Le Fonds Solidarité Sud. Histoire, parcours et perspective:
écologie, économie et finance solidaire. (2022)
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Avant-propos
AVANT-PROPOS
Nous sommes à une époque où s'impose plus que jamais la nécessité de répondre à un immense besoin d'actualiser le potentiel de développement économique et social des communautés du Sud, en d'autres termes de nourrir leurs possibles. C'est ce que nous faisons depuis plus d'une décennie en collaboration avec d'autres organisations d'ici et nos partenaires du Sud. Nous ne sommes heureusement pas les seuls à le faire. Cependant, il valait la peine de camper la manière de faire du Fonds Solidarité Sud dans l'univers de la solidarité internationale, celui surtout des besoins économiques (accès à la terre, accès au crédit, accès à l'emploi, accès à électricité) adossés à des dialogues interculturels, à de nouvelles stratégies à mettre en œuvre dans un monde rempli d'incertitudes sur l'avenir des démocraties (la montée des régimes autoritaires), l'avenir de la planète (l'urgence écologique), notamment l'importance accrue de la transition énergétique, c'est-à-dire de faire monter en puissance les énergies renouvelables et l'agroécologie, afin de mieux nourrir le monde dans le cadre d'une nécessaire transformation radicale des cycles alimentaires. Le GlEC dans son dernier rapport est très clair à ce propos :
La vie sur Terre peut se remettre d'un changement climatique majeur en évoluant vers de nouvelles espèces et en créant de nouveaux écosystèmes. L'humanité ne le peut pas. ..La vie sur Terre aura irrémédiablement changé lorsque les humains nés en 2021 auront atteint 30 ans. Cap sur 2050 pour un changement de planète...Pénurie d'eau, exode, malnutrition, extinction des espèces : voilà quelques-unes des déclinaisons contenues dans le rapport...
Source : Le Devoir, Marie-Andrée Chouinard https ://www.ledevoir.com/opinion/editoriaux/615881/environnement-pour-eviter-le-pire
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En fait, même le maintien d'un seuil critique de +1,5 °C de réchauffement climatique ne permettra pas d'éviter des destructions notamment ceux des cycles alimentaires liés à la pêche, à l'agriculture, à l'élevage ou à l'aquaculture, ce qui aura des impacts directs sur la capacité à se nourrir pour des millions de personnes, affirme le rapport, qui pointe aussi [8] l'impact des pénuries d'eau, des canicules extrêmes très éprouvantes dans plusieurs régions du monde, surtout au Sud, sans compter les coûts d'adaptation qui risquent d'être astronomiques. L'accès imprévu au rapport préliminaire à l'été 2021 d'un rapport qui paraîtra au cours de 2022 aura eu un caractère salutaire parce qu'il a coïncidé avec l'arrivée d'un gouvernement démocrate aux États-Unis qui prend cet enjeu au sérieux, préparant ainsi le terrain à une éventuelle remontée de la mobilisation sur l'urgence écologique, climat en tête de liste avec et après la crise sanitaire.
Les années 2020 et 2021 : la crise sanitaire
Avec la COVID-19, l'urgence écologique est venue toucher toute la planète par là où nous ne l'attendions pas, par une pandémie qui a donné lieu à la plus grave crise sanitaire mondiale. Du jamais-vu depuis un siècle. Le sociologue et philosophe Edgar Morin, à l'aube de ces 100 ans, disait récemment ceci :
J'ai été surpris par la pandémie mais dans ma vie, j'ai l'habitude de voir arriver l'inattendu. L'arrivée de Hitler a été inattendue pour tout le monde. Le pacte germano-soviétique était inattendu et incroyable. Je n'ai vécu que pour l'inattendu et l'habitude des crises... Il faut apprendre que dans l'histoire, l'inattendu se produit et se reproduira. Nous pensions vivre des certitudes, des statistiques, des prévisions, et l'idée que tout était stable, alors que tout commençait déjà à entrer en crise.... Nous devons apprendre à vivre avec l'incertitude, c'est-à-dire avoir le courage d'affronter, d'être prêt à résister aux forces négatives. La crise nous rend plus fous et plus sages. Une chose et une autre. La crise favorise les forces les plus contraires. Je souhaite que ce soient les forces qui recherchent un nouveau chemin, même si elles sont encore très dispersées et faibles. Nous pouvons nous indigner à juste titre mais ne devons pas nous enfermer dans l'indignation... L'esprit doit faire face aux crises pour les maîtriser et les dépasser. [1]
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En misant dès sa naissance en 2010 sur l'écologie, l'économie autrement et la finance solidaire dans sa coopération avec des communautés du Sud, le Fonds Solidarité Sud a un peu été perçu comme un vilain petit canard, pas tellement en harmonie avec la pensée principale au sein de la coopération internationale québécoise qui tire surtout ses efforts vers le développement social (services d'éducation et santé, défense de droits humains, plaidoyer et résistance). Ce qui est fort légitime ! Mais aujourd'hui, et depuis un bon moment d'ailleurs, on ne peut séparer le social de l'économique. Nous avons donc dès nos débuts jeté un pavé dans la mare, celui d'introduire la transition écologique, le développement économique local et la finance solidaire dans le soutien à des communautés du Sud. C'est d'ailleurs une perspective très bien explicitée par Naomi Klein : la résistance sans développement d'alternatives économiques ne tient plus la route (Klein, 2015, p.454-458)
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Le sociologue Guy Rocher :
« Nous ne pouvons vivre sans participer au changement »
Il est donc très important de participer au changement avec l'ambition de rendre intelligible la marche du monde par une attention aux faits, une réflexion lucide et un esprit critique peu présents à nos yeux par les temps qui courent. C'est par la voie des sciences économiques et sociales que nous le faisons et par celle de l'expérience du changement social accumulée au cours des engagements antérieurs des membres de notre réseau (syndicalisme, organisation communautaire, écologie sociale, solidarité Nord-Sud). Sans oublier de capitaliser sur une première décennie comme organisation de solidarité internationale menée en partenariats étroits avec SOCODEVI et l'UPA Dl. Et, à coup sûr, avec nos partenaires du Sud : des organisations paysannes, des collectifs de femmes et de jeunes, des coopératives et des réseaux d'économie solidaire.
Cet ouvrage veut y contribuer dans la foulée de celui qui l'a précédé il y a deux ans (Favreau et Fréchette, 2019). Les membres les plus actifs dans nos équipes régionales partagent à coup sûr ce que disait le sociologue Guy Rocher dans un entretien à Radio-Canada en 2021 : Je ne peux vivre sans participer au changement. Sagesse d'un grand sociologue québécois fortement engagé socialement qui lui aussi a vu neiger avec ses 97 ans bien sonnés. Au Fonds Solidarité Sud, nous participons de cette conviction.
La perspective qui sous-tend ce livre :
en finir avec quelques idées reçues
Toutes les pratiques, souvent nommées « bonnes pratiques », bien qu'elles soient bonnes, ne se valent pas toutes. D'abord, il n'y a pas de « bonnes pratiques » sans fond d'analyse ni vision d'avenir. Il n'y a pas non plus de fond d'analyse sans étude du rapport de forces en présence. Et pas de vision d'avenir sans prendre en compte la place des mouvements sociaux porteurs dans nos pratiques. Les « bonnes pratiques » ne se valent pas toutes, certaines ont plus de portée que d'autres, notamment celles qui croisent l'écologie, l'économie, les finalités sociales et la finance solidaire. C'est ce qui nous faisait dire au moment de l'élaboration de notre plan de développement 2020-2025 :
Nous ne pensons pas seulement notre développement un projet à la fois et une année à la fois. Nous avons à le situer dans un ensemble plus large et sur un horizon d'au moins cinq ans ou même une décennie : que deviendra le Fonds Solidarité Sud dans le monde qui vient et dans le Québec de la solidarité internationale de proximité à venir ? Qu'avons-nous à apporter de neuf et d'essentiel ? Quelles seront nos priorités et quel impact ces priorités auront-elles dans leur mise en œuvre ? Comment allons-nous nous préparer à faire face à cette nouvelle décennie qui sera bien loin d'être un fleuve tranquille ? Ce sont des questions que posaient notre panel à la fin de notre rencontre anniversaire d'octobre 2019 et celle qui a suivi.
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L'ouvrage verra donc émerger 1) Une analyse de la conjoncture qui vient dans la prochaine décennie avec une question centrale : en coopération internationale, sommes-nous des pompiers de service ou des architectes du développement ? 2) Que nous révèle notre histoire et les projets que nous avons soutenu dans le Sud en tant qu'organisation sur une décennie ? 3) Quels sont les projets à soutenir au Sud dans la prochaine décennie ? 4) Qu'est-ce que l'épargne solidaire peut offrir pour servir à changer le monde, celle d'organisations comme les OCI et les fonds de travailleurs et même, pourquoi pas, une partie de celle dont nous disposons personnellement (un legs testamentaire ou une police d'assurances par exemple).
Louis Favreau
[1] Edgar Morin, sociologue et philosophe français, 60 ouvrages, docteur honoris causa de 38 universités à travers le monde. Chercheur et militant, il a traversé le siècle à contre-courant quand il le fallait. Il a notamment été un résistant pendant la Seconde Guerre mondiale. Il a fêté ses 100 ans le 8 juillet 2021. Dernier livre : Leçons d'un siècle de vie, Denoël, Paris.
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