“PRÉSENTATION DE LÉON GÉRIN
ET DE SON OEUVRE.”
Jean-Charles Falardeau
Notes biographiques [11]
- Esquisse de ses travaux [17]
- Le sens de l'œuvre sociologique de Léon Gérin [23]
I. LE MODÈLE DE LEPLAY, TOURVILLE ET DEMOLINS
- II. LES CHAMPS D'INVESTIGATION
- III. RÉFLEXIONS
10]
[11]
NOTES BIBLIOGRAPHIQUES *
Les antécédents immédiats de Gérin nous reportent à l'un des moments les plus exubérants du XIXe siècle canadien : celui où 1'"élite" intellectuelle canadienne-française, entre les années 1840 et 1870, acquiert un sens aigu de l'histoire nationale, s'interroge sur l'orientation d'un destin politique dont elle vient de vivre les épisodes exaltants et frustratoires, et pose les lourdes bases, avec Garneau, Crémazie, Gaspé et Casgrain, d'une littérature originale [1]. Le père de Léon Gérin, Antoine Gérin-Lajoie, né en 1824 dans le village de Yamachiche, appartient à cette élite. Collégien au Séminaire de Nicolet, il a fait jouer un drame patriotique en vers, le Jeune Latour. Il a aussi composé une complainte devenue si vite populaire qu'on oublie le nom de son auteur et qu'elle passe au folklore, Un Canadien errant, qui évoque le sort des patriotes expatriés à la suite de la révolution de 1837-1838. Successivement avocat, politicien, journaliste, traducteur à l'Assemblée législative, il a été nommé, en 1856, bibliothécaire du Parlement canadien, poste qu'il occupera, d'abord à Toronto, ensuite à Québec, puis à Ottawa, jusqu'à sa mort en 1880. Il a publié, en 1862 et en 1864, un roman "économique et social" en deux parties, Jean Rivard, dans lequel s'exprime un rêve d'émancipation économique confondu avec l'exaltation de la vie rurale chère à cette époque. Romantisme agricole, préoccupation de l'avenir économique des Canadiens français, activité professionnelle dans le cadre du fonctionnarisme d'un État canadien en voie d'élaboration : ces dominantes de l'histoire paternelle se retrouveront dans le destin du fils dont elles éclairent les soucis et le labeur.
Léon Gérin, second fils d'Antoine Gérin-Lajoie, naquit le 17 mai 1863 à Québec où le siège du gouvernement avait été transféré, en 1859, de Toronto. On peut s'étonner de la différence de nom entre le fils et le père. "Notre vrai nom de famille, a écrit celui-ci, [12] n'est pas Lajoie, mais Gérin. Nos ancêtres n'ont jamais été connus en France sous le nom de Lajoie. C'est notre bisaïeul qu'on a appelé le premier "Lajoie" parce qu'il était toujours content et gai. C'est un nom de guerre... Si je recommençais ma vie, je signerais "A. Gérin" tout simplement, et je vous conseillerais, à Elzéar et à toi, d'adopter dans votre signature le nom de Gérin... Je voyais même dernièrement des rapports de milice de 1834, 1835, 1836, où le nom de papa était marqué Antoine Gérin tout court. Mes enfants ne signeront que Gérin." [2]
Léon Gérin a été fidèle à la détermination exprimée par son père dont il a vénéré la mémoire avec un zèle assidu. "L'année de ma naissance, notera-t-il un jour avec une certaine coquetterie, s'intercale exactement entre celle de la parution du premier volume de mon père : Jean Rivard, le défricheur(1862) et celle du dernier volume l'Economiste (1864)…" [3] Sa mère était la fille d'Etienne Parent, le célèbre journaliste et essayiste. Par sa mère aussi, il est neveu de l'historien Benjamin Sulte dans les travaux duquel il puisera plus tard maintes références. "Du côté maternel, écrira encore Léon Gérin, mes ancêtres québécois se rattachaient aux paysans défricheurs, recrutés par Giffard, à Mortagne, capitale du Perche, et je n'ignorais pas que ce contingent avait peuplé Beauport, la côte de Beaupré, et fourni à la région de Québec, à celles de Trois-Rivières et de Montréal, à toute la colonie française son premier et plus solide noyau agricole" [4]. Est-ce par atavisme ou par intuition que, plus tard, le sociologue-historien Gérin consacrera une longue monographie au paysan percheron dans lequel il verra le prototype de l'émigrant français qui a réussi à s'adapter avec succès aux dures conditions de travail et de vie de la Nouvelle-France? [5]
Léon Gérin vécut ses années d'enfance à Ottawa, l'ancienne Bytown dont on avait fait, en 1865, le siège du gouvernement. Dans cette "capitale improvisée de la vagissante confédération canadienne", il fréquente d'abord une école pour garçonnets dirigée par les Soeurs Grises où il a pour camarade Errol Bouchette [6]. Il commence ses études secondaires au Collège d'Ottawa et les poursuit, à partir de 1877, au Séminaire de Nicolet où s'est illustré [13] son père et où il est condisciple d'Edmond de Nevers. Il est un élève brillant et il brûle les étapes. En classe de rhétorique, à dix-sept ans, il remporte le "prix du Prince de Galles" et, en 1881, après une première année de philosophie, il passe avec succès les examens d'admission à l'étude du droit. Il suit le cours régulier de droit à la succursale montréalaise de l'Université Laval de Québec et est admis au Barreau en 1884. "À vingt ans, confiera-t-il un jour à un interlocuteur, j'étudie le droit parce qu'il faudra bien que je gagne ma vie un jour. Mais je me dis en moi-même : quand je serai reçu, j'irai à Paris, pour me donner l'illusion d'une vie intelligente au moins pendant quelque temps. Je me suis tenu promesse." [7]
Le jeune Gérin expérimente les douloureuses réalités que doit affronter tout intellectuel canadien-français à cette époque, entre autres, l'anémie de la vie de l'esprit et l'absence de débouchés professionnels en dehors de la trilogie prêtrise-médecine-droit. "Mon père était un homme de mon type : chercheur, un peu rêveur, tout le contraire de l'homme pratique. Il aurait volontiers consacré sa vie à l'étude. Mais la carrière d'intellectuel n'offrant pas de débouchés au pays, mon père fut forcé d'embrasser, sans goût, une profession libérale, c'est-à-dire payante (du moins en principe). C'est aussi mon histoire." [8] Mais il n'est pas homme à abdiquer son rêve de séjour parisien. Après un bref stage comme sténographe judiciaire au Palais de justice de Montréal, il s'embarque pour Paris à l'automne de 1885. Il y demeurera jusqu'au printemps de 1886, seulement "quelques mois", mais des mois auxquels sa diligence donnera une densité dont dépendra l'orientation intellectuelle du reste de son existence.
À Paris, Gérin assiste à des cours et à des conférences, ici et là, au hasard de sa curiosité : au Conservatoire des arts et métiers, à la Sorbonne, à l'École de médecine, et particulièrement au Museum d'histoire naturelle où il peut donner suite à un penchant qu'il avait ressenti, dès le collège, pour les sciences naturelles botanique, zoologie, anatomie. Mais son chemin de Damas fut l'École de la science sociale. Laissons-le de nouveau nous parler lui-même de cette découverte : "... un jour de novembre, mes yeux furent attirés par l'annonce d'un cours que devait professer M. Edmond Demolins, à l'hôtel de la Société de géographie, boulevard Saint-Germain, sur la Constitution des pays qui tirent leurs principales ressources des exploitations agricoles, forestières et minières. "Voilà, me dis-je, quelque chose de nature à intéresser un Canadien", et je me fis inscrire." [9]
[14]
L'étudiant canadien a trouvé ce que, sans le savoir, il cherchait. À compter de ce premier contact avec Demolins, il ne s'intéressera plus qu'à la sociologie et il sera un assidu des cours de l'École de la rue du Regard que domine la présence de l'abbé de Tourville. "L'abbé, me racontait Gérin vers 1944, était un Normand austère et froid. Demolins était le méridional plein de feu... C'étaient des êtres en contraste : ils se complétaient bien l'un l'autre". Au contact de l'un et de l'autre, comme aussi de Prosper Prieur, il s'initie à la méthode des monographies de famille de LePlay, à la "science sociale" telle que définie par l'École, aux nomenclatures et aux procédés d'enquête élaborés par Tourville. Il se lie particulièrement avec Demolins lequel, ayant vu Gérin prendre des notes sténographiques de son cours, s'était un jour "lancé sur lui" à la fin de la classe, lui disant : "Vous suivez mes cours, ça vous intéresse ? Venez donc chez moi. Je reçois mes élèves une fois par semaine. Venez donc..." Gérin assimile tout ce qu'il peut, durant son trop bref séjour, de l'enseignement de ses maîtres. Ceux-ci, à son départ, lui proposent une consigne impérieuse. "Au petit printemps de 1886, rappellera-t-il encore, lorsque je dus quitter Paris, à la suite d'un séjour de six ou sept mois dans le quartier latin, Demolins me prit à part : "Maintenant que vous êtes initié à nos méthodes, il va falloir que vous fassiez une étude sur votre pays. Vous allez écrire un livre qui étonnera vos compatriotes…" [10] Quiconque a connu au début de sa carrière un pareil instant comprendra ce qu'ont pu être l'émoi et la détermination du jeune Gérin au moment où il va rentrer au Canada pour "gagner sa vie".
La vie de Léon Gérin correspondit fidèlement à un dessein qu'il en esquissa à son retour de Paris : choisir un mode d'existence comportant suffisamment de loisirs pour lui permettre de s'adonner à sa passion intellectuelle, les études sociales. Sa vie fut littéralement un diptyque. Professionnellement, il redevient d'abord sténographe judiciaire à Montréal. À partir de 1892, il habitera Ottawa comme fonctionnaire fédéral : secrétaire du ministre de l'Agriculture, l'honorable A.R. Angers ; ensuite secrétaire du ministre de la Milice, l'honorable A. Desjardins en 1895 ; puis, après la défaite du gouvernement conservateur en 1896, secrétaire du professeur J.W. Robertson, commissaire de l'Agriculture ; enfin, à partir de 1903, traducteur des débats à la Chambre des communes. Il est nommé chef de service en 1917 et il remplira ce poste jusqu'à sa retraite, en 1936. En 1904, il a épousé une Québécoise, Adrienne Walker, de qui il eut quatre enfants, un fils et trois filles.
[15]
Sa vie familiale fut paisible et exemplaire. Chaque été, la famille partait pour Claire-Fontaine, la ferme des Cantons de l'Est. Car Léon Gérin réalisa à sa façon le Jean Rivard qu'avait romantiquement décrit son père. Il a raconté lui-même comment, dès 1887, l'idée lui était venue "de (se) faire colon, de tenter un établissement à (ses) propres frais", et dans quelles circonstances il acquit un vaste domaine de 200 acres sur le plateau de Sainte-Edwidge de Clifton, près de Coaticook [11] » Sa vie durant, il exploita de façon méthodique ce domaine de Claire-Fontaine. Intéressé techniquement et socialement aux facteurs de progrès rural, il fut lui-même un "exploitant agricole et émancipé", tenant scrupuleusement le journal de sa ferme à partir des débuts et consolidant avec ses voisins les relations d'un ami attentif et d'un conseiller écouté.
Qu'il fut à Claire-Fontaine ou à sa maison d'Ottawa, le sanctuaire de Gérin fut toujours sa bibliothèque. Sa vie intellectuelle, par la force des choses, fut celle d'un isolé. Par ses lectures, il se tint au courant des recherches historiques et des enquêtes sociales. Il se préoccupa particulièrement des travaux de l'École de Demolins et de Tourville. Il devint un collaborateur assidu de leur revue la Science sociale. Il entretint avec eux et avec leur collègue Champault une correspondance abondante. Son grand ami canadien Errol Bouchette, déjà admirateur de LePlay, ayant fondé à Ottawa, en 1905, un cercle d'études sociales, Gérin y présenta des exposés sociologiques. Le premier fut une synthèse de l'évolution des sciences sociales qui fut publiée, par la suite, dans la Science sociale [12]. Elle révèle l'ampleur des soucis méthodologiques de Gérin et elle laisse deviner tout ce que cet homme eût pu donner s'il eût bénéficié d'une chaire universitaire ou s'il eût seulement été entouré de collègues. Il fut élu, en 1898, à la Société royale du Canada où il présenta des mémoires élaborés, résultats de ses recherches personnelles. Il en fut nommé président en 1933.
L'activité la plus originale et la plus féconde de Gérin, ce furent ses enquêtes sociales. Dès l'été de son retour de Paris, en juillet 1886, il s'était dirigé, pour entreprendre sa première monographie canadienne, vers une localité de la région de Trois-Rivières, aux premiers contreforts des Laurentides : la paroisse de Saint-Justin de Maskinongé, où il avait passé plusieurs vacances de collégien, chez le curé, son "cher oncle" Denis Gérin. Il allait commencer l'œuvre qui ne devait malheureusement pas étonner immédiatement ses compatriotes mais qui jalonnerait, durant près de cinquante ans, le patient itinéraire d'un précurseur sociologique dans le désert universitaire québécois. Il entreprit la monographie de la famille Casaubon et la poursuivit durant les années [16] suivantes. Il retourna périodiquement à Saint-Justin, en particulier en 1890 avec Paul de Rousiers et Georges Rivière, mettant progressivement au point l'analyse non seulement de cette famille Casaubon mais de la totalité de la paroisse rurale. Il reviendra à Saint-Justin jusqu'en 1920. Entre-temps, il s'est intéressé à d'autres familles typiques en des régions rurales différentes : en 1887, un habitant de Saint-Dominique, près de Saint-Hyacinthe ; en 1903, une famille de L'Ange-Gardien, dans les Cantons de l'Est ; en 1920 et en 1929, une famille de Saint-Irénée, dans le comté de Charlevoix.
Il n'y a qu'à parcourir la bibliographie chronologique de Gérin pour constater la variété de domaines et de sujets qui ont sollicité sa curiosité d'écrivain social : histoire de la colonisation française en Amérique ; destin des Indiens pré-colombiens ; quelques grandes figures historiques, par exemple, celle de Jacques Cartier ; caractères de la société canadienne après la conquête anglaise ; traits dominants de la société rurale du Canada français au XIXe siècle ; conditions de l'émancipation intellectuelle de notre milieu ; problèmes de méthodologie scientifique ; questions de linguistique et de traduction, sans compter les études techniques sur des questions d'industrie agricole. Après sa retraite, en 1936, Léon Gérin consacra ses loisirs à réviser ses écrits. Il consentit à exposer, dans quelques conférences, le texte remanié de ses monographies de la vie rurale. Cédant à des pressions amicales, surtout de la part de M. Edouard Montpetit, il accepta de publier deux volumes : l'un, le Type économique et social des Canadiens [13], condensant la substance de ses quatre principales études de familles rurales enrichies de son expérience et de ses réflexions plus récentes ; l'autre, Aux sources de notre histoire [14], résumant l'une de ses toutes premières études sur "les conditions économiques et sociales de la colonisation en Nouvelle-France". Un troisième volume, Vocabulaire pratique de l'anglais au français [15], dans lequel Gérin présente les fruits de toute une vie de traducteur professionnel, est un indispensable instrument de travail pour tout traducteur canadien. Ses dernières années furent ainsi patiemment et discrètement laborieuses. Il mourut à Montréal le 17 janvier 1951.
[17]
ESQUISSE DE SES TRAVAUX *
Vu les circonstances dans lesquelles elle a été élaborée, l'oeuvre de Gérin n'est pas facile à cerner [16]. C'est par l'histoire qu'il a abordé ses observations sociales. Son ambition dominante ayant été, comme il l'a dit lui-même, de "débrouiller ce mystère de notre éducation sociale", il a voulu scruter ce qu'avaient été les caractères distinctifs de la société établie par la France, au XVIIe siècle, en Nouvelle-France. Son analyse devance avec une étonnante justesse les hypothèses générales que devaient formuler, beaucoup plus près de nous, R.H. Tawney [17] et Max Handman [18] sur les sociétés de type "bureaucratique" et les sociétés de type "pécuniaire". Après avoir décrit les étapes et les procédés de la colonisation française en Amérique, Gérin s'attarde à analyser les différences économiques, politiques et psychologiques entre celle-ci et l'organisation sociale des colonies anglaises. L'une des principales causes qui ont freiné l'essor de la colonie française a été le manque d'initiative, ou, plus exactement, une structure politique et sociale qui rendait impossible l'initiative économique. "La monarchie française, écrit Gérin, qui aurait voulu faire du négociant français un grand entrepreneur de colonisation commerciale, n'y avait pas réussi, non plus qu'à faire du gentilhomme français un chef de grande exploitation agricole…" [19].
[18]
Le système autocratique et centralisateur de la France du XVIIe et du XVIIIe siècle paralysait en principe l'existence d'une élite qui eut pu s'adonner à l'initiative privée.
Gérin n'a pas étudié tous les niveaux de la structure sociale de la Nouvelle-France. Il a centré son attention sur ce qui lui semble, a posteriori, avoir été l'élément de stabilité et de continuité de la société locale : la famille du colon-paysan. Dans sa grande "Monographie du Canada" [20] (dont Aux sources de notre histoire n'est qu'un résumé, peut-être trop concis), il fait l'inventaire détaillé des provinces et régions de France d'où sont venus les contingents importants de colons de Nouvelle-France : Saintonge, Perche, pays d'Aunis, Poitou, Normandie. De son analyse, il dégage une proposition qui, à ma connaissance, n'a jamais été mise en cause, et qui, de toute façon est insuffisamment connue. De tous les types de colons français émigrés en Amérique, c'est le paysan du Perche qui s'est le plus rapidement et le plus complètement adapté aux conditions de vie canadiennes. Habitué, dans son pays d'origine, à la culture d'un sol relativement ingrat, à une vie frugale, à des coutumes austères, il a aisément surmonté toutes les hostilités géographiques ou humaines du milieu canadien. En d'autres termes, c'est le paysan percheron qui a davantage marqué les traits de ce qui devait devenir l'habitant canadien. Bien sûr, les modes d'exploitation agricole, le style de vie, les cadres d'existence sociale ont très vite rendu cet habitant fort différent de ce qu'était le paysan français. Gérin a aussi analysé ces différences. Mais les faits postérieurs à la conquête anglaise ont suffisamment prouvé que c'est le groupement familial qui était l'élément de solidité de notre système social, "la pierre angulaire de notre survivance dans le nouveau monde" [21].
Il était normal, inévitable, que, partant de ces constatations, Gérin, au moment où il abordait l'observation directe de notre société, à la fin du XIXe siècle, se préoccupât d'abord de constater ce qu'était devenu ce groupement familial dans nos milieux ruraux traditionnels. Car de larges secteurs, pour ne pas dire la plus grande portion sociale du Canada français québécois, au moment où Gérin entreprit ses enquêtes, étaient de type rural et de mentalité traditionnelle. Que Gérin ou d'autres après lui reconnaissent ce fait ne signifie nullement qu'ils méconnaissent qu'il y ait eu, dès le régime français, des villes et des populations "urbaines" ainsi que des élites locales d'allure aristocratique ou semi-bourgeoise, ni que la société canadienne-française du XIXe siècle était déjà économiquement et professionnellement diversifiée. Affirmer l'existence d'un Canada français "rural et traditionnel" au [19] XIXe siècle, c'est seulement constater ce qui était, encore à ce moment-là, une caractéristique dominante de notre société. Gérin n'a pas ignoré les grandes structures ecclésiastiques, politiques ou économiques de la société canadienne-française en tant que société globale. Il en a d'ailleurs esquissé quelques descriptions, comme il a noté les diversités de comportements de cette société en voie de dé-ruralisation, comme il a dépeint les facteurs de transformation ou de "complication sociale" dans des milieux ruraux divers. S'il a centré son intérêt sur la famille rurale, c'est qu'il y voyait le microcosme à partir duquel pouvaient être inférées certaines données fondamentales de la totalité de la société.
On retrouve évidemment ici le familier postulat de l'École de LePlay par laquelle l'esprit de Gérin a été pétri. Ce n'est pas le moment de discuter les limites ou les dangers de ce postulat. Je veux seulement indiquer quel élargissement Gérin lui a fait subir et les modifications qu'il a apportées aux méthodes de ses maîtres de Paris.
Une grande partie des écrits de Gérin sont des dissertations théoriques. Dans ces textes d'une correction qui va jusqu'à la distinction et l'élégance, Gérin ambitionne d'abord de faire connaître dans son milieu immédiat ce qu'est la science sociale, ce qu'est son objet, ce que sont ses procédés. Il veut faire découvrir et partager par d'autres ce qui, littéralement, le passionne. Son style d'une intensité contenue prend souvent le ton d'un plaidoyer. Il reflète un attachement, qui peut maintenant paraître romantique mais qui demeure émouvant, aux théories de Tourville et de Demolins. En faisant connaître leur pensée, Gérin pose aussi un acte de gratitude. En même temps, cependant, il interroge ses maîtres, discute leurs positions, s'interroge lui-même et révise ses propres positions. Rien de moins catégorique qu'une affirmation de Gérin. Rien de moins définitif que l'un quelconque de ses écrits. Le jeune chercheur qui sentait que son initiation avait été trop brève était laissé à ses seules ressources. Il nous rappelle lui-même que c'est par la pratique et par la patience qu'il a résolu les difficultés. Et par la culture scientifique. "... Il faut d'abord avoir en tête une théorie nette, dira-t-il plus tard en évoquant son expérience ; savoir ce que l'on va observer, savoir ensuite coordonner les faits observés et les faits voisins. Parfois cela tourne au casse-tête chinois... Aussi importe-t-il qu'on se soit armé de patience. La récompense ne vient pas seulement au bout de l'effort : on la trouve dans la recherche elle-même, dans l'exercice de ses facultés, dans la découverte des faits sociaux et de leur agencement, et dans l'assurance que, peut-être, tout ce travail n'est pas inutile". [22]
[20]
La "théorie" qu'avait en tête Léon Gérin au point de départ consistait en des cadres d'analyse dérivés de LePlay. La méthode essentielle de LePlay, dite "des monographies de familles", procédait selon un plan destiné à circonscrire l'existence d'une famille choisie comme typique d'un milieu et à considérer celle-ci sous tous ses aspects [23]. À cette méthode centrée sur la famille, Henri de Tourville substitua un plus vaste cadre d'analyse monographique, dit Nomenclature des faits sociaux. La Nomenclature répartit tous les faits sociaux dignes d'intérêt en vingt-cinq grandes classes. L'objet de l'investigation sociologique est l'ensemble d'une société donnée qu'il s'agit de décomposer selon ces vingt-cinq étapes dont chacune correspond à un ordre de problèmes allant du simple au complexe. [24]
Gérin modifia cet instrument en lui donnant un caractère davantage sociologique. [25] L'objet de la science sociale, dit-il, est le groupement humain. C'est aussi celui de la recherche sociale. En conséquence, toute "nomenclature" des faits sociaux doit être à base de groupements [26]. Il élabora un nouveau schéma analytique comprenant quinze classes de groupements significatifs dont chacun remplit une fonction sociale nécessaire. Huit de ces groupements se rattachent à la vie privée : famille, atelier, commerce, professions, école, église, voisinage, associations ; les autres, à la vie publique : commune (ou paroisse), union de communes (notre comté), pays membre de province (notre district), cité, province, État, étranger. Chaque société locale donnée devra être étudiée par rapport aux groupements qu'elle inclut ou avec lesquels elle est en relation. D'autre part, on se renseignera sur chaque groupement à l'aide d'un questionnaire, ou "clef analytique", constitué de six questions portant sur les éléments constitutifs du groupement. C'est par retouches successives que Gérin a précisé ce canevas et c'est progressivement qu'il l'a utilisé dans le compte rendu de ses propres enquêtes.
[21]
Gérin voit le pivot de la vie rurale dans la relation terre-famille. "Le domaine plein paysan - le domaine taillé à la mesure des besoins d'une famille d'habitant... est la pierre de voûte de tout l'édifice social du Canada français (rural)" [27]. Le cycle de vie et l'organisation de la famille rurale traditionnelle étaient déterminés par trois objectifs principaux : constituer un domaine proportionné à la somme de main-d'oeuvre fournie par les membres de la famille ; le maintenir intact d'une génération à l'autre ; subvenir le plus largement possible à l'établissement de ceux de ses membres qui vont quitter le foyer [28]. La famille constituait proprement un "atelier agricole". Elle devait être suffisamment nombreuse pour exploiter seule la terre avec une technologie rudimentaire et pour pourvoir à tous ses besoins essentiels. Réciproquement, la terre devait être suffisamment vaste pour nourrir et vêtir la famille et aider les membres-émigrants. Ce fragile équilibre terre-famille comportait une dramatique condition : la transmission, à chaque génération, du bien familial intégral à un seul héritier membre de la famille. C'est là, en quelque sorte, le modèle strict, élémentaire. Dans tous les cas où, soit une plus grande fertilité de la terre, soit l'utilisation d'une technologie perfectionnée amélioraient les conditions de vie de la famille, le système se trouvait modifié. Ainsi, dans la famille du cultivateur progressiste de Saint-Dominique, plus tard étudiée par Gérin, le père n'a plus "la préoccupation absorbante de maintenir le domaine intact entre les mains de quelqu'un de ses descendants" [29], et les relations entre les membres du groupe familial sont d'une plus grande indépendance.
Les monographies de LePlay avaient privilégié la fameuse "famille-souche" comme étant le prototype de l'organisation domestique idéale. En 1862, un fonctionnaire français du Second Empire et collaborateur des équipes de LePlay, Gauldrée-Boilleau, avait fait enquête auprès d'une famille de Saint-Irénée, dans le comté de Charlevoix [30]. Il concluait que cette famille canadienne correspondait en tous points à la famille-souche. Gérin conteste cette affirmation. Comme beaucoup d'autres [31], il est insatisfait de la typologie des familles proposée par LePlay. Quoi qu'il en soit, la [22] famille rurale canadienne-française n'appartient pas, d'après ses observations, au type de la famille-souche. Elle a été traditionnellement de type quasi communautaire. Maintenue par l'autorité formelle du père, elle exige de ses membres une grande interdépendance et une solidarité constante. Elle entraîne la routine et favorise peu l'initiative. Elle demeure intimement unie au réseau de la parenté. Ses relations sociales sont principalement circonscrites par le voisinage immédiat et par la paroisse. Celle-ci englobe, domine et contrôle la plupart des activités locales. La vie sociale comporte très peu d'activités communales qui seraient l'expression de l'initiative des habitants. Le curé de la paroisse est le mentor séculier autant que le chef moral et spirituel de la collectivité.
Contrairement à un autre axiome de LePlay et de Tourville, Gérin n'a pas vu dans la famille le principal facteur déterminant d'un type de société. Il a noté les influences, sur elle, non seulement du milieu géographique, mais du milieu humain global dans lequel elle baigne. Il en a observé toutes les variétés régionales qui se sont trouvées sur sa route et a mis celles-ci en parallèle avec le type élémentaire qu'il avait au début rencontré à Saint-Justin. Il en a souligné les faiblesses et a proposé les conditions de leur amélioration en les comparant au type "particulariste" anglo-saxon, plus dynamique, plus inspirateur d'initiative, plus apte à favoriser la participation des individus aux responsabilités de la vie sociale.
C'est à partir de ces considérations que Gérin est passé à l'analyse de certains aspects plus généraux de la société canadienne-française, particulièrement de l'analphabétisme encore répandu à cette époque, et du retard de la vie intellectuelle dans les classes "instruites". Rien d'étonnant à ce que Gérin sociologue se doublât d'un pédagogue et d'un moraliste, tout au moins d'un réformateur. Comme, avant lui, P.J.O. Chauveau et le Dr Meilleur, comme Edmond de Nevers et quelques autres esprits alertes à cette époque, il se fit l'avocat d'une réforme immédiate et radicale du système d'enseignement. La stérilisante émigration rurale vers les villes et surtout vers les États-Unis, en particulier, ne pourrait être enrayée que si l'on donnait aux jeunes ruraux les connaissances techniques et économiques qui leur permettraient d'être des exploitants progressifs et de constituer des élites locales entreprenantes. Ces écrits apologétiques de Gérin ont le ton d'une conviction impérieuse et atteignent un lyrisme facilement explicable. Inutile d'ajouter qu'il voyait dans l'enseignement des sciences sociales un des grands instruments générateurs d'émancipation intellectuelle et de progrès à tous les échelons de la vie sociale.
Ses observations historiques et sociologiques se sont ainsi conjuguées pour l'inciter à proposer à ses compatriotes cinquante ans trop tôt pour eux, hélas comme principal moyen de libération, le bienfait de sa propre aventure intellectuelle.
[23]
LE SENS DE L'ŒUVRE
SOCIOLOGIQUE DE LÉON GÉRIN *
De Paris, le 26 mars 1886, Léon Gérin écrit à son frère : "Mon cher Henri J'ai acheté quelques ouvrages de LePlay. C'est un esprit très puissant, et sans vouloir endosser toutes les opinions qu'il émet, la méthode scientifique dont il a doté l'économie politique est admirable. Si tu t'en sens le goût, nous travaillerons à répandre sa doctrine au Canada. Plus de théories ! du positif, du positif !..." [32]. Ces mots décrivent une exaltante découverte ; ils expriment un enthousiasme ; ils formulent sans réticence une détermination pour l'avenir. Cette découverte, cet enthousiasme et cette détermination marqueront toute la vie et toute l'œuvre de Léon Gérin.
Pour comprendre ce qu'avait été jusqu'à 1886 et ce que fut par la suite son existence, il faudrait parcourir la volumineuse correspondance de Gérin qui est conservée aux Archives du Collège Sainte-Marie de Montréal et reconstituer ce qu'elle nous apprend de l'élève modèle au Séminaire de Nicolet ; du fils soucieux de répondre aux attentes de sa mère, de son père, de l'oncle curé ; du chercheur solitaire qui adressait à ses maîtres de Paris de longues épîtres admiratives et interrogatives. Il faudrait, en particulier, retracer les similitudes psychologiques et intellectuelles entre Léon et son père, Antoine Gérin-Lajoie, dont on sait qu'il n'a jamais été parfaitement heureux de sa condition de fonctionnaire : dans son roman Jean Rivard, c'est dans le terne personnage de l'avocat Charmenil qu'il a incarné les conditions de son existence réelle mais c'est par le héros colonisateur, Jean Rivard, qu'il a fait exprimer l'ardent lyrisme d'une vie qu'il aurait voulu vivre. Il faudrait enfin évoquer l'atmosphère intellectuelle, les dilemmes économiques et les luttes idéologiques du dernier tiers du XIXe siècle canadien-français afin de mieux déterminer en quoi Gérin a été marqué par son milieu et en quoi il lui est demeuré imperméable.
[24]
Ce cher monsieur Gérin... J'ai déjà dit [33] quelle importance avait eue, au début de ma carrière, ma rencontre avec cet accueillant aîné, soit à Claire-Fontaine, soit à son foyer d'Outremont. Il n'en croyait pas ses oreilles d'apprendre qu'on parlait de lui à Québec, dans la nouvelle Faculté des sciences sociales. Pas plus qu'il n'avait osé croire Edouard Montpetit lorsque celui-ci saluait en lui notre premier sociologue, le premier sociologue du Canada tout entier. Il serait, encore aujourd'hui, l'homme le plus étonné du monde d'apprendre que l'on ait songé à célébrer son anniversaire et que l'on fasse si grand état de son oeuvre. Celle-ci en effet est maintenant familière à tous les sociologues et à tous ceux qui se préoccupent de l'histoire des idées au Canada français. Elle a été rapprochée de nous récemment par l'analyse méthodique qu'en a faite le Père Carrier, s.j. [34] La meilleure façon d'honorer la mémoire de Gérin n'est-elle pas de relire son œuvre et de la situer dans la lumière qui lui donne sa vraie signification et tout son relief ?
- I. LE MODÈLE DE LEPLAY,
TOURVILLE ET DEMOLINS
Lorsque le jeune Gérin, au printemps de 1886, quitte ses maîtres de l'École de la science sociale, il reçoit l'injonction de Demolins : "Maintenant que vous êtes initié à nos méthodes, il va falloir que vous fassiez une étude sur votre pays... Vous allez écrire un livre qui étonnera vos compatriotes …" [35]
Quelles étaient ces méthodes dont parlait Demolins et que rapportait Gérin au Canada ? C'était d'abord une conception de la science sociale que les professeurs parisiens de Gérin, l'abbé Henri de Tourville et Edmond Demolins, avaient héritée de LePlay et qu'ils s'ingéniaient à diffuser par leur enseignement et par leur revue la Science sociale. L'École perpétuait le culte de LePlay. "LePlay, écrivait Demolins, le créateur de la Science sociale... le savant éminent, qui, le premier, a entrepris de faire entrer l'étude des sociétés humaines dans le cadre des sciences naturelles…" [36] ; "Au moment de la mort de LePlay, écrivait-il encore, [25] la Science sociale était en possession des deux instruments essentiels de toute science : une Méthode d'Analyse et une Classification" [37]. Ces deux instruments, la méthode monographique d'analyse de la famille et de ses moyens d'existence, et le schéma classificatoire des types de familles et de sociétés, les responsables de l'École avaient estimé nécessaire de les "rectifier" et de les "compléter". [38] C'est le résultat de leurs premières mises au point que rapportait Gérin, en particulier la fameuse Nomenclature de Tourville qui distribuait en vingt-cinq catégories les éléments constitutifs de toute société humaine.
Gérin rapportait cependant de Paris plus que des méthodes d'investigation. Il rapportait un "modèle" complet d'analyse sociologique qui devait conditionner l'ensemble de son œuvre. On comprendra mal les postulats, les limites et plusieurs conclusions des travaux de Gérin si on ne se réfère à ce modèle qui les éclaire et les soutient.
Les éléments de ce modèle, il faut à mon avis les retrouver en particulier dans deux œuvres fondamentales de ses maîtres : l'Histoire de la formation particulariste d'Henri de Tourville [39] et À quoi tient la supériorité des Anglo-Saxons d'Edmond Demolins [40]. Le premier de ces ouvrages parut d'abord en articles dans la Science sociale, de février 1897 à février 1903. Mais Tourville était engagé depuis plusieurs années dans ses recherches [41] et Gérin en avait sûrement connu le contenu et l'orientation, dès 1885-1886, par l'enseignement de son maître. Pour Gérin, comme pour tous les collaborateurs de la Science sociale, l'Histoire fut un credo dont il ne cessa de se réclamer, soit explicitement, soit implicitement, dans tous ses écrits. Quant à l'ouvrage de Demolins, daté de 1897, il avait été, lui aussi, d'abord publié en articles dans la Science sociale. Au moment où Gérin en prit la défense dans la Revue canadienne, en 1904, l'édition française était "rendue à son 25e mille" et il en avait été fait, note Gérin avec une glorieuse satisfaction, "des traductions en anglais, en allemand, en espagnol, en russe, en roumain, en polonais, en arabe et en japonais" [42]. Quelle est donc la substance de ces deux évangiles ?
[26]
Rappelons un axiome de la science sociale leplayenne : c'est que le fondement et l'élément déterminant de l'ensemble de la structure de toute société est la famille. Le type d'organisation familiale spécifie le type d'organisation sociale. Pour autant, la typologie des sociétés dérive de la typologie des familles. LePlay, on s'en souvient, avait ainsi classé toutes les sociétés humaines "en trois groupes fondamentaux, suivant le type de la famille : les Sociétés à famille patriarcale, les Sociétés à famille-souche, les Sociétés a famille instable " [43]. Mais des observations et des réflexions subséquentes des chercheurs de l'École de la Science sociale entraînèrent ceux-ci à corriger LePlay. C'est par inadvertance, prétendirent-ils, que LePlay avait confondu, sous le même nom de "famille-souche", deux types radicalement différents de familles. Le phénomène caractéristique par lequel LePlay avait identifié la famille-souche était la transmission intégrale des biens de famille à un seul enfant. Or, ce phénomène comporte plus qu'une seule explication. Il peut être le résultat de l'un ou l'autre de deux processus qui sont antithétiques l'un à l'autre.
Dans un cas, la famille patriarcale a été forcée par les conditions d'un sol plus pauvre de restreindre le nombre de ménages vivant sous un même toit. Elle a cessé de pouvoir les faire vivre tous ensemble sur un bien exigu. La communauté a été réduite à deux ménages : celui du père et celui d'un des fils devant succéder à celui-ci, les autres étant forcés soit de rester célibataires au foyer, soit de chercher un établissement au-dehors. La famille a été obligée, malgré elle, de ne faire qu'un seul héritier. Malgré cette réduction, le type a retenu tout ce qu'il a pu de la famille patriarcale. Il a conservé sa formation communautaire. L'aptitude caractéristique de cette famille consiste à pouvoir se perpétuer, en une ligne directe simple, au même foyer. Ses membres célibataires ou émigrants continuent à compter sur les ressources matérielles ou psychologiques de la communauté. Ils sont, en général, incapables de s'adonner à la création. Ils sont portés à se tourner "vers les métiers urbains, les travaux non-manuels, les situations dépendantes, les emplois administratifs, les fonctions publiques" [44]. S'il leur arrive de manifester de l'initiative, c'est par suite de nécessités et non de l'éducation familiale. "Ce qui subsiste de la communauté avec le plus de ténacité, ce sont précisément les tendances éducatrices" [45] et cette éducation demeure "traditionnelle, disciplinaire, compressive, autoritaire" [46]. Ce type de famille est donc apparu à la suite d'une réduction de la famille patriarcale. Pour cette raison, l'École, qui a vu en lui un type de "fausse" famille-souche, a proposé de [27] l'appeler plus justement famille quasi-patriarcale ou communautaire.
Le second cas est l'inverse de celui-ci. À une époque donnée, il s'est produit une transformation radicale dans la famille d'origine patriarcale. Par suite de conditions géographiques jusque-là inédites dans l'histoire, les chefs de famille ont du s'adonner à une forme nouvelle, individuelle, de travail. Les conditions et les modes d'existence ont stimulé l'esprit d'entreprise. La famille favorise chez ses membres l'entraînement à l'initiative, "une initiative de fond, toute personnelle, capable de prendre tout son mouvement d'elle-même" [47]. Les membres de cette famille auront l'aptitude à "se créer, en simple ménage, un domaine indépendant, isolé, en pays neuf" [48]. Les enfants seront même empressés, sûrement heureux, de s'éloigner du foyer paternel pour tenter fortune en pays étranger. Dans de telles circonstances, le père reste sans successeur spécial parmi ses enfants. Menacé de demeurer seul, il s'efforcera d'en retenir un auprès de lui et de se l'associer. Le mode de succession, ici, n'est pas, contrairement à ce qu'avait cru LePlay, une cause mais une conséquence. C'est par suite d'une surabondance d'initiative chez ses enfants que le père doit lui-même s'ingénier à en trouver au moins un qui sera l'associé de son entreprise. Ce dernier type de famille "qui a seul la puissance de disposer ainsi chacun de ses rejetons à reprendre, individuellement, racine dans le sol" [49], est bien celui auquel convient formellement le nom de famille-souche. Mais l'École propose de l'appeler "particulariste". Et cela, à double titre, car cette famille "a, dès l'origine, tellement établi les conditions d'indépendance et d'initiative de chaque ménage isolé, que la particularité y domine invinciblement et que la vie publique s'est trouvée subordonnée à la vie privée, l'État au particulier" [50].
En conséquence, ce qui fonde dorénavant la distinction entre les types de familles, ce n'est pas tant le mode de transmission patrimoniale que le mode d'éducation familiale, l'un communautaire et disciplinaire, l'autre individualiste et progressif. On se trouve amené à distinguer quatre grands types de familles au lieu de trois : la famille patriarcale, la famille quasi-patriarcale ou communautaire (fausse famille-souche), la famille particulariste (famille-souche proprement dite), la famille instable. Cette typologie est spécifiée par deux pôles : à une extrémité, la famille patriarcale, à laquelle se rattache le type quasi-patriarcal ou communautaire ; à l'autre extrémité, la famille particulariste, qui correspond vraiment à celle que LePlay voulait proposer comme la [28] "famille modèle" [51]. Parallèlement, il existe deux grands types de sociétés : les sociétés à formation patriarcale ou communautaire ; les sociétés à formation particulariste.
C'est à une analyse de l'apparition historique de la famille de type particulariste que Tourville a consacré ses recherches. Son ouvrage est une vaste fresque de l'évolution de l'humanité et porte d'ailleurs en sous-titre : L'origine des grands peuples actuels. Sa thèse, en bref, est la suivante. "Le plus grand changement qu'ait connu le monde dans l'ordre naturel de la société (a été) la transformation de la famille patriarcale en famille particulariste" [52]. Le lieu géographique de cette transformation fut le versant occidental de la Scandinavie. Ce versant, à partir des contreforts des monts Lang-Fielde, au sud, jusqu'au plateau de Trondheim et, du nord de ce plateau, jusqu'à l'extrême nord, présente "une constitution physique absolument unique au monde" [53]. C'est le pays des fjords escarpés dont trois dispositions essentielles ont agi sur ses premiers occupants : "les terres cultivables, étroites et disséminées ; les rivages à pic, favorables à l'approche du poisson ; les eaux abritées, favorables à la navigation en barque" [54]. Un pays de cette nature n'avait pu être habité "par aucune des deux espèces de sociétés qui ont primitivement peuplé l'Europe : la société compacte des vrais patriarcaux et la société désorganisée des chasseurs" [55]. Il ne pouvait être habité que par des hommes "issus de familles où le régime patriarcal avait été fortement diminué, non par la décadence, mais par le progrès. Il fallait que ces hommes, sortis de la communauté avec des vues d'énergie et non de paresse, eussent été rompus au travail de la culture tenace et créatrice …" [56] Or, c'est ce qu'étaient capables de faire et qu'ont fait les premiers immigrants du versant occidental qui avaient été, en quelque sorte, entraînés par les terres fertiles du versant oriental de la Scandinavie. Ces premiers immigrants furent les Goths, descendants de la peuplade germanique qui était "sortie des grandes steppes des bords de la Caspienne" et qui était "passée lentement de l'art pastoral à la culture et d'une culture rudimentaire à une culture riche, sous la contrainte progressive de leur longue migration à travers la plaine de la basse Allemagne" [57].
Tourville décrit minutieusement les étapes de cette silencieuse révolution gothique. "La forme sociale que (les) immigrants goths du versant occidental... apportaient avec eux de l'autre versant était celle de paysans cultivateurs progressistes, en famille [29] de type patriarcal déjà très réduit. La transformation qu'ils subirent, dans les fjords escarpés de la Norvège, fut une rupture complète avec le régime de la communauté." [58] Les conditions géographiques d'exploitation agricole et maritime et les conditions technologiques de la pêche côtière étaient telles que les établissements norvégiens "ne pouvaient ni s'étendre au-delà des besoins d'un simple ménage... ni se partager utilement entre des héritiers dispersés…" [59] "(Le père) suffit rigoureusement au travail de la barque, et, avec sa femme, à la culture de son champ... (Ses) fils sont naturellement portés à s'établir au dehors... Tous sortent ainsi du foyer paternel, préparés de bonne heure à se créer un domaine cultivable." [60] Conséquemment, l'héritage devient un contrat particulier entre le père désireux d'avoir un associé et l'un de ses enfants mariés, intéressé à une telle convention. "Tout ceci, le lieu agricole le nécessitait ; l'esprit d'indépendance et la capacité des immigrants... les y prédisposaient." [61] Ce qui rendit ce système possible, ce furent trois moyens spécifiques d'existence "procédant du lieu maritime : 1° un moyen de transport individuel, la petite barque ; 2° un atelier de pêche individuel ; 3° un instrument de pêche individuel" [62]. Le paysan de Scandinavie occidentale est devenu pêcheur-paysan en famille particulariste. La famille est passée "d'une constitution fondée sur l'association des personnes à une constitution fondée sur la capacité individuelle de se créer un domaine" [63]. L'indépendance réciproque s'est introduite "de toute part, dans les esprits et dans les actes, au sein même de la famille" [64]. Tourville décrit le régime de société qui découle de cette organisation particulariste de la famille. Une conséquence, affirme-t-il, est particulièrement manifeste : "La vie publique est éliminée. C'est le triomphe absolu de la vie privée, se suffisant seule. [65] L'institution qui va grandir à la place de la communauté et de la vie publique disparues est "le petit domaine à transmission intégrale" [66]. "Quiconque, ajoute Tourville, a une fois bien compris que le régime particulariste est un système d'indépendance fondé sur les choses, à savoir : au point de départ, sur la pêche côtière ; au point d'arrivée, sur le domaine à transmission intégrale, et sur la facilité d'arriver à l'acquérir ; quiconque, dis-je, a bien compris cela, tient dans cette formule l'explication de l'histoire, des institutions, de la manière d'agir et de penser des races particularistes. Il n'y a pas un trait essentiel [30] de leur existence qui ne se réfère à cette condition fondamentale." [67]
Tourville consacre la suite de son brillant exposé à porter, selon son expression, la famille particulariste Scandinave "sur d'autres lieux... où elle (a trouvé) d'autres arts nourriciers et d'autres moyens de transport" [68]. Il retrace l'évolution du type de formation sociale particulariste tout au long de l'histoire, particulièrement chez les Saxons qui ont prédominé en Grande-Bretagne et dans les États-Unis de l'ère moderne, "où nous voyons... les Anglais recommencer ce qu'ils avaient fait en prenant possession du sol de Grande-Bretagne au Ve et au VIe siècle" [69]. Sa thèse historico-sociale se résume dans une conclusion catégorique : "Deux points sont acquis par tout ce qu'on sait du passé et par tout ce qu'on connaît dans l'étendue du monde : d'une part, l'émigration gothique n'a produit (qu'en Scandinavie) la formation particulariste ; et, d'autre part, entre toutes les populations particularistes répandues aujourd'hui jusqu'aux antipodes, il ne s'en trouve pas une qui ne remonte, par ses origines, à la Scandinavie occidentale." [70]
"Ce que les Anglais ont fait sur le sol de Grande-Bretagne" et, plus particulièrement, pourquoi le type saxon a graduellement imprimé sa marque décisive sur la société et sur la mentalité anglaises, c'est ce que Demolins, pour sa part, expose dans À quoi tient la supériorité des Anglo-Saxons. Cet ouvrage découpe, pour l'approfondir, un épisode privilégié du "grand drame historique si mouvementé" [71] dont Henri de Tourville avait brossé le tableau général. Si l'Angleterre, affirme Demolins, se distingue actuellement des peuples du continent par sa supériorité sociale, "c'est qu'elle a réussi à s'affranchir de plus en plus et de l'influence celtique et de l'influence normande" [72]. "Toute l'histoire de l'Angleterre est dominée et expliquée par la lente et incessante ascension du Saxon à travers l'épaisse carapace celtique et normande." [73] Or, 1'Anglo-Saxon appartient à la formation particulariste, "ainsi nommée parce que... elle fait prédominer le particulier sur la communauté, la vie privée sur la vie publique et, par voie de conséquence, les professions usuelles sur les professions libérales et administratives" [74]. Il cherche à prouver que les Saxons "par la seule puissance de la vie privée" [75], sont devenus les plus forts [31] en Angleterre ; qu'ils ont été les artisans du self government ; qu'ils ont été une preuve vivante de "la supériorité indéniable de la puissance sociale sur la puissance politique" [76]. Il compare 1'Anglo-Saxon et le Français et il centre son argumentation sur l'analyse du mode d'éducation familiale et scolaire dans chacune des deux sociétés.
"Chaque type de société, écrit Demolins, a une influence directe sur le mode d'éducation et il crée le régime scolaire qui lui est adapté." [77] Ainsi, dans les sociétés de type communautaire (où se sont attardées la plupart des populations de l'Asie et de l'Orient de l'Europe), "les enfants ne comptent pas sur eux-mêmes pour s'établir mais sur leur communauté familiale... qui pourvoira à leurs besoins ou qui les recueillera s'ils échouent dans la vie" [78]. Dans ces sociétés, on sent peu le besoin d'une instruction personnelle : la famille, parfois avec le concours d'un ministre du culte, suffit à instruire. Ces sociétés représentent le type de l'éducation dans la famille et par la famille. [79] Dans les sociétés à formation communautaire d'État (auxquelles se rattachent la plupart des peuples de l'Occident de l'Europe, notamment la France et l'Allemagne), "c'est... sur l'État, sur les places nombreuses dont il dispose, dans les administrations et dans l'armée, que compte surtout la jeunesse pour s'établir" [80]. La nécessité des examens et des concours d'entrée impose un système qui domine tout l'enseignement, celui du "chauffage", du surmenage scolaire. Il s'agit avant tout de préparer des candidats en état d'affronter les hasards de l'examen. Le type d'école qui se développe en vue de ce système est le "grand internat". Par contre, les sociétés à formation particulariste (dont les peuples scandinave et anglo-saxon "fournissent le spécimen le plus pur" [81]) donnent naissance à un type d'école bien différent. Dans ces sociétés, l'individu ne compte, pour s'établir, ni sur la communauté de famille qui est dissoute, ni sur l'État : "Il ne compte que sur lui-même, sur son initiative, sur son énergie nécessaire pour réussir dans une profession indépendante"." [82] Tout l'enseignement doit tendre à former ces aptitudes-là. L'école doit être aussi rapprochée que possible des conditions mêmes de la vie. Le type qui répond le mieux à cette nécessité est la "petite école" avec un nombre restreint d'élèves : externat urbain ou internat rural.
Dans les deux derniers chapitres qui portent sur les conditions du bonheur social et sur la nécessité d'une réforme en éducation, [32] Demolins réaffirme que la même formation particulariste "qui donne la supériorité dans le monde, est, en même temps, celle qui incline l'homme vers la plus grande somme de bonheur…" [83] Si les jeunes Anglais, si les jeunes Américains, sont orientés vers la lutte pour la vie, vers l'action personnelle, vers la marche en avant, c'est parce que leur formation sociale, par la famille, par l'école, par tout le milieu social, les a entraînés à l'énergie, à l'initiative, à la ténacité. [84] Ce n'est pas suffisant d'ambitionner d'imiter le type anglais d'école : c'est toute une formation sociale qu'il faut modifier ; c'est avant toute chose, "un milieu social qu'il faut modifier dans le sens du développement de l'initiative individuelle." [85]
De ces deux ouvrages, il est facile, de dégager des thèmes dominants et les liens qui les rattachent. Ces thèmes et ces liens constituent les éléments essentiels du modèle général d'analyse de l'École de la Science sociale.
En toute première place vient le Lieu, c'est-à-dire le milieu géographique, qui est le facteur déterminant principal des activités humaines élémentaires. Ces activités constituent elles-mêmes un second ensemble de facteurs décisifs. En effet, la technologie et l'économie, les conditions et les modes d'existence, les modes de propriété et de transmission des biens matériels, conditionnent à leur tour les modalités des structures sociales. La plus importante de ces structures est la famille. Du type d'organisation familiale et, conséquemment, de l'ampleur qu'elle se donne, de la façon dont elle identifie ses membres, de l'héritage matériel et intellectuel qu'elle transmet à ceux-ci, de la vie et de la mentalité qu'elle leur communique, dépendront le nombre et la complexité des autres formes de groupements humains et, en dernière analyse, le mode d'organisation et la mentalité de l'ensemble de la société. En contraste avec la famille patriarcale et quasi-patriarcale ou communautaire, le type de famille le plus évolué est celui de la famille particulariste qui développe chez ses membres l'esprit d'entreprise et d'initiative. Conséquemment, le type par excellence de société est la société à formation particulariste dont les spécimens exemplaires sont les sociétés scandinave, anglaise et américaine. Le progrès a consisté en une évolution vers ce type et l'objectif de toute réforme sociale doit être de tendre à le réaliser en stimulant, par l'intermédiaire de toutes les ressources éducatives d'une société donnée, la formation d'individus aptes à l'initiative et à la responsabilité personnelles.
Ce sont ces prémisses qui servent de points d'appui indiscutés aux recherches et aux réflexions de Léon Gérin.
[33]
- II. LES CHAMPS D'INVESTIGATION
L'expression "se mettre à l'œuvre" prend, dans l'histoire intellectuelle de Léon Gérin, son sens complet. Il a découvert à Paris une nouvelle vision et une méthode d'analyse du monde social. Il s'est initié, durant quelques brefs mois, à la science sociale que professaient Tourville et Demolins. Dès son retour au Canada, à compter du printemps de 1886, il s'en fera l'annonciateur zélé. Il se mettra à l'œuvre de la science sociale comme un missionnaire, comme un artisan consciencieux, comme un précurseur dans son propre milieu. Sa vie durant, il y consacrera tout le temps que lui laisse sa vie professionnelle et familiale. Plusieurs de ses écrits traiteront de méthode. Ils constituent à la fois la poursuite d'un dialogue avec les collaborateurs assidus de la Science sociale et une prédication à l'intention de ses compatriotes à qui il ne peut se retenir d'apprendre la bonne nouvelle. [86] On y retrouve l'exposé minutieux et facilement lyrique de l'enseignement de ses maîtres et un incessant plaidoyer en faveur de l'étude scientifique de la société canadienne-française. Ces écrits qui parurent surtout de 1905 à 1914 ne furent cependant pas la première préoccupation de Gérin. La tâche qui le sollicita d'abord fut l'observation directe, scientifique, de sa société. Aussitôt rentré au pays, à l'été de 1886, il prend la route de Saint-Justin pour entreprendre sa première monographie rurale. Ses premières œuvres, ce sont la "Monographie du Canada" que publie la Science sociale de 1891 a 1894 [87] ; c'est un mémoire sur "Le gentilhomme français et la colonisation du Canada" qu'il présente à la Société royale du Canada en mai 1893 [88] ; c'est le fameux mémoire sur "L'habitant de Saint-Justin" qui est lu, aussi à la Société royale, en juin 1897 [89] ; c'est [34] sa longue étude sur "La loi naturelle du développement de l'instruction populaire", qui paraît dans la Science sociale en trois tranches, de juin 1897 à juin 1898 [90].
L'examen de ces monographies sociologiques originales nous révèle quel usage personnel, total ou partiel, Gérin a fait du modèle d'analyse que lui proposait l'École. On peut grouper les sujets et les préoccupations de ces monographies sous cinq chefs caractéristiques : (1) l'évolution historique et les traits dominants de la société canadienne-française ; (2) les types d'organisation et de mentalité des familles rurales canadiennes ; (3) l'éducation et l'enseignement dans notre milieu ; (4) les transformations contemporaines de la société canadienne-française ; (5) les conditions et l'objectif du progrès social du peuple canadien-français.
- 1. Évolution historique et traits dominants
de la société canadienne-française
L'une des toutes premières ambitions de Gérin fut de repenser sociologiquement l'histoire du Canada français. Evoquer les conditions et les modalités de la colonisation française en Nouvelle-France fut sa façon de commencer à écrire "le livre" que lui avait commandé Demolins. Dans une lettre qu'il adressait à celui-ci, le 26 octobre 1896, en lui envoyant le premier chapitre de sa "Monographie du Canada", il écrivait : "Cette étude sur le Canada devra surtout intéresser les Canadiens. Je suppose donc mon lecteur étranger à la science sociale et je lui pose des jalons jusqu'au plateau central d'Asie, point initial de l'étude des sociétés. De la sorte, il peut facilement, en s'aidant des travaux publiés dans la Revue retrouver son chemin ... Il ne suffit pas d'être complet ; il faut encore que je sois précis. C'est pourquoi j'ai eu recours à ce parallèle constant entre la France et l'Angleterre, qui me permet de me faire bien comprendre sans être trop didactique…" [91] Ce chapitre ne fut pas publié par la revue mais il témoigne du grand souci qu'avait Gérin, entre autres, de demeurer fidèle à la méthode de ses maîtres. Il utilisa cependant une partie de ce chapitre dans deux études subséquentes qu'il publia respectivement en 1914 et en 1915 [92]. Il y décrit une société française qui, encore au XVIIe siècle, ne s'est transformée qu'à demi à partir de la masse gallo-romaine et a conservé beaucoup de traits communautaires et instables, à l'inverse de l'Angleterre où domine le particularisme [35] saxon [93]. L'initiative s'y donne carrière surtout dans l'ordre militaire et administratif [94] ; sa classe dirigeante "a renoncé à la direction des arts usuels" et "applique... son énergie... à l'exercice des charges de l'État comme à la recherche des plaisirs de la Cour" [95]. Sa classe de paysans, "repliée sur elle-même, ne cherche pas à s'élever, et dès lors, n'exerce aucun contrôle effectif sur sa classe dirigeante" [96].
Or, la Nouvelle-France "fut à beaucoup d'égards, un duplicata de l'Ancienne" [97]. L'histoire sociale que nous présentent la "Monographie" et les essais historiques postérieurs de Gérin est celle d'une dialectique entre "cinq grandes classes de groupements colonisateurs qui, séparément ou en combinaison, ont participé à cette œuvre : le pouvoir royal, les gentilshommes, les marchands, le clergé et l'habitant" [98]. Le milieu physique et social de la Nouvelle-France était "susceptible de donner de bons rendements à la culture, à l'industrie et au grand commerce, mais à la condition d'un travail opiniâtre et éclairé et d'une forte mise de fonds" [99]. Mais elle ne connut à proprement parler qu'un seul moyen d'existence : la traite des fourrures, laquelle "se rapprochait singulièrement des travaux faciles et précaires de simple récolte" [100]. Cette grande production spontanée fut la ressource directe ou indirecte de toutes les classes de la colonie. [101] Tout en étendant démesurément les frontières de celle-ci, elle retarda le défrichement des terres, contrecarra la croissance de la population et maintint le pays dans un état de guerre perpétuelle. [102] Le seigneur canadien ne sut pas ou ne voulut pas jouer le rôle de "patron agricole". Les gentilshommes vinrent en Nouvelle-France non pas comme colonisateurs mais comme officiers et fonctionnaires. "Je n'aurai point de difficulté, écrivait encore Gérin dans la même lettre à Demolins, à démontrer, histoire en main, que la lenteur du développement de la colonie française en regard des progrès étonnants de la Nouvelle-Angleterre, n'a pas d'autre cause que l'absence chez nous de chefs naturels…" [103] Un fait curieux [36] quoique peu remarqué, note-t-il encore, est qu’"en même temps que se concentrait aux mains des gentilshommes canadiens la direction du commerce des fourrures, le rouage administratif prenait forme dans la colonie, et tous deux, commerce des fourrures, rouage gouvernemental, se développèrent simultanément en s'appuyant l'un sur l'autre". [104]
Le plus important des deux rouages de la colonisation fut l'habitant. Gérin lui consacre les quatre derniers des dix chapitres de la "Monographie". Ces chapitres, on le sait, présentent le premier compte rendu des faits observés par Gérin, depuis 1886, dans la famille de l'habitant Casaubon de Saint-Justin. Comment expliquer cette interpolation du contemporain dans le passé ? Gérin nous en donne la clef dans le premier de ces quatre chapitres [105]. Il part du fait, à son avis incontestable, que l'élément dominant de la société canadienne a été le colon venu de France. Ces colons "se sont maintenus par leurs seules forces, sans assistance de l'État ou de la classe dirigeante " [106]. La question se pose donc : "Où ces habitants ont-ils puisé leur caractère agricole et leur force de résistance ?" [107] Remontant aux origines, il trouve la réponse dans les caractères sociaux d'un groupe des débuts de la colonie qui "se distingue nettement des autres par la supériorité de son influence et la vigueur de son expansion" [108]. C'est le groupe du Perche. Il faudrait reprendre par le détail l'illustration que fait Gérin de cette hypothèse fameuse et trop peu connue et dont il emprunte les données européennes aux observations consignées par un disciple de LePlay, de Reviers, dans une Monographie du Perche-Gouët [109]. C'est dans le Perche, partie de la région du nord de la France où s'est fait sentir le plus fortement l'influence particulariste franque ou saxonne, que se trouvait "le type le mieux trempé du paysan français, possesseur du domaine plein" [110]. Le Perche, pays d'élevage et de culture, "renfermait une population de paysans vigoureux, à mœurs frugales et simples, à familles nombreuses, imprégnés de traditions rurales, regardant la possession d'un petit domaine indépendant comme un grand but de l'existence, cherchant, en dépit des conditions défavorables de leur pays, à se maintenir tous dans la culture, recourant, dans ce but, à l'exercice de diverses industries secondaires, et très disposés, dans le même but, à émigrer" [111]. Cette province minuscule a [37] fourni au Canada une proportion beaucoup plus forte d'émigrants que toute autre région de la France. La formation sociale des Percherons les rendait aussi les plus aptes à réussir en notre pays. [112] "Ils furent les premiers à se fixer en masse au sol par la culture." [113] Ils furent aussi les premiers à constituer leurs familles. [114] Aussi bien, d'autres colons venus de régions semblables à celle du Perche apportèrent avec eux "la notion du domaine plein et une aptitude remarquable à s'y élever par les défrichements en sol forestier et l'exercice de métiers accessoires" [115]. C'est cette élite rurale qui marqua le plus profondément de son empreinte la colonie française du Canada. Et voici la conclusion de Gérin : "Une solide communauté familiale, un voisinage étroitement uni, une paroisse fortement liée, tels étaient les trois organismes à l'aide desquels se développait la société canadienne. Tout le reste était secondaire, artificiel, exotique, et l'habitant n'y avait point part. L'on s'en aperçut bien à la conquête, quand l'échafaudage administratif disparut sans ébranler en rien la stabilité de l'édifice." [116]
Si Gérin laisse sa curiosité s'absorber surtout dans le régime français, il a cependant prolongé son interrogation sur les premières phases du régime anglais de l'histoire canadienne. Un chapitre de la "Monographie du Canada" décrit les efforts et les procédés de 1'"initiative anglaise" en vue de la colonisation du Canada après la conquête de 1760. En 1914, Gérin publie, à l'intention de lecteurs européens, un curieux "compte rendu" de la cinquième édition de l'Histoire du Canada de F.-X. Garneau par Hector Garneau sous un titre équivoque, "L'intérêt sociologique de l'œuvre de Garneau" [117]. L'année suivante, il publie de nouveau le même texte, en le condensant et en le remaniant, dans la Revue trimestrielle canadienne , sous un titre modifié, "L'intérêt sociologique de notre histoire au lendemain de la conquête" [118]. Dans chacun de ces essais, après avoir récapitulé les traits des principaux protagonistes de la vie sociale en Nouvelle-France, il décrit la dialectique dynamique entre les trois groupes sociaux en contact et en conflit dans le Canada d'après 1763 : la société franco-canadienne, les chefs militaires anglais, les marchands américains qui vinrent à la suite de ceux-ci "s'abattre sur la colonie". Il note l'apparition dans la société canadienne-française des négociants et des membres des professions libérales, une classe nouvelle qui "sera désormais sur le pavois. C'est en se rattachant à elle, et par elle à la politique [38] et au pouvoir, que les derniers descendants de la gentilhommerie conserveront quelque prestige." [119] Malgré les luttes politiques et ethniques, il s'est trouvé, au sein tant de l'élément anglais que de l'élément français, des hommes "assez courageux et persévérants" pour dominer et dénouer la situation et "faire accepter la seule solution pacifique possible". C'est à eux que nous devons l'instauration en notre pays "d'une grande institution politique des temps modernes : le gouvernement autonome des colonies" [120].
Ces deux essais jumeaux représentent la seule incursion de Gérin dans l'histoire de notre XIXe siècle. Ses écrits historiques subséquents reprendront les thèmes déjà abordés dans la "Monographie", dont son livre Aux sources de notre histoire [121] sera une condensation à l'usage du grand public.
- 2. Types d'organisation et de mentalité
des familles rurales
C'est l'importance primordiale accordée par Gérin à l'habitant "la clef de voûte du Canada moderne" [122] qui l'a incité à reconsidérer l'histoire canadienne. Aussi bien, c'est le souci de comprendre à fond la famille rurale canadienne-française qui dominera sa vie de chercheur. Ses quatre monographies de familles sont et demeureront elles-mêmes la "clef de voûte" de son œuvre et il les a heureusement résumées sous une forme élégante dans le Type économique et social des Canadiens [123]. Rappelons la chronologie de ces quatre enquêtes : (1) celle de Saint-Justin, entreprise dès 1886 [124] ; (2) l'enquête sur le cultivateur de Saint-Dominique, dans le comté de Bagot, entreprise en 1887 [125] ; (3) celle du "colon émigrant" de L'Ange-Gardien dans le comté de Rouville, qui est de 1903 [126] : enfin, (4) la monographie du "paysan de Saint-Irénée", dans le comté de Charlevoix, exécutée en 1920 et en 1929 [127].
[39]
La monographie de l'habitant de Saint-Justin procède rigoureusement selon les directives, les titres et les sous-titres de la Nomenclature de Tourville. Gérin s'attarde à la topologie du village de Saint-Justin, sur la terrasse laurentienne, qu'il compare à Maskinongé, dans la plaine basse, et à Saint-Didace, dans la montagne. Il observe deux familles, une famille Gagnon et la famille Casaubon. Sa curiosité est aiguisée vers un phénomène capital : le rapport entre, d'une part, les conditions d'exploitation et la grandeur de la terre possédée et, d'autre part, l'organisation familiale en d'autres termes, entre ce que la famille fait pour ses membres, dans l'espace et le temps, et ce que les enfants font pour la famille ou ce qu'ils en attendent. Chez ces deux familles, Gérin note le résultat identique de deux processus inverses : le "domaine plein paraît être la limite extrême du développement stable de la propriété" [128]. Devant tous les faits qu'il recueille, Gérin se demande à quel type appartient la famille canadienne. Elle n'est pas patriarcale, ni instable. Par ailleurs, "elle développe trop chez ses membres la tendance à s'appuyer sur les autres, elle ne développe pas assez en eux l'initiative individuelle, pour qu'il soit possible de la classer avec la particulariste " [129]. Elle ne peut se rattacher qu'au type que l'École a appelé quasi-patriarcal, un type demeuré communautaire.
Quant aux trois autres variétés de familles qui ont fait l'objet de monographies, Gérald Fortin a fort bien montré [130] combien Gérin avait été sensible autant aux différences qu'aux similitudes qu'elles présentaient avec la famille Casaubon de Saint-Justin. A Saint-Dominique, "on a brisé avec la tradition pour s'orienter vers le progrès" [131] :il y a "un début de séparation entre l'atelier et la famille, une plus grande indépendance des membres de la famille les uns vis-à-vis les autres, un changement d'attitude à l'égard de la transmission du bien, un désir plus grand de faire "instruire" les enfants " [132]. Par contre, les familles d'émigrants déracinés, de plus en plus nombreuses à la fin du XIXe siècle, tout en restant attachées à la terre, sont incapables d'y prospérer et font "la navette entre l'usine et l'agriculture" [133]. Dans un milieu comme celui de Saint-Irénée où l'action exogène de la vie commerciale se fait sentir de façon dissolvante, "une partie notable de la population se trouve assez ébranlée et instabilisée " [134]. Ainsi, [40] dès le début de sa carrière de sociologue, Gérin a identifié la nature du groupement fondamental de la société canadienne-française. Tous ses commentaires ultérieurs sur l'ensemble de cette société dériveront de cette identification et de ce diagnostic.
- 3. Éducation et enseignement
Ainsi en est-il, particulièrement, de ses vues touchant notre système d'enseignement et la conception canadienne-française de l'éducation.
Dans une longue étude qu'il publie dans la Science sociale en 1897-1898, sous le titre "La loi naturelle du développement de l'instruction populaire " [135], Gérin analyse le degré d'instruction de l'ensemble de la population canadienne en utilisant les données du recensement de 1891. Il constate que les "Saxons" canadiens, i.e. les Anglais, les Ecossais venus des Lowlands et les Irlandais de l'Ulster, "sont plus scolarisés que tous les autres groupes" et il rattache ce phénomène à leur "formation particulariste... qui (les) porte à compter sur eux-mêmes et à s'élever dans les arts usuels" [136]. Au contraire, "la formation communautaire limite, chez les Franco-Canadiens, l'aptitude à s'élever et les retient aux degrés inférieurs des arts usuels" [137]. Elle les empêche aussi de s'intéresser activement à leurs services scolaires locaux et elle produit des classes dirigeantes détachées des arts usuels. [138] Gérin conclut qu'il faut créer une nouvelle "classe dirigeante dans les arts usuels" [139] et que, dans ce but, il faut en arriver à former des travailleurs "mieux dressés au travail, à l'effort calculé, plus désireux d'améliorer leur condition" [140]. On n'y parviendra que par un moyen, et le lecteur devine qu'il va réentendre un leitmotiv de Demolins : diffuser l'esprit d'initiative.
Dès 1892, Gérin avait fait de ce thème l'argument central d'une double série d'articles sur l'éducation publiés dans le journal la Minerve [141]. Il le reprendra avec véhémence, en 1904, dans son [41] apologie du livre de Demolins À quoi tient la supériorité des Anglo-Saxons et plus tard, en 1924, dans une étude prospective dans laquelle il veut établir Comment se maintiendra le groupe canadien-français [142]. Le texte où ce thème résonne de la façon la plus percutante, étant donné le contexte dans lequel il est présenté, est celui d'une réponse qu'adressait Gérin, dès 1901, à une enquête menée par l'hebdomadaire le Monde illustré sur la question "Qu'adviendra-t-il de la race canadienne-française en ce XXe siècle... ?" [143] Gérin répond que oui, "la race canadienne-française se maintiendra en ce XXe siècle", mais il y met deux conditions. La plus importante est "qu'on ne tarde pas trop à opérer la réforme de l'éducation... Il nous manque, précise-t-il, un facteur essentiel d'organisation et de progrès : une classe de grands chefs d'industrie, d'initiateurs de grandes entreprises dans la culture, la fabrication, le transport et le commerce... Ce type social supérieur, ce ne sont pas les collèges classiques, ni même les écoles de commerce et les écoles spéciales qui le produiront dans le cours ordinaire des choses. C'est l'école commune, la "petite" école, qui le fera surgir à chaque génération du sein de la classe populaire. Mais une école commune autre que celle d'aujourd'hui : une école où l'on s'appliquera à développer l'esprit d'observation, l'intelligence des phénomènes usuels de la vie et la grande faculté morale de l'initiative…" [144]
- 4. Transformations contemporaines
Nous voici imperceptiblement parvenus au centre de la conception que se fait Gérin du progrès social. Mais avant d'explorer cette conception, arrêtons-nous à ce qu'il a noté des changements survenus dans la société canadienne-française durant les années qui vont de 1890 à environ 1930. Ces changements, il semble que Gérin les ait perçus à travers un brouillard, avec appréhension, avec un certain malaise mêlé d'ennui. Il a vu, dans la société canadienne-française, l'influence "profondément perturbatrice d'un double phénomène mondial... les effets de l'évolution industrielle et commerciale du machinisme, en même temps que s'opérait par terre et par mer l'expansion de ce qu'Henri de Tourville a nommé le particularisme, et qui consiste en un accroissement et en une diffusion de l'activité et de la responsabilité personnelles à travers tout le corps social " [145]. Cette ère du machinisme et du particularisme [42] provoqua un exode massif des campagnards vers les centres manufacturiers de la Nouvelle-Angleterre ou les centres miniers de l'Ouest, une déperdition des mœurs communautaires. [146]
En 1905, Gérin écrit encore ce qui suit : "Il y a quelque cinquante ou soixante ans, il s'est produit dans notre vie sociale une crise qui dure encore, qui atteint même aujourd'hui le point aigu. Jusque là, les conditions de notre existence sociale et politique avaient été très simples... Mais l'évolution commerciale et politique, jointe à l'expansion de la race anglo-saxonne dans le monde, est venue changer tout cela ; et les Canadiens français, du jour au lendemain, se sont trouvés engagés dans un mouvement de complication sociale et politique qui s'est beaucoup accéléré ces années dernières... Mais ce n'est pas tout : la différence de langue, de croyances, et plus que tout le reste peut-être, la différence de formation sociale, nous tiennent à l'écart des Canadiens anglais... Au sein de la complication croissante de l'ordre social, (la masse de notre population) conserve le mode d'éducation, les aspirations modestes et l'organisation simpliste qui lui ont suffi dans les anciens jours... De là le désarroi dans les idées courantes…" [147]
Une dizaine d'années plus tard, en 1913, dans son témoignage nécrologique sur Errol Bouchette, Gérin dépeint dans les termes suivants la société canadienne-française des années 1885 soit exactement l'époque à laquelle lui-même, Gérin, a débuté comme chercheur social : "Au moment... où (Bouchette) se voit chargé des pleines responsabilités de la vie, il a sous les yeux une société qui présente de frappants contrastes : primitifs en contact avec des civilisés, communautaires subissant la poussée des particularistes, campagnards engourdis dans leur isolement, tandis que les centres urbains retentissent déjà des progrès nouveaux du commerce et de l'industrie, du développement des moyens de transport ; en attendant que demain le flot de l'immigration se tourne vers nos bords, que la mise en exploitation des ressources naturelles, que la concurrence entre groupes et entre races, bref que la grande mêlée sociale prennent une allure quasi vertigineuse…" [148] Aux yeux du Gérin des années 1905 et 1915, les changements sociaux de la deuxième moitié du XIXe siècle s'expriment donc par les termes de "complication sociale" et de "mêlée sociale". En 1901, déjà, il semblait décontenancé par l'industrialisation naissante. Ecoutons quelques autres de ses réflexions dans sa réponse à l'enquête du Monde illustré que nous avons déjà citée : "Il était admis qu'Ontario et Québec ne seraient jamais des centres de grande fabrication, parce que ni l'une ni l'autre de ces provinces ne renferme de bassins houillers. Mais par suite des progrès de [43] la science, l'électricité est devenue la rivale de la vapeur, l'électricité engendrée par des moteurs hydrauliques ; et voilà la province de Québec qui entre dans une ère de transformation. Voilà, notamment, ce tranquille diocèse de Trois-Rivières menacé de devenir un foyer d'industrie. Peut-on dire où ce mouvement aboutira, quand il s'arrêtera ?" [149]
- 5. Conditions et objectifs
du progrès du peuple canadien
Pour contrecarrer ces inquiétantes perturbations, quelles sont les solutions ? Gérin sociologue, soit par suite de l'influence de LePlay et de Demolins, soit par tempérament, soit seulement... parce qu'il est sociologue, se double d'un réformiste, voire d'un prophète ce qui est un pléonasme, car l'on prévoit dans le sens de ses espérances. Les espérances de Gérin, on en discerne facilement l'orientation par les textes que je viens de citer, particulièrement en matière d'éducation. Ses articles de 1892 dans la Minerve et sa réponse à l'enquête du Monde illustré sont clairs : l'objectif de notre évolution doit être de former des individus aptes à l'initiative et à l'endurance, car c'est dans ce sens qu'ont évolué, dans le passé, les sociétés progressistes. C'est en réformant l'école, en recréant un nouveau type de "petite" école, que l'on obtiendra ce résultat. Mais l'initiative individuelle qui a fait le succès de 1'Anglo-Saxon, répète Gérin à la suite de Demolins, lui vient de l'éducation qu'il reçoit non seulement de l'école et de la famille mais du "milieu social" tout entier pour tout dire, d'une formation sociale particulariste. [150] Si donc l'on veut que dans un milieu social donné la famille et l'école incitent à l'initiative, c'est le milieu lui-même tout entier qu'il faut faire évoluer vers la formation particulariste. Une telle évolution est possible car, affirme encore Gérin, la science sociale nous apprend que "dans la plupart des sociétés qui ont passé de la formation communautaire à la formation quasi-communautaire, aucun obstacle sérieux ne s'oppose aujourd'hui à ce qu'elles adoptent pleinement la formation particulariste, et elles ont intérêt à le faire puisque celle-ci leur assurera une supériorité dans la lutte pour l'existence " [151].
Tout compte fait, Gérin est un optimiste modéré, confiant dans les applications pratiques de la thèse évolutionniste de Tourville et de Demolins. Dans son essai de 1924, "Comment se maintiendra le groupe national canadien-français" [152], il soumet que "le [44] processus social qui a permis aux Canadiens français de se maintenir jusqu'ici a été le même à toutes les époques et en toute circonstance : adaptation, instinctive chez la masse, consciente et méthodique chez les dirigeants, aux exigences de chaque situation nouvelle " [153]. Après avoir cité quelques exemples récents de cette adaptation, il conclut qu'il importe que nos efforts soient dans le sens et non au rebours de l'évolution des peuples prospères... que nous ayons pour amis, pour alliés, et non pour ennemis, les groupes les plus avancés et les plus énergiques de l'humanité" [154].
- III. RÉFLEXIONS
J'ai laissé parler les textes de Léon Gérin. Mon exposé pourrait se terminer ici. Cette œuvre impressionne par sa cohérence et par sa solidité. Elle soulève aussi plusieurs questions. Ne pas expliciter au moins quelques-unes de ces questions ou éviter d'y répondre serait ne pas rendre à cette œuvre un témoignage complet en feignant de ne pas en explorer ni en éprouver les fondements.
L'œuvre de Gérin, si émouvante soit-elle, peut laisser perplexe le sociologue canadien de 1963 qui n'y trouve ni l'analyse ni même la mention d'un grand nombre de problèmes de la société canadienne-française dans laquelle a vécu Gérin. Il est facile d'énumérer une longue liste de ces problèmes dont n'a pas parlé Gérin : la signification et l'importance de l'élite de la vie politique et professionnelle qui est apparue durant notre XIXe siècle ; les causes et les contrecoups sociaux de l'émigration rurale massive durant les deux derniers tiers du XIXe siècle ; les phénomènes de la vie industrielle et de l'urbanisation naissante ; les traits différentiels des diverses régions sociales du Québec ; les attitudes, les conflits d'idéologies et les comportements de la vie politique, etc. Reprocher à Gérin de n'avoir pas traité de ces sujets serait oiseux. Il ne faut pas oublier qu'il fut, en quelque sorte, sociologue par surabondance de zèle, en dehors et en outre de sa vie professionnelle : qu'il fut surtout un sociologue solitaire, sans stimulant et sans critique pour l'aiguiller ou le conseiller. Bien au contraire, les quelques fonctionnaires d'Ottawa que groupa Errol Bouchette en 1905 en un "cercle de science sociale", le considéraient comme leur mentor. Nos interrogations devant l'œuvre de Gérin, c'est vers le modèle qu'il a adopté qu'il faut les diriger. Nos griefs sociologiques, si nous désirons en formuler, c'est dans une très large mesure à LePlay, [45] à Tourville et à Demolins qu'il faut les adresser.
Ce modèle de l'École de la science sociale, inutile d'insister, est radicalement insatisfaisant comme cadre d'analyse sociologique. La sociologie est science des ensembles sociaux. On ne peut éluder la grande loi rappelée par Comte, qu'il faut percevoir le tout social avant et afin de pouvoir en comprendre les éléments significatifs. Si importante que soit l'institution familiale, elle ne peut suffire à nous acheminer vers la totalité d'une société. Un vice initial de la méthode de LePlay, comme de la Nomenclature de Tourville, est qu'elle empêche une saisie de la société "globale". Elle empêche aussi d'identifier, à l'intérieur de la société, les niveaux significatifs de phénomènes et les relations entre ces niveaux. Elle empêche, en particulier, de reconnaître, à la base, l'ampleur déterminante de l'infrastructure économique et, au sommet, les conditionnements enveloppants des mentalités et des idéologies collectives. Rien d'étonnant à ce que Gérin n'ait pas abordé la société canadienne-française comme nous nous complaisons maintenant à le faire spontanément dans la perspective que permet le concept de "culture" et selon les avenues de structures dominantes.
Mais dira-t-on, pourquoi Gérin a-t-il choisi ce modèle plutôt qu'un autre ? Nous savons la réponse. Elle est d'ordre historique, inéluctable. Gérin a trouvé son chemin de Damas à Paris, rue du Regard, et il n'est pas facile de reprocher à un converti de s'être laissé foudroyer par un dieu plutôt que par un autre. Mais alors, pourra-t-on ajouter, pourquoi Gérin ayant adopté le modèle, 1'a-t-il appliqué de façon si scrupuleuse, si littérale, au point de s'en constituer en quelque sorte le prisonnier ? Pourquoi, devant des phénomènes canadiens qui devaient s'imposer à sa curiosité, n'a-t-il pas su sortir de son modèle, sortir de l'École de la science sociale pour faire l'école buissonnière, oublier un peu ses maîtres ? A ce point, la question devient plus embarrassante. L'interrogation au sujet de Gérin cesse d'être méthodologique pour devenir idéologique. Et j'avoue que je n'ai pas trouvé, à cette interrogation, de réponse catégorique. Est-il téméraire de hasarder quelques indications qui permettront peut-être de cerner certaines attitudes et certaines préférences personnelles de Gérin ?
On a reproché à Gérin d'avoir trop généralisé le cas de l'habitant de Saint-Justin, en particulier à propos du mode de transmission du bien familial. Le reproche serait valide si Gérin avait exclusivement insisté sur ce mécanisme de la famille agricole. Mais il a tout autant sinon davantage souligné, comme traits distinctifs de la famille et de la vie rurales, le caractère communautaire des relations intra-familiales, l'esprit d'entraide spontanée entre voisins, l'indifférence relative du cultivateur pour les questions et l'administration de la vie municipale locale. Or, ce sont là des traits qu'aucune enquête sur notre vie rurale traditionnelle n'est encore venue infirmer. Ce que l'on [46] peut, par contre, mettre en cause, c'est 1'interprétation que fait Gérin de ces traits chez le colon des débuts et des premiers siècles de l'histoire de la Nouvelle-France. De même que l'on peut regretter qu'il ne se soit pas préoccupé des transformations de mentalités et de comportements qu'a entraînées dans la campagne québécoise la conquête anglaise ni qu'il se soit davantage interrogé sur les formes de relations entre ces populations rurales du XIXe siècle et la classe intellectuelle urbaine qui trouvait en elles ses effectifs et son appui. Il semble que Gérin se soit laissé entraîner à privilégier rétrospectivement un certain type d'habitant canadien un habitant docile, passif, étrangement silencieux malgré l'ébranlement d'une société en gestation.
Deux autres indices permettent de confirmer cette orientation profonde de Gérin. C'est la conception qu'il se fait du rôle de l'école et de la réforme de l'enseignement et la notion qu'il a du progrès. Le type d'école idéale dont rêve Gérin ressemble étrangement à 1'"École modèle" dont Jean Rivard ambitionne de doter la mythique république dont il est le chef. C'est une école qui s'inscrit dans une société où la famille demeure une institution totalement intégrante et dont les membres doivent demeurer soumis aux normes d'une tradition moralement indiscutable, dont aucune pièce essentielle "ne doit changer". Aussi bien, lorsque Gérin dit "progrès", il sous-entend d'abord le progrès agricole, il sous-entend la mise en œuvre, comme lui-même l'a pratiquée dans son domaine de Claire-Fontaine, de nouvelles techniques dans l'exploitation agricole et dans les activités économiques qui s'y rattachent. Un passage de son appréciation des travaux d'Errol Bouchette souligne cet ordre de priorité dans les préoccupations de Gérin. "Ne voit-on pas, écrit-il, comment... les péripéties de sa propre existence lui ont suggéré les idées directrices qui sont la trame de tous ses écrits ? Importance d'organiser sur de nouvelles bases les industries agricoles et autres dans la province de Québec ... ?" [155] Les industries agricoles et autres... Dans l'esprit de Gérin, lorsque Bouchette a proclamé "Emparons-nous de l'industriel" il songeait d'abord aux industries agricoles... Nous avions pourtant le sentiment que Bouchette parlait des vraies industries et il a pourtant suffisamment laissé entendre lui-même que sa devise se substituait à celle de Duvernay : "Emparons-nous du sol !"
Ce n'est pas par hasard que j'ai de nouveau mentionné le nom d'Errol Bouchette. Le parallèle entre ces deux hommes est inévitable. Ils sont très exactement contemporains l'un de l'autre. Bouchette est né la même année que Gérin, en 1863. Ils vécurent dans la même ville, Ottawa, et furent toute leur vie très liés. Ils collaborèrent intimement l'un avec l'autre et échangèrent une abondante correspondance. C'est grâce à Gérin que Bouchette s'initia [47] à la science sociale, mais son tempérament intellectuel l'entraînait bien au-delà des tableaux analytiques. Dans une lettre adressée à Gérin, en date du 29 janvier 1906, il s'excuse amicalement "de vouloir aller trop vite en besogne" ; mais il ajoute aussitôt : "... si nous ne nous outillons pas promptement, si nous laissons d'autres peuples se superposer définitivement à nous, ne sommes-nous pas à jamais perdus ?…" [156] Le progrès social des Canadiens français, selon Bouchette, ne peut être réalisé que d'une seule façon : en surmontant l'état de malaise et d'infériorité économiques et en devenant "maîtres chez nous". Pour soulager "le corps social tout entier", il n'y a qu'une puissance qui soit suffisante : c'est l'État l'État qui doit investir lui-même de vastes capitaux dans l'exploitation de nos ressources naturelles, l'État qui doit créer un "système aussi parfait que possible d'écoles industrielles générales et spéciales " [157]. La province de Québec fait dire Bouchette à un personnage de son roman Robert Lozé "a tout ce qu'il faut pour devenir un des grands peuples industriels du monde... Si les Canadiens français libres ne savent pas exploiter les richesses de leur province, s'ils se laissent supplanter par d'autres, ils auront mérité le sort qui les attend…" [158]
Nous sommes donc, chez Bouchette, en présence d'une idéologie conquérante, impatiente, résolument tournée vers l'avenir. Confrontés avec cette idéologie, nous ne pouvons pas ne pas nous interroger sur celle de Gérin. N'est-il pas légitime de retrouver dans l'image d'une vie agricole idéale qui illumine la vision de Gérin un reflet ou une réplique de celle qui mobilisait la foi de Jean Rivard ? Est-il possible d'oublier que Léon Gérin est le fils d'Antoine Gérin-Lajoie et que le sociologue que nous vénérons fut aussi et avant tout le "seigneur" de Claire-Fontaine ? Si Gérin ne s'est pas interrogé sur l'élite intellectuelle canadienne-française à qui l'administration publique, sous le gouvernement d'Union et ensuite sous la Confédération, ouvrait de nouvelles avenues professionnelles, n'est-ce pas parce que le fonctionnaire qu'avait été son père et le fonctionnaire qu'il fut lui-même ont persisté, l'un et l'autre, à s'identifier, malgré tout, avec une portion d'eux-mêmes demeurée nostalgiquement et irréductiblement rurale et traditionaliste ?...
Arrêtons là nos questions qui débordent les frontières sociologiques. Il n'y a guère à conclure puisque, en dernière analyse, nous nous retrouvons devant un authentique chercheur qui, tout autant qu'Errol Bouchette, bien que de façon différente, semble notre contemporain. Au fur et à mesure que je relisais l'œuvre de Gérin, [48] une image nouvelle de lui a pris forme, un peu comme dans le cas des romanciers dont les personnages, paraît-il, acquièrent au cours de la genèse littéraire une physionomie et une autonomie imprévues qui les font s'imposer à leur créateur. J'avais conservé, en même temps que des souvenirs personnels d'un Gérin infiniment patient et attachant, ceux d'une œuvre certes d'une extraordinaire probité mais d'un dessin discontinu. Le Gérin qui s'est reconstruit au cours de ma lecture et de mes réflexions est un Gérin fortement unifié, précurseur et pionnier sans doute, mais dont la persévérance méthodologique est égale à l'estime intellectuelle qu'il avait vouée à ses maîtres.
Nous sommes d'une époque où l'estime pour les maîtres ne signifie plus l'imitation des maîtres et où la fidélité à une mission intellectuelle exige l'autonomie et l'innovation. Ni cette autonomie ni cette innovation ne doivent cependant exclure le respect et l'admiration pour ceux qui nous ont précédés. Surtout s'il s'agit, comme pour Léon Gérin, d'un convaincu et d'un enthousiaste sans lequel très sûrement nous, sociologues canadiens-français de 1963, ne serions pas tout à fait ce que nous sommes.
[1] Voir, en particulier, Gérard TOUGAS, Histoire de la littérature canadienne-française, Paris, Presses Universitaires de France, 1960, chap. I, II.
[2] Lettre de GÉRIN-LAJOIE à son jeune frère Denis, datée de Québec, le 16 novembre 1861 ; rapportée dans le Bulletin des recherches historiques, XXX, 10, octobre 1924 : 347-348.
[5] Voir l'étude de Léon GERIN "L'émigrant percheron et ses similaires", dans "Monographie du Canada", la Science sociale, XV, janvier 1893 : 426-446.
[6] Léon GÉRIN, "Notice nécrologique sur Errol Bouchette", Mémoires de la Société royale du Canada, 3e série, VII, 1913 : V-X.
[7] "La vocation de Léon Gérin", interview de 1939, reproduite dans le Devoir, 18 janvier 1951 : 4.
[9] Léon GÉRIN, "Aperçu d'un enseignement de la science sociale", la Science sociale, 27e année, 2e période, 92e fascicule, avril 1912 : 5-6 ; voir aussi, "La vocation de Léon Gérin", loc. cit. : 4.
[10] "La vocation de Léon Gérin", loc. cit. :4 ; voir aussi Léon GERIN, "La famille canadienne-française sur la rive nord du lac Saint-Pierre", Revue trimestrielle canadienne, XX, juin 1934 : 114 ; le Type économique et social des Canadiens, p. 55.
[12] "Aperçu d'un enseignement de la science sociale", loc. cit. : 1-64.
[13] Montréal, Editions de l'Action canadienne-française, 1938.
[14] Montréal, Fides, 1946.
[15] Montréal, Editions Albert Lévesque, 1937.
[16] L'œuvre de Gérin méritait depuis longtemps une étude d'ensemble. Cette lacune a été récemment comblée par un jeune sociologue canadien, le P. Hervé Carrier, s.j. Sa thèse de maîtrise à la Catholic University de Washington, en 1952, Etude sur la méthode de recherche du sociologue Léon Gérin, présente une analyse critique des travaux historiques et sociologiques de Gérin. Cette thèse a été publiée en 1960, sous le titre : Le Sociologue canadien Léon Gérin, 1863-1951. Sa vie, son œuvre, ses méthodes de recherche, Cahiers de l'Institut social populaire, n° 5, Montréal, Bellarmin, 153 pages (voir Bibliographie n° XL).
[17] The Acquisitive Society, 1946.
[18] "The bureaucratie culture pattern and political révolution", American Journal of Sociology, XXXIX, 1933.
[20] Voir plus loin, Bibliographie, nos 10-19.
[22] "La vocation de Léon Gérin", interview de 1939, reproduite dans le Devoir, 18 janvier 1951, p. 4.
[23] Instruction sur l'observation des faits sociaux selon la méthode des monographies de familles propre à l 'ouvrage intitulé : Les ouvriers européens, nouvelle édition, revue et développée par M. Ad. Focillon, membre fondateur de la Société d'économie sociale, Paris, au siège de la Société d'économie sociale, 1887.
[24] Henri de TOURVILLE, "La science sociale est-elle une science ?", la Science sociale, II, décembre 1886 : 502.
[25] Jean-Charles FALARDEAU, "Analyse sociale des communautés rurales", la Revue de l'Université Laval, IV, 3, novembre 1949 : 210-217.
[26] Léon GÉRIN, "La Science Sociale, Aperçu d'une méthode simple d'observation, d'étude et d'enseignement", Mémoires de la Société royale du Canada, 3e série, 1909-1910, III, section I, 143-145 ; "L'Observation monographique du milieu social", Revue trimestrielle canadienne, XVII, décembre 1931 : 379-382.
[30] Rapportée dans "Le Paysan de Saint-Irénée", tome V des Ouvriers des deux mondes ; voir Léon GÉRIN, le Type économique et social des Canadiens, p. 13-14.
[31] Voir : R. PINOT, "La classification des espèces de la famille établie par LePlay est-elle exacte ?" la Science sociale, 2e période, 1re année, 1er fascicule, janvier 1904 : 50 ; aussi Carle C. ZIMMERMAN et Merle E. FRAMPTON, Family and Society, New York, D. Van Nostrand and Cie, inc, 1935, chap. II-VII.
* Texte d'une communication présentée aux membres de l'Association canadienne des anthropologues, psychologues sociaux et sociologues de langue française, publié dans Recherches sociographiques, IV, 3, septembre-décembre 1963 : 265-289.
[32] Archives du Collège Sainte-Marie (ACSM), Fonds Léon Gérin.
[33] "Mon ami Léon Gérin", Cité libre, XI, 26, avril 1960 : 27.
[35] "La vocation de Léon Gérin", interview de 1939, reproduite dans le Devoir, 18 janvier 1951 ; aussi Léon GERIN, "La famille canadienne-française sur la rive nord du lac Saint-Pierre", Revue trimestrielle canadienne, XX, juin 1934, 114.
[36] Edmond DEMOLINS, "L'état actuel de la science sociale d'après les travaux de ces dix dernières années", la Science sociale, 8e année, XV, 1893, 5.
[39] Henri DE TOURVILLE, Histoire de la formation particulariste. L'origine des grands peuples actuels, Paris, Firmin-Didot et Cie, s.d.
[40] Edmond DEMOLINS, A quoi tient la supériorité des Anglo-Saxons, Paris, Firmin-Didot et Cie, s.d.
[41] Edmond DEMOLINS, "L'état actuel de la science sociale", loc. cit, : 9.
[42] Léon GÉRIN, "M. Demolins et la science sociale", Revue canadienne, 40e année, 4, 1er avril 1904 : 340.
[43] Edmond DEMOLINS, "L'état actuel de la science sociale", loc. cit. : 7.
[52] Histoire de la formation particulariste, p. 42.
[71] À quoi tient la supériorité des Anglo-Saxons, "Préface de la seconde édition", p. XXI.
[77] À quoi tient la supériorité des Anglo-Saxons, p. 82.
[85] Ibid., p. 390, 391, 393.
[86] Les principaux essais méthodologiques de Gérin, dans l'ordre chronologique, sont les suivants : (a) "La vulgarisation de la science sociale chez les Canadiens français", Mémoires de la Société royale du Canada (MSRC), 2e série, XI, 1906 : 67-87 ; (b) "La science sociale. Aperçu d'une méthode simple d'observation, d'étude et d'enseignement", MSRC, 3e série, III, 1909 : 129-166 ; (c) "Aperçu d'un enseignement de la science sociale. I. L'objet", la Science sociale, 27e année, 2e période, 92e fascicule, avril 1912 : 1-64 ; (d) "La sociologie : le mot et la chose", MSRC, 3e série, VIII, 1914 : 321-356.
[87] "Monographie du Canada. L'histoire de la colonisation", la Science sociale, XI, (avril 1891)-XVIII (novembre 1894).
[88] "Le gentilhomme français et la colonisation du Canada", MSRC, 2e série, II, 1896 : 65-94.
[89] "L'habitant de Saint-Justin. Contribution à la géographie sociale du Canada", MSRC, 2e série, IV, 1898 : 139-216.
[90] "La loi naturelle du développement de l'instruction populaire. Les causes sociales de la répartition des illettrés au Canada", la Science sociale, XXIII, juin 1897 ; XXIV, novembre 1897 ; XXV, juin 1898.
[92] Bulletin de la Société internationale de science sociale (Paris), n° 114, mars 1914 : 58-67 ; Revue trimestrielle canadienne, I, mai 1915 : 3-14.
[93] Revue trimestrielle canadienne, I, mai 1915 : 7.
[98] Voir, en particulier, "La science sociale en histoire", Revue trimestrielle canadienne, XI, décembre 1925 : 370.
[99] "Le gentilhomme français et la colonisation du Canada", loc. cit. : 93.
[101] "La science sociale en histoire", loc. cit. : 378.
[102] "Le gentilhomme français et la colonisation du Canada", loc. cit. : 93.
[104] "Le gentilhomme français et la colonisation du Canada", loc. cit. : 84.
[105] "Monographie du Canada. VII. Comment le domaine plein a assuré le maintien de la race. L'émigrant percheron et ses similaires", la Science sociale, XV, juin 1893 : 426-446.
[109] Citée par Gérin, Ibid. : 431.
[117] Bulletin de la Société internationale de science sociale (Paris), n° 114, mars 1914 : 58-67.
[118] Revue trimestrielle canadienne, I, mai, 1915 : 3-14.
[119] "L'intérêt sociologique de l'œuvre de Garneau", loc.cit. : 66.
[122] Ibid., p.254. Gérin dit aussi : "La pierre angulaire de notre survivance dans le nouveau monde" (ibid., p. 259).
[124] "L'habitant de Saint-Justin. Contribution à la géographie sociale du Canada", loc. cit.
[125] "Deux familles rurales de la rive sud du Saint-Laurent : Les débuts de la complication sociale dans un milieu canadien-français", MSRC, 3e série, II, 1908 : 25-65.
[128] "L'habitant de Saint-Justin. Contribution à la géographie sociale du Canada", loc. cit. : 162.
[135] Loc. cit. (Voir Bibliographie nos 20-22)
[141] "L'éducation I", la Minerve(Montréal), lundi 21 octobre 1892 ; "L'éducation II", la Minerve, jeudi 3 novembre 1892 ; "L'initiative privée", la Minerve, mardi 8 novembre 1892 ; "Oculus et l'éducation" : I. "Le rôle de la famille", la Minerve, mardi 15 novembre 1892 ; II. "Le rôle de l'atelier", la Minerve, jeudi 17 novembre 1892 ; III. "Le rôle de l'école", la Minerve, mardi 22 novembre 1892 ; IV. "L'école envahissante", la Minerve, jeudi 24 novembre 1892.
[142] Revue de l'Amérique latine (Paris), 3e année, VII, 30, 1er juin 1924 : 488-495.
[143] "Réponse à une enquête sur le sujet : Qu'adviendra-t-il de la race canadienne-française en ce XXe siècle ? Restera-t-elle unie, forte, homogène ou se fondra-t-elle dans le pan-américanisme ?", le Monde illustré (Montréal), 17e année, 881, 23 mars 1901 : 780.
[145] "Comment se maintiendra le groupe national canadien-français", loc. cit. : 489.
[147] "La vulgarisation de la science sociale chez les Canadiens français", loc. cit : 68-69.
[148] "Errol Bouchette", MSRC, 3e série, VII, 1913 : V-X.
[149] "Qu'adviendra-t-il de la race canadienne-française en ce XXe siècle ?...", loc, cit.
[150] "M. Demolins et la science sociale", loc. cit. : 350.
[155] "Errol Bouchette", loc. cit. : X.
|