New York, K. Paul International, 1990 ; Japanese Civilization. A Comparative View, Chicago, University of Chicago Press, 1996 ; Fundamentalism Sectarianism and Revolution. The Jacobin Dimension, Cambridge et New York, Cambridge University Press, 1999. Cf. une version allemande de ces recherches consacrant un séminaire tenu à Heidelberg, Die Vielfalt der Moderne, Göttingen, Velbrück Wissenschaft, 2000.
[26] S. N. Eisentadt, Max Weber. On Charisma and Institutions Building, Chicago, University of Chicago Press, 1968.
[27] Cf. par exemple : The Forms of Sociology. Paradigms and Crisis, New York, John Wiley & Sons, 1978.
[28] « La tradition sociologique : ses origines, ses limites, ses tendances et ses formes d'innovation et de crise », Cahiers internationaux de sociologie, vol. 65, 1978, p. 237-265 ; « Quelques réflexions sur la crise de la sociologie », Cahiers internationaux de sociologie, vol. 62, 1974, p. 223-246.
[29] Power Trust and Meaning : Essays in Sociological Theory and Analysis, Chicago, University of Chicago Press, 1995.
[30] Londres, Weidenfeld, 1967.
[31] Londres, Weidenfeld and Nicolson, 1985.
[33] Entretien personnel avec Shmuel Noah Eisenstadt à Bordeaux, le 16 mai 1996.
|