Marc Ferland,
Direction de la santé publique,
Régie régionale de la santé et des services sociaux de Québec ;
Ginette Paquet, Ministère de la Santé et des Services sociaux ;
“L'influence des facteurs sociaux
sur la santé et le bien-être”.
Un article publié dans l’ouvrage sous la direction de in ouvrage sous le direction de Vincent Lemieux, Pierre Bergeron, Clermont Bégin et Gérard Bélanger, LE SYSTÈME DE SANTÉ AU QUÉBEC. Organisations, acteurs et enjeux. Chapitre 3, pages 53 à 72. Québec, Les Presses de l’Université Laval, 1994, 370 pages.
- Table des matières
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- Introduction
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- Hiérarchie sociale et santé
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- État de la situation
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- La situation internationale
- La situation canadienne
- La situation québécoise
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- La santé physique et mentale
- Les hatibudes de vie
- Les problèmes sociaux
- La consommation des services de santé et sociaux
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- Les principales constatations
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- Les facteurs sociaux associés au statut socio-économique
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- Les conditions de travail
- L'exclusion du travail
- Le logement
- Le réseau social
- Le sentiment de contrôle
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- Conclusion
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- Références
Introduction
La santé et le bien-être des individus et des collectivités tiennent à un ensemble de dimensions et de facteurs sociaux qui débordent largement 1e système des soins de santé. Le présent chapitre s'appuie sur une revue des publications nord-américaines et européennes pour précisément mettre en lumière les liens entre la santé, la position sociale des individus et leurs milieux de vie. La prise en compte de ces facteurs sociaux est importante tant pour l'analyse du secteur de la santé que pour le choix des interventions publiques dans ce secteur.
Plusieurs modèles théoriques ont été proposés pour expliquer le rôle de l'ensemble des facteurs associés à la santé et au bien-être, en partant du «modèle» de Lalonde jusqu'à celui de Evans et Stoddart, en passant par ceux de Blum et Dever (Dever, 1980; Evans et Stoddart, 1990; Conseil des affaires sociales et de la famille, 1984; Raeburn et Rootman, 1989; Milio, 1986). Malgré leurs différences, ils ont en commun le fait de considérer simultanément plusieurs facteurs, ce qui rejoint une vision holistique ou multifactorielle. En plus du système de santé, les principaux déterminants mentionnés sont: le patrimoine biologique (le bagage génétique individuel), les habitudes de vie (le tabagisme, la sédentarité, la sur-consommation de drogue ou d'alcool, etc.), I'environnement physique (contaminants et agresseurs chimiques dans divers milieux de vie et de travail) et l'environnement social (la culture et les représentations sociales, la vie communautaire ou de quartier, le statut social, etc.).
En ce qui concerne plus spécialement la dimension sociale, les chercheurs n'estiment pas de façon précise son poids relatif mais ils indiquent toutefois qu'elle joue un rôle majeur. À ce sujet, rappelons qu'un déterminant n'est pas à proprement parler une cause entendue comme une séquence d'événements résultant en un effet spécifique. Ce sont plutôt des facteurs de risque ou de protection que l'on a pu associer statistiquement à certains problèmes de santé ou sociaux. De plus, sachant que ces facteurs agissent en interaction, il devient difficile d'évaluer la part respective de chaque déterminant dans l'origine d'un problème de santé. Le caractère souvent non spécifique et multifactoriel de l'étiologie complique donc la tâche au moment d'estimer de façon précise l'impact des différents facteurs agissant sur la santé et le bien-être des populations. Et si ces facteurs agissent en synergie, il faut également considérer que leurs effets sont multiples et ne se manifestent souvent qu'après de longues périodes d'exposition. Il n'en demeure pas moins que la prise en compte des facteurs sociaux et ses liens avec la santé collective est un thème dominant de l'épidémiologie sociale (Renaud, 1987). Il devient essentiel de comprendre le rôle joué par ces facteurs puisque l'État, par ses différentes politiques, cherche constamment à agir sur les déterminants sociaux.
Nous verrons dans les pages qui suivent différentes façons d'analyser l'association entre les conditions de vie, I'environnement social et la santé, le bien-être. Dans un premier temps, nous examinerons comment la place occupée dans la hiérarchie sociale et la situation financière ont des effets directs et indirects sur la santé et le bien-être tant au niveau international qu'au niveau canadien et québécois. Bien entendu, la position sociale, quelle que soit la façon dont elle est mesurée [1], ne peut rendre compte de la totalité de la relation. D'autres dimensions des conditions de vie et de l'environnement social doivent également être considérées, et c'est ce que nous aborderons dans la seconde section.
HIÉRARCHIE SOCIALE ET SANTÉ
État de la situation
La situation internationale
L'association entre un mauvais état de santé et l'appartenance aux couches socio-économiques les moins favorisées est étudiée depuis longtemps. Toutes les sociétés analysées présentent des variations de l'état de santé de la population en fonction de la classe sociale, du revenu, de l'éducation, de la situation professionnelle et de la qualité de l'environnement social. Plusieurs pays industrialisés se préoccupent de la persistance des inégalités sociales par rapport à la santé et au bien-être. Au bureau régional européen de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), la stratégie mondiale de «la santé pour tous en l'an 2000» a été bâtie autour de cette thématique.
Les États membres de la Région européenne de l'OMS ont évalué la stratégie et les buts choisis pour atteindre «la santé pour tous en l'an 2000». Un article récent décrit les principaux progrès accomplis quant aux préalables à la santé et aux problèmes d'équité: un logement convenable, une alimentation adéquate, des revenus suffisants, une sécurité et une paix sociale (Curtis, Taket, Prokhorskas, Shabanah et Thuriaux, 1989). La situation se serait améliorée pour certains de ces préalables, mais il y a peu d'indication que les inégalités socio-économiques entre les pays et à l'intérieur des pays soient en voie de diminuer. Dans les pays de la Communauté économique européenne, I'écart entre les régions les plus riches et les plus pauvres, en prenant en compte les différences de coût de la vie, est de l'ordre de trois à un. Ces écarts sont encore plus considérables au sein de certains pays et ils peuvent varier du simple au quadruple entre extrêmes de classes sociales.
Comme il est difficile de comparer les degrés d'inégalité entre les pays en ce qui concerne la santé, les évaluateurs doivent se limiter aux données sur l'existence d'inégalités à l’intérieur de chaque État membre. Des différences considérables persistent pour la mortalité ou l'espérance de vie, au désavantage, soit des zones urbaines industrialisées (Norvège, Pologne, Royaume-Uni, Tchécoslovaquie), soit des zones rurales (Grèce, Hongrie, Yougoslavie). De plus, les taux de mortalité infantile varient de 7,2 à 12,4 pour 1 000 naissances en Norvège, par exemple, et de 13,6 à 28,6 en Pologne. Des études longitudinales ont mis en évidence des différences persistantes de mortalité en France et au Royaume-Uni entre les catégories les plus privilégiées et les moins favorisées de la société. Le Danemark, la Finlande, la Hongrie, la Norvège et la Suède ont aussi indiqué des écarts dans les taux de mortalité entre catégories professionnelles et en fonction de la scolarité ou du revenu. Les plus grandes disparités liées aux causes socio-économiques s'observent pour la mortalité des hommes d'âge adulte. Pour la mortalité infantile, des écarts considérables sont notés entre groupes de niveaux d'instruction différents, par exemple au Portugal, en Suède, en Yougoslavie, et au Royaume-Uni (Iach, Carr-Hill, Curtis et Illsley, 1988; Office of Population Censures and Surveys, 1988).
Quant à la morbidité, un énorme travail reste à accomplir avant de pouvoir obtenir des données comparables à l'échelle internationale. Toutefois, plusieurs pays disposent de données nationales intéressantes. La Suède a démontré que les mères célibataires peu scolarisées donnent plus fréquemment naissance à des bébés de poids insuffisant (moins de 2,5 kilos). Au Royaume-Uni, la prévalence du poids insuffisant à la naissance est plus élevée dans les catégories sociales défavorisées. Dans ce dernier cas, le gradient semble même avoir augmenté. À l'échelle européenne, la tuberculose demeure plus fréquente chez les immigrants et les personnes de classes défavorisées, et sa persistance est considérée comme un signe important d'inégalité. La prévalence de la carie dentaire est, elle aussi, liée à la classe sociale, et ce sont les plus riches qui présentent l'amélioration la plus rapide (Hobdell et Gavin, 1988). D'autres données montrent l'existence dans plusieurs pays de gradients liés au statut socio-économique; au Royaume-Uni, entre autres, le poids adulte, la tension artérielle, la fonction respiratoire, la taille révèlent ce gradient. Ces différences sont surtout marquées chez les enfants et chez les adultes de plus de 25 ans. Les chercheurs insistent sur ce dernier constat, car la réapparition des inégalités après l'âge de 25 ans a des implications importantes pour le problème de l'équité en matière de santé (Curtis, Taket, Prokhorskas, Shabanah et Thuriaux, 1989).
Dans presque tous les pays développés, on observe des inégalités marquées de l'état de santé des populations qui se mesurent par l'espérance de vie, la mortalité, l'incapacité, l’incidence ou la prévalence de certaines maladies (McEvan, 1990). Ces écarts de santé sont liés à des facteurs sociaux, économiques et culturels, puisque dans la plupart des sociétés modernes, l'instauration de systèmes de santé publique a facilité l'accès aux services de santé ainsi que leur utilisation. Comme par le passé (Morris, 1959), les personnes riches vivent encore plus longtemps et en meilleure santé que les personnes pauvres (Smith, Bartley et Blane, 1990). Même si l'évolution technologique nous a procuré une meilleure capacité technique dans la prévention et le traitement des maladies, des différences importantes de mortalité et de morbidité demeurent entre les classes sociales. Ces écarts sont particulièrement prononcés pendant la période périnatale et à l'âge adulte entre 35-55 ans (House et al., 1990).
La situation canadienne
Des recherches effectuées au Canada démontrent l'existence de ce gradient continu entre classes sociales. L'étude menée auprès de plus de 500 000 hommes canadiens ayant pris leur retraite depuis l'entrée en vigueur du Régime des pensions du Canada indique un gradient indéniable selon le revenu (Wolfson et al., 1991). Ainsi, pendant les 12 années qui précèdent la retraite, plus le revenu d'un homme est élevé plus ses chances de vivre longtemps sont grandes. Les hommes qui se situent parmi les 5% ayant le revenu le plus bas, avant la prise de la retraite, présentent deux fois plus de risques de mourir entre 65 et 70 ans que les 5 % ayant les plus hauts revenus. Deux autres chercheurs, Wilkins et Adams, ont démontré que la population canadienne comporte un gradient très étendu de mortalité et de morbidité entre les niveaux socio-économiques lorsque l'on procède à une analyse par division de recensement plutôt que par individu (Wilkins et Adams, 1978). Ces études agrégées proposent que même s'ils meurent plus jeunes, les Canadiens pauvres ne présentent pas moins de maladies ni moins d'incapacités dans les dernières années de leur vie. Au contraire, les personnes plus riches peuvent espérer jouir en moyenne de 12 années de vie en bonne santé de plus que les personnes pauvres.
L'Enquête Promotion Santé conduite en 1990 auprès de la population canadienne montre que les différences selon le niveau de revenu sont toujours observées en ce qui concerne l'état de santé déclaré, l’accès aux ressources, les facteurs de risque, et également en ce qui a trait aux connaissances et croyances liées à la santé (Manga, 1993).
La situation québécoise
Une constante se dégage de plusieurs travaux québécois, dont ceux de l'enquête Santé Québec de 1987: celle de la persistance d'écarts importants en matière de santé et de bien-être entre les mieux nantis et les plus démunis. Certes, dans l'ensemble, la situation socio-sanitaire des Québécoises et des Québécois s'est améliorée (voir à ce sujet le chapitre 2). Toutes et tous n'ont cependant pas profité de ces gains. Le statut socio- économique s'avère toujours un déterminant majeur de l'état de santé et de bien-être de la population.
- La santé physique et mentale
Que l'on regarde l'espérance de vie en bonne santé, la mortalité, les principales maladies ou les difficultés d'adaptation ou d'intégration sociale, ou encore l'adoption de saines habitudes de vie, les Québécois et les Québécoises défavorisés font piètre figure comparativement aux mieux nantis. L'espérance de vie suit très fidèlement les courbes du revenu, de la scolarité et de la profession. Par exemple, en dépit d'une baisse importante des indices de mortalité dans la région de Montréal, on constate encore dans les années 1990 des disparités importantes. Un écart de 10 ans est observé entre l'espérance de vie des populations de quartiers favorisés et celle des milieux défavorisés à Montréal. C'est dans la partie centre sud de Montréal, que l'on retrouve à la fois les niveaux de mortalité les plus élevés et les plus fortes proportions de personnes pauvres. Les résidants de Outremont-Mont-Royal présentent une longévité moyenne de 81,5 ans, comparativement à 69,8 ans pour ceux de Pointe Saint-Charles (Choinière, 1991).
Pour l'espérance de vie en bonne santé, qui tient compte de la durée et de la qualité de vie, l'écart entre riches et pauvres atteindrait 14,4 ans (Wilkins, 1986). De plus, les écarts selon le revenu augmentent pour deux causes de mortalité : le suicide et le cancer du poumon. Les personnes pauvres sont celles chez qui l'on a observé, au cours des dernières années, une augmentation importante du nombre de décès par suicide ou par cancer du poumon (Wilkins, Adams et Brancker, 1990). L'écart de la mortalité selon le revenu dans les régions urbaines du Canada semble toutefois avoir diminué un peu de 1971 à 1986 (Wilkins, Adams et Brancker, 1990). L'enquête Santé Québec de 1987 a révélé que les Québécois défavorisés âgés de 45 à 64 ans ressemblent physiquement aux Québécois mieux nantis de 65 ans et plus (Colin, Lavoie et Poulin, 1989). Les incapacités sévères varient selon le groupe social: en fait, 14,8% des personnes très défavorisées présenteraient des incapacités sévères, contre 1% en milieu favorisé.
Le stress engendré par la pauvreté a également d'importantes répercussions sur la santé mentale. La première enquête Santé Québec (Colin, Lavoie et Poulin, 1989) a montré qu'il y a environ deux fois plus de personnes défavorisées que de personnes favorisées qui présentent un niveau élevé de détresse psychologique : 30% contre 16,2%. Même si l'importance des événements stressants varie surtout en fonction de l'âge, des écarts importants existent entre les différents groupes socio-économiques. Ainsi, 37% des personnes très défavorisées ont connu un niveau de stress moyen ou élevé durant la dernière année précédant l'enquête. Cette proportion est de 35% chez les groupes défavorisés et tombe à 24% chez ceux de classe moyenne et à 16% chez les favorisés. De plus, les personnes très défavorisées ont prés de trois fois plus d'idées suicidaires et commettent aussi trois fois plus fréquemment que les autres des tentatives de suicide au cours de leur vie. Il n'est donc pas étonnant de constater que les décès par suicide sont plus fréquents en milieu défavorisé et même que l'écart entre les groupes socio-économiques augmente (Wilkins, Adams et Brancker, 1990).
- Les habitudes de vie
Quant aux habitudes de vie, l'indice de l'enquête Santé Québec de 1987 (Colin, Lavoie et Poulin, 1989) qui tient compte de la consommation de tabac et d'alcool, de la pratique d'exercice physique, du sommeil, du poids en fonction de la taille montre que les personnes très défavorisées présentent la plus grande proportion de mauvaises habitudes de vie: une personne sur quatre. Cette proportion est d'une personne sur cinq pour les personnes défavorisées. Les personnes défavorisées fument plus : 46,3 % de fumeurs réguliers chez les très défavorisées contre 23,7% pour les personnes favorisées. On retrouve des pourcentages plus élevés de personnes obèses chez les groupes défavorisés et très défavorisés (14%), comparativement à 9% et 6% respectivement chez les groupes moyens et favorisés.
- Les problèmes sociaux
La relation entre la pauvreté et l'incidence des problèmes sociaux a aussi été maintes fois démontrée. On a par exemple constaté que, dans son ensemble, la clientèle des centres de services sociaux est habituellement issue des couches défavorisées de la population (Mayer-Renaud, 1988). En 1988, alors qu'environ 13% des familles du Québec vivaient sous le seuil de la pauvreté, c'était le cas pour plus de 40% de l’ensemble des bénéficiaires du centre de services sociaux du Montréal métropolitain, et probablement des autres centres de services sociaux du Québec.
Même si bien des parents de milieux défavorisés s'avèrent compétents, affectueux et très dévoués, les familles dont les enfants sont placés en famille d'accueil sont, dans plus de 60% des cas, sous le seuil de la pauvreté. De la même façon, les mauvais traitements physiques infligés aux enfants ont plus de risques de survenir en milieu défavorisé, comme le démontrent les statistiques québécoises et montréalaises (Mayer-Renaud, 1988). Quant aux enfants négligés, la majorité vivraient à l'intérieur de familles pauvres, monoparentales. Outre le fait qu'ils subissent les conséquences de la pauvreté, ces enfants négligés courent un risque important de connaître l'isolement social, le manque d'affection, de stimulation et d'encadrement. Plus tard, l'absentéisme scolaire, la sous-scolarisation ainsi que la délinquance ont de fortes probabilités d'être le lot de ces jeunes (Mayer-Renaud, 1985).
Par contre, la prévalence des cas d'enfants abusés sexuellement ne semble pas varier selon le niveau socio-économique. La violence conjugale ne serait pas, elle non plus, le lot des milieux défavorisés, même si les femmes de ces milieux recourent davantage (88%) aux centres d'hébergement pour femmes violentées (MSSS, 1990). Quant aux personnes âgées, celles qui requièrent des services sociaux s'avèrent parmi les plus défavorisées de leur groupe.
En somme, les Québécoises et les Québécois à faible niveau d'instruction et de revenu présentent plus de problèmes de santé et de problèmes sociaux, et plus de décès prématurés que les autres. Ils courent des risques de mort prématurée, de maladie et d'invalidité supérieurs à la moyenne.
La consommation des services de santé et sociaux
Cette superposition de problèmes engendre évidemment une consommation singulière de services sociaux et de santé chez les clientèles défavorisées; en voici un aperçu:
- La consommation de médicaments prescrits, notamment les tranquillisants, est plus grande (72% contre 51% chez les personnes favorisées) (Colin, Lavoie et Poulin, 1989).
- La population défavorisée aurait recours plus souvent à une clinique de centre hospitalier (Colin, Lavoie et Poulin, 1989).
- En milieu défavorisé, le médecin généraliste est plus fréquenté que le spécialiste (Colin, Lavoie et Poulin, 1989).
- La fréquence des hospitalisations est plus élevée en milieu défavorisé, soit 13% contre 7% (Colin, Lavoie et Poulin, 1989).
- Les personnes défavorisées consultent trois fois moins souvent le dentiste que les plus nanties, c'est-à-dire 6,3% comparativement à 18,7% (Colin, Lavoie et Poulin, 1989).
Il y a une surreprésentation des personnes pauvres parmi la clientèle des centres de services sociaux.
- Le placement d'enfants en famille d'accueil est plus fréquent (60% des cas viennent de familles sous le seuil de la pauvreté).
La très grande majorité des femmes (88%) qui fréquentent les mai sons d'hébergement pour femmes victimes de violence conjugale ont un revenu personnel inférieur à 12 000 $ par année.
Il y a une sous-utilisation des services de prévention par les clientèles de milieux défavorisés (Paquet, 1989).
Les principales constatations
Même si les principales causes de maladie ont beaucoup changé, les écarts de mortalité et de morbidité entre les classes socio-économiques paraissent assez stables sur une longue période. Par conséquent, gela suppose que des facteurs sous-jacents influencent la prédisposition aux maladies et agissent durant des décennies et même sur plusieurs générations. Des facteurs de risque généraux sont donc en cause plutôt que des facteurs de risque individuels (Hertzman, Frank et Evans, 1990).
Ajoutons que la relation entre faible revenu ou bas revenu socio-économique et santé n'est pas uniquement attribuable à une extrême privation au bas de l'échelle sociale. L'Institut canadien de recherches avancées (ICRA) affirme : « Dans toutes les nations, la mortalité générale et la plupart des formes de morbidité (quand elles sont bien mesurées) suivent un gradient entre les classes socio-économiques » (ICRA, 1991).
On observe que le gradient de santé entre les classes sociales est continu et ne présente pas de point de rupture; les personnes qui appartiennent aux couches sociales supérieures semblent en meilleure santé que celles qui se trouvent à l'échelon suivant (ICRA, 1991).
Face à ces résultats, on pourrait soutenir que le lien entre la mauvaise santé et la pauvreté est un lien de causalité renversée. Ou, en d'autres mots, que les différences de mortalité par niveau de revenu, par exemple, peuvent être expliquées par le fait que les personnes malades deviennent pauvres et non pas que les pauvres deviennent malades. S'il ne fait pas de doute qu'il existe au plan social un lien de causalité entre statut socio-économique et la santé ou le bien-être (Marmot, Kogevinas et Elston, 1987 ; Carr-Hill, 1990), au plan individuel cependant, il existe toujours la possibilité que cette relation soit une relation inversée (West, 1991; Blane et al., 1993). Il va de soi que la pauvreté peut être la conséquence d’une mauvaise santé, phénomène que l'on désigne comme l'effet de sélection. Mais les études longitudinales portant sur la santé des personnes vivant des changements de travail et de revenu démontrent que seule une part minime des différences observées entre santé et classe sociale, environ 10%, peut être expliquée par le renversement du lien de causalité (ICRA, 1991 ; Wilkinson, 1986).
L'influence du statut socio-économique sur l'état de santé et de bien-être peut aussi être illustrée par les corrélations entre le degré d'équité dans la distribution du produit national brut (PNB) et les mesures de l'état de santé (Wilkinson, 1992). À ce sujet, l’expérience de la Suède montre qu'il est possible de diminuer les écarts de santé entre les groupes sociaux. Quant à l'exemple du Japon, il illustre très bien les liens entre la prospérité et la santé certes, mais surtout il renseigne sur le rôle de la répartition de la richesse.
Au Japon, l'espérance de vie à la naissance est passée, entre 1955 et 1986, de 63,6 à 75,2 ans pour les hommes, et de 67,8 à 80,9 ans pour les femmes (Marmot et Smith, 1989). Afin de saisir l'ampleur du changement, soulignons qu'une telle amélioration supposerait, au Royaume-Uni notamment, l'élimination de tous les décès attribuables aux maladies cardiovasculaires et à la plupart des cancers (ICRA, 1991). La performance économique de la société japonaise est étroitement associée à ses gains de santé remarquables. La part du produit national brut que le Japon consacre au système de santé est l'une des plus basses parmi les pays développés. En 1987, elle correspondait à 6,8% du PNB, alors qu'au Canada elle était de 8,6% et aux États-Unis de 11,2%. Comment expliquer l'augmentation remarquable de l'espérance de vie ? L'explication se trouve probablement du côté de la croissance du PNB du Japon qui est la plus rapide de tous les pays de l'OCDE et aussi dans le fait que l'écart relatif de revenu entre les plus pauvres et les 20% plus riches de la population est le plus faible de tous les pays de l'OCDE (Marmot et Smith, 1989). En d'autres mots, parmi les sociétés modernes, le Japon s'avère non seulement le pays qui a connu au cours des dernières décennies la plus rapide croissance économique mais aussi celui où les écarts dans la répartition des revenus entre riches et pauvres sont les plus faibles.
LES FACTEURS SOCIAUX ASSOCIÉS
AU STATUT SOCIO-ÉCONOMIQUE
La plupart des analyses employant des techniques statistiques multivariées démontrent que la prise en compte de variables autres que le statut socio-économique permet de rendre compte d'une part plus importante de la variance expliquée (Dutton et Levine, 1989; Haan, Kaplan et Syme, 1989). On suppose ainsi que ces autres variables interagissent soit pour augmenter la relation soit pour l'atténuer.
Les conditions de travail
Le milieu de travail joue un rôle important dans le développement des problèmes de santé. On estime en effet que les traumatismes liés au travail compteraient pour le tiers de tous les accidents (Krute et Burdette, 1978). La conception la plus répandue est de considérer ce milieu comme une source ou un lieu d'agressions de types différents, que ce soit chimique, physique, biologique, mécanique et même psychosocial. Plusieurs maladies professionnelles sont d'ailleurs attribuables à l'exposition prolongée à certaines substances, tel l'amiante, exemple bien connu au Québec. On évalue même que 20% de tous les cancers aux États-Unis étaient associés à une exposition chimique d'origine occupationnelle (National Cancer Institute/Niehs, 1978). Mais ces risques ne menacent pas également tous les travailleurs et tous les types d'emploi. Ainsi, L’incidence des coronaropathies est quatre fois plus élevée chez les travailleurs manuels que chez les cadres (Hinkle et al., 1970). Au Canada, les taux de mortalité sont plus élevés chez la catégorie socioprofessionnelle regroupant les manoeuvres, les salariés agricoles et les ouvriers non qualifiés (Wilkins, 1980). Certains métiers sont aussi plus touchés comme ceux du bois, de la métallurgie, des mines et de la construction (Gouvernement du Québec, 1978).
L'étude longitudinale Whitehall, menée à Londres auprès de la fonction publique (Marmot et Theorell, 1988 ; Marmot, Kogevinas et Elston, 1987), révèle la présence d'une variation importante de l’état de santé et de la mortalité selon l'importance du poste occupé dans l'organisation. Cette variation s'observe même si les fonctionnaires occupant des postes situés au bas de la hiérarchie possèdent des revenus assez importants comparativement à la plupart de leurs concitoyens ou à leurs ancêtres. De telles différences entre les échelons les plus élevés et les moins élevés et aussi celles observées entre les plus élevés et ceux qui les suivent immédiatement sont fondamentales pour comprendre les facteurs déterminants. Ces différences s'observent pour la plupart des causes de mortalité.
Aussi, le fait de ne tenir compte dans le rapport entre travail et santé que des agresseurs présents dans l'environnement immédiat des travailleurs apparaît de plus en plus insatisfaisant à de nombreux intervenants du domaine de la santé (Abenhaim, 1985). Il devient en effet évident que la mortalité et la morbidité différentielle selon l'échelle socioprofessionnelle sont non seulement liées à un groupe d'agresseurs mais aussi, et surtout, au problème de l'inégalité sociale.
L'exclusion du travail
Les effets du chômage sur la santé ont aussi été étudiés. Les recherches semblent démontrer que la dimension économique du chômage demeure un facteur déterminant quant au bien-être des individus (Fortin, 1984). La perte d'un emploi implique en effet généralement une diminution de revenu et impose à celui qui en est victime un ensemble de contraintes financières entraînant une série d'ajustements dans les habitudes de vie. Certaines études visent à évaluer l'impact psychologique du chômage; d'autres désirent connaître l'influence des effets stressants du chômage sur l'incidence de certaines maladies; enfin, les plus récentes ont cherché à vérifier s'il existe une relation systématique entre les hausses de chômage et certaines pathologies sociales (Bellemare et Poulin-Simon, 1983).
Concernant le premier type d'études, les travaux récents corroborent les conclusions des premières recherches effectuées dans les années 1930, à savoir que le chômage exerce des effets psychologiques destructeurs sur les individus (Jahoda, 1979). On fait mention en particulier de l'anxiété, du stress, du découragement, du sentiment d'insécurité, de la perte de confiance en soi, de l'impression d'inutilité. Le deuxième type d'études révèle que les effets psychologiques associés au chômage, surtout s'ils sont persistants, peuvent à leur tour provoquer des désordres psychosomatiques, telles l'hypertension et les maladies cardiaques (OMS, 1985).
En ce qui concerne le lien entre chômage et pathologies sociales, la preuve est plus difficile à faire. En effet, si la hausse du taux de chômage s'accompagne d'une hausse de la criminalité, rien n'indique qu'il existe un lien de nature causale entre ces deux problèmes, et cela essentiellement pour des raisons méthodologiques (Grainger, 1980). Malgré ces réserves, une étude américaine portant sur la période 1940-1973 a établi une relation statistique stable et positive entre le taux de chômage et les taux d'admission dans les hôpitaux psychiatriques, les taux d'emprisonnement ainsi qu'avec les taux de mortalité attribuables au suicide, à l'homicide et aux maladies cardiovasculaires et rénales (Brenner, 1976). L'application du même protocole au cas canadien pour la période 1950-1977 n'a permis d'associer le chômage qu'à la mortalité attribuable aux maladies cardiovasculaires (Adams, 1982). Au Québec, une étude de l'évolution du taux de suicide de 1950 à 1981 a permis de vérifier l'association entre les variations du taux de suicide et les variations du taux de chômage (Demers et Cormier, 1984).
Une synthèse des travaux de recherche réalisée sous l'égide de l'Organisation mondiale de la santé révèle qu'«un taux élevé de chômage et l'instabilité économique entraînent une augmentation significative des problèmes de santé mentale et ont également des effets nuisibles non seulement sur la santé physique des chômeurs, mais également sur celle de leur famille et de la collectivité» (OMS, 1985). Une étude danoise portant sur le chômage et la mortalité a révélé un taux de mortalité plus élevé (entre 40 et 50% de plus) chez les chômeurs (Iverson, Anderson, Anderson et al., 1987). Cette étude, qui dura de 1970 à 1980, révéla un taux de mortalité plus important pour les principales causes de décès, en particulier pour les suicides et les accidents. Toutefois, dans les régions du Danemark présentant un taux de chômage plus élevé, le taux de mortalité parmi les chômeurs était moins élevé, comme si leur plus forte concentration atténuait d'une certaine manière l'impact de leur situation.
Le logement
Hormis les cas de taudification avancée, l'impact direct des conditions de logement sur la santé est difficile à établir en dehors des problèmes associés directement au bâtiment (isolant de mousse d'uréformaldéhyde, soudure en plomb dans les tuyauteries, etc.) ou au terrain sur lequel il repose (ancien dépotoir de matières dangereuses). Cette situation est sans doute due au fait que l'état du logement est intimement lié à la situation économique des occupants.
Le fait de combler ce besoin essentiel signifie pour certains qu'ils doivent y consacrer une part importante de leurs ressources financières. Ils sont ainsi contraints à sacrifier sur la qualité du logis (nombre de pièces, isolation, insonorisation, localisation) tout en modifiant la satisfaction de leurs autres besoins essentiels tels l'alimentation, l’habillement et les loisirs, avec comme conséquences une dégradation de leur santé. Ajoutons que le manque d'intimité consécutif à l'entassement de familles dans des appartements exigus et, surtout, l’impossibilité de comprimer la dépense mensuelle que représente le loyer contribuent sans aucun doute à augmenter le niveau de stress déjà élevé des personnes à faibles revenus.
Par exemple, des études ont montré que les familles dont les enfants sont victimes d'abus ou de négligence disposaient de moins d'espace vital (Wollock et Horowitz, 1977 ; Gove, Hughes et Galle, 1979 ; Zuravin, 1986 ; 1988). Une de ces études conclut d'ailleurs qu'une densité du logement de 1,5 personne par pièce rend compte d'un pourcentage significatif de variance d'incidents rapportés de négligences et d'abus physiques ou sexuels, une fois contrôlés les effets de la classe sociale et de l'ethnie des familles (Zuravin, 1988). Une autre dimension du logement, le statut résidentiel, est également associé à la santé et au bien-être. Ainsi, à occupation équivalente, les personnes locataires sont plus nombreuses à adopter de moins bonnes habitudes de vie que les personnes propriétaires (Pill, Peters et Robling, 1993).
Le réseau social
Habiter un logement, c'est aussi vivre dans un milieu social donné. On a observé qu'à pauvreté égale, un quartier où les liens sociaux sont encore très vivants présente moins de problèmes de santé et moins de difficultés d'adaptation sociale. Boisvert et Lemire constatèrent en effet que, à pauvreté comparable, c'est la qualité des réseaux d'entraide et de soutien qui fait la différence entre la présence et la gravité des problèmes associés à la santé mentale entre différents quartiers défavorisés de Trois-Rivières (Boisvert et Lemire, 1990).
Le lien entre isolement et santé et bien-être a été largement étudié (House, Landis et Umberson, 1988). L'état des connaissances porte à croire que l'influence des relations sociales sur la santé peut s'avérer aussi importante que celle du tabagisme, de l'hypertension, de l'obésité et du manque d'activité physique. D'ailleurs, certains facteurs de risque pour la santé fréquemment reconnus comme des constituantes du mode de vie devraient plutôt être liés au milieu social. La qualité du tissu social, la force des solidarités et des réseaux d'entraide protégeraient les individus contre les effets cumulatifs des stress liés aux conditions de vie difficiles.
Dans le cas des chômeurs par exemple, ceux qui avaient un réseau ont exprimé moins de détresse que ceux qui n'en avaient pas (Gore, 1978). Gabarino et Sherman ont pour leur part constaté que, à pauvreté égale, le voisinage où l'on retrouve le plus de cas de mauvais traitements chez les enfants présentent des caractéristiques délétères sur le plan de la vie communautaire (Garbarino et Sherman, 1980). Au Québec, Bouchard et Chamberland ont tiré des conclusions semblables de leur études sur des quartiers du centre-ville de Montréal (Bouchard, Beaudry et Chamberland, 1986). Mentionnons toutefois que l'existence d'un réseau, s'il est conflictuel, peut au contraire avoir des effets néfastes (Moreault et Gagnon, 1992; Mayer-Renaud et Goyette, 1991). L'analyse du rôle du réseau social doit donc également tenir compte de la qualité de ce dernier.
Le sentiment de contrôle
Le sentiment de contrôle qu'éprouve un individu ou un groupe sur son environnement social émane de plus en plus comme un concept fondamental pour la recherche (Cohen, 1990; ICRA, 1991 ; Syme, 1991). En plus de la santé mentale, une variété de systèmes et d'organes seraient affectés, en particulier le système immunitaire.
Une étude britannique a montré que les conditions de travail, et principalement la liberté de prendre des décisions, contribuaient à l'association très forte qui existe entre la classe sociale et les maladies cardiaques (Marmot et Theorell, 1988). Les auteurs reconnaissent le fait suivant: moins la personne a de liberté de décision au travail, plus elle est portée à fumer. D'autres études ont montré que les symptômes de maladies cardiovasculaires étaient très présents (20%) chez ceux qui décrivaient leur fonction comme psychologiquement exigeante et ne permettant pas beaucoup d'autonomie de décision (Karasek et Theorell, 1990). Alors que les personnes pour qui le travail présentait une tension psychologique mais qui possédaient un grand niveau d'autonomie quant à l'utilisation de leurs compétences ne présentaient pas de symptômes de maladies cardiovasculaires. De l'étude des liens entre la classe sociale et les maladies cardiovasculaires chroniques émane selon l’ICRA une conclusion primordiale : « au-dessus d'un seuil de pauvreté, la place que l'on occupe dans la hiérarchie sociale peut être en soi un déterminant de la santé et de la maladie plus important que les conditions matérielles » (ICRA, 1991).
CONCLUSION
Il est maintenant admis que l'état de santé et de bien-être des collectivités est lié de près à un ensemble de facteurs extérieurs au système curatif. En fait, la réduction de la mortalité depuis les années 1800 serait avant tout attribuable à l'amélioration générale des conditions d'existence plutôt qu'aux progrès de la science médicale (McKeown, 1976; 1980). La thèse de l'influence prépondérante des conditions de vie sur la santé et le bien-être des individus a d'ailleurs été reconnue à l'échelle internationale en 1986 avec l'adoption de la Charte d'Ottawa sur la promotion de la santé (OMS et al., 1986).
Compte tenu des progrès technologiques récents et des investissements massifs dans les services de santé observés dans la plupart des pays industrialisés, il apparaît particulièrement important de considérer l'influence des facteurs sociaux sur la santé et le bien-être collectif, puisque, comme nous venons de le constater, au-delà de l'existence de systèmes de soins et de services de qualité, plusieurs autres facteurs sociaux affectent continuellement l'état de santé de la collectivité. De plus, la relation entre la position sociale des individus, leur milieu de vie et leur état de santé vaut pour toutes les classes sociales et non seulement pour les populations vivant dans une pauvreté extrême.
Les liens existants entre les conditions de vie et la santé ont fait l'objet d'un certain nombre de modèles explicatifs particulièrement intéressants. Mentionnons à ce propos les travaux entourant la notion de «capacité générale de résistance à la maladie» (Syme et Berkman, 1976; Antonovsky, 1985) qui vient en quelque sorte prendre la relève du concept de «vulnérabilité générale». Selon ces auteurs, l’apparition de la maladie ne serait pas seulement lice à l'exposition à un certain nombre d'agresseurs, mais serait aussi le résultat de la manière dont les gens font face à la vie. Notons que cette capacité d'adaptation n'est pas uniquement vue comme individuelle mais également comme sociale, c'est-à-dire considérée sous l'angle de la capacité de mobiliser les ressources autour de soi ou, si l'on veut, la capacité de faire face (le coping). Mais comme le souligne Marc Renaud, poser ainsi la question de la santé, « c'est poser la question des structures sociales qui permettent aux gens de faire un coping efficace, de se débrouiller pour trouver des solutions à leurs problèmes » (Renaud, 1987).
Même si ces travaux fournissent des pistes intéressantes pour agir sur la capacité de résister à des situations sociales difficiles, la recherche sur les déterminants sociaux de la santé et du bien-être des populations est peu développée. Or, tout indique que les prochains gains importants dans l'état de santé seront liés à une meilleure compréhension des relations entre la situation sociale, la capacité de faire face aux situations, le stress qui y est lié et la santé. Une telle compréhension repose davantage sur la tenue d'enquêtes longitudinales auprès de la population plutôt que sur l'étiologie de maladies particulières (ICRA, 1991). Comme le soulignait récemment l'Organisation mondiale de la santé dans un document intitulé Santé et réformes économiques (OMS, 1991), c'est en analysant les raisons de cette vulnérabilité et en élaborant des stratégies pour transformer ces situations que l'on parviendra à éliminer certains des obstacles majeurs au développement social, économique et politique. Les groupes vulnérables constituent eux-mêmes une ressource humaine que la plupart des stratégies de développement économique n'ont fait que marginaliser.
Les politiques gouvernementales, qu'elles concernent directement ou non les services de santé, ont une influence considérable sur la santé et le bien-être de la population. L'Organisation mondiale de la santé a grandement contribué à faire circuler cette idée pendant les années 1980 auprès d'un grand nombre de pays industrialisés dont le Canada (O'Neill, 1989). Cette approche, qui est résumée par la notion de «politique publique favorisant la santé», est «caractérisée par une évidente préoccupation pour la santé et l'égalité dans tous les domaines de la santé» (OMS, 1988).
La persistance et l'importance des écarts entre les états de santé selon le statut social révèlent, dans une certaine mesure, l’échec de nos politiques et programmes. Des solutions qui prennent appui sur le dynamisme communautaire devront être trouvées pour freiner le processus de désintégration des communautés situées dans les centres-villes et dans les régions périphériques du Québec. Et puisque l'emploi est essentiel à la prévention de la pauvreté et de la dépendance sociale, les actions entreprises devraient viser l'amélioration de l'ensemble des conditions relatives à l'emploi telles que la formation de la main-d’oeuvre, la santé et sécurité au travail, etc. La valorisation d'emplois favorisant l'entraide communautaire et intergénérationnelle est aussi une voie à explorer pour l'avenir. En plus des actions à caractère économique, il est indispensable de renforcer les interventions destinées à atténuer les conséquences de la pauvreté en améliorant les conditions de vie et l'environnement social des plus démunis. Car si la santé et le bien-être sont des biens individuels, ils sont en même temps des biens collectifs dont bénéficient tous les secteurs de la société.
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[1] S'il existe un grand nombre de définitions relatives à la santé comme on l'a vu au chapitre 2, il en va de même en ce qui concerne la définition du statut social. Celui-ci se compose de trois grands groupes de mesures: celles basées sur le revenu, celles fondées sur la scolarité, celles qui utilisent le type d'emploi occupé. Elles ont chacune leurs avantages et leurs inconvénients. Pour plus de détails, voir Liberatos, Link et Kelsey (1988, p. 87-121); Morgenstern (1985, p. 3-35).
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