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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte d'Albert FAUCHER, “L’émigration des Canadiens français au XIXe siècle : position du problème et perspective.” Un article publié dans la revue Recherches sociographiques, vol. 5, no 3, sep-tembre-décembre 1964, pp. 277-317. [Avec l’autorisation formelle accordée le 8 janvier 2004 par la directrice de la revue Recherches sociographiques, Mme Andrée Fortin, professeure de sociologie à l’Université Laval.]

[277]

Albert Faucher

[Professeur, département d'économique, Université Laval.]

L’émigration des Canadiens français
au XIXe siècle :
position du problème et perspective
.”

Un article publié dans la revue Recherches sociographiques, vol. 5, no 3, septembre-décembre 1964, pp. 277-317.

Introduction [277]
I. APERÇU DES MOUVEMENTS MIGRATOIRES EN AMÉRIQUE DU NORD [282]
1. LE CANADA [282]
2. LES ÉTATS-UNIS [285]

II. LES MOUVEMENTS MIGRATOIRES ENVISAGÉS PAR RAPPORT À LA GÉOGRAPHIE ET À L'HISTOIRE ÉCONOMIQUE DE L'AMÉRIQUE DU NORD [289]

1. LE CADRE GÉOGRAPHIQUE ET LA DYNAMIQUE DU PEUPLEMENT [289]

a) La barrière précambrienne a orienté l'expansion le long de la plaine laurentienne dans la direction du sud-ouest [290]
b) L'occupation des basses terres laurentiennes [291]
c) Les Grands Lacs : Méditerranée nord-américaine [292]
d) Le trafic canado-américain sur les Grands Lacs [294]

2. LES VOIES DE TRANSPORT, LES RÉGIMES COMMERCIAUX DE TRANSIT ET DE RÉCIPROCITÉ [295]

a) La politique commerciale du transit [298]
b) Du régime de drawback au régime de réciprocité [299]

3. L'agriculture, le commerce et l'industrie dans le middle-west et le développement des fonctions métropolitaines. [302]

a) Quelques aspects de l'expansion avant la guerre civile : les axes de pénétration dans l’Ouest [303]
b) Le rôle des canaux, la navigation intérieure et les métropoles fluviales avant la guerre civile [304]
c) Le progrès du Middle-West et du Nord-Ouest durant la guerre civile [306]
d) Les chantiers du Wisconsin [306]

III. LES FONCTIONS MÉTROPOLITAINES, LA FIXATION DES AXES DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE ET LES FORCES D'ATTRACTION DÉMOGRAPHIQUE [306]

1. LE SECTEUR LAURENTIEN DE L’ESPACE CANADO-AMÉRICAIN EN VOIE DE DÉPRÉCIATION RELATIVE [308]

a) La vocation manquée de Montréal [308]
b) La fuite des immigrants, ou l'émigration des immigrés [309]
c Principales phases chronologiques de l'émigration canadienne aux États-Unis [310]
d) Concurrence entre l'Ouest canadien et l’Ouest américain [310]

2. LA GRANDE INDUSTRIALISATION ET LE DÉPLACEMENT DU CENTRE DE GRAVITÉ INDUSTRIELLE VERS LA RÉGION DES GRANDS LACS [312]

a) Une nouvelle révolution industrielle : appréciation des matières brutes et des techniques [312]
b) Une expression quantitative du déplacement de l’industrie lourde vers la région des Grands Lacs [313]
c) La fonction nodale des grandes villes du Middle-West [313]
d) L'attraction de l'Ouest, cause historique de mouvements de population [315]
e) L'Ouest et les Franco-Américains [315]
CONCLUSION SOMMAIRE [316]

INTRODUCTION

Les dirigeants ecclésiastiques et civils de la province de Québec se sont étonnés du mouvement de la population canadienne-française au XIXe siècle et, au cours de la seconde moitié de ce siècle, lorsque le mouvement prit l'ampleur d'un véritable exode vers les centres manufacturiers de la Nouvelle-Angleterre, ils s'en sont alarmes et ils en ont fait leur principale préoccupation. Pourquoi émigrer, se demandait-on, et pourquoi les émigrants ne reviennent-ils pas à la terre ? Y aurait-il effritement ou corrosion du terroir, ou insuffisance de la politique de colonisation ? Ou encore, inefficacité des efforts de rapatriement ? Car le gouvernement même a verse des subsides au rapatriement.

La désertion de la campagne, de la province même, devenait pour la société canadienne-française un sujet d'inquiétude qui lui faisait douter de sa propre survivance.

Et lorsqu'on voulut, à la fin du siècle, donner à la colonisation une impulsion nouvelle, c'était comme remède à l'exode qu'on la proposait : les paroisses nouvelles de colonisation devaient être le moyen d'élargir et de fortifier le terroir.

Il ressort des documents officiels, des romans patriotiques et des exhortations pastorales, en somme, de la littérature du XIXe siècle, qu'on a apprécié les mouvements migratoires de la population du Québec par référence à un système de valeurs centre sur la paroisse et, plus particulièrement, sur la paroisse rurale. Edmond de Nevers ne faisait-il pas écho à ce système lorsqu'il écrivait : « Les campagnes sont en quelque sorte le laboratoire où se créent les forces du bien ». [1]

On a trouvé spectaculaires et désastreux ces mouvements migratoires. L'étaient-ils tellement ? Désastreux peut-être, d'un certain point de vue ; spectaculaires, non pas, si on les compare aux autres mouvements semblables soit en Amérique, soit en Europe. L'on peut, par exemple, sous le rapport de la « désertion des campagnes », comparer la province de Québec à certains départements ruraux de la France [2], ou à certains États américains. [278] Sous le même rapport, l'on peut aussi comparer le Québec à l'Ontario. Car, à la fin du siècle dernier, la province d'Ontario faisait elle-même l'expérience de la « désertion des campagnes » ; et un comité spécial du Sénat canadien en établit la preuve, en 1911, en publiant une liste de comtes ruraux en perte de population depuis 1890. [3] La liste est incomplète, mais elle suffit à établir la preuve d'un dépeuplement rural.

Trente-six comtés d'Ontario auraient enregistré des pertes absolues de population. Huron et Bruce, entre autres, ont perdu respectivement 9,593 et 9,985 habitants de 1890 à 1911.

Pour expliquer cette dépopulation rurale, rappelait un témoin à l'enquête du comité, que de choses futiles n'a-t-on pas dites. On a invoqué, par exemple, la théorie du « flamboiement du gaz » (gaz light theory), voulant que « les jeunes gens soient attirés vers les villes comme les phalènes par la lumière d'une bougie ». Selon ce témoin, les causes de la dé-ruralisation sont économiques : surpeuplement, mécanisation des fermes, et conjoncture défavorable à l'économie agricole. Et il ne voit pas pourquoi les législatures s'appliqueraient à arrêter le mouvement, puisque ce mouvement manifeste de la santé.

Les vieux comtés ruraux sont démographiquement saturés ; par exemple : Middlesex depuis 1860, Huron depuis 1870 et Frontenac depuis au moins 1880. Ils ne peuvent plus absorber l'offre de main-d'œuvre, et les jeunes gens s'en vont chercher du travail ailleurs. La machine remplace les hommes. Un témoin du comté de Frontenac dit que son père achetait, en 1881, la première moissonneuse-lieuse et la charrue polysoc, siège à ressort, et qu'il pouvait faire en une heure ce qu'il faisait autrefois en trois heures. Les coûts de production sont élevés et les marchés sont difficiles. En 1880, on payait environ $300 une moissonneuse-lieuse (le double du prix de 1910), et on l'achetait sur un marché protégé, alors qu'on vendait les produits agricoles en marché libre. D'où l'écart des prix.

Richard Cartwright estimait que la politique tarifaire du Canada imposait au fermier un fardeau de $130 à $200 par année ; les marchés américains lui sont fermés. L'Ontario produit trop de blé à coût trop élevé. On ne fait pas assez d'élevage. Les fermiers les plus prospères trouvent difficile de trouver de la main-d'œuvre à $35 par mois, logée, nourrie, plus cheval et voiture, dimanches et fêtes. Le dimanche, le valet se promène dans la voiture du propriétaire et refuse de traire les vaches. Waldron, propriétaire du Weekly Sun et promoteur de l'éducation agricole ajoute que même les agronomes se détournent de la terre. On ne veut plus investir dans l'agriculture. La terre repousse d'autant plus que les milieux ruraux ont depuis longtemps dépassé l'optimum de population. L'industrie, avec ses promesses de la vie urbaine, attire ; les prairies de [279] l'Ouest aussi, à cause de la politique de concession facile de terres et de la possibilité d'emploi immédiat aux travaux publics. De 1881 à 1886, il est entré dans le Manitoba et le Nord-Ouest 27,000 personnes en moyenne chaque année. De ce nombre, l'Ontario aurait fourni un fort contingent. C'était la période de la construction du chemin de fer du Pacifique qui a utilisé un effectif d'une quarantaine de mille manœuvres. Parmi ceux-ci combien sont devenus fermiers ? Il est impossible de le dire, mais l'on sait désormais que l'exode du milieu rural ne conduit pas nécessairement de tel milieu rural à l'usine la plus proche. Il peut conduire aussi aux travaux publics et de là, à l'usine, ou de l'usine à la ferme ou de la ferme à la ferme. Le mouvement devient triangulaire ou même giratoire, et il est universel. Il engage tous les pays associés à l'économie nord-atlantique ; toutes les provinces, tous les États américains y participent. Ce qui étonne aujourd'hui, c'est que le caractère œcuménique du mouvement ait échappé à ceux qui enquêtaient sur l'exode des campagnes.

Il faut dire toutefois qu'à cet âge proto-statistique des institutions politiques et ecclésiales, il n'était pas facile d'évaluer l'ampleur des courants migratoires et encore moins de les interpréter par rapport aux grandes transformations du monde occidental. On ne mesure la portée de pareils événements qu'à la condition de les replacer dans leur contexte global. Ainsi, l'émigration canadienne-française nous apparaît comme l'expression régionale d'un rajustement à l'échelle de l'économie nord-atlantique. L'industrialisation des pays du nord-ouest de l'Europe et de certains États américains, la modification du régime agraire et de la technique agricole en Angleterre, l'ouverture de nouvelles terres et la mécanisation agricole en Amérique, en Australie et en Afrique, la substitution du cheval-vapeur au cheval de trait, en somme, les principaux facteurs de la révolution économique du XIXe siècle ont provoqué le plus prodigieux des mouvements de capitaux et d'êtres humains dans l'histoire. On a estimé que de 1821 à 1830, 34,000 personnes, en moyenne, ont quitté l'Europe chaque année ; de 1840 à 1850, 250,00. Les nouvelles techniques de transport et de communication ont favorisé ces mouvements de population ; la navigation à vapeur a favorisé aussi le transport des matières brutes et des denrées agricoles, elle a établi des liaisons régulières entre les marchés européens et les régions nouvelles dé haute rentabilité. Le télégraphe, en diffusant l'information instantanée, rendait possible un mécanisme mondial des prix et la diffusion des investissements sur de vastes espaces. La mobilité des travailleurs a doublé la mobilité des capitaux. De 1881 à 1891, c'est environ sept millions d'hommes qui passent outre-mer ; de 1891 à 1900, environ cinq millions. On établit à 60 millions le nombre d'émigrants qui ont quitté l'Europe de 1846 à 1914. [4]

[280]

De cette émigration européenne, les États-Unis devaient recueillir environ 60 pour cent, l'Argentine 11 pour cent, le Canada 8.7 pour cent, le Brésil 11 pour cent, l'Australie 5 pour cent, la Nouvelle-Zélande et l'Afrique du Sud 1 et 1.3 pour cent. [5]

Exposé, et de très près, à l'influence de la civilisation industrielle, le Québec pouvait-il échapper au tourbillon ? L'émigration québécoise devenait un cas de migration parmi d'autres.

Or, considérer ce cas en le situant dans l'univers auquel il appartient, c'est reprendre un vieux thème : l’« exode » des Canadiens français au XIXe siècle ; c'est le reprendre dans une vaste perspective qui nous permettra d'évaluer l'importance des mouvements de population par rapport aux avantages économiques et montrer ainsi que les Canadiens français n'ont pas échappé à l'attraction de tels avantages. « L'émigration a commencé (c'est une façon de parler : déjà en 1838, Lord Durham considérait le flux migratoire canado-américain comme une constante de l'histoire canadienne), dit un Comité d'enquête de 1849, principalement à la suite des insurrections de 1837 et 1838, et s'est bornée alors strictement au district de Montréal ... » [6]

Les grands travaux publics sous le nouveau régime constitutionnel de 1840 n'ont pas enrayé le mal : la province ne garde qu'une faible portion des immigrants et « les natifs eux-mêmes se dirigent en grand nombre vers des pays étrangers ». Et les commissaires se demandent « si c'est la nature elle-même qui n'offre pas à l'homme de son pays des avantages suffisants pour l'y retenir, ou si ce n'est pas plutôt la société qui a négligé d'exploiter le champ que la nature lui offrait ». Trois ans plus tard, Lord Elgin se posait la même question relativement aux canaux du Saint-Laurent ; car à l'émigration venait s'ajouter la diversion du trafic du Canada-Ouest et des États des Grands Lacs vers New-York par le canal Érié [7] ; et le courant du trafic vers les foyers de grande activité économique entraînait de nouvelles migrations. Les zones économiquement fortes exerçaient une attraction sur les zones économiquement faibles.

On se demande donc si l'émigration des Canadiens est imputable à la situation géographique ou si elle est une conséquence de l'activité économique. Il se peut que les deux facteurs aient leur place dans l'explication historique des mouvements de population. Et d'ailleurs, il serait difficile de les séparer, sachant que les influences géographiques s'inscrivent dans l'histoire économique, sachant aussi que l'activité économique modifie [281] d'autant plus ces influences, que le développement technique est plus avancé. Aussi convient-il de poser le problème de l'émigration canadienne-française au XIXe siècle dans un schème qui tienne compte de la géographie et de l'histoire, surtout si l'on veut reconstituer les courants migratoires sur le plan nord-américain.

Dans le présent contexte, qui tient compte à la fois de la géographie et de l'histoire, la province de Québec est considérée comme partie d'un espace nord-américain. Par rapport à l’immigration, elle nous apparaît comme une terre de transit : les immigrants y passent sans la voir. Par rapport au développement économique, elle nous apparaît comme région marginale d'un espace économique où existent des inégalités. L'espace économique dont elle fait partie est un espace différencié. Nous y voyons quatre régions différentes : a) la province de Québec et les Maritimes, b) la Nouvelle-Angleterre et les États de l'Atlantique moyen, c) l’Ontario, le Mid-West et les États voisinant les Grands Lacs, d) le Nord-Ouest américain et l'Ouest canadien.

Les liaisons qui s'établissent entre ces régions inégalement développées, et même entre zones de mêmes régions différenciées, ouvrent des voies aux mouvements migratoires ; et ces mouvements, comme les voies qu'ils suivent, ne sont pas tous linéaires. Plutôt, les migrations nous apparaissent souvent comme triangulaires, ou même circulaires. Et la politique de libre circulation des personnes et des capitaux aux frontières canado-américaines, du moins jusqu'en 1890, nous suggère d'envisager l'émigration canadienne aux États-Unis, ou vice versa, comme s'il s'agissait d'une migration interne.

Présente dans ce vaste contexte, le cas du Québec n'en paraît pas moins complexe, bien au contraire. Mais ce n'est point dans le dessein d'en faciliter l'analyse que nous le situons ainsi. Nous voulons plutôt ouvrir une voie d'approche à l'étude de ce cas historique, une voie qui mène à des perspectives globales.

De cette introduction découle une notion essentielle à l'intelligence de l'aperçu que nous proposons des mouvements migratoires en Amérique du Nord, dans la deuxième partie de notre travail. Cette notion, c'est la perméabilité de la frontière canado-américaine jusqu'à la fin du XIXe siècle, et sa très grande perméabilité en ce qui regarde le mouvement des personnes. [8] Dans la troisième partie, nous utiliserons cette notion à trois niveaux d'analyse : la géographie, le commerce et la politique commerciale, et la fonction métropolitaine. Mais avant d'en arriver à ces niveaux d'analyse, il convient d'insister davantage sur le caractère universel de cet événement du XIXe siècle.

[282]

I. APERÇU DES MOUVEMENTS MIGRATOIRES
EN AMÉRIQUE DU NORD


1. LE CANADA

En 1888, Sir Richard Cartwright estimait que 1 million de Canadiens avaient quitté le Canada au cours du siècle et que 750,000 immigrants d'Europe avaient passe du Canada aux États-Unis. Un rapport du Sénat américain estimait à 200,000 l'émigration canadienne aux États-Unis en 1889. De ce nombre 125,000 seraient venus de la province de Québec. Toutefois, le gouvernement de cette province répudiait ce chiffre et soumettait, sans pouvoir l'établir mathématiquement, que l’émigration québécoise se chiffrait entre 60,000 et 80,000. Même en retenant le chiffre conservateur de 60,000, c'était admettre une émigration de 5% de la population. [9]

Cartwright tenait du statisticien de la province d'Ontario qu'au cours de la période 1883-1889, trois comtés seulement de cette province avaient réalisé un gain de population supérieur au taux de croissance naturelle, en dépit d'une immigration imposante, que 22 comtés étaient restés stationnaires ou s'étaient développés à un taux inférieur à l'accroissement naturel. Dix-neuf comtés auraient enregistré une diminution réelle de population.

Il peut être opportun d'insister sur 1'universalité des dépeuplements ruraux en citant l'expérience de l'Angleterre et de certains États américains.

William Ogle [10] a étudié quinze des principaux comtés ruraux de l'Angleterre et, omettant les districts urbains comptant 10,000 habitants et plus, il a montré qu'il y avait eu une diminution de 11 % de la population dans ces comtés, de 1851 à 1881. Par ailleurs, en examinant le demi-siècle antérieur (1801-1851), il a noté un accroissement de 73% dans les mêmes comtés, le rapport natalité-mortalité demeurant le même. Donc, le déclin exprime ici une migration de comté à comté. Huntingdonshire, intensément rural, enregistre, de 1801 à 1851, une augmentation de population de 73% et, de 1851 à 1881, un déclin de 11.8%. Ce comté n'était plus capable d'absorber l'offre de main-d'oeuvre : les jeunes de 20 à 30 ans quittaient et allaient chercher de l'emploi dans les industries. Ces départs modifiaient la structure des âges des comtés ruraux.

[283]

L'analogue se produisait au Canada et aux États-Unis. On quittait le comte rural pour s'associer à la vie urbaine dans un autre comté, une autre province, ou dans quelque État américain.

Le député Charlton, de Norfolk, aux Communes [11], disait en 1890 qu'un citoyen canadien sur trois vivait aux États-Unis ; et que, loin de retenir ses immigrants, le Canada perdait même ses autochtones.

De 1871 à 1881, le Canada a reçu 342,000 immigrants. [12] De ce nombre, 185,000 seraient passés aux États-Unis. Au cours de la décennie suivante, l'immigration a doublé, et l'exode vers les États-Unis a augmenté dans la même proportion.

Cartwright, Charlton, que nous avons cités, n'ont pas manqué de noter que, proportionnellement à sa population, le Canada recevait plus d'immigrants que les États-Unis. Ils ont estimé, en effet, que le quantum. canadien d'immigration était de 46% plus élevé que celui des États-Unis pour la période 1871-1889. Et pourtant, le taux d'accroissement réel de la population canadienne était de 11% inférieur à celui des États-Unis, pour la même période. Le sénateur Hale soumet « que les compagnies de chemin de fer estiment que 125,000 Canadiens français ont quitté la province de Québec pour les États-Unis cette année (1889) ; ce qui représenterait environ 10 pour cent de la population. Je crois toutefois que les statisticiens du gouvernement ont rejeté ce chiffre mais qu'ils ont concédé 80,000 environ ; ce qui représenterait environ 6 pour cent de la population. » [13]

Un citoyen de New-York, ancien Torontois, s'exprima ainsi devant un comité du Sénat américain :

« Après l'abrogation du traité de réciprocité, l'exode commença vers notre pays, et il prit des proportions alarmantes. C'était le début du régime confédératif. Le gouvernement britannique et Sir John A. Macdonald ne voulaient pas de gouvernements locaux tels qu’établis actuellement ; ils voulaient une union législative de toutes les provinces. Mais le peuple, qui avait appris dans l'exercice des fonctions municipales à contrôler ses affaires, eut gain de cause, et l'on copia le système américain. Malgré qu'on ait adopté le système américain de fédération, l'exode n'en continua pas moins ; il empira. Il était alarmant en 1878. » [14]

Et pourtant, ce n'était que le début de la grande dépression (conventionnellement 1873-1896) qui, contrairement à la relation biblique, disait un observateur canadien, allait engendrer les lamentations d'abord et l'exode ensuite.

Au fait, qu'était-ce que cette grande dépression ? Un historien économiste pas trop conformiste a médit d'elle : sa principale caractéristique fut [284] de n'avoir pas été déprimante du tout, [15] du moins en ce qui concerne l'économie britannique. La dépression logeait dans la tête des hommes d'affaires qui voyaient leurs taux de profit diminuer, cependant que la rémunération réelle des salariés augmentait. Et le volume global de production allait croissant. En ce qui regarde les États-Unis, la grande dépression coïncide à la fois avec la prodigieuse phase d'industrialisation et avec la colonisation de la plaine intérieure. Durant la même période, l'économie canadienne fut plus mal partagée. Proportionnellement à la population, le volume des exportations canadiennes était, en 1888-1889, de 20% inférieur au niveau de 1871-1873.

Au Canada, l'industrialisation se déroulait de façon sporadique ; elle n'allait pas donner naissance à des centres dynamiques comme Pittsburgh ou Chicago ; la colonisation de l'Ouest languissait et Winnipeg faisait piètre figure auprès de Saint-Paul et Minneapolis. Rien de moins brillant que la politique canadienne de colonisation des Prairies au cours de cette période dite de la « grande dépression » ; la loi du homestead, calquée (dix ans plus tard) sur la loi américaine du même nom, n’a pas produit les effets qu'on en attendait. Sa faiblesse incontestable, c'est de n'avoir pas attiré beaucoup de colons.

Un observateur américain a livré des réflexions qui, l'idéologie mise à part, méritent d'être retenues. Les Canadiens, dit-il, ont adopté notre politique des terres :

« En 1887, ils ont persuadé 2,000 jeunes gens d’ouvrir des fermes dans leurs territoires du nord-ouest. Soixante pour cent ont dû rétrocéder leurs privilèges par défection, tout de suite la même année. Ils avaient comme obligations de payer $10 comptant et de mettre en culture 20 acres. C'en est assez pour montrer que les Canadiens sont incapables d'attirer de la population dans leurs territoires. La même année, le Kansas Pacific a vendu 59,000 acres. Ce fut une année de bonne récolte. Ceci montre jusqu'à quel point les Canadiens ont failli dans leur effort pour attirer des immigrants. Au reste, aussi longtemps qu'ils garderont leur statut de provinces britanniques, les émigrants des vieux pays n’iront pas s'établir chez eux. Il y a aujourd'hui dans le Dakota plus de fermiers qui ont abandonné leurs fermes dans le Manitoba qu’il y a de fermiers dans le Manitoba même. Il y a plus de fermiers qui viennent du Canada dans le Michigan, l’Illinois, le Wisconsin, le Minnesota et l'Iowa, qu'il n'y en a dans les territoires canadiens du nord-ouest. » [16]

Quelque fantaisistes qu'ils puissent paraître, ces propos traduisent un malaise général. Les Canadiens émigrent aux États-Unis ; le Canada ne peut même pas garder ses immigrants. Mais, est-ce qu'on ne pourrait pas en dire autant des vieux États de l'Est américain ? Le malaise n'est donc pas que canadien ou, encore moins, limité à la province de Québec. Les mouvements de population atteignent et affectent toutes les parties de [285] l'Amérique du Nord ; ils ont l'allure d'un cyclone provoque par l'attraction des nouveaux espaces agricoles et industriels des États-Unis.

2. LES ÉTATS-UNIS

Le progrès des industries textiles en Nouvelle-Angleterre, l'industrialisation du Middle-West, l'occupation et l'aménagement de l'Ouest agricole et de la région centrale (trois événements concurrents) ont facilité ou accéléré une émigration canadienne. On reconnaît aisément l'impact de ces trois événements sur la société canadienne. Pourquoi faudrait-il alors considérer isolement le cas de la Nouvelle-Angleterre ? Les vieux États, les États pionniers de l'américanisme, ont vécu plus profondément encore que le Canada l'expérience de l'exode. Événement peu spectaculaire, parce qu'il ne s'est pas trouvé d'observateur pour décrire la situation et ses conséquences.

« L'exode des Canadiens de langue anglaise de l’Ontario vers le Manitoba et les États américains de l'Ouest et leur remplacement par des habitants canadiens-français est un phénomène presque identique à celui qui se produit en Nouvelle-Angleterre où l'on cède la place aux Canadiens français et aux Irlandais. » [17]

Et les autochtones de la Nouvelle-Angleterre - les Yankees - vont-ils ? Que deviennent-ils dans ce tourbillon qui entraîne les Canadiens français dans leur univers ? Un analyste du recensement américain de 1880 écrit ce qui suit :

« L'élément anglais du Canada s'assimile promptement aux Yankees et entre immédiatement dans le mouvement national. Il n'en est pas de même des Canadiens français qui viennent chez nous. Ils sont difficiles à rallier. Ils ont l'esprit de clan, se tiennent ensemble, ne parlent que leur langue entre eux, se cramponnent à leurs coutumes, à leurs traditions, restent très souvent indifférents aux droits que leur confère le titre de citoyen des États-Unis, et sont pour la plupart imprégnés d'idées monarchistes. Notre recensement ne donne pas de manière précise le nombre des Canadiens français qui habitent maintenant les États-Unis, mais je ne crois pas me tromper en le portant au chiffre de 800,000. » [18]

C'était l'époque où les Canadiens français émigraient en Nouvelle-Angleterre par grappes familiales pour s'y regrouper dans les cadres de la paroisse franco-américaine. Les Canadiens français n'y déplacent point les Yankees, ils les remplacent.

« La Nouvelle-Angleterre des aïeux est en train de disparaitre. Le Sud offre un meilleur champ aux industries manufacturières que la Nouvelle-Angleterre. Et les gens de la Nouvelle-Angleterre dont pas manqué de s'en apercevoir… »

« Leur capital va au Sud, et ils transportent leur outillage là où il a plus de chances de leur rapporter des bénéfices, Le mouvement ne fait que commencer ; mais divers [286] indices montrent où souffle le vent ; et il semble qu'il souffle pour emporter tous les Anglo-Saxons de la Nouvelle-Angleterre... » D'où l'observation que la Nouvelle-Angleterre, « qui est devenue un pays agricole sans culture, et qui est en train de devenir un pays industriel sans industrie, deviendra un jour pays d'habitation d'été. » [19]

« Aujourd’hui, nous avons sous les yeux un spectacle curieux notait un observateur, en 1890 : une Nouvelle-Angleterre habitée par les Canadiens français d’un c8té, et par les « nouveaux Yankees » d'un autre côté. » [20]

Il faut observer toutefois que l'émigration ne s'oriente pas seulement vers le Sud, comme pourrait le laisser croire le Commercial Advertiser, non plus que vers la plaine ou vers le Middle-West ; et l'émigration ne se déroule pas toujours dans une direction linéaire. Phénomène complexe. Nous retenons son caractère fondamental, caractère pertinent au schème de la présente étude : il a « siphonné » un fort pourcentage des autochtones de la Nouvelle-Angleterre.

Une analyse du recensement américain de 1880 nous invite à réfléchir sur l'ampleur de l'émigration de la Nouvelle-Angleterre (voir le tableau 1).

TABLEAU 1

Nombre de personnes nées dans les États ci-dessous énumérés et ayant émigré vers d’autres États, et % que ce nombre représente par rapport à la population totale dés États d’origine, en 1880.

États

Nombre

%

Maine

182,257

24

New-Hampshire

128,505

35

Vermont

178,261

41

Massachusetts

267,730

20

Rhode-Island

49,235

24

Connecticut

140,621

26

New-York

1,197,153

25

New-Jersey

180,391

20

Pennsylvanie

798,487

19

TOTAL

3,122,640

25.65

SOURCE : Calcul extrait de Schribners Statistical Atlas et vérifié aux sources du Xe recensement des États-Unis par John Lowe, sous-ministre de l'Agriculture, Documents de la session, Canada, 1890, no 6.

[287]

On a remarqué que de 1850 à 1880 la main-d'œuvre des usines de la Nouvelle-Angleterre s'est constituée en trois étapes : [21] a) les fils et les filles des fermiers de la Nouvelle-Angleterre s'y engagèrent ; et à mesure que se développa l'industrie du vêtement par diffusion de la machine à coudre et d'autres inventions du même genre, créant une nouvelle demande de main-d'œuvre féminine, les Américaines abandonnèrent la quenouille pour la pédale, c'est-à-dire, la filature pour la couture, elles s'orientèrent vers de nouveaux emplois plus rémunérateurs et les hommes, vers les emplois requérant plus de dextérité individuelle ; b) des Irlandais assumèrent les tâches laissées vacantes et, en nombre moindre, des Allemands et des Anglais ; c) des Irlandais quittent l'usine et les Canadiens français les remplacent — Chinese of the East, a-t-on dit d'eux injustement.

Les fermiers les plus prospères de la Nouvelle-Angleterre, ayant réalisé des épargnes, se portèrent acquéreurs de nouvelles terres dans l'Ouest : ils furent remplacés par des Irlandais qui avaient réalisé des épargnes dans l'usine. Plus tard, les fermiers irlandais les plus prospères essayèrent d'imiter leurs devanciers en investissant leurs épargnes dans les terres plus rentables de l'Ouest, et ils furent remplacés par des Canadiens français pour une bonne part. Ceci expliquerait, par exemple, le fort taux d'émigration du Vermont, État à prédominance agricole.

Où sont allés les émigrants de la Nouvelle-Angleterre ? En considérant comme lieux d'accueil possibles huit États constitués par immigration au cours de la dernière moitie du XIXe siècle, nous obtenons une certaine indication sur les principaux axes des courants migratoires (tableau 2).

Ainsi les vieux États de l'Est ont fourni aux États nouveaux 45% de leurs immigrants nés aux États-Unis.

L'ouverture de l'Ouest et de la région centrale a drainé les vieux États et provoqué l'émigration canadienne directement ou indirectement. Celle-ci s'est orientée dans plusieurs directions, à diverses périodes du XIXe siècle. Cela donne à penser que les contingents d'émigrés canadiens-français disséminés dans les États de l'Ouest ne seraient pas tous venus directement du Canada, mais indirectement, comme Franco-Américains, dans le sillage de l'exode des Yankees. Il est possible aussi qu'il y ait eu émigration via l'Ouest canadien, car il y eut migration de la plaine canadienne vers la plaine américaine jusqu'en 1886 ou 1887. Autour de 1890, il y aurait eu mouvement vers le Canada, du Dakota et du Nebraska, comme conséquence des mauvaises récoltes dans ces États. Le Canada avait aussi placé des agents d'immigration dans certains États de l'Ouest et du Nord-Ouest, en vue d'y recruter des colons pour l'Ouest canadien ou, plus particulièrement, de rapatrier les émigrés canadiens : dans le Wisconsin, le Minnesota,  [288] le Dakota-Nord et le Dakota-Sud. Il y en avait trois dans le Michigan, deux dans le Nebraska, deux dans le Kansas, et un dans l'Illinois.

Nous n'en sommes pas pour autant mieux informes statistiquement sur les résultats de cette politique. [22]

TABLEAU 2

Nombre de personnes nées aux États-Unis et ayant émigré vers les États nouveaux ci-dessous énumérés, et pourcentage de ce nombre que représentent les émigrants des anciens États de l'Est énumérés dans le tableau 1, en 1880.

ÉTATS

NOMBRE

POURCENTAGE

Illinois

784,775

32

Michigan

445,895

36

Wisconsin

216,726

24

Minnesota

210,726

41

Iowa

625,659

46

Missouri

688,161

35

Kansas

652,944

74

Nebraska

258,288

73

SOURCE : Documents de la session, Canada, 1890, no 6.


Nous savons néanmoins que les mouvements de population affectent toutes les parties de l'Amérique du Nord, a une période ou l'autre du XIXe siècle, que la population des vieux États de l'Est américain subit l'attraction des nouveaux États de l'Ouest et du Nord-Ouest et que la tendance chez les Canadiens français durant le dernier quart du siècle, est de chercher de l'emploi dans les usines de textile de la Nouvelle-Angleterre.

L'attraction des États-Unis sur le Canada, et sur les provinces centrales en particulier, ne se limite toutefois pas au dernier quart du XIXe siècle ; elle est séculaire, elle est la caractéristique permanente de l'histoire canadienne, comme le notait Lord Durham lui-même. Il convient donc de l'interpréter par rapport à des facteurs structurels, et par rapport à la croissance industrielle de longue durée, et non en fonction des pressions conjoncturelles seulement.

Cette attraction était pour ainsi dire inscrite dans la structure géographique du continent nord-américain. Et, à cause de cette structure, pour une bonne part , elle s'est exercée sur le Canada dès l'âge commercial, [289] pré-industriel et pré-ferroviaire de l'économie nord-américaine, puis elle s'est accentuée au cours de la grande révolution industrielle, à mesure qu'augmentait la densité des grandes agglomérations urbaines à caractère métropolitain.

II. LES MOUVEMENTS MIGRATOIRES
ENVISAGÉS PAR RAPPORT À LA GÉOGRAPHIE
ET À L'HISTOIRE ÉCONOMIQUE DE L'AMÉRIQUE DU NORD


Le peuplement nord-américain comporte cette caractéristique notable d'être inégalement réparti dans l'espace. La population canadienne, par exemple, se repartit en bande étroite à proximité de la frontière canado-américaine. Quatre-vingt pour cent de cette population habite à moins de 250 milles de la même frontière. Surtout, il faut remarquer qu'une forte proportion de cette population est massée dans le sud-ouest des provinces de Québec et d'Ontario, comme l'est celle des États-Unis dans la région des Grands Lacs. Les mêmes régions contiennent de cinquante à soixante pour cent de la capacité industrielle du Canada et des États-Unis. Or, cette répartition géographique de la population n'est point un hasard, mais un événement historique. Et comme tout événement historique, elle a des origines complexes. Pour une bonne part, elle est le résultat d'une adaptation dynamique du peuplement à la structure géographique de l'Amérique du Nord. À ce type d'adaptation correspondent des phases de développement commercial et industriel, d'industrialisation et d'urbanisation, qui ont provoqué des mouvements migratoires et qui ont donné naissance aux grandes agglomérations en certaines régions privilégiées par les richesses brutes et par la technologie.

1. LE CADRE GÉOGRAPHIQUE
ET LA DYNAMIQUE DU PEUPLEMENT


Du point de vue physiographique, le Canada se divise en six régions. Ce sont : la région des Appalaches et de l'Acadie, les basses terres du Saint-Laurent, le Bouclier canadien, les plaines de l'Ouest, les Cordillères, et les basses terres de la baie d'Hudson et de l'Arctique.

Ce qu'il peut y avoir de remarquable dans cette structure, c'est la présence des trois barrières qui rompent la continuité transcontinentale de l'espace canadien - à l'est, les Appalaches barraient la route à l'expansion vers les plaines intérieures ; au centre, le Bouclier constituait une barrière entre les basses terres laurentiennes et les plaines de l'Ouest ; enfin, les Cordillères isolaient la Colombie du reste du Canada. L'on comprend que les provinces de l'Atlantique, les provinces Centrales, les Plaines de l'Ouest et la Colombie-canadienne aient développé des personnalités historiques [290] différentes. Elles se sont constituées par îlots indépendants, et non par liaisons successives de l'est à l'ouest.

Les provinces de l'Atlantique ont débuté avec les pêcheries, comme les États américains de la Nouvelle-Angleterre ; le peuplement des basses terres du Saint-Laurent s'est effectué directement, ou indépendamment des colonies du littoral atlantique, par la voie d'accès du golfe et du fleuve ; les Plaines de l'Ouest et de la Colombie furent occupées par les traiteurs de la baie d'Hudson. Et même l'essor économique de la Colombie-Canadienne au XIXe siècle s'explique par ses liaisons avec l'univers commercial du Pacifique, en fonction des marchés de Californie et d'Australie, et par migration de travailleurs entre la Colombie et les autres zones du Pacifique.

On remarquera que la géographie n'offre aucune solution de continuité entre le Canada et les États-Unis en certaines régions du pays. Entre les plaines américaines et canadiennes, par exemple entre le Sud-Ouest laurentien et les États américains limitrophes, les affinités géographiques sont très fortes. Et même, pour une bonne part, l'on pourrait expliquer certaines phases historiques du développement par rapport à certaines transgressions de frontière.

Pour les fins de la présente étude nous nous bornerons à la géographie historique des basses terres laurentiennes et du Bouclier.

a) La barrière précambrienne a orienté l'expansion
le long de la plaine laurentienne
dans la direction du sud-ouest


Les basses terres laurentiennes longent de façon plus ou moins régulière le fleuve Saint-Laurent depuis le voisinage de la ville de Québec jusqu'a l'extrémité ouest du lac Huron, sur une longueur de 600 milles environ. Elles ont l'aspect d'une plaine. Quelques intrusions de roches ignées ont laissé les collines montérégiennes dans la région de Montréal. Dans les basses terres laurentiennes se sont constituées les premières colonies agricoles. L'agriculture y occupe encore une place importante. L'expansion, depuis cinquante ans, des régions métropolitaines de Trois-Rivières, Montréal, Toronto, Hamilton, accuse aujourd'hui la prédominance industrielle de cette région.

Le Bouclier canadien occupe les quatre-cinquièmes de la superficie de la province de Québec, et près des deux tiers de tout le territoire canadien. C'est un plateau immense et mal drainé, caractérisé par une infinité de lacs. Il a pour limite nord les basses terres de la baie d'Hudson et de l'Arctique. Il se termine au sud par la chaîne des Laurentides longeant les basses terres du Saint-Laurent. Au sud-ouest, dans la région de Kingston, il pousse une pointe dans l'État de New-York, à l'embouchure du lac Ontario (les Mille-Îles). De là, en direction nord-ouest, le Boucher [291] atteint la rive sud de la baie Georgienne et contourne ensuite la rive nord des grands lacs Huron et Supérieur. À l'Ouest du lac Supérieur, il pénètre dans l'État américain du Wisconsin, puis remonte vers le nord en longeant la vallée de la rivière Rouge et la rive est du lac Winnipeg, et de la vers le nord-ouest jusqu'à l'Arctique.

Dans son extension au nord des Grands Lacs, c'est-à-dire, du lac Huron à l'extrémité ouest du lac Supérieur, le Bouclier forme une barrière de quelque 800 milles : le plus grand obstacle à l'expansion transcontinentale dans l'histoire du pays.

En regard de ces structures physiographiques, demandons-nous maintenant comment se sont déployés les efforts de l'occupation des basses terres du Saint-Laurent.

b) L'occupation des basses terres laurentiennes

Deux objectifs ont été a l'origine de l'occupation française : le commerce et l'agriculture. Le Bouclier était l'habitat par excellence des animaux à fourrure : il était l'objectif de l'organisation commerciale.

Les basses terres offraient un potentiel agricole. Le fleuve fournissait une voie d'accès commune au commerce et à la colonisation agricole. L'organisation laurentienne de la traite n'était toutefois pas la seule ; elle avait pour concurrents les Anglais du fleuve Hudson au sud jusqu'au point de contact du lac Champlain, et les Anglais de la baie d'Hudson qui, depuis 1680, menaçaient de barrer la marche des Français vers l'Ouest. Les Anglais du sud visaient à prendre le contrôle du fleuve Saint-Laurent.

Situés ainsi entre deux organisations concurrentes, les Français durent organiser des expéditions dispendieuses contre leurs ennemis de la baie d'Hudson et fortifier leur commerce vers le sud-ouest. Les expéditions fameuses de Marquette et Joliette ouvrirent la voie à l'expansionnisme commercial des Français à la fin du XVIIe siècle ; elles furent à l'origine de cette chaîne de forts s'étendant depuis Montréal jusqu'au confluent de l'Ohio et du Mississipi, et même au-delà. Tout ce territoire fortifié fut cédé aux Anglais en 1763, mais toute la partie située au sud-ouest de Montréal fut soustraite à l'administration de la province de Québec. En 1774, devant l'imminence de la révolte des colonies britanniques, le gouvernement de Sa Majesté restitua à l'administration de la province de Québec ce territoire compris entre l'Ohio et le Mississipi, au sud des Grands Lacs. C'est ce qu’on appelle « la province de Québec de l'Acte de Québec » (1774-1783). Ce triangle comprend aujourd'hui la section la plus industrialisée des États-Unis. Le règlement de frontière de 1783 (traite de Versailles) refoulait les Britanniques canadiens à la latitude nord du lac Érié. Les commerçants britanniques, désormais privés d'un territoire qu'ils avaient considéré comme extension naturelle des basses terres du Saint-Laurent et comme [292] voie d'accès facile aux régions de l'Ouest, devaient organiser leur commerce en direction du Bouclier. Ils groupèrent leurs unités sous une commune direction (la Compagnie du Nord-Ouest), mais ils ne purent vaincre la résistance de la Compagnie de la Baie-d'Hudson. En 1821, la traite tombait sous le contrôle de cette compagnie, l'organisation laurentienne disparaissait, parce que le contrôle et l'administration de la traite étaient centralisés à la baie d'Hudson.

Depuis lors jusqu'à la Confédération, l'économie des basses terres laurentiennes allait se reconstituer grâce à la colonisation agricole et aux travaux publics, grâce aussi à l'exploitation forestière en bordure du Bouclier. C'était la deuxième utilité qu'on découvrait au Bouclier. En dehors de l'exploitation forestière, celui-ci ne jouait plus qu'un rôle négatif, celui de fermer l'accès aux plaines de l'Ouest. Toutefois, après l'ouverture du canal Érié et du canal Rideau, et plus tard des canaux du Saint-Laurent, le trafic commercial se développait et, avec le traité de réciprocité (1854-1866), les échanges canado-américains donnaient à l'économie laurentienne une dimension interrégionale qu'elle ne pouvait plus trouver en direction de l'Ouest.

Du côté américain, depuis le règlement de frontière de 1783, il s'était produit une expansion intérieure par la voie du Mississipi, vers les Grands Lacs. La voie mississipienne allait établir une dynamique interrégionale nord-sud, car le Sud agricole, région de monoculture, allait se développer en fonction du marché du coton du Lancashire et de la Nouvelle-Angleterre, et en dépendance de l'intérieur agricole par la voie du Mississipi. [23] Dans le commerce du Sud avec l'Angleterre, les commerçants de Nouvelle-Angleterre agissaient comme armateurs et intermédiaires. On peut donc dire aussi qu'il existait un axe commercial entre le littoral atlantique et le Sud et le golfe du Mexique. [24] Plus tard, avec les canaux et les chemins de fer, s'établira un axe ouest-est, en concurrence avec l'axe mississipien.

Dès l'époque de la guerre de Sécession, toutefois, la suprématie de l'axe ouest-est est déjà fortement établie. [25]

c) Les Grands Lacs :
Méditerranée nord-américaine


C'est principalement au cours de la phase pré-industrielle du développement nord-américain qu’apparaît la signification des convergences vers les Grands Lacs et que se manifeste l'impact des États-Unis sur les provinces britanniques du centre, car alors l'agriculture du Sud et le commerce de [293] la région des Grands Lacs mettent en évidence deux fonctions : celle du fleuve Saint-Laurent au nord, celle du Mississipi au sud. Par le Mississipi, des colons pénétraient dans l'intérieur pour y développer l'agriculture en fonction du Sud qui était une région de monoculture ; et par le Mississipi encore, des commerçants et d'autres colons s'avançaient vers les Grands Lacs et vers la plaine, en suivant les fleuves Ohio et Missouri. Aux Grands Lacs, ils rencontraient un obstacle politique (la frontière qu'on avait tracée par le thalweg) et, avant l'ouverture du système Érié, un obstacle naturel à l'est : les Appalaches. À l'ouest, les Canadiens se heurtaient à la barrière précambrienne. [26]

À ce stade technologique, et même au-delà, les régions des Grands Lacs, disons la péninsule ontarienne et l'Ohio, de même que les régions actuelles du Michigan et du Wisconsin devenues États de l'Union en 1837 et en 1848, constituaient une aire d'affinités économiques exposée à l'attraction de deux pôles de développement : l'économie britannique qui, au début de l'âge du chemin de fer, semblait ou voulait dominer l'économie nord-atlantique, d'une part ; la jeune économie américaine qui, à peine libérée soi-disant du joug impérial, aspirait à des prétentions semblables, d'autre part. La région laurentienne se trouvait ainsi tiraillée entre deux courants d'influence. Un historien américain a employé un vocable international en usage chez les géographes pour qualifier cette situation : le maelström, c'est-à-dire quelque chose qui évoque le tourbillon. [27] D'autres aires d'affinité favorisaient des axes de développement canado-américains. L'affinité des provinces britanniques de l'Est avec la Nouvelle-Angleterre est caractéristique. Le Richelieu et le lac Champlain associaient le Vermont aux basses terres du Saint-Laurent. À l'ouest des Grands Lacs, le système hydrographique favorisait la liaison du Manitoba avec le haut Mississipi et il fut un temps où la région de la rivière Rouge devenait tributaire de Saint-Paul-Minneapolis. La Colombie-Britannique se développait, avec l'activité minière, en fonction de l'économie du Pacifique et en association avec les États américains du Pacifique. Mais c'était principalement du côté des Grands Lacs que les échanges canado-américains tendaient à se développer. Les deux axes de navigation intérieure des États-Unis et du Canada, le Mississipi et le Saint-Laurent, orientaient l'activité commerciale vers l'inférieur agricole et forestier. La colonisation des basses terres du Saint-Laurent et des terres situées le long du Mississipi et de l'Ohio, des centres urbains qui se développaient de part et d'autre, le trafic entre Américains et Canadiens, tendaient à faire des Grands Lacs une véritable Méditerranée nord-américaine.

[294]

d) Le trafic canado-américain
sur les Grands Lacs


Déjà avant la guerre de 1812-1815, il existait un réseau d'échanges entre les États américains et les deux Canadas. [28]

Le commerce canado-américain est devenu clandestin durant la guerre ; il a repris son cours normal après la guerre.

Et il y eut émigration américaine vers le Canada : les armateurs américains en profitèrent. Sur les lacs Érié et Ontario s'édifia une flotte des Grands Lacs - Érié et Sacketts du côté américain, Kingston et York du côté canadien. Des charpentiers, des marins et des anciens officiers de guerre s'établirent d'un côté et de l'autre, sans tenir compte de la frontière politique.

Déjà le bateau à vapeur avait fait ses preuves sur le lac Champlain, le Hudson, le Mississipi. En 1809, on avait construit un bateau à vapeur à Prescott, un autre à Montréal. Le navire Accommodation, de la maison Molson, fut équipé d'engins fabriqués à Montréal. Tout de suite après la guerre, deux compagnies, l'une américaine, l'autre canadienne, furent constituées dans le but d'organiser la navigation à vapeur sur les lacs. En 1817, une compagnie de navigation était organisée pour le transport entre Buffalo et Detroit, semblable à celle qui opérait déjà entre New-York et Albany. Les échanges avec les États-Unis via la rivière Richelieu et le lac Champlain, le canal Rideau, le canal Welland, favorisaient les ports de Trois-Rivières, Montréal et les producteurs agricoles, de même que les ports de Kingston et de York (Toronto). [29]

Jusqu'en 1835, les exportations aux États-Unis consistaient en des produits britanniques en transit, les États-Unis et le Canada produisant les mêmes produits. Apres 1835, les relations changent de caractère. Les forêts américaines deviennent moins accessibles ; on achète du Canada en dépit d'un tarif douanier, et même on va ouvrir des chantiers forestiers dans la vallée de l'Outaouais ; on y achète blé, farine et articles divers. La demande américaine de bois était stimulée par la croissance rapide de certains centres à caractère métropolitain, tels que Buffalo, Chicago, Érié. Chicago, constituée en corporation municipale en 1833, entreprend la construction de son port en 1834. La spéculation sur la propriété foncière y règne.

On expédie du bois du Canada via Chambly ; de la vallée de l'Outaouais on exporte aussi du bois, via les canaux Rideau, Welland, Oswego et Érié, à New-York : 2,000,000 pieds en 1836. Les commerçants canadiens jugeaient importantes ces relations commerciales avec les États-Unis, [295] prévoyant le cas où la Grande-Bretagne en viendrait à réduire ses tarifs sur les bois de la Baltique ou de la Mer du Nord : appréhension bien fondée, car depuis 1820, il était toujours question chez les parlementaires britanniques de relâcher les restrictions à l'entrée des bois européens. [30] De la part des Canadiens, c'était reconnaître la précarité d'une économie trop dépendante des marchés britanniques, ou trop fortement axée sur la voie laurentienne. Le régime durera pourtant jusqu'en 1846. Son abrogation leur a causé tant de dépit qu'ils sont allés jusqu'à reprocher aux dirigeants britanniques de n'être pas assez impérialistes.

Il peut paraître trivial de dire que la structure géographique d'un pays. c'est-à-dire, ses systèmes orogéniques et hydrographiques, ou autres éléments, imposent à l'exécution des plans humains certaines conditions favorables, défavorables ou limitatives. Il faut bien convenir, toutefois, qu'une partie de l'histoire s'inscrit dans la géographie et que l'activité humaine s'adapte à celle-ci d'autant plus étroitement que les techniques sont plus primitives. L'histoire qui se déroulait à l'âge du canot d'écorce était assujettie au système hydrographique. [31] Notons d'ailleurs que l'influence de la géographie varie selon le coefficient technologique qui affecte les fonctions régionales. Ainsi, pour que le Bouclier cessât d'être une barrière à l'expansion démographique vers le nord, il fallait attendre les techniques récentes de l'hydro-électricité, de la pulpe et du papier, et du traitement des métaux. Au XIXe siècle, jusqu'à l'avènement des chemins de fer, les mouvements migratoires des Canadiens français se font par la vallée de la Kénébec, le corridor Richelieu, le lac Champlain ou, à partir des Cantons de l'Est, par la vallée de la Connecticut, ou encore par la voie traditionnelle du sud-ouest, via l'Ontario, et par la vallée de l'Outaouais. [32]

En ce qui concerne le XIXe siècle auquel nous limitons notre étude, nous soumettons que la politique économique du Canada et le développement des transports, tout en modifiant les voies de pénétration, ont tout simplement facilité la diffusion de la population canadienne vers les États américains.

2. LES VOIES DE TRANSPORT, LES RÉGIMES
COMMERCIAUX DE TRANSIT ET DE RÉCIPROCITÉ


Jusqu'à la guerre de Sécession, la géographie économique des États-Unis est sectionnée en trois : l'Est, le Sud, l'Ouest, c'est-à-dire, toute cette [296] partie à l'ouest des Appalaches. Chacune des sections possède ses caractères originaux : en Nouvelle-Angleterre et dans les États de l'Atlantique moyen, l'activité maritime et industrielle domine : transport et construction navale, forges, filatures. L'agriculture est diversifiée. Dans le sud, les plantations, celle du coton principalement ; dans le Middle-West, et le bas Mississipi, culture générale et élevage.

Jusqu'en 1825, l'Est est pratiquement isolé de l'Ouest. [33] Il se développe par liaisons commerciales avec les Antilles et le Sud agricole. Le Sud s'adonne à la monoculture et s'en remet à l'intérieur agricole pour les approvisionnements de denrées. Il est le point d'appui de la pénétration par la voie mississipienne. Nouvelle-Orléans y joue le rôle d'étape et, graduellement, elle en vient à exercer une fonction métropolitaine. Cette fonction lui sera disputée par les villes du littoral atlantique à mesure que se développeront les moyens de transport de l'Est vers les Grands Lacs. Toutefois, avant la guerre de Sécession, la fonction nodale de Nouvelle-Orléans s'accusait fortement.

Lorsqu'on eut mis au point la technique de navigation à vapeur sur le Mississipi et sur les rivières du Middle-West, Nouvelle-Orléans recevait un fort volume du trafic mississipien, soit environ 80 pour cent des produits de l'Ouest, de l'Ohio et du haut Mississipi. Entre 1830 et 1840, Nouvelle-Orléans est de toutes les villes américaines celle qui accuse le plus fort taux de croissance. En 1840, elle venait au quatrième rang quant à la population, après New-York, Philadelphie et Baltimore, au troisième rang des ports du monde quant au commerce, après Londres et Liverpool.

Durant et après la guerre de Sécession, sa participation au commerce de l'Ouest va décroître relativement. Grâce aux canaux et aux chemins de fer, l'Est prend une part grandissante du commerce de l'Ouest et New-York va éclipser la fonction métropolitaine de Nouvelle-Orléans. New-York est reliée à Chicago en 1854, par le chemin de fer New York Central.

À compter de 1850, le haut Mississipi reçoit des immigrants et organise la production agricole. Nouvelle-Orléans, qui recevait autrefois presque toutes ses provisions par la rivière Ohio, s'approvisionne de plus en plus à Saint-Louis.

Déjà, en 1850, le volume des produits venant de Saint-Louis dépassait celui des produits venant de Cincinnati. En 1859, 48,726 tonnes venaient de Saint-Louis, 26,932 de Cincinnati. [34]

[297]

L'hinterland de Nouvelle-Orléans se rétrécit à mesure que les centres reliés à New-York par le canal Érié et le chemin de fer se développent.

Andrews [35] insiste sur la fonction de Buffalo dont l'histoire commerciale, dit-il, résume en quelque sorte le progrès économique vers l’Ouest en bordure des Grands Lacs, de l'Ohio et du haut Mississipi. Buffalo est fonction de l'Est, au service de l'Ouest.

Son histoire débute avec l'ouverture du canal Érié en 1825. Ce canal ouvrait un marché intérieur pour les produits manufacturés de l'Est ; plus tard, à compter des années 1850, on peut dire depuis l'immigration irlandaise de 1847, il ouvrait le marché de l'Est aux produits agricoles de l'Ouest et inaugurait une ère de concurrence entre l'agriculture de l'Ouest et l'agriculture de l'Est et, ce qui était particulièrement intéressant, il se donnait pour concurrent de la voie laurentienne dans le trafic d'exportation. La voie fluviale du Saint-Laurent fut ouverte au trafic en 1848.

Au canal Érié s'ajoutaient les voies ferroviaires de pénétration. Le chemin de fer Boston and Albany fut ouvert en 1841 et le réseau du New-York Central fut terminé en 1854, reliant Chicago à l'Est. La même année, on terminait la construction du Great Western Railway of Canada, une voie transpéninsulaire reliant Niagara à Detroit avec embranchement à Hamilton et Toronto. Le Suspension Bridge (1855) permettait le raccordement de ce chemin de fer avec le réseau du New York Central. À l'ouest, le Great Western joignait le Michigan Central, la voie Detroit-Chicago ouverte au trafic en 1852. Ainsi, Chicago se trouvait reliée à New-York, via la péninsule ontarienne. Pour la province du Canada, c'était se donner un quatrième lien ferroviaire avec les États-Unis, car la voie Montreal-Boston avait été terminée en 1851, la voie Portland-Montréal en 1853, la voie Montréal-Ottawa-Boston et New-York, par le chemin de fer Ottawa-Prescott, via Ogdenburg, en 1854 ; [36] c'était aussi suppléer aux déficiences de la voie laurentienne imputables au climat. Durant la saison de navigation, une bonne part du commerce d'exportation de l'Ouest empruntait la voie laurentienne ; durant l'hiver, ce commerce était diverti vers les ports américains de l'Atlantique. Le trafic du Great Western Railway était principalement un trafic de transit. Cette « transgression » de frontière a pu développer une mentalité de voisinage nord-sud. La politique commerciale canado-américaine s'y est conformée. Les réseaux de transport avaient préparé cette politique de « transit » et de bonding.

[298]

a) La politique commerciale du transit

En quoi consiste cette politique ? Elle consiste à accepter en franchise des marchandises étrangères destinées à l'exportation ; elle repose sur le principe du drawback appliqué aux marchandises destinées à la ré-exportation. En pratique, elle invitait les exportateurs à utiliser la route américaine, elle plaçait cette route comme concurrente de la voie laurentienne et Montréal comme concurrente des ports américains de l'Atlantique. L'abolition des lois mercantilistes anglaises, la politique américaine du drawback, ou le bonding system, le régime de réciprocité, sont en quelque sorte des événements de même famille. En d'autres termes, toutes ces mesures représentent des étapes vers une intégration commerciale des deux pays.

Les lois américaines du drawback (1845-1846) permettaient d'exporter des céréales canadiennes par les ports américains sans payer de droits d'entrée aux États-Unis. Le même privilège s'appliquait lorsque le Canada importait via les États-Unis, privilège appréciable pour les Canadiens, étant donné que le fleuve Saint-Laurent est fermé à la navigation durant les mois d'hiver ; privilège appréciable également pour les ports américains et pour les compagnies de transport. De l'avis de Poor, un promoteur américain de chemins de fer, sans l'abolition du mercantilisme britannique, sans les arrangements canado-américains, il eût été difficile aux Montréalais d'adhérer au projet d'un chemin de fer reliant le Saint-Laurent aux ports de l'Atlantique.

« Au début, le projet fut reçu avec indifférence par les Canadiens. On avait bien déjà parlé d'un chemin de fer qui relierait les Cantons de l'Est à Boston, mais cela demeurait encore un projet lointain auquel les marchands de Montréal étaient relativement peu favorables. À cette époque, le Canada poursuivait ses grands travaux de canalisation dans le dessein de soustraire le commerce de l’Ouest au canal Érié et de le diriger par la voie du Saint-Laurent. La protection accordée aux produits coloniaux par le gouvernement britannique assurait au Canada le monopole du commerce des céréales entre ce continent et la Grande-Bretagne. Sans un rajustement des relations commerciales entre le Canada et les États-Unis, il eût été bien difficile de réaliser ce projet d'un chemin de fer. » [37]

Une fois qu'on eût terminé la voie laurentienne, le gouvernement canadien accorda aux Américains le privilège d'importer et d'exporter via Montréal. Est apparu ensuite un régime de concession de commerce de transit. Ce régime allait s'appliquer également au commerce domestique, de part et d'autre ; en vertu de quoi, les États-Unis pouvaient, sans payer de droits, transporter des marchandises d'un point à l'autre du pays, par exemple, de Chicago à Buffalo, en passant par le territoire canadien, ou vice versa, en ce qui concerne le Canada.

[299]

Ces arrangements mutuels tenaient fondamentalement aux structures géographiques des deux pays, à leurs conditions climatiques, et aux raccordements ferroviaires en fonction des ports de l'Atlantique. On trouve ici les éléments essentiels d'un régime de réciprocité.

b) Du régime de drawback
au régime de réciprocité


Dans les régimes de transit et de réciprocité, les Canadiens ont cherché une compensation à la perte des avantages inhérents à l'ancien système mercantiliste. De notre point de vue, cette solution provisoire comporte une connotation économique fort intéressante : comme compensation à la perte des marchés britanniques, on pensait trouver dans la réciprocité un espace économique créateur d'une dynamique interrégionale semblable à celle qui existait aux États-Unis. À cette époque, on trouvait plus facile d'agrandir l'espace économique en direction sud, plutôt qu'en direction ouest, en franchissant le Bouclier. La presse américaine y vit un prélude à l'annexion, et elle va sans cesse envisager l'annexion jusqu'à la première guerre mondiale. [38]

Le commerce réciprocitaire était principalement un « commerce de convenance » pour employer l'expression même d'un historien de la réciprocité. [39] Les articles énumérés dans le traité étaient, pour la plupart, communs aux deux pays, quoiqu'ils ne fussent pas tous communs aux sections adjacentes de l'un et l'autre pays. Ainsi, certaines sections des provinces britanniques trouvaient commode de s'approvisionner chez le voisin du sud, plutôt que dans les autres provinces plus éloignées. Le même principe de convenance s'appliquait également en faveur des États-Unis. Le blé et la farine nous fournissent un exemple de cette pratique. « La position du Canada comme triangle entre le nord-ouest et l'est des États-Unis signifiait qu'on allait exporter au Canada les blés entreposés à Chicago, Milwaukee, Detroit et Toledo. Plus tard, on expédia à Buffalo, Ogdenburg ou Cap-Vincent, et, de là, à New-York par le canal Champlain et le fleuve Hudson, ou à Boston et Philadelphie, par rail. » [40] La province du Canada importe du charbon de Pennsylvanie et de l'Ohio, tandis que la Nouvelle-Écosse en exporte en Nouvelle-Angleterre. Chicago expédie des viandes du nord-ouest à Montréal pour le marché canadien ou pour le marché de ré-exportation. Après l'abandon du tarif préférentiel sur le bois colonial, on peut dire après 1860, le Canada trouve un marché dans le Wisconsin, le Michigan et même le Minnesota. [41] À la fin du régime, un [300] homme d'affaires canadien, qui allait devenir ardent propagandiste du protectionnisme, se faisait l'avocat de la cause de la réciprocité canado-américaine. La province du Canada possède des marchés pour ses produits en Amérique. « Il nous semble clair, disait-il, que la solution naturelle au problème de nos échanges commerciaux serait l'établissement d'un Zollverein américain, semblable à celui des Etats allemands. Les États-Unis et le Canada ne prélèveraient pas de droits à leurs frontières respectives mais seulement aux ports maritimes, depuis le Labrador jusqu'au Mexique. » [42]

GRAPHIQUE 1

Importations : commerce d’importation canadien avec les États-Unis
et commerce d’importation américain avec le Canada, 1874-1893.

Source : Voir Senate Executive Documents, 2nd session, 63rd Congress, 1893-94, vol. 4. J. G. CARLISLE, secrétaire, Treasury Department, écrit (traduction non officielle) : « Ces chiffres sont tirés de sources canadiennes et des dossiers de notre département. Il fallait procéder ainsi, car les sources canadiennes et les sources américaines accusent des écarts considérables en certaines années. Nous avons confronté les chiffres officiels des deux gouvernements ; nous avons voulu corriger tes erreurs Susceptibles de conduire à des conclusions fausses. Nous avons procédé selon les règles du métier. »


La même idée sera reprise au cours des années 1880 dans les termes d'une union commerciale, mais la politique du gouvernement était engagée dans la voie du protectionnisme, encore que plusieurs représentants des deux côtés de la Chambre fussent favorables à quelque espèce de marché commun. En dépit de la politique protectionniste, il semble bien que la structure du commerce soit demeurée la même. Les séries chronologiques du commerce extérieur du Canada avec les États-Unis préparées pour le [301] comité américain sur les relations commerciales avec le Canada, accusent la vassalité canadienne envers l’économie des États-Unis, du moins jusqu’à la fin de la grande dépression (voir le tableau 3).

TABLEAU 3
Commerce du Canada avec les États-Unis, 1874-1893.
(en millions de dollars)

Années

Importations

Exportations

Commerce avec les États-Unis
 en % du commerce total du Canada

1874

51.7

34.3

40.9

1875

48.6

28.8

39.9

1876

44.1

28.7

42.2

1877

49.3

25.1

43.9

1878

48.0

25.1

43.1

1879

42.0

26.5

45.9

1880

28.1

31.6

38.1

1881

36.3

35.9

38.4

1882

47.0

47.5

44.4

1883

55.1

41.0

43.8

1884

49.7

36.6

44.2

1885

45.5

37.7

44.5

1886

42.8

36.5

43.7

1887

44.8

37.6

42.3

1888

46.4

42.5

46.6

1889

50.0

41.5

46.6

1890

52.2

38.0

43.6

1891

52.2

40.1

44.1

1892

51.7

37.1

39.1

1893

52.3

39.7

40.1

SOURCE : Senate Executive Documents, 2ncl Session, 53rd Congress, 1893-94, Vol. 4.


On peut difficilement exagérer l'importance des influences géographiques et historiques qui ont contribué à la formation d'une communauté d'intérêts économiques dans laquelle le Sud-Ouest laurentien, la péninsule ontarienne, les États des Grands Lacs et les États de la Nouvelle-Angleterre nous apparaissent comme régions différenciées, c'est-à-dire plus ou moins privilégiées économiquement. La topographie et le climat ont contribué fondamentalement aux différenciations régionales. La voie d'accès britannique à l'intérieur du continent passait par le nord ; c'est une voie qui se couvre de glaces durant plusieurs mois par année. La voie d'accès américaine s'orientait du sud au centre et, grâce à quelques artifices de navigation [302] intérieure, elle conduisait, en somme, jusqu'aux Grands Lacs. Des ilôts de développement se sont constitués au centre, et autour des Grands Lacs, en même temps qu'on organisait les liens commerciaux entre l'Est et les Grands Lacs. Les entreprises de l'Est et du Sud se sont rencontrées dans les vastes espaces du Middle-West ; elles avaient comme arrière-contrées les plaines fertiles de l'Ouest. Pour les Américains, l'aventure transcontinentale commençait dans le Middle-West ; pour les Canadiens, elle commençait à Montréal, le terminus de la voie navigable. Après avoir canalisé en amont, il restait à franchir la barrière précambrienne.

À l'époque de la Confédération, la valeur des produits végétaux et animaux du Middle-West écoulée sur les marchés de l'Est équivalait à celle de toute la production du coton. C'était franchir une étape importante dans l'histoire économique des États-Unis. L'Ouest agricole et commercial se trouvait maintenant axé sur la section la plus industrialisée de l'Amérique du Nord, les villes de la Nouvelle-Angleterre et des États de l'Atlantique moyen. La région des Grands Lacs devenait associée aux foyers d'accumulation du capital financier et technique. Déjà, l'activité agricole et commerciale avait fixé sur la carte de l'Amérique du Nord les fonctions métropolitaines qui allaient polariser le développement industriel du Middle-West.

Il n'en était pas ainsi au Canada durant la période de réciprocité, alors que la vocation métropolitaine des villes demeurait encore incertaine. Québec, Trois-Rivières et Montréal étaient pratiquement privées d'hinterland et devaient compter principalement sur le commerce de transit, c'est-à-dire se définir plus ou moins comme sous-métropoles ; même Kingston, Toronto et Hamilton dépendaient beaucoup du commerce des Grands Lacs et, sous ce rapport, leurs ambitions se portaient vers les États du sud-ouest, ou vers des zones de concurrence américaine.

3. L'AGRICULTURE, LE COMMERCE
ET L'INDUSTRIE DANS LE MIDDLE-WEST
ET LE DÉVELOPPEMENT DES FONCTIONS MÉTROPOLITAINES


La guerre de Sécession (1860-1865) fut un facteur d'accélération dans le développement agricole et commercial des États du Middle-West, et du Nord-Ouest même. Nous disons bien : facteur d’accélération, car la colonisation de ces régions remonte au début du siècle. Elle s'accélère à compter de 1825, avec les canaux, dans les années 1840 avec les chemins de fer, ainsi qu'avec la mécanisation agricole ; dans les années 1850 avec la construction de l'Illinois Central et ses embranchements, et avec les ventes spectaculaires de terres qui ont accompagné et supporté la construction ferroviaire durant cette période. [43]

[303]

Parce qu'ils étaient pourvus de ce minimum d'infrastructure essentiel à l'expansion rapide de la culture et à la mise en marché des produits agricoles, les nouveaux États de l'Ouest ont pu satisfaire à la demande de guerre et ont connu un essor remarquable au cours des années 1860 : affluence de colons, développement et amélioration des routes et des arts agricoles, extension des voies ferroviaires. La guerre civile a privilégié les nouveaux États de l'Ouest, et ceux-ci, après la guerre, ont supporté l'expansion à l'ouest du Mississipi et dans le haut Missouri.

a) Quelques aspects de l'expansion avant la guerre civile :
les axes de pénétration dans l’Ouest


Au cours du premier quart du XIXe siècle, l'ouest des États de New-York et de Pennsylvanie, le bas Ohio, et une partie de l'Indiana et de l'Illinois connurent une croissance rapide, mais c'était une croissance géographiquement restreinte parce qu'elle était axée surtout sur le système fluvial Mississipi-Ohio. Le canal Érié (1825) ouvrit un nouvel axe de pénétration est-ouest. La voie de l'Érié menait facilement au Michigan et au Wisconsin mais plus difficilement à l'Illinois et à l'Indiana. Il était donc normal que les colons venus de l'Est s'attaquent d'abord au Michigan et au Wisconsin, à l’Illinois, à l'Indiana et à l'Iowa ensuite. Le Michigan, et plus particulièrement Detroit, constituaient donc l'étape des émigrants de l'Est. Et lorsque, après 1834, la colonisation du Michigan et du Wisconsin se répandit au sud-ouest de l'Illinois et vers l'Iowa, et lorsque les colons venus du Michigan rencontrèrent ceux qui venaient du Kentucky, du Tennessee et de l'Indiana, par les voies du Mississipi et de l'Ohio, la fièvre des terres envahit les États de l'Est, depuis le Vermont jusqu'au Rhode-Island. Fièvre des terres nouvelles, besoin d'émigrer : le Michigan devenait le point de mire, le michiganisme, la vogue des années 1830. [44] C'est donc après l'ouverture du canal Érié, et plus particulièrement à compter de 1830 que les États de l'Est ont fourni des colons aux États nouveaux. La colonisation du Michigan et du Wisconsin fut leur œuvre principale.

Il faut ajouter toutefois qu'aussi longtemps que les grands réseaux ferroviaires ne sont pas constitués, en somme, avant 1860, le progrès [304] est lent ; la colonisation dépend trop étroitement du réseau hydrographique.

Dans la plupart des États du Middle-West et du Nord-Ouest, c'est la période des pionniers ; et les États privilégiés sont ceux que favorise le système de navigation intérieure. [45] L'Iowa connut une première vague de colons en 1836, le Kansas, au cours des années 1850, tandis que le nord du territoire de Dakota ne s'ouvre qu'en 1860. Ces territoires de colonisation sont dépendants de centres urbains associés à la navigation fluviale, tels que Cincinnati, Cairo, Saint-Louis. Saint-Paul, centre d'affaires de l'American Fur Company depuis 1849, devenait, de 1850 à 1860, centre d’approvisionnement de la Hudron's Bay Company et entretenait des relations commerciales avec Selkirk et la vallée de la rivière Rouge, en territoire britannique. [46]

b) Le rôle des canaux, la navigation intérieure
et les métropoles fluviales avant la guerre civile


Incontestablement, le développement du Middle-West était bien lancé avant la guerre civile. Un économiste américain l'a récemment démontré en termes statistiques. [47]

C'était toutefois un développement qui dépendait nous le répétons, des voies de navigation inférieure, un développement que polarisaient les centres avantageusement situés par rapport au réseau hydrographique. Avant l'avènement des chemins de fer, et à l'époque des premiers chemins de fer, disons entre 1830 et 1850, le commerce des États agricoles empruntait les voies du Mississipi, de l'Ohio, des Grands Lacs, de l'Érié, de Welland et du Saint-Laurent. Le rôle des chemins de fer d'alors se limitait pratiquement à relier les zones éloignées aux voies navigables. Ils se donnaient pour complémentaires de la navigation intérieure ; ils s'occupaient de transport en transit, des affaires locales et du transport des passagers.

Les canaux ont joué, à l'échelle régionale, dans la manipulation des céréales, un rôle analogue à celui que joueront plus tard les chemins de fer à l'échelle interrégionale ou transcontinentale. Avant l'organisation des réseaux ferroviaires, certaines villes recevaient les produits agricoles et les distribuaient par les voies de transport qui lui offraient les meilleures conditions soit par le Mississipi, soit par l'Erié, soit par le Saint-Laurent. Les terminus maritimes étaient Nouvelle-Orléans, New-York et Montréal. À l'inférieur de ce cadre technique, Montréal pouvait encore aspirer [305] à jouer un rôle de rivale métropolitaine. Or, les compagnies de chemin de fer allaient modifier ce cadre en multipliant les débouchés vers les ports maritimes et en équipant ces ports d'élévateurs à grain de façon à réduire considérablement les coûts de transbordement. [48]

Déjà, la construction et l'amélioration des canaux avaient contribué à la réduction des coûts. En rendant possible et rentable l'écoulement des produits, les canaux et les chemins de fer complémentaires de ces canaux avaient supporté et favorisé l'expansion agricole. De plus, l'industrie des instruments aratoires, qui débutait à Chicago vers 1840, devait contribuer encore à la réduction des coûts, favoriser une nouvelle expansion et susciter d'autres aménagements : par exemple, les canaux reliant la rivière Ohio au lac Érié, la rivière Illinois au lac Michigan (Illinois and Michigan Canal, 1848). La nouvelle vague de colonisation y attirait enfin les spéculateurs fonciers et les promoteurs de chemins de fer. [49]

Le Salena & Chicago Union Railroad fut construit de 1850 à 1853, le Chicago & Burlington Railroad de 1853 à 1856. Au cours de la même période se constituaient les grands réseaux : New York Central et Illinois Central ; avec ces deux troncs ferroviaires s'ouvraient des perspectives nouvelles. Chicago deviendrait la capitale des métropoles de l'Ouest et New-York le terminus maritime et la capitale financière. Tous les centres de l'Ouest qui exerçaient quelques fonctions métropolitaines convergeaient vers Chicago. Cincinnati, Saint-Louis et Saint-Paul-Minneapolis ont joué chacune à leur façon des rôles métropolitains, en fonction de leurs régions agricoles respectives. [50]

Saint-Paul avait une population, en majorité française, de quelque deux cents habitants : commerçants, chasseurs, pêcheurs ; et lorsqu'on ouvrit le territoire du Minnesota en 1849, Saint-Paul en était la capitale. St. Anthony, de l'autre côté de la rive, peuplée d'immigrants des Étays de l'Est, fut incorporée en 1860 et prit le nom de Minneapolis en 1867. Les deux villes s'unissaient en 1872 pour constituer les Twin Cities. Sur Saint-Paul allaient s'appuyer les petits centres du territoire de Minnesota qui reçurent leur impulsion du développement agricole, entre 1855 et 1860, tels que Grand Falls, Fargo, Minot ; et même, nous l'avons signalé plus haut, un service de caravanes fonctionnait entre Saint-Paul et la rivière Rouge et, plus tard, un service de steamer sur la rivière Rouge entre Breckenridge et Winnipeg.

[306]

c) Le progrès du Middle-West et du Nord-Ouest
durant la guerre civile


La guerre a fermé l'accès au bas Mississipi et elle a privilégié les ports du Michigan et de l'Érié, et Chicago, située au carrefour des grandes voies de transports, devint le marché des céréales et des bestiaux. Déjà en 1862, elle avait enlevé à Cincinnati son titre de « Porkopolis of the West ». [51]

Au lendemain de la guerre, les premiers producteurs de blé dans l'Union étaient l'Illinois, l'Iowa, l'Ohio et l'Indiana. De 1860 à 1865, l'Illinois réalisa un gain réel de population de 430,000 et la population de Chicago passa de 109,260 à 178,539. Les gains furent les suivants : Wisconsin 90,000, Minnesota 78,000, Iowa 180,000, Kansas 35,000, Nebraska 30,000, dans les États précités.

L'immigration d'outre-mer fournit un contingent relativement faible à ces États. L'apport le plus considérable fut apparemment celui des Yankees et des Canadiens et Franco-Américains. L'on sait qu'à cette époque-là, l'État de New-York s'inquiétait de la dépopulation de ses campagnes et de ses petites villes. [52]

d) Les chantiers du Wisconsin

À la demande de main-d'œuvre de l'agriculture, des travaux publics et des transports, s'ajoutait celle de l'entreprise forestière dans les contrées du haut Mississipi et de la rivière Sainte-Croix. [53] L'essor forestier de ces contrées aurait attiré des jeunes gens du Québec - ces voyageurs comme on les appelait, parce qu'ils revenaient ordinairement après la saison de la coupe. Le roman d'Honoré Beaugrand nous présente ce type de voyageur dont l'amie Jeanne s'en va travailler dans les filatures de Fall-River. [54]

III. LES FONCTIONS MÉTROPOLITAINES,
LA FIXATION DES AXES DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE
ET LES FORCES D'ATTRACTION DÉMOGRAPHIQUE


Gras, l'historien des métropoles, a étudié l'origine des fonctions métropolitaines aux États-Unis. [55] Son critère est financier, et son énumération [307] des métropoles correspond aux centres choisis par le Federal Reserve System pour représenter la Banque centrale, lorsque le système fut établi en 1914 (Gras écrivait en 1922) : New-York, Chicago, Saint-Louis, Philadelphie, Boston, Cleveland, Saint-Paul-Minneapolis (the Twin Cities), Kansas-City, San-Francisco, Baltimore et Cincinnati. Or, l'on remarquera que cinq des centres énumérés sont situés dans la région des Grands Lacs ou du haut Mississipi ; ils sont des produits de l'âge agricole et commercial : Chicago, Saint-Louis, Cleveland, Saint-Paul-Minneapolis, Cincinnati. Il faudrait ajouter Buffalo.

À l'intérieur de notre champ d'observation, de ce que nous avons appelé la communauté historique des intérêts économiques du Nord-Est américain, nous avons : Montréal, Toronto, Chicago, Cleveland, Buffalo, reliés à New-York d'abord, par le système de canalisation Érié-Oswego, reliés ensuite à New-York, Boston, Philadelphie et Baltimore, par chemin de fer. Toutes, et même Saint-Louis et Cincinnati, vont converger vers les Grands Lacs par un système complexe de canaux et de chemins de fer.

Il est remarquable que les villes des États des Grands Lacs ont acquis leur vocation métropolitaine à l'âge pré-industriel de cette région, comme sous-métropoles soit de New-York, soit de Nouvelle-Orléans ou des deux à la fois, soit encore par elles-mêmes, en vertu de leur site privilégié, comme ce fut le cas de Chicago. Ayant acquis relativement tôt son statut légal de ville, Chicago proclame des 1858 sa vocation au rôle de métropole du Middle-West. Elle définit sa situation par rapport au fleuve Mississipi.

Le Mississipi contourne la pointe extrême sud de l'Illinois, formant une ligne de séparation entre l'Illinois et le Kentucky. Les entrepôts régionaux peuvent expédier par le Mississipi ou par les ports de l'Atlantique. À l'Illinois et au Kentucky peut se joindre l'Ohio, bien développé au point de vue agricole. Cairo, à l'extrême sud d'une région qu'on a appelée la petite Égypte, occupe une position intermédiaire. Du point de vue du commerce d'exportation, elle ne pouvait devenir qu'une succursale. Située au confluent de l'Ohio et du Mississipi, elle était reliée à Chicago par un embranchement de l'Illinois Central. D'autres centres, comme Saint-Louis, pouvaient commercer avec Chicago par la rivière Illinois et le canal Chicago et Illinois qu'on avait ouvert en 1848. En amont du confluent Illinois-Mississipi, l’Iowa, le Minnesota, le Wisconsin étaient des régions de colonisation desservies par Saint-Louis, Milwaukee et autres ports du Wisconsin sur le lac Michigan. Chicago était à la tête de la navigation du système laurentien et des Grands Lacs ; elle avait l'option entre Nouvelle-Orléans et Montréal pour l'exportation de ses produits, mais elle avait pour rivale New-York, maîtresse du système Erié. L'on comprend qu'elle ait voulu favoriser Montréal de préférence aux autres et qu'elle ait pris parti pour [308] le maintien du régime de réciprocité, contrairement à New-York qui en réclamait l'abolition. [56]

1. LE SECTEUR LAURENTIEN
DE LESPACE CANADO-AMÉRICAIN
EN VOIE DE DÉPRÉCIATION RELATIVE


a) La vocation manquée de Montréal

Malgré les efforts pour améliorer la voie laurentienne, et malgré la suspension des péages sur les canaux du Saint-Laurent de 1860 à 1863, le trafic continue de s'engouffrer vers l'Est américain.

Durant la période de gratuite laurentienne, les taux ont augmenté sur l'Érié. En 1860, les péages ont doublé pour le trafic vers l'intérieur ; ils ont augmenté de 25% en 1861 pour le trafic en sens inverse. Le trafic n'en a pas moins suivi la voie de l'Érié, et à un rythme croissant. En 1862, le tonnage de cette voie avait augmenté de 32% par rapport à celui de l'année 1859. [57] Trois ans d'épreuve du système, trois ans de gratuité ont révélé que, non seulement le trafic n'a pas pu conserver une part proportionnelle de l'accroissement du volume de commerce, mais qu'il a décliné absolument.

Plus tôt, certains États américains avaient tenté une expérience semblable : réduction des péages en 1846 et 1852. [58] On en avait conclu qu'il n'y avait pas de relation directe entre les taux de péage et le volume de trafic. De même, le commissaire canadien des Travaux publics dut-il admettre que la politique de gratuité des canaux n’y avait guère influencé les cours du commerce. Celui-ci est influencé par d'autres facteurs, ou avantages dérivés d'un marché mieux soutenu, de services mieux organisés et d'autres économies d'échelle ou d'agglomération. Le rapport Laframboise [59] signale l'infériorité de la voie laurentienne, et soumet qu'il doit y avoir des raisons pour divertir ainsi le trafic de sa « route naturelle », et pour le diriger vers une route latérale et artificielle de capacité et de rapidité moindres. Le défaut n'était peut-être pas dans la route elle-même, mais dans les avantages qu'offrait la région qu'elle traversait. Le plus sérieux des [309] incorvénients aurait été les taux élevés de fret océanique de Québec et de Montréal par rapport à ceux des ports de l'Atlantique, et à ceux de New-York en particulier. À New-York, les navires qui arrivaient chargés de marchandises à pleine capacité pouvaient offrir le transport à bien meilleur compte qu'à Québec ou à Montréal où la plupart des navires arrivaient lestes.

b) La fuite des immigrants,
ou l'émigration des immigrés


À cette même période, des immigrants à destination du Canada arrivaient par les ports américains de l'Atlantique. La ligne Allan annonce qu'elle s'offre à transporter des passagers à New-York et à Philadelphie à meilleur marché qu'à Montréal. Les chemins de fer transportent à tarif spécial les immigrants qui se destinent au Canada. L'agent d'immigration à Hamilton rapporte qu'il y est arrivé 14,236 immigrants dont 1,696 via Québec et 12,540 via les États-Unis et Suspension Bridge. Peine perdue, 10,095 vont s'établir aux États-Unis et 3,141 au Canada. Les autres relèvent de l'Assistance publique. [60] Cette complainte s'applique à toute la province du Canada ; elle est surtout caractéristique du Canada-Est. Les immigrants arrivaient aux ports de Québec et de Montréal comme de la marchandise en transit ; au moins les quatre-cinquièmes des immigrants poursuivaient leur route vers les contrées d'en haut ; et combien de ceux-ci ne passaient-ils pas aux États-Unis. Aux yeux des immigrants, les régions en amont paraissaient, sur le plan économique, plus privilégiées ; et plus privilégiées encore les contrées par-delà la frontière. En Canada-Est, la demande de manœuvres était faible, la demande de main-d'œuvre spécialisée, presque nulle. La politique d'économies budgétaires au Canada dans les années 1860, la cessation des travaux publics, ont entraîné un avilissement du prix de la main-d'oeuvre, cependant que la guerre aux États-Unis provoquait une rareté de main-d'œuvre et une hausse rapide des prix, et, par conséquent, un différentiel considérable des salaires entre le Canada et les États-Unis. On attribuait les migrations des années 1860 à ce différentiel. [61] La situation économique de la région de Québec semble particulièrement difficile. Cette ville ne s'est pas adaptée au progrès, « elle s'est contentée du grand commerce du bois, elle a laissé le commerce des autres produits et marchandises à Montréal. En conséquence, Montréal a tout à fait dépassé Québec et, grâce à l'amélioration du chenal du fleuve, Montréal est devenue un port de mer. » [62] La cueillette de bois dans les régions des Grands Lacs et de l'Outaouais durant l'hiver amène quelque trois cents [310] hommes dans les chantiers d'en haut tous les hivers. On emploie ces hommes à la descente des radeaux (rafts) au printemps. [63] Le commerce de bois déclinera à Québec, après 1870, de même que l'industrie de la construction navale. Québec a été victime d'incendies répétés : 1,200 maisons en mai 1845, 1,365 maisons en mars 1860, 50 maisons en 1861, 100 maisons en juin 1862, 2,129 maisons en 1866. [64] On ne s'étonne pas que certains comités d'enquête aient imputé à ces ravages une part de l'émigration.

c) Principales phases chronologiques
de l'émigration canadienne aux États-Unis


Jusque-là, toutefois, l'émigration canadienne se déroule à un rythme relativement peu rapide. Elle va augmenter au cours de la période 1871-1881, elle atteindra la proportion d'un véritable exode de 1881 à 1890. Bien qu'il ait reçu 342,000 immigrants de 1871 à 1881, le Canada enregistra, durant cette décennie, un accroissement réel de 18.9% seulement. Aux États-Unis, durant la même période, la population connaît un accroissement réel de 38%. De 1881 à 1891, l'augmentation fut de 11.7% au Canada et de 24.8% aux États-Unis. [65]

« Dans chacune des trois périodes décennales de 1871 à 1901, l'augmentation de la population du Canada a été inférieure à l'accroissement naturel estimatif. Un peu plus d'un million et demi d'immigrants vinrent au pays, mais environ deux millions de personnes le quittèrent. De 1881 à 1901, plus de 600,000 Canadiens de naissance émigrèrent outre-frontière et, en 1891, environ le cinquième des Canadiens de naissance demeuraient aux États-Unis. » [66]

d) Concurrence entre l'Ouest canadien
et l’Ouest américain


Au Canada, une politique de concession gratuite de terres fut élaborée en 1872, mais son application effective ne commença que vers 1893, et principalement avec le retour de la prospérité en 1896. On l'avait conçue dans le dessein d'inciter les colons à acheter du chemin de fer les terres adjacentes aux leurs. Le Manitoba land boom se produisit au temps où l'on construisait la section du Pacifique Canadien, de Winnipeg au lac Supérieur. Ce boom fut autant une affaire de spéculation que de colonisation ; et, pour une bonne part, il aurait été imputable à l'axe ferroviaire Manitoba - [311] Saint-Paul, Minnesota réalise en 1878. Au sommet de la ruée vers le Manitoba, en 1882, on a enregistré des entrées pour 3.5 millions d'acres de terre. Mais on n'avait pas réalisé encore l'adaptation scientifique de l'agriculture à ce type de climat. Des calamités, gelées, sécheresses, etc., ont ruiné les premières expériences, et la majorité des fermes et des options sur les terres nouvelles furent abandonnées. Et il y eut davantage : les difficultés avec les chemins de fer, la révolte des Métis, l'exécution de Riel en 1885, la cherté de l'outillage en raison du protectionnisme et de l'obligation de s'approvisionner dans les centres industriels éloignés, l'instabilité économique et la tendance à la stagnation des prix agricoles. Autant de conditions qui expliqueraient le retard de l'Ouest canadien à démarrer. Elles accusent les difficultés inhérentes au transcontinentalisme canadien.

Les Canadiens ont pu être stimulés dans leur aventure transcontinentale par l'abrogation du régime de réciprocité ; mais cette aventure leur imposait des tâches pour lesquelles ils n'étaient point suffisamment préparés. On a discuté longtemps sur la fertilité des sols de l'Ouest, et il fallut des années de recherches en laboratoire pour mettre au point les types de blé appropriés au climat. Aux États-Unis, les nécessités d'adaptation climatique étaient moins impérieuses. De plus, le transcontinentalisme n'y revêtait point cette configuration en forme de ruban qu'il avait au Canada ; les régions américaines n'étaient pas disloquées comme celles du Canada, et les techniques de transport modernes eurent tôt raison des sectionalismes.

Après l'abrogation du traité de réciprocité, les Canadiens s'attendaient à de sérieuses difficultés d'adaptation. En réalité, il n'en fut rien : la valeur des marchandises importées des États-Unis durant les cinq ans qui suivirent l'abrogation ne diffère pas tellement de celle des cinq dernières années de ce régime. On s'était mépris sur la dépendance américaine de l'économie des provinces britanniques. La guerre civile n'avait pas absorbé toute l'énergie des États nordistes ; ou, en tout cas, les pertes d'énergie avaient été compensées par l'émigration vers l'Ouest, et la mise en culture de terres nouvelles, grâce à la politique du homestead inaugurée en 1862. La même année, on commençait la construction du chemin de fer Union Pacific. En somme, lorsque le Pacifique Canadien ouvrit l'Ouest, la colonisation des prairies américaines se poursuivait depuis une vingtaine d'années ; les grands travaux publics battaient leur plein, et l'on construisait de nouvelles voies ferrées vers le Pacifique. Un historien canadien a précisément remarqué que le Canada a souffert de la concurrence du Minnesota et du Dakota durant toutes les années 1880. « Entre 1881 et 1891, la population du Manitoba et des territoires du Nord-Ouest s'accrut de 180,000 à 250,000, celle du Dakota seule de 135,000 à 510,000. » [67]

[312]

2. LA GRANDE INDUSTRIALISATION
ET LE DÉPLACEMENT DU CENTRE DE GRAVITÉ INDUSTRIELLE
VERS LA RÉGION DES GRANDS LACS


Depuis la guerre civile, les États-Unis d'Amérique subissent une double expérience : celle de l'occupation des terres vacantes, qui accompagne l'aménagement des transports à l'échelle transcontinentale, celle de l'aménagement des usines de base, à partir des charbonnages et de la sidérurgie. Au fait, les États-Unis réalisent leur expérience de la révolution industrielle ; et ils la réalisent en pleine période de développement agricole. L'usine double la ferme.

Ainsi, l'économie se ruralise, elle s'industrialise ; elle se « nationalise » aussi, et par intégration interrégionale. Grace à cette dynamique, le commerce intérieur devient plus important que le commerce extérieur.

a) Une nouvelle révolution industrielle :
appréciation des matières brutes et des techniques


Certes, les États de Nouvelle-Angleterre avaient déjà subi une première phase d'industrialisation, mais cette industrialisation par les textiles et les forges, antérieure à la guerre civile, n'avait pas entraîné, comme en Angleterre, par exemple, une transformation totale. Aux États-Unis, la transformation avait affecté une « section » seulement. À cette époque, on n'avait pas encore résolu le problème de l'intégration des régions. Après la guerre civile, on allait ouvrir et aménager les espaces vacants ; les réseaux ferroviaires allaient s'établir en fonction des sections développées, afin de relier ces sections les unes aux autres ; ils allaient se prolonger ensuite à travers la plaine agricole et jusqu'au Pacifique. Ces grands travaux d'infrastructure donnaient l'élan initial au développement de l'industrie lourde. Le chemin de fer a battu la marche ; il a exercé sur l'économie un double effet de développement et de création. Effet de polarisation régionale aussi, car ce type de développement industriel allait exiger la localisation des usines en fonction des gisements de charbon de la région de Pittsburgh et des minerais du lac Supérieur.

L'industrialisation de la région des Grands Lacs avait débuté sous le signe d'une innovation technique : la transformation du charbon bitumineux dans la région de Pittsburgh. On avait commencé à utiliser ce charbon vers 1850, mais son usage ne devint économique que vingt ans plus tard, question de mise au point d'un procédé de transformation. C'est ce procédé qui rendit possible l'exploitation intensive des gisements de Connesville, dans la région de Pittsburgh. Des procédés analogues apparaissent en sidérurgie à la même époque : Bessemer, open hearth. Celui-ci et le procédé Siemens-Martin rendaient possibles la production massive et l'utilisation du fer de rebut.

[313]

b) Une expression quantitative du déplacement
de l’industrie lourde vers la région des Grands Lacs


Le premier boom dans la production du fer en gueuse aux États-Unis s'est produit au cours des deux décennies antérieures à la guerre de Sécession. Les techniques métallurgiques reposaient alors sur l'utilisation de charbons anthracites dont les principaux gisements étaient situés dans l'est de la Pennsylvanie. Dans ces conditions techniques, les usines se situaient de préférence dans l'Est, à proximité des gisements de charbon anthracite. [68]

Dès après la guerre civile, les États-Unis s'affirmaient comme puissance concurrente de la Grande-Bretagne et de l'Allemagne dans l'industrie sidérurgique. Cet essor remarquable dépendait de techniques nouvelles de sidérurgie liées À l'utilisation de charbons bitumineux dont les gisements étaient situés plus vers l'Ouest. D'où la tendance des usines à se déplacer vers l'Ouest.

En 1874, on estimait la capacité des hauts fourneaux à 4,500,000 tonnes de fer en gueuse par année : cette capacité requérait 10,000,000 de tonnes de minerai (teneur moyenne) par année. Or. depuis 1874, la caractéristique du développement, c'était l'orientation de la production du minerai vers la région du lac Supérieur. À compter de 1880, la production se propageait dans le Wisconsin, où les mines Marquette produisaient environ 2,000,000 tonnes, les mines Menomenee, 600,000. En 1885, Gogebic produisait 700,000 tonnes. On explorait alors dans le Minnesota, district de Vermilion. En 1890, les nouveaux districts du Minnesota produisaient 9,000,000 tonnes. La flotte des Grands Lacs était organisée. Duluth devenait un port de mer. L'évolution se faisait à partir d'industries dominantes, à Pittsburgh, Érié, Cleveland, Buffalo, Toledo, Chicago, Milwaukee, véritables foyers de production complexe qui engendrent des satellites et qui, eux-mêmes, se développent en fonction de la complexité de l'ensemble. Les États-Unis sont en voie d'éclipser les grandes puissances industrielles dans la production du charbon, du fer en gueuse et de l'acier.

c) La fonction nodale des grandes villes
du Middle-West


Il faut signaler, en effet, la vertu agrégative et créatrice de villes comme Pittsburgh, Buffalo, Cleveland, Toledo et Chicago, au cours de cette période de la grande transformation industrielle des États-Unis, transformation qui va porter ce pays au premier rang des puissances industrielles.

La montée de Chicago comme métropole du Middle-West, et même du Nord-Ouest (le groupe des quatre États désignés plus haut dans cette catégorie), nous parait un événement remarquable du XIXe siècle nord-américain.

[314]

Chicago est située à la tête de la navigation intérieure et au portique des prairies du Nord-Ouest : Minnesota, Montana, Dakota-Nord et Dakota-Sud ; sa croissance reflète le faux de développement de ces États qui s'ouvrent à la colonisation après la guerre civile. De plus, elle participe au développement minier de la région, elle a sa part dans l'expansion de l'industrie sidérurgique, elle est l'entrepôt du Nord-Ouest vers lequel convergent tous les services de transport et de communications.

La croissance phénoménale des villes qui ont polarisé ce développement, la croissance des centres qui ont desservi les régions agricoles en organisant les industries complémentaires de l'agriculture (en somme, les métropoles, au sens où nous l'entendons dans le présent contexte), tels que Saint-Paul-Minneapolis et Kansas-City, sont l'image du Middle-West même dont l'attraction devient proportionnelle à sa densité économique et sociale. Car les économies métropolitaines sont des réalités complexes ; elles englobent des foyers de développement qui se soutiennent mutuellement, chacun de ces foyers étendant son influence à d'autres villes et aux districts agricoles environnants, et exerçant vis-à-vis ces villes et centres agricoles un double rôle de concentration et de diffusion. Ces réalités complexes que sont les métropoles apparaissent au troisième stade d'évolution que seules les régions privilégiées peuvent atteindre ; entendons « privilégiées » par rapport aux aspects multiples du facteur géographique : la terre, dans la trilogie classique des facteurs de production.

« La collaboration nationale, écrit Brocard, est ainsi constituée par des foyers de production complexe, où l'on observe toujours que l'activité économique, soumise à l'entraînement de quelque industrie dominante, se développe cependant en proportion de la complexité de l'ensemble » ...

« Le développement complexe s'explique d'abord par la variété des ressources du milieu régional et des ressources des régions contiguës »...
Aux facteurs géographiques qui jouent dans le sens du développement complexe et de la collaboration régionale s'ajoutent les facteurs techniques qui exigent l'intégration pour des raisons d'économie...

« La consommation, l'épargne, la production progressent parallèlement, et attirent un surcroît de population du dehors qui va déterminer un nouveau progrès... C'est un entraînement général, comme la poussée d'une foule en marche. » [69]

Et les conséquences débordent le phénomène de simple croissance économique ; elles sont sociales, culturelles, artistiques, et ces foyers de développement économique et social que sont les métropoles créent la presse quotidienne, ils organisent les moyens de communication à l'échelle mondiale ; ils accueillent et supportent les institutions d'enseignement supérieur, le théâtre, les galeries d'art ou autres institutions semblables.

[315]

d) L'attraction de l'Ouest,
cause historique de mouvements de population


L'histoire du Middle-West et du Nord-Ouest, durant le dernier quart du XIXe siècle, offre ce spectacle unique d'une société qui se ruralise et s'urbanise simultanément, société encore créatrice d'espaces économiques. D’abord, un certain peuplement agricole a ouvert la voie, la colonisation a exigé un capital d'infrastructure : canalisation d’abord, puis routes et chemins de fer. Après la guerre civile, les industries lourdes, servies par des techniques nouvelles, se rapprochent des matières premières et, aussi, des nouveaux marchés qu'elles veulent servir. L'on a dit du centre de l'industrie américaine qu'il s'est déplacé rapidement depuis 1850 même : « De 1850 à 1890, son glissement vers l'Ouest a été de 225 milles et celui du centre du peuplement de 243 milles, ce qui montre le rapport étroit existant entre les deux mouvements. » [70]

e) L'Ouest et les Franco-Américains

Des Canadiens français ont eux aussi répondu à l'appel de l'Ouest, puisque les recensements postérieurs à 1890 en font foi ; mais en quelle quantité y sont-ils allés, surtout au cours de la période de grande affluence, disons de 1875 à 1900 ? y seraient-ils allés directement de la province de Québec, ou indirectement comme Franco-Américains, ou comme Manitobains, i.e. comme Canadiens émigrés dans l'Ouest ?

Lorsqu'on ouvrit l'Ouest canadien, le gouvernement envoya des agents de rapatriement dans le dessein de recruter des Franco-Américains pour le Manitoba et le Nord-Ouest. Ces agents ont découvert qu'il y en aurait eu beaucoup à rapatrier qui étaient dans le Minnesota, l'Illinois, le Montana et particulièrement à Saint-Paul et Minneapolis. L'un de ces agents disait en 1890 qu'il n'était pas facile d'amener dans la plaine du Manitoba des Franco-Américains, car le Manitoba n'avait pas bonne presse, son climat plus exactement, car on le qualifiait de « Sibérie » canadienne. Et voilà pourquoi 30,000 Canadiens français auraient préféré le Dakota au Manitoba. [71] En 1909, l'honorable Lemieux disait à la Chambre des communes : (vingt ans d'effort de rapatriement auraient fini par nous convaincre) « que parmi les adversaires les plus sérieux du rapatriement, se trouvent les membres du clergé lui-même. Quand un prêtre canadien-français a fondé une mission aux États-Unis, que la mission est devenue paroisse, qu'il y a érigé une église, un collège et un couvent, des écoles très belles, comme cela se voit, par exemple, à Lowell, à Holyoke et ailleurs, quand ces établissements sont devenus pour ainsi dire comme le prolongement de la province de Québec, il est assez naturel que le pasteur de cette paroisse ne soit pas [316] très soucieux de voir son troupeau se disperser et retourner même dans la vieille province natale. » [72]

Et selon le député de L'Islet, « le rapatriement en masse des Canadiens français des États-Unis est une utopie. Et puis, s'il se fait jamais, il ne se fera pas dans un but d'agriculture. » [73]

CONCLUSION SOMMAIRE

L'attraction que les États-Unis exercent sur les provinces britanniques est séculaire ; elle est pour ainsi dire inscrite dans la géographie du continent nord-américain. Elle s'est exercée avec plus ou moins d'intensité à diverses phases de développement économique, mais elle s'est exercée constamment. Et elle s'est exercée de région à région, soit comme attraction d'une région de plus forte densité économique (plus fort taux d'investissement) sur une autre de plus faible densité.

Déjà Durham parlait du « contraste frappant que présentent les côtés américains et britanniques de la frontière pour tout ce qui regarde la production de l'industrie, l'augmentation de la richesse et le progrès de la civilisation. » [74]

« Aux États-Unis, tout est activité et mouvement. La forêt est éclaircie sur des milles. Chaque année de nombreux établissements apparaissent. Des milliers de fermes surgissent à même les terres incultes. Le pays est traversé de chemins publics, les canaux et les chemins de fer sont terminés, ou en voie de l'être. Les voies de communication et de transport regorgent de voyageurs et de voitures, et des bateaux à vapeur nombreux y mettent de l'animation... Chaque ville possède les deux, plus ses édifices cantonaux, ses librairies (sic), probablement une ou deux banques et un journal.

« Du côté britannique de la frontière, à l'exception de quelques endroits favorisés, où l’on devine quelque chose approchant la prospérité américaine, tout semble désert et désolation... La ville de Montréal, par sa nature la capitale commerciale des Canadas, ne peut souffrir la moindre comparaison avec Buffalo, qui date seulement d’hier. » [75]

Et voilà que, pour Lord Durham même, l'attraction qu'exercent les États-Unis s'explique par leur taux de croissance, taux bien supérieur à celui du développement canadien.

Ces inégalités que nous constatons entre le Canada et les États-Unis, on les retrouve à divers paliers de comparaison : entre régions canadiennes, entre régions américaines, entre pays. Aussi bien dire que, du point de vue international, les migrations canadiennes-françaises du XIXe siècle nous paraissent être un événement normal. C'était d'ailleurs le siècle des grandes migrations, parce que c'était le siècle des changements structurels. [317] Du point de vue canadien, les migrations canadiennes-françaises n'étaient qu’une manifestation régionale ou provinciale d'un phénomène d'envergure nationale. Toutes les régions canadiennes ont été exposées à l'attraction des États limitrophes. Bien entendu, les plaines laurentiennes, pour des raisons géographiques et historiques, étaient particulièrement exposées, parce qu’elles étaient situées au carrefour d'un réseau de navigation intérieure, et parce qu'elles constituaient, avec les États voisins, l’Ohio en particulier, une aire d'affinités économiques.

Les nouvelles techniques de transport ont agrandi cette aire. Dès 1860, les chemins de fer avaient multiplié les points de contact et de pénétration entre la province du Canada et les États limitrophes. L'industrialisation du Middle-West, de même que la colonisation agricole, ont créé une succion démographique en cette région et ont provoqué un drainage de population par les voies de pénétration périphériques. Il y eut exode de l'Est à l'Ouest. Les industries du textile et de la chaussure en Nouvelle-Angleterre, encore en expansion à cette époque, ont fait appel à de la main-d'œuvre canadienne-française pour compenser la perte.

Toutefois, notait un observateur à la fin du siècle, [76] le Canada n'était pas plus désavantagé que l'Est des États-Unis sous le rapport démographique. L'un et l'autre voyaient leur population émigrer. Plus de gens auraient émigré de New-York que du Canada. Au point de vue économique, l'émigration, disait-il, prouve que « la population n'est pas satisfaite », « qu'elle obéit à quelque puissance occulte... »


L'on émigre pour améliorer son niveau de vie, ou parce qu'on espère l'améliorer ainsi, mais on émigre vers les régions les plus rapprochées, i.e. au coût minimum de transport. Il y eut exode de Yankees vers l'Ouest, il y eut exode de Canadiens vers le Sud. Le Middle-West promettait plus que la Nouvelle-Angleterre, la Nouvelle-Angleterre davantage que la province de Québec.

Albert FAUCHER

Département d’économique,
Université Laval



[1] L’avenir du peuple canadien-français, Paris : Jouve, 1896, 301.

[2] Voir J.-A. CHICOYNE, Mémoire du Comité spécial pour examiner les causes du mouvement d’émigration dans certaines parties de nos campagnes, Québec, 1893, 3.

[3] Documents du Sénat, vol. XLVII, no 1, Canada, 1911-12.

[4] Francis Delaisi, Les deux Europes, Paris, 1929.

[5] Julius, Isaac, Economics of Migration, London, 1947, ch. III, 4.

[6] Journaux de l'Assemblée législative, Canada, 1849, App. AAAA.

[7] Lord Elgin to John Paddington, Québec, Dec. 1852 : « Whether there be anything in the nature of the route itself or in the nature of the trade, which place the route of the St. Lawrence at a disadvantage in competing with others for the trade of the Great West. »

[8] Senate Executive Documents, 2nd Session, 53rd Congress, 1893-94, Vol. 4, Doc. No. 166.

[9] Débats de la Chambre des Communes, Canada, 14 mars 1888 ; Senate Reports, 1st Session, 51st Congress, 1889-90, Vol. 10, 1121-1122.

[10] Dans la présente terminologie, les migrations de comté à comté et de province à province appartiennent à la catégorie générale de notre plan qui suppose migration indifférenciée (internationale, intra-nationale ou inter-provinciale). Toutefois, les textes cités peuvent bien se référer à des cas appelés conventionnellement « migrations internes ». Et tel est le cas de l'Angleterre de 1851 à 1881 dont il est question ici. William OGLE, « The Registrar General's Office », The Times, London, March 27, 1889 ; d'après John Lowe, annexe au rapport du Ministre de l'Agriculture pour l'année 1889, Documents de la Session, Canada, 1890, no 6.

[11] Débats de la Chambre des Communes, 10 février 1890.

[12] Rapport de la Commission royale sur les relations entre le Dominion et les provinces. Ottawa, 1940, Vol. 1, 56.

[13] Senate Reports, 1st Sess., 51st Congress, 1889-90, Vol. 10, 775.

[14] F. W. GLEN, dans : ibid., 775.

[15] W. W. Rostow, British Economy of the Nineteenth Century, Oxford, 1948.

[16] Senate Reports, 1st Session, 51st Congress, 1889-90, Vol. 10, 1125-26.

[17] Toronto Mail, 10 Dec., 1889.

[18] J. E. CHAMBERLIN, cité par FAUCHER DE ST-MAURICE, La question du jour, Québec, 1890, 118-119.

[19] Commercial Advertiser, cité par FAUCHER DE ST-MAURICE, ibid., 126.

[20] Erastus Wiman, Québec : des relations commerciales plus intimes avec les États-Unis, Montréal, 1890, 6.

[21] Aitkinson's Report (10th Census of the United States of America).

[22] Comité spécial permanent de l'Agriculture et de la Colonisation, Documents de la session, Canada, 1903, 460, 463.

[23] G. S. CALLENDER, Selections from the Economic History of the United States, 1765-1860, Chicago, 1909.

[24] D. C. NORTH, The Economic Growih of the United States, 1790-1860, Prentice-Hall, 1961.

[25] H. U. FAULKNER, Histoire économique des États-Unis d'Amérique, Paris, 1958, tome 1, chap. XIII.

[26] L'obstacle politique n'aurait pas tellement gêné la pénétration économique des Américains. Voir : H . Y. Innis and A. R. M. Lower, eds., Select Documents, Section III, Subsection A.

[27] J. B. BREBNER, North Atlantic Triangle, Toronto, 1945, chap. XVI.

[28] H. A. Innis and A. R. M. LOWER, eds., op. cit., Section III.

[29] Sur le développement commercial autour des Grands Lacs, voir les articles de H. A. Musham, dans American Neptune, Vol. III, IV, V, en particulier ; R.W. BINGHAM, The Craddle of the Queen City, A History of Buffalo, 1931 ; I ANDREAS, History of Chicago, Ohio, 1884.

[30] British Parliamentary Papers, 1829, III, 381-392.

[31] Benoît BROUILLETTE, La chasse des animaux à fourrure au Canada, Paris, 1934, chap. IV.

[32] Neil McARTHUR and Martin E. GARLAND, « The Spread and Migration of French Canadians », Tijddchrift voor Economische en Sociale Geografie, 52, 6, juin 1961, 141-147. Cet article ne contient toutefois aucune quantité relative aux flux migratoires.

[33] Il y eut quand même migration vers le nord de l'Ohio des la fin du XVIIIe siècle. Les colons empruntaient les rives fluviales du Sud et de l'Est, la route Philadelphie-Pittsburgh ou, d'Albany, la route de la Mohawk et de la Genesee. Vers 1830, l'Ohio avait plus d'un million d'habitants, Cincinnati, 25,000 habitants, Pittsburgh 12,000, Saint-Louis, 6,000. L'Indiana fut admis dans l'Union en 1816, l'Illinois en 1818 et le Michigan en l837.

[34] Report on Commerce and Navigation, 1887, Part II, cité dans CALLENDER, Selections..., op. cit., 318.

[35] I. D. ANDREWS, Trade and Commerce of the British North American Colonies, 32nd Congress, 2st Session, Ex. Doc., Washington, 1855.

[36] W. J. WILGUS, The Railway Interrelations of the United States and Canada, Toronto, 1937. Pour les points de raccordement aux frontières, consulter l’Appendice I.

[37] L. Elizabeth POOR, Life and Writings of John Alfred Poor, New-York, 1892, 51-52.

[38] On trouve d'abondantes indications de cette tendance dans l'enquête du Sénat américain et dans les études sur la réciprocité.

[39] D. C. MASTERS, Reciprocity, 1846-1911, Historical Booklet, No. 12, Canadian Historical Association.

[40] Ibid., 8-9.

[41] A - R. M. LOWER, The North American Assault on the Canadian Forest, Toronto, 1938.

[42] Isaac Buchanan, Discours à Toronto, The Canadian News, January 14, 1864.

[43] P. W. GATES, The Illinois Central and its Colonization Work, Cambridge, 1934.

[44] Des les années 1830, un chansonnier exprimait ainsi l'appel du Michigan :

« Come, all ye yankee farmers

who wish to change your lot

Who've spunk enough

to travel beyond your native spot

And leave behind the village

where Pa and Ma do stay

Come, follow me and settle in Michigania

Yea, Yea, yea, in Michigania. »

L. K. MATHEWS, The Expansion of New England, New-York, 1962, 227.

[45] Voir, en particulier, M. Lucille BARTSOUGH, The Development of the Twin Cities as a Metropolitan Market, Minneapolis, 1925 ; C. F. Goss, Cincinnati, the Queen City, 1788-1912, Cincinnati, 1912 ; W. B. MILLER, Hixtory of Kanzas City, Kansas City, 1881.

[46] HARTSOUGH, OP. cit., 24-25.

[47] D. C. North, Economic Growth of the United States, 1790-1860, op. cit.

[48] G. G. TUNELL, « The Diversion of the Flour and Grain Traffic froin the Great Lakes to the RaHroads », The, Journal q/ Political Economy, V, 1896-97, 340-375.

[49] C. E. PLUMBE, Chicagg, the Great Indudrial and Commercial Center oi the Mireir,ripi Valley, Chicago, 1912 , H. MEYER and C. E. MAcGILL, Hielory of Traneporiation in the United Sialee before 1860, Washington, 1917 ; P. W. GATES, The Illinoir Central Railroad and itr Colonization Work, op. cil.

[50] P. BARRY, Theory and Practice of the International Trade of the United States and England, Chicago, 1958.

[51] E. D. FITE, « The Agricultural History of the West during the Civil War », The Quarterly Journal of Economics, XX, 1906, 259-278.

[52] Ibid., 274.

[53] On trouvera des séries statistiques par période quinquennale sur la production forestière dans HARTSOUGH, op. cit., en appendice.

[54] Honoré BEAUGRAND, Jeanne la fileuse, Montréal, 1872.

[55] N. S. B. GRAS, Introduction to Economic History, New-York, 1922 : voir en particulier chap. V. Pour une discussion du concept de métropole comme voie d'approche à l'histoire de l'Amérique, voir J.M.S. CARELESS, « Frontierism, Metropolitanism, and Canadian History », The Canadian Historial Review, 35, 1, March 1954, 1-21 ; R. D. McKENZIE, The Methopolitan Community, New-York, McGraw-Hill, 1933.

[56] P. BARRY, op. cit. ; aussi Chicago Tribune, articles sur la réciprocité, reproduits dans Canadian News, 6 février 1862, 85-87.

[57] Journaux de l’Assemblée législative, 1863 (2), no 3.

[58] Report of the Auditor of the Canals, Department of the State of New York, 1861.

[59] Commissaire des Travaux publics, Documents de la session, 1863 (2), no 4. Voir aussi : The Canadian News, 30 avril 1863, 275 ; un mémoire d'un comité d'hommes d'affaires de l'Illinois adressé au Gouverneur général du Canada soumet qu'on devrait améliorer la voie laurentienne. D'après eux, il en coûterait $0.30 le boisseau de moins si l'on expédiait le blé par cette voie. L'on comprend que les hommes politiques canadiens aient pensé sérieusement à l'amélioration de cette voie au cours des années 1860. La suggestion des hommes d’affaires du Middle-West ravivait le vieux rêve laurentien en pleine période d'économies budgétaires : « policy of retrenchment ». Voir A. FAUCHER, « Some Aspects of the Financial Difficulties of the Province of Canada », The Canadian Journal of Economics and Political Science, November 1960.

[60] Documents de la session Canada, XX, 4, no 21.

[61] Divers journaux cités dans The Canadian News ; voir en particulier, 17 déc. 1863, 386-387.

[62] Ibid., 13 février 1861.

[63] Ibid., 8 juin 1859. Plus tard, on ira dans les chantiers du Michigan et du Wisconsin ; plusieurs n'en revenaient pas. Voir T. SAINT-PIERRE, Les Canadiens des États-Unis, brochure publiée en 1893.

[64] Eugène LECLERC, Statistiques rouges, Québec, 1932.

[65] O. D. SKELTON, General Economic History of the Dominion, Toronto, 1913, 152.

[66] Rapport de la Commission royale sur les relations entre le Dominion et les provinces, Ottawa, 1940, vol. 1, 56.

[67] O. D. SKELTON, op. cit., 137-152.

[68] F. W. TAUSSIG, « The American Iron Industry », Quarlerly Journal of Economics, February 1900.

[69] L. BROCARD, Principes d'économie nationale et internationale, Paris, 1929, 1, 117, 120-123.

[70] H. U. FAULKNER, op. cit., II, 396.

[71] Documents de la session, Canada, 1890, no 6, 166.

[72] Débats de la Chambre des communes, Canada, 1909, 886.

[73] Ibid., 882.

[74] Le Rapport de Durham, Marcel-Pierre Hamel, éd., Québec, 1948, 236.

[75] Ibid., 236-237.

[76] T. SAINT-PIERRE, op. cit.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Charles Falardeau, sociologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le samedi 29 juin 2019 19:08
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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