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Jean Filiatrault, m.s.r.c.
“Quelques manifestations de la révolte
dans notre littérature romanesque récente.”
Un article publié dans la revue Recherches sociographiques, vol. 5, no 1-2, janvier-août 1964, pp. 177-190. Québec : département de sociologie et d'anthropologie de l'Université Laval. Presses de l'Université Laval. Numéro intitulé : “Littérature et société canadiennes-françaises.”
- Jean Filiatrault, “Quelques manifestations de la révolte dans notre littérature romanesque récente.”
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- Commentaire
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- I. Hubert Aquin
II. Claude Jasmin
- III. Georges-André Vachon, s.j., Collège Jean-de-Bréboeuf, Montréal.
En tout premier lieu, qu'il me soit permis de féliciter chaleureusement le Département de sociologie et d'anthropologie de l'Université Laval. Ces félicitations, je vous prie de les croire sincères. Et je n'insiste pas davantage. D'autres avant moi, plus compétents, ont déjà, sans doute, manifesté l'enthousiasme que provoque une initiative du genre de celle qui nous occupe ces jours-ci. Mais là ou mes félicitations prennent un sens plus fort, c'est au moment où je me décide à vous faire l'aveu suivant : depuis très longtemps, j'ai été tenté de considérer la littérature, et tout particulièrement le roman, comme le reflet, l'image du milieu qui la provoque, car il s'agit bien de provocation. Il y a dix ans, il y a cinq ans même, entretenir une telle pensée, c'est-à-dire croire que notre littérature à nous pouvait être à notre image, c'était ou bien se payer la tête des bien-pensants, ou bien manifester une ignorance, un manque de réflexion désastreux. Je me rappelle encore certains sourires discrets qu'une délicatesse de salon et les bonnes manières réussissaient à peine à camoufler. Et pourtant !
Une littérature ne se manifeste pas toujours et uniquement par les circonstances, les aventures, les drames, les mœurs et les personnages qu'elle décrit, mais davantage dans un milieu comme le nôtre, par ses silences, ses absences, ses méfiances nombreuses, ses restrictions, ses retenues révélatrices et singulières. Ainsi en était-il de notre littérature du début du siècle. Je pense à nos très nombreuses pastorales qui pouvaient laisser croire que nous étions un peuple en paix, mais qu'une étude un tant soit peu attentive nous fait redécouvrir comme étant l'expression d'un mensonge sublime, d'un refoulement porté au plan de la vertu de devoir. À cette époque, nos romans ne nous montraient pas tels que nous étions, ni même tels que nous désirions être, mais tels qu'on nous avait convaincus que nous étions. En ce temps-là, notre poésie transmettait la même image que notre rare roman. Mais de nos jours, depuis 1940 environ, plus encore que le poète, le romancier, qu'il le veuille ou non, ne fût-il qu'un pâle imitateur des littératures étrangères, notre romancier, dis-je, transmet l'image de notre milieu ; et c'est une supériorité de notre roman sur notre poésie que personne, je crois, n'a soulignée jusqu'ici. [178] Pourquoi le romancier plus que le poète ? Pour la raison bien simple que le romancier fait vivre ses personnages dans un milieu donné tandis que le poète n'a d'yeux et d'oreilles que pour les principes que peut et doit résumer l'individu, le moi pris dans son essence et sa relativité propre. Le romancier place sa créature dans son milieu, le poète l'isole de son milieu. Il y aurait long à dire sur le narcissisme de notre poésie, fort belle par ailleurs, et sur le milieu terne dans lequel se meuvent avec tant d'efforts épuisants les personnages romanesques de notre production ; ce narcissisme poétique et ce milieu romanesque se rejoignant étrangement dans une espèce d'absence, de négation maladive. Mais tel n'est pas le sujet de cette communication.
Aucune surprise de votre part, donc, si au cours de mon exposé je ne parle que de quelques romans ; il le faut bien puisque je m'adresse à des sociologues, c'est-à-dire a des spécialistes tout particulièrement occupés à l'étude des sociétés humaines et de tous les phénomènes sociaux.
À mon avis, le romancier joue dans une société un rôle nécessaire ; il est l'historien du quotidien, il fait la petite histoire du jour le jour. Et toute personne attentive, toute personne au fait des principes et des schèmes freudiens les plus sommaires, peut déceler dans notre roman à nous, les malaises, les déceptions, l'absence de bonheur, le refus d'une forme de la liberté qui étouffent à des degrés divers les strates humaines qui forment notre terrain social. Si d'un côté je prête au romancier le rôle d'historien du quotidien, de l'autre il me suffit de demander aux sociologues de se faire les psychanalystes de notre roman pour que mes désirs les plus chers et les plus profonds soient comblés. Vous aurez compris alors le sens profond et la gratitude que veulent exprimer mes félicitations du début.
Le thème de votre colloque me comble de joie. Il me laisse entendre qu'enfin, et de plus en plus, notre société, dans ce qu'elle a de plus et de mieux éclairé, accepte de se regarder dans la glace que les romanciers lui proposent, sans fuir, sans s'évader ou se mentir à la vue des petites laideurs qu'elle se découvre et qui ne sont pas nécessairement celles qu'elle se connaissait jusqu'à présent.
La révolte et ses nombreuses facettes
C'est un pays étrange que notre révolte, étrange et fascinant, et fuyant. « Quinze jours suffisent pour comprendre un pays, écrivait quelque part un grand voyageur, et un mois suffit pour ne plus avoir d'opinion. » Le mot révolte est-il lancé, le thème est-il énoncé que déjà on la voit cette révolte, qu'on l'aperçoit presque dans tous nos romans. Et puis, quelques jours de réflexion, et on ne la voit plus ; elle se cache, elle prend un autre sens, elle s'affaisse, elle revêt les habits du fuyard ; elle a peur, oui, voilà, elle prend les traits de la peur. Tel livre qui nous paraissait à prime [179] abord l'expression véritable d'une révolte consciente, n'arrive pas à soutenir une analyse un tant soit peu sérieuse sans changer de forme, sans perdre son panache. Ainsi certains de nos romans récents, fort beaux et fort bien faits par ailleurs, à mon sens relèvent plus de la perversité que de la révolte, même inconsciente. Ce sont des fuites sans fin de la première à la dernière page. Jamais ou presque on y découvre une tentative de dépassement, la recherche d'une autonomie, même individuelle ; ce n'est qu'un long blasphème contre la vie, contre la société ; c'est une littérature du désespoir, plus encore, de la désespérance. Certes, ce phénomène mérite l'attention des sociologues, mais il dépasse ma compétence et le sujet qu'on m'a assigné tel que je le comprends. Par ailleurs, certains romans qui ne semblent exprimer que la déchéance d'une servilité honteuse trouvent soudain la stature d'un réquisitoire en bonne et due forme, c'est-à-dire qu'ils sont la manifestation d'une révolte exigeante.
Avant de procéder plus avant, il me faut attirer votre attention sur un point qui, tout en étant un peu en marge du sujet, ne laisse pas d'être important. Notre roman ne peut, vous pensez bien, se situer toujours à la fine pointe de notre évolution. Et, même si j'affirmais, il y a un instant, qu'il relate l'histoire de notre jour le jour, vous aurez compris qu'il faut lui accorder malgré tout le jeu d'un certain décalage. C'est ainsi que, malgré certaines manifestations indépendantistes récentes, nos romans les plus nouveaux n'ont pas encore enregistré véritablement ce phénomène social. Il est par ailleurs remarquable que le phénomène de la perte de la foi dans certaines sphères de notre société, celui de la diminution de la ferveur religieuse dans notre société en général, ont été soulignés d'une manière non équivoque par notre roman, et cela bien avant que l'athéisme et l'agnosticisme soient chez nous affirmés sur la place publique. C'est que les chemins d'une évolution sont multiples. Certaines manifestations, celle de l'indépendance nationale par exemple, procèdent de l'extérieur et doivent avant d'être véritablement assimilées, traverser le barrage de l'intelligence collective ; il leur faut vaincre les lourdes difficultés d'une lourde spéculation sociale, si l'on me permet l'expression. Tandis que d'autres phénomènes, comme celui de la perte de la foi, celle-ci venant d'abord d'un besoin de l'instinct et de l'émotif, doivent vaincre en premier lieu la spéculation individuelle avant de prendre place sur le plan social. Il s'agit de la même démarche, mais à rebours.
Ceci étant dit, il nous reste donc à nous pencher sur quelques romans qui me paraissent manifester les différentes révoltes dont notre société peut être la cause.
« Mathieu » et la victoire sur soi-même
Le premier roman que nous tenterons d'analyser s'intitule Mathieu, il est de Françoise Loranger ; il a été publie en 1949. Bien qu'il s'agisse [180] avant tout du drame d'un personnage unique, tout un monde s'agite autour de lui. C'est l'histoire d'un homme de vingt-huit ans qui se révolte contre sa condition, son milieu, mais d'abord et surtout contre lui-même. Le roman fait le récit détaillé de ce combat. Il est divisé en trois parties.
Dans la première partie, Mathieu accepte de se voir et, par conséquent, de se haïr ; c'est la première phase de sa révolte. Il se compare à son milieu, compare ses aptitudes et ses réalisations à ses appétits de succès et de puissance, et le bilan ne lui est pas favorable. Il se trouve laid ; il est laid ; sa mère est laide. Dès les premières lignes du roman nous entrons dans la révolte et l'irritation :
- « Mathieu lisait des vers, cherchant à son angoisse une angoisse jumelle qui lui donnerait l'illusion de la souffrance partagée... Irrité d'entendre soudain des voix familières, il redressa la tête et aperçut sa mère et sa marraine qui traversaient le hall pour venir le rejoindre. »
Mathieu est irrité : deux femmes viennent troubler son rêve, et la deuxième n'est pas n'importe quelle femme ; ce n'est ni une tante, ni une cousine, ni une amie, c'est plus que cela ; cette femme est sa marraine, ce que la langue anglaise appelle godmother, c'est-à-dire, sa mère sur le plan de Dieu.
Mathieu est pauvre, il envie la richesse et, signe révélateur, la beauté à ses yeux se trouve toujours de l'autre côté de la barricade, du côté de l'argent. Oui, tous les fortunes de ce milieu sont beaux, élégants, charmants, leurs défauts même les plus grossiers s'entourent d'un halo de grand seigneur ; la vie leur est facile, non seulement la vie que je pourrais appeler existentielle, mais également la vie de l'esprit ; aucun problème métaphysique du côté de la fortune, semble-t-il ; aucune insatisfaction morale ; les plaisirs, la paix, la joie de vivre et de respirer, tout cela semble à Mathieu l'apanage des fortunes de ce monde. Tandis que du côté de la pauvreté, du côté de Mathieu, toutes les difficultés s'accumulent dans un milieu de grisaille. L'auteur nous le laisse entendre, page 10 :
- « Ne supportait-il pas, depuis vingt-huit ans, les mêmes humiliations, la même misère, et sans qu'il y soit pour rien ? Avait-il demandé à naître ? À naître d'elle surtout ? Qu’avait-elle eu besoin de le mettre au monde et de lui faire partager son désenchantement ? »
Ce n'est presque plus à sa mère qu'il adresse ses malédictions, mais à sa race, son peuple. Voilà la révolte exprimée sur le plan naturel. À partir du moment où notre héros se met à réfléchir, à vouloir comprendre son état, à vouloir s'approprier son identité propre, il trouve la haine. Mais on n'accepte pas tout de suite de se haïr, et vivement sa haine le conduit à la révolte, statique d'abord puis active de plus en plus. Et au moment où la révolte entre en action, elle est dirigée du côté de la richesse. [181] Voilà l'ennemi, celui qu'il faut terrasser. Le but : ébranler, détruire si possible le château fort des seigneurs. C'est la révolte du valet.
Mais comment pénétrer dans ce monde ferme ? Par la finance, la politique, l'industrie, les professions libérales ? Ces moyens sont déjà entre les mains de l'ennemi. Alors, il y a le théâtre, le monde peu structuré du spectacle. C'est donc là que Mathieu manifestera sa révolte. Ici, je me permets une parenthèse : s'est-on déjà demande pourquoi le théâtre chez nous est aussi développé ? pourquoi il offre tant d'attraits à la jeunesse - sur le plan artistique s'entend ? - pourquoi les Canadiens de langue française montrent Plus de talents pour les planches que les Canadiens de langue anglaise ? Certes, ces talents existent, indubitablement. Mais n'y aurait-il pas autre chose ? Ne serait-ce pas que, justement, en ce domaine, pour atteindre à la notoriété, à une certaine gloire à notre mesure, il n'est pas nécessaire d'être riche. Il faut se rappeler l'espèce de divinité que revêt le comédien aux yeux du peuple. Il en est peut-être également ainsi de l'attrait que nous éprouvons pour la littérature, le journalisme et la peinture.
Mathieu, lui, n'a pas le talent nécessaire et sa démarche dans le monde du théâtre est un échec. Il n'est pas à la hauteur et le reconnaît bien vite. On le rejette, du moins en a-t-il l'impression. Il lui faut donc revenir à lui-même, à une révolte statique. C'est la deuxième partie du roman. Il faut à Mathieu un coupable qui soit lui en même temps qu' un autre. Alors paraît dans le roman la présence du père. Ce père était beau, très beau, et il était pauvre il y avait donc anomalie. Mais tout rentre dans l'ordre, dès la page 199:
- « L'œil hagard sorti de l'orbite ; le front presque entièrement privé de sourcils ; le visage blême, la barbe longue et grise, poussant par plaques seulement, semblable aux cheveux qui, épais à certains endroits, clairsemés à d'autres, laissent voir le crâne ; la peau boursouflée ; la lèvre épaisse et molle, d'une couleur malsaine, indéfinissable ; Jules Normand n'appartenait pas encore à la mort et pourtant la vie déjà l'avait rejeté. »
Ce personnage paraît à peine dans le roman que l'injustice est vite réparée ; le beau Jules Normand est laid, lui qui avait l'outrecuidance d'être beau dans la pauvreté. De plus, il est puni, ce qui soulage la bonne conscience de madame Normand. Il est alcoolique, syphilitique, paralytique. C'est beaucoup pour un seul homme. L'alcool, le sexe, les deux bêtes noires de notre société, et la paralysie, punition idéale, image de la mort dans la vie, la plus belle des expiations, celle qui permet de considérer comme mort celui qu'on n'a pas besoin de tuer.
Mais la punition étant donnée et accomplie, ici commence à prendre forme une espèce de combat qui n'est pas un assaut, mais la recherche de la défaite. Mathieu n'attaque plus, il ne cherche plus la victoire sur les autres, et incapable d'être victorieux sur lui-même, c'est l'idée de la mort [182] et du suicide qui rode d'abord entre les lignes. Un instant l'attire le monde surnaturel. Il s'en explique, page 61 :
- « Déjà, lorsque j'étais enfant, j'avais peine à croire tout à fait à ce Dieu juste et bon qu'on nous proposait au collège, et qui ressemblait étrangement au Père Noël ... Comment aurais-je pu croire longtemps à son existence puisqu'il ne m'entendait pas crier, puisque ce miracle que j'attendais de lui ne se produisait pas ? Quelle conclusion un enfant épris de certitude pouvait-il tirer de cet accablant silence du Ciel, sinon qu'on lui avait menti ? »
Il y revient, page 134 :
- « J'ai été comme tous les enfants de la province, gavé de religion. On m'en a tellement fait absorber qu'elle me sort aujourd'hui par tous les pores de la peau. J'ai beau croire que je ne crois pas, il me revient encore des relents pieux de mes années de collège, de l'époque où, dans l'espoir d'être un jour moins malheureux, je me disais : « Si c'était vrai pourtant ! Ce serait si beau que ce soit vrai ... » Malgré moi, je me sens encore frustré dans mon désir de ce Dieu juste et bon dont on nous rebattait les oreilles. On a incrusté cet espoir si profondément en moi, que j'y reviens inconsciemment aux heures d'angoisse. »
Pourtant, Mathieu est un être trop fortement enraciné dans la vie pour que le spirituel le perde ou le sauve, et par conséquent pour que le suicide soit possible. C'est alors que le hasard lui fait découvrir une guérison qui possède l'avantage d'être en dehors de lui. C'est le retour aux sources de la nature. Il fait un long séjour à la campagne et se soumet difficilement au début puis peu à peu avec entêtement à des exercices corporels épuisants qui développent ses muscles et engourdissent son esprit. Pour se sauver, il lui faut se décharger de son intelligence. Cette nouvelle recherche fait l'objet de la troisième partie.
Ainsi peut se résumer la révolte de Mathieu. La beauté est du côté de la richesse ; il est pauvre, donc il est laid. S'il devient beau physiquement, il sera riche, même sans argent. C'est un raisonnement qui n'est logique qu'à la lumière de la psychologie, ne l'oublions pas.
Je peux me tromper, mais il me semble que, à mesure que nous avançons dans la lecture de ce roman, Mathieu cesse de nous ressembler. L'auteur n'en fait plus, à la fin du livre tout au moins, le porte-parole de nos difficultés ; il ne peut en être autrement puisqu'un héros, avec ou sans le consentement du romancier, possède une vie propre chaque fois que le roman est bien fait. - Il est à noter que nos romans, règle générale, nous décrivent toujours mieux au début qu'à la fin, ce qui donne très souvent à la critique l'impression que l'œuvre tourne court. - Mathieu a gagné son combat, mais c'est une victoire qui fait de lui un spectateur dans la cité.
Jean Cherteffe et la révolte manquée
Passons maintenant à une révolte qui se solde par un échec. Pour cela nous étudierons le premier roman d'André Langevin, Évadé de la nuit, [183] publié en 1951. Au début du roman, Jean Cherteffe, notre héros, se rend au salon funéraire ou son père est exposé. Dès les premières lignes, l'auteur nous fait la description de la première femme à paraître dans ce roman il s'agit d'une tante retrouvée.
- « Elle est très laide et l’âge n’a dû qu'accentuer ce qui devait être déjà le poids de la jeunesse. Sa tête, effilée au sommet, fuyante comme une forme inachevée, s'équarrit au menton, ainsi qu'un socle. Des yeux qui disparaissent presque sous une eau dont on ne sait si elle est formée de larmes. Elle grimace pitoyablement en parlant. Son corps tordu semble lutter pour se libérer d'une attache à sa base. Elle palpe la manche du veston de jean, d'un geste crispé de vieille personne qui ne sait plus mesurer la détente de ses muscles. »
Voilà bien une laideur qui rejoint celle de la mère de Mathieu. Mais Jean Cherteffe n'a pas de mère, les religieuses d’un orphelinat lui en tiennent lieu. Voici une autre description de femme, page 37 :
- « La religieuse, celle qui tous les matins montre aux enfants un bras rongé par une plaie sèche et exalte la grâce du martyre sur la terre, donne le signal du réveil. »
Maintenant, le portrait du père, page 19
- « Visage d'ivrogne précocement vieilli. »
Jean Cherteffe n'avait pas vu son père depuis très longtemps ; que pense t-il en le voyant dans sa tombe ? Il nous le dit, page 20 :
- « Tu connaissais le visage avant de l'avoir vu, pourquoi ton âme simule-t-elle la souffrance ? Engendrer. Une nuit un peu plus amère, et je suis son fils. L'on connaîtra de moi un tel visage, cette expression haineuse. »
C'est la malédiction qui se transmet de génération en génération. À partir de ce décès, Jean Cherteffe constate sa solitude, son incapacité à participer à la société. Encore une citation, page 20 :
- « Jean leva les yeux et prit conscience de la présence d’hommes autour de lui. Que dissimulaient les visages ? Il s'aperçut que jamais il n'avait cherché à voir en eux l'être humain aussi vulnérable, aussi démuni, aussi individualisé que lui-même. »
Jean est heureux de se reconnaître semblable aux siens. Il éprouve le désir inévitable de s'intégrer. Comment le fera-t-il ? Le hasard met sur sa route Benoît une loque humaine. Et voilà sa mission toute tracée ; cet homme, il le prendra en charge, lui enseignera la façon de vivre ; il le guérira, lui fera retrouver le besoin d'agir et de se comporter selon les normes de la société. Il ne lui vient pas à l'esprit de s'élever lui-même plus haut que lui-même. Contrairement à la révolte de Mathieu qui se manifeste dans l'humiliation, celle de Jean Cherteffe se manifeste dans le sens de l'orgueil, et il lui faut choisir quelqu'un de plus bas que lui afin de le monter jusqu'à lui. C'est qu'il ne connaît pas encore l'objet de sa révolte. Aussi, [184] sa démarche est-elle un échec. Il force Benoît à visiter son fils dans un orphelinat ; le fils meurt et l'homme se suicide. « On ne s'installe pas dans la vie des autres », est-il écrit page 101. C'est la leçon que Jean Cherteffe tire de son expérience.
À partir de maintenant, il accepte d'être déchu. Pourtant, ce n'est pas encore le désespoir. Micheline, une jeune fille qui est déjà une femme, viendra l'arracher à sa solitude, à son refus de vivre. Elle lui fera comprendre l'amour véritable. Jean Cherteffe, toutefois, n'est pas préparé à accepter l'amour sans culpabilité. Et pourtant, ce n'est pas sa chair qui se refuse, mais son esprit. Il s'en explique, page 125 :
- « Cette intelligence si lucide découvre en tout un leurre et la beauté elle-même, lorsqu'on lui retire son éclairage arbitraire, devient l'artifice de la laideur. L'amour, évidemment, n'est que le fruit d'une entente, d'une convention acceptée afin de pouvoir croire en une évasion. Ceux qui donnent sont des faibles que la crainte d'être écrasés réduit aux sacrifices. Seule demeure la lucidité qui équivaut assez au billet d’entrée que paie le spectateur d'un drame d'horreurs. Si tout est faux, les plaisirs le sont aussi : tout est bien clos et la seule porte qui n'est pas murée donne sur la mort. »
Voici, page 131, un jugement plus précis sur l'amour
- « Je pense que si je vous aimais, j'aurais désir de vous briser le crâne pour communiquer avec cela seul dont j'ai faim et que je n'appréhende pas dans l'apparence du corps, que je ne saisirai jamais. »
Quand même, la chair à gain de cause et Micheline, après bien des déboires, réussit à vaincre les résistances du jeune homme. Elle refuse le mariage ; elle refuse les lois de la société. Son amour est au-dessus de tout, au-dessus de l'intelligence et de Jean ; elle rejoint la révolte de Jean contre la société. Mais au moment où Jean comprend vraiment le don de la jeune femme, elle meurt en donnant naissance à un fils qui devra vivre dans un orphelinat puisque Jean Cherteffe décide de mourir lui aussi.
- « Il pensa qu'il nageait dans du lait et qu'à chaque élan en avant il lui fallait fendre une muraille plus épaisse. Il s'abandonna et le lait lui emplit la bouche et gela ses veines. Ses jambes s'appesantirent et il coula. Les ténèbres s'abolissaient. Il devenait lumineux. La peau de Micheline qui le couvrait tout entier, sa bouche qui glaçait la sienne et sa voix douce et pacifiante qui l'appelait de loin, de très loin. La douceur le tuait. »
Ce paragraphe termine le roman. La neige, le blanc, le lait maternel, le ventre maternel, c'est le retour à la pureté première de l'inexistence, du néant, puisque l'autre pureté, celle qu'on lui a enseignée, est impossible et que l'amour selon la chair est frappé par la malédiction divine.
La mère de Jean est absente du roman, c'est l'orphelinat qui en tient lieu. Jean est le produit de l'orphelinat. Le fils de Benoît meurt dans un orphelinat, abandonne lui aussi par sa mère, et le fils de Jean dont la mère meurt en couches, sans doute sera-t-il confié a un orphelinat.
[185]
Le père, lui, est présent : dans son cercueil d'abord, puis dans la personne de Benoît, une loque humaine, préfiguration de Jean, et aussi dans la personne du juge Giraud, père de Micheline. Celui-ci est juge, notons-le bien, c'est-à-dire représentant de la justice, symbole de l'ordre et de la loi ; il est l’autorité, mais une autorité déchaînée contre toute manifestation de sexualité, même la plus légitime. Ainsi nous est-il décrit, page 145 :
- « Plus aucune ambition mais le désir rageur, halluciné de chasser le mal, de poursuivre jusqu'à son ombre. Combien de fois n'avait-il pas souffert de ne pouvoir sévir contre les victimes de viol ? Pendant vingt ans, la hantise de torturer tout ce qui de près ou de loin touchait au péché de la chair. Le soulagement douloureux à pouvoir arracher des larmes aux filles de rue. L’imagination qui reconstituait avec fièvre les moindres détails d'un attentat à la pudeur. Le juge qui obligeait les victimes à l'aveu le plus humiliant, exigeait l'exhibition de pièces devant des jeunes filles écrasées sous la honte. Le gémissement qu'il désirait flageller dans toutes ces affaires. Sa honte et sa souffrance dont il se vengeait... Il avait été nourri de cette idée, de l'ignominie du corps, de la tristesse de la chair. En chaque femme, il avait vu un gouffre, la flétrissure. »
Ainsi nous est présentée la société dans son autorité.
Ce roman de Langevin pèche par excès de richesse ... les thèmes nombreux s'entremêlent et il faudrait un livre entier pour tenir compte de toutes ses significations. Il parle d'abondance. À vrai dire, Jean Cherteffe n'est pas un véritable révolté, il nous est plutôt décrit comme une victime. C'est l'auteur ici qui assume la révolte. En tout cas, son roman est un plaidoyer terrible contre une éducation trop « spiritualisée », qui étouffe le besoin et le bienfait de vivre selon les sens. C'est une forme du péché contre l'esprit qui nous est décrite : l'intelligence comme s'étouffant elle-même pour n'être qu'au service d'une âme immortelle.
Jean Cherteffe meurt dans la neige, dans la pureté, il s'est évadé de la nuit qui est le fait de vivre. La vie, pour lui, c'est l'héritage de son père, le cercueil de son père. Il préfère se réfugier dans le blanc immaculé du néant, voilà de qui il se veut l'héritier.
« Chaînes »
Le roman que nous abordons maintenant me touche de très près ; il s'agit de Chaînes publié en 1955. Il serait plus délicat que je n'en parle pas, mais il y a si longtemps que j'espère l'occasion d'en expliquer publiquement les symboles que vous me pardonnerez d'avoir succombé sans mauvaise conscience à la tentation. Je ne parlerai que de « Chaîne de feu », la première des deux nouvelles de ce livre.
Quatre personnages seulement y tiennent l'action ; Eugénie Dugré-Mathieu qui représente l'autorité dans son sens le plus large, c'est-à-dire tous les principes fondamentaux qui forment les piliers de notre société ; son fils, Serge, qui représente la soumission, c'est-à-dire nous tous, et Alban et Véronique, le premier étant le symbole de la liberté sociale, Véronique [186] celui de la liberté individuelle. À partir de maintenant, je ne nommerai plus les personnages que par leur représentation.
L'autorité veut garder en vase clos la soumission. Elle déclare, page 16 :
- « Le temps coule, mais la vie reste immuable. »
N'est-ce pas que cette phrase ressemble étrangement à cette autre : « Au pays du Québec, rien ne doit changer ». La soumission pourtant est tentée par la liberté et l'amour. L'autorité entre en jeu et par l'utilisation d'un mensonge odieux réussit à les séparer. D'ailleurs, la soumission éprouve quelques difficultés à quitter son confort émotif et intellectuel. Mais quand la soumission constate que l'autorité s'accorde quelques licences, quelques accommodements avec l'ordre et les principes, qu'elle accepte de frayer avec la liberté par des moyens dont elle défend l'utilisation, la soumission se révolte contre l'autorité. Mais la soumission n'est pas pour autant libérée. Une dernière citation nous éclairera, page 172:
- « Quand Serge fut dans sa chambre, il ouvrit la porte de sa garde-robe, y prit une valise, la déposa sur une chaise, puis fouilla ses tiroirs. Il saisissait le linge au hasard... Soudain, entre deux chemises, il vit une photographie. Il n'osa pas la toucher. Elle représentait une jeune fille en tenue sportive. Un large sourire baignait son visage. Qui était-ce ? Cette image n'éveillait en lui aucun souvenir. Elle lui était devenue étrangère. Il ouvrit un deuxième tiroir, y prit une autre photographie. Elle représentait sa mère avec Musta sur ses genoux. Il la contempla longuement puis la déposa au fond de sa valise, bien à l'abri entre deux vêtements, afin qu'elle ne risquât pas de s'abîmer. »
Cette fois-ci, comme dans le cas de Mathieu, la révolte est une victoire mais ce n'est plus une victoire complète. Quand la soumission se libère, ce n'est pas la liberté qu'elle rejoint tout à fait ; même après avoir coupé les liens, elle reste marquée d'une manière indélébile par l'étouffement. Cette soumission libérée représente un grand nombre de nos affranchis qui, malgré le flambeau qu'ils brandissent, manifestent par leurs oppositions et leurs révoltes trop souvent aussi promptes qu'infantiles jusqu'à quel point ils sont encore soumis et comme la liberté leur est difficile. Voilà ce que le jeu des photographies voulait laisser entendre.
La révolte chez la femme
Nous avons donc vu jusqu'à présent trois révoltes, Mathieu qui est un succès, « La chaîne de feu » qui est un demi-succès et Évadé de la nuit qui se solde par un échec. Il serait possible de conclure tout de suite cette communication, mais j'ai cru bon d'étudier un peu deux autres formes de révolte dans nos lettres ; celle de la femme et celle qu'on pourrait appeler l'anti-révolte, c'est-à-dire l'impuissance.
[187]
En 1950, Bertrand Vac publie son premier roman Louise Genest. C'est un roman en ligne droite et qui fait contraste avec Mathieu et Évadé de la nuit. La révolte qu'il décrit est celle d'une femme mal mariée qui accepte de poser un acte libérateur contraire aux lois du milieu pour arriver au bonheur physique. Elle abandonne tout, l'aisance, la vie terne et confortable, pour obéir à un appel brûlant.
- « Des jours à l'avance, écrit l'auteur, page 17, un état de nervosité fébrile lui a fait pressentir le retour de Clarey. Elle a mal tenu en place jusqu’ à ce qu’eût tinté la clochette du magasin... Il est là. Elle en est certaine ; son arrivée l’a secouée de la tête aux pieds... La vue du métis la rend heureuse et maîtresse d'elle-même. Il lui fait oublier le reste de l'univers. Mais, une fois partie, elle remercie le ciel de ce que rien ne soit arrivé. Il n'a jamais parlé. D'ailleurs, elle ne sait pas très bien ce qu'il lui dirait. N'est-elle pas mariée ? N'a-t-elle pas un enfant, un garçon plein de vie qui a seize ans, maintenant. Presque un homme, son Pierre. C'est le seul parmi les jeunes du village à continuer ses études ; on ne le voit plus qu'aux vacances.
Cependant, son choix n'est pas long à se faire. Pour Louise Genest, la révolte est acquise dès les premières pages. Mais ce n'est pas une révolte ordinaire, elle ne se place pas entre l’amour charnel et le sens du devoir et de l'appartenance à un milieu auquel on doit se conformer. L'opposition véritable à son amour nouveau se fait par l'intermédiaire d'un autre amour, l'amour maternel. C'est par la maternité que la société garde ses femmes dans le droit chemin. Voilà donc deux instincts qui s'affrontent mais l'affrontement se fait d'une façon plus naturelle, c'est-à-dire que l'auteur, guide par je ne sais quel sens de la vie qui sur le plan du conscient nous échappe à presque tous, que le fait d'être civilise repousse en nous comme s'il s'agissait du mal, l'auteur, dis-je, donne satisfaction au premier amour et, celui-ci étant pleinement satisfait, il fait mourir son héroïne par le remords que provoque en elle l'abandon du deuxième amour, de son fils ; ce qui, dans un certain sens, est dans l'ordre des choses. L'instinct de l'amour et celui de la conservation de l'espèce étant respectés tous les deux, l'être peut mourir et c'est souvent l'esprit et le cœur qui lui en fournissent les moyens.
Comme on le voit, Louise Genest est encore l'histoire d'une révolte, pas contre le milieu cette fois, mais contre une des lois du milieu, et l'une des plus sévères, le respect de l'unité familiale. La société permet certains manquements à cette loi, elle les autorise même et va jusqu'à les provoquer, à condition que la révolte ne s'affiche pas. Louise Genest s'est affichée. Elle a pris à son compte le combat entier ; elle l'a assumé par son départ avec l'homme des bois. Elle s'est volontairement mise au ban de la société et celle-ci l'a rayée de ses cadres, du royaume des vivants pour ainsi dire. Le mari de Louise ne la cherche pas, ne l'oblige pas à réintégrer le foyer. Il garde le fils ; il le retire du collège ; il punit la femme dans la mère et abandonne celle-ci au ferment de destruction qui l'habite.
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Le fils se met à vagabonder. Louise l'apprend et pendant plusieurs saisons s'en inquiète. À la fin, le fils se perd dans les bois ; on ne le trouve pas. Louise part à sa recherche. Ils périssent tous les deux sans se rejoindre. Et la société retrouve sa bonne conscience. La pécheresse a été punie ; elle meurt en prenant à son compte la mort du fils.
On a prétendu, en 1950, que Louise Genest n'était pas l'image de la femme canadienne, surtout quand elle est mère. On a simplement oublié qu'elle pouvait être l'image du désir de révolte de la femme canadienne.
L'anti-révolte
Je suis heureux de répéter, après beaucoup d'autres, que Poussière sur la ville d'André Langevin est un excellent roman, l'un des meilleurs de notre production. Il a fait l'objet de nombreuses analyses. Sauf erreur de ma part, il semble qu'on s'est surtout arrêté à étudier le milieu que décrit ce roman et Madeleine, son héroïne. Pour ma part, je désire me pencher uniquement sur le docteur Dubois.
Vous vous souvenez qu'il s'agit d'un jeune docteur, nouvellement marié, qui va s'établir dans une ville poussiéreuse presque fermée au monde. Sa femme le trompe, elle s'affiche ; il se défend mal, sa réputation en souffre, on le dédaigne, on le méprise, il n'arrive pas à se faire une place dans cette société qui, à la fin, développe un système de défense et force l'amant de Madeleine à se ranger, à épouser une brave fille. Madeleine veut alors revenir à son mari mais elle ne l'aime plus, ne l'a jamais aimé peut-être, et elle se suicide. Un instant désemparé, le docteur respire quand même mieux parce qu'il pourra le reste de son existence porter sa charge de malheur, un malheur à sa convenance. Il restera dans la petite ville ; il se dévouera. C'est un masochiste. Voilà peut-être pourquoi il est fait à notre image, à une certaine image de notre peuple qui est un peuple asservi, ne l'oublions jamais, un peuple qui longtemps s'est donné des missions au-dessus de ses forces pour atteindre à la souffrance qui ouvre les portes du spirituel, mais un peuple oubliant que, justement, l'histoire des peuples se fait et s'écrit dans le combat, sur la terre.
Le docteur de Poussière sur la ville refuse le combat. La clé du roman, à mon sens, se trouve, page 18, dans une petite phrase tout innocente et cachée ; la voici :
- « Pour la posséder il m'a fallu l'aimer en adulte. »
C'est le docteur qui s'exprime ; qu'on le comprenne bien : pour posséder sa femme, il a fallu qu'il l'aime en adulte, il y a été forcé. Pour lui, l'amour adulte n'allait pas de soi. C'est bien pourquoi il est sans défense.
Le véritable drame de ce roman est davantage la faiblesse du docteur que la révolte et l'appétit de Madeleine. Notre héros est un faible ; il [189] pratique avec trop de passion ce que Georges Duhamel appelle quelque part le « spectatorat » . Mais Duhamel en fait un art, le docteur s'y complait par masochisme, il se regarde souffrir et se laisse détruire, c'est un impuissant. Pourquoi ? Peut-être peut-on l'apprendre, page 200 ; après le suicide de sa femme, il se dit :
- « Il y aura ma mère et son visage effacé. Elle m'accueillera en silence. Elle fut la première à céder devant l'ardeur de Madeleine. Elle m'attend peut-être depuis ce jour-là. Les mères ont la chair perceptive et beaucoup de patience. »
La roue continue de tourner sur elle-même ; la femme cherche l'homme, c'est un enfant qu'elle découvre dans son lit. Elle reporte « sa chair perceptive » sur son fils et le garde ainsi dans l'état de l'enfance. Quand à son tour il prend femme, de nouveau celle-ci ne trouve pas l'homme qu'elle cherche et se crée un fils qui de nouveau deviendra le mari d'une autre femme...
Cette impuissance pourrait bien être l'explication de l'espèce de matriarcat dans lequel vit toute l'Amérique du Nord, un matriarcat très spécial et qui a cela d’étrange que la mère n'en est pas le maître.
Me voici au ferme de ma prospection. Que faut-il conclure ? À vous messieurs les sociologues, de le faire. Pour ma part, je me contenterai de déduire sommairement. Qu'il s'agisse de Mathieu, de Louise Genest, du docteur Dubois, de Serge Dugré-Mathieu ou de Jean Cherteffe, tous ces êtres ont ceci de commun qu'ils sont tous à la recherche d'une autonomie et qu'ils la recherchent dans l'absolu. C'est sans doute là que réside le malaise de notre société, enfin celui que nous fait déceler notre production romanesque. On dirait que, par une espèce d'aberration mentale collective, notre recherche de l'autonomie ne se fait qu'au niveau de l'individu, comme si nous reportions sur le temporel les exigences d'un spirituel occupé uniquement au salut personnel.
Il semble que notre roman nous démontre assez bien ce qui nous manque vraiment ; le sens de l'appartenance au groupe, le sens du social. Nous donnons l'impression de ne pas être une société, mais une agglutination d'individus. Voilà bien pourquoi notre milieu s'attache avec une telle frénésie à des tuteurs tels que constitution, habitude, tradition… en un mot, à des absolus qui n'ont rien de vivant. Voilà bien pourquoi également l'action concertée est si difficile chez nous ! Que l'échec est fréquent au Québec ! Que le suicide est fréquent dans nos lettres !
La formation de l'autonomie est le résultat d'une discipline continue et qui tient compte des exigences collectives. Les héros que nous avons étudiés refusent cette discipline. C'est qu'ils ont été trop longtemps soumis à une discipline extérieure qui leur était contraire. Ils préfèrent [190] ou bien se soustraire à leur milieu en devenant, comme Mathieu, un étranger dans la cité, ou bien se suicider comme Jean Cherteffe et Louise Genest, ou bien se détruire socialement comme le docteur Dubois, ce qui est une autre forme de suicide, ou bien encore, comme Serge Dugré-Mathieu, se donner des allures d'homme libre en déplaçant avec soi sa prison, comme la tortue transporte sa maison...
Jean FILIATRAULT, m.s.r.c.
[191]
COMMENTAIRES
par
Hubert Aquin
Claude Jasmin
Georges-André VACHON, s.j.
Si j'ai bien compris la pensée de Michel van Schendel, « l'inversion amoureuse a une grande signification historique ; elle reflète, dit-il, les conditions particulières de la colonisation au Québec. » Si je relève d'abord cette remarque de van Schendel au sujet des variantes littéraires de l'homosexualité au Canada français, c'est que je reconnais à cette intuition une valeur sociologique. Aussi, ce déviationnisme sexuel me paraît l'explication la plus vraisemblable et la plus inavouable d'une littérature globalement faible, sans éclat et, pour tout dire, vraiment ennuyeuse... Bien entendu, je ne me place pas ici au niveau de la morale ou du jugement de valeur, mais à celui des significations. Cette sorte d'inversion qui me paraît avoir contaminé sérieusement la presque totalité de notre littérature, n'est pas une inversion qui s’affiche ou qui cherche à scandaliser. Non, c'est une inversion profonde : donc, elle prend soin de se voiler elle-même par une thématique diversifiée amour d'un homme pour une femme, d'une femme pour un homme révolte multiple, voire même fracassante ; religion, mystique, etc. Mais, chose curieuse, le thème amour dans notre littérature appelle invariablement un thème correspondant : celui de l'incapacité d'aimer vraiment, celui du sacrifice de cet amour charnel au profit de l'amour de Dieu, celui aussi de la fuite éperdue et souvent mystérieuse loin de la personne qu'on a décrite comme objet d'amour et de désir ... Comme mon rôle ici est de réfléchir, au second degré, à partir des conférences que nous venons d'entendre, je me dispenserai de citer des passages de romans ou de constituer un dossier d'expertises de détail pour appuyer mon hypothèse. Je continue donc dans l'axe de l'inversion littéraire dont a parlé Michel van Schendel.
Les catégories littéraires de l'inversion n'ont pas été systématiquement inventoriées jusqu'à ce jour, mais quelque chose me dit que ces catégories sont très nombreuses et contiennent une proportion majoritaire de stéréotypes qui, précisément, s'annoncent comme des cas de non-inversion. S’il est une situation humaine génératrice de dissimulation, c'est bien l'homosexualité ; et je ne vois pas pourquoi la littéraire dissimulerait moins que l'autre. Il y a même des chances pour que les écrivains disposent de moyens encore plus efficaces, plus subtils, plus hypocrites pour rendre vraisemblables leurs diversions. Sur ce point, je suis enclin à croire que la fiction dépasse la réalité à tel point qu'elle peut souvent la remplacer. Je me permets de citer ici une phrase de Jean Filiatrault : « Il semble que notre roman nous démontre assez bien ce qui nous manque vraiment : le sens de l'appartenance au groupe, le sens du social. » Et quelques lignes plus loin, Jean Filiatrault constate : « Que l'échec est fréquent au Québec ! Que le suicide est fréquent dans nos lettres ! » Jean Filiatrault a raison, son exposé le démontre; et quand il dit que notre roman exprime notre manque « de sens social », Je pense aussitôt que ce caractère a-social fait partie de l'étiologie de l'inversion et qu'on ne saurait formuler aussi nettement que l'a fait Jean Filiatrault, au terme d'une enquête fructueuse, le syndrome d'inversion de notre littérature. Est-il besoin d'insister sur [192] le fait que notre littérature compte beaucoup de prêtres et encore plus de sujets traitant de la vocation sacerdotale ? Gilles Marcotte n'interprète cette récurrence du thème de la vocation sacerdotale qu'en fonction d’une culpabilité que le personnage veut racheter et, par le fait même, dont il veut se dégager. Mais je trouve typique, sinon amusant, que Gilles Marcotte néglige de considérer que le thème de la vocation sacerdotale comporte aussi une abstention définitive de toute relation amoureuse. Je ne nie pas qu'il y ait des significations de révolte ou de « fuite par le haut » et même de sagesse dans l'obsession sacerdotale ; mais ce serait injurier Freud et la réalité elle-même, que de n'y voir que cela et de refouler ce qui, dans l'option religieuse, est volonté d'abstention et refus catégorique d'être impliqué dans une véritable relation d'amour. L'option sacerdotale est souillée comme toute option existentielle, à cette différence toutefois que, selon la logique interne de l'option sacerdotale, cette souillure est systématiquement refoulée. Je ne cache pas l'étonnement que j’éprouve à voir Gilles Marcotte plonger dans le thème « religion » sans même effleurer une des correspondances majeures des existences sacerdotales : l'inversion. S'il existe un secteur social privilégié à cet égard, c'est pourtant la vie religieuse. La thématique religieuse de notre littérature est dé-sexualisée, donc gravement décollée d'une portion importante de la réalité religieuse ; somme toute, qu'il s'agisse là d'une modalité littéraire de la castration ou d'une preuve historique supplémentaire du pouvoir de refoulement de nos auteurs, cela ressemble quand même à une atrophie érogène et à une attitude schizoïde qui, selon moi, se rapproche de celle des objecteurs de conscience pendant un conflit qui implique leur conscience nationale. La littérature pré-contrainte qui alimente nos librairies de romans qui traitent, principalement ou secondairement, d'existences sacerdotales, est sûrement ce que le Canada français a produit de plus ennuyeux et de plus orgueilleux. Cela me fait penser à des romans sentimentaux, mouillés de larmes et d'effusions, dont les personnages - des homosexuels - oublieraient de révéler leur identité vénérienne. Pour moi, il ne fait aucun doute que l'inflation des jeunes prêtres modernes et des situations sacerdotales dans nos romans, signifie une sur-valorisation de toutes les situations humaines qui se rapprochent de l'inversion. Si cette inflation devait continuer, je m'en tiendrai à la lecture des romans de contre-espionnage.
Il doit exister des corrélations entre certains faits de notre histoire nationale et la boursouflure littéraire qu'on a accoutumé de considérer comme l'expression de notre groupe. Mais ce n'est pas mon propos d'énumérer ces corrélations qui, d'ailleurs, me démoraliseraient. Ce qui attire mon attention en revanche, c'est l'émergence d'une littérature nouvelle et remarquablement synchronisée avec le séisme politique qui fait trembler notre sol. Cette nouvelle irruption d'écrivains semble assez peu compter dans les exposés de Gilles Marcotte et de Jean Filiatrault. La révolte des fils, des castres, des invertis, des amoureux qui finissent dans le clergé ; cette révolte qui révèle assez bien l'impuissance qu'elle veut masquer, cette révolte qui, si j'en crois Filiatrault puis Marcotte, est rudement présente d'un bout à l'autre de notre histoire littéraire, est vraiment démodée. Elle se porte mal de nos jours. Et ces nouveaux écrivains, je l'avoue, me font oublier leurs prédécesseurs, glorieux et incompris, qui n'ont pas fini de regarder de bien haut un public qu'ils ennuient. De plus, cette littérature nouvelle me rassure sérieusement quant à l'orientation [193] sexuelle globale de notre pays où, si l'on avait continué de sacraliser les ambivalents et les castrés, je me serais senti de trop. La littérature nouvelle n'a pas besoin de se servir d'amplificateurs stylistiques pour dramatiser une révolte qu'elle n'éprouve plus dans les mêmes termes, car désormais l'on sait que certains d'entre nous ont cesse de pratiquer la révolte, pour faire la révolution.
Dans les exposés de Gilles Marcotte, Jean Filiatrault et Michel van Schendel, on relève un grand nombre d'allusions, plus ou moins précises, à la notion d'échec. Chacun des conférenciers manipule cette notion avec assurance, de telle sorte qu'il ressort des trois textes une évidence qui semble assez forte pour que chacun des auteurs se croie dispense de la justifier. Échec, ratage, médiocrité endogène semblent servir de tremplins au raisonnement, et non sans dogmatisme. Ce qui me frappe ce n'est pas de voir des écrivains lucides postuler une certaine mocherie constitutionnelle de notre production fictive. Mais il est révélateur que des gens aussi différenciés que Filiatrault, Marcotte et van Schendel ne se surprennent pas de considérer, au départ, que notre littérature est hypothéquée par une anomalie générale. Elle n’est pas fameuse, elle fonctionne défectueusement dans son rôle d'expression et, sauf exception, notre littérature vole très bas. Gilles Marcotte dit - « Quand la réalité est enfin nommée, c'est un prodige que seules nous apportent les très grandes œuvres. » Somme toute, quand la littérature est fonctionnelle tout simplement, on peut se considérer comme chanceux car c’est l'exception. Je souhaiterais, pour ma part, que ce qui fonctionne - et pour une littérature cela veut dire exprimer - ne devrait pas me paraître miraculeux. Ce qui me surprend vraiment ici, c'est que nous en soyons tout bonnement arrivés, chacun d'entre nous, à cesser de nous étonner que notre littérature dans l'ensemble soit avachie et normalement anomalique. Et cela me rappelle que, pendant des années, cela ne scandalisait pas que des écrivains se chicanent à propos de l'existence et de l'inexistence de notre littérature nationale, les uns prétendant au tronc, les autres à la branche. Bref, une fois terminées ces grandes séances de doute méthodique - de guerre lasse, sans doute, - voici qu’aujourd'hui même, trois écrivains de bonne foi parlent froidement d'une littérature anémiée, sans sourciller, et semblent résignés plus ou moins à l'inadéquation de cette littérature avec la réalité et relativement non surpris que notre surproduction littéraire non seulement n'ait pas une grande force de frappe dans le monde, pas plus qu'ils ne manifestent quelque impatience rédemptrice en opérant eux-mêmes, à titre personnel, dans un secteur si dépourvu. Je ne considère pas mes éminents collègues comme étant désabusés ; mais je me demande comment des écrivains en pleine croissance peuvent s'engager si profondément et sans retour dans une entreprise d'expression qui d'année en année, menace de déclarer faillite. Pour ma part j'ai choisi : c'est-à-dire que j'ai préféré fonctionner ailleurs et autrement. Il se peut toutefois que surenchérir sur l'inexistence, la médiocrité ou l'échec de la littérature canadienne-française soit précisément la meilleure façon de faire de la littérature canadienne-française ; et que la constatation de l'échec national-littéraire ait des vertus de stimulation ou d'exorcisme. Sait-on jamais ? Ce qui m'apparaît en tout cas intéressant, c'est, chez mes collègues, leur capacité de décrire des carences comme s'il s'agissait de la belle normalité.
Hubert AQUIN
[194]
Pendant que nous asseyons nos augustes fessiers sur ces augustes bancs d'université - et que nous jouons les savants ethnologues clé ce qui s'écrit - nous oublions un fait irréfutable. Misérables autruches que nous sommes ! L'influence des écrivains, de la littérature sur notre société ? Elle s'exerce - et avec quelle terrifiante efficacité -par ce médium méprisé, honni, ignoré de nos fins lettrés : la télévision.
N'en doutons pas, ça n'est pas l'exotisme d'un Eugène Cloutier revenant du lapon ou d'ailleurs - ou le libertinage dévergondé à souhait d'un Roger Fournier qui changeront foncièrement le visage de notre collectivité.
Les bonnes gens, les braves gens, les honnêtes gens, tout le monde « écoute » - plus attentivement qu’on pense - les problèmes du syndicalisme d'un écrivain dénommé Réginald Boisvert, les problèmes sentimentaux d’un écorché, l'écrivain Marcel Dubé, ou bien encore ceux d'une « bourgeoisie professionnelle », montres avec un « vérisme » choquant - voir les protestations enregistrées à Radio-Canada - par Guy Dufresne avec son roman télévisé : 7e, Nord.
Par conséquent, il faut être fossilisé, avoir des goûts prononcés d'archéologue pour se pencher avec tant de souci sur notre production littéraire et chercher à y déceler quelque influence du, ou sur, le milieu.
Désormais, et cela fonctionne depuis dix ans déjà - messieurs les rêveurs sympathiques que nous sommes, - c'est la télévision qui va opérer une transformation radicale et dans toutes les couches de la société. (Beau sujet de colloque pour l'an prochain.) . En tous cas, blâmer l'écrivain d'aujourd'hui de se tourner vers ce puissant, ce fantastique moyen de « communiquer », c’est rêver debout, c'est jouer les désincarnes, et les fins dilettantes.
C'est aussi accentuer, par ce mépris hautain, le dangereux fossé qui séparait jadis - et encore - les écrivains, les penseurs, les philosophes de la communauté - auprès de laquelle pourtant tous ces « beaux esprits », ces « instruits » devraient exercer leur bienfaisante influence !
Eh bien, pendant que ces « instruits » méprisent, « jouent-à-la-cachette », quêtent des bourses au Conseil des Arts d Ottawa, courent après des maîtrises et des doctorats, c'est, hélas, la petite « madame Jeannette » qui instruit nos enfants, nos nièces, nos neveux, nos cousins, sur les problèmes de l'homosexualité ! Et ça n'est qu'un exemple, on le sait bien. Ne faisons pas les hypocrites. Les gens qui « savent » bien, qui savent vraiment ne savent plus parler aux gens, ne peuvent plus communiquer avec les gens de la communauté. Le monde à l'envers, il est bien là.
On boude encore, comble d'inconscience, l'organisation d'un système de télévision scolaire, voire universitaire.
Il faut être aveugle. Et nous le sommes. C'est même le propre de nos élites anciennes.
Gilles Marcotte dit : « Notre littérature, dans son ensemble, ne peut pas être dite chrétienne. En serons-nous étonnés ? »
Sourire. Non, ceux qui s'étonneront de l'assertion de Gilles Marcotte sont des prudes calfeutrés du genre qui niche à l'enseigne de la revue « Lectures - Mes fiches - Fides », ou bien du genre Hyacinthe-Marie Robillard, ou de la bonne Anne-Marie. Ces suaves personnes ou organismes [195] - corps intermédiaires d'achoppement que cette race de prudes prudents et peureux, chapardeurs d'un « bill » pour un ministère de l'Éducation qu’on a émasculé pour rassurer ses évêques conservateurs - sont les freins hydrauliques et catholiques de notre libération intellectuelle.
Non, Gilles Marcotte, il n'est pas scandaleux que la littérature d'une nation catholique - « presque totalement » - ne le soit pas elle-même. Oh non ! Car nous sommes des catholiques d'habitude, Ses catholiques pour rire, pour rassurer les évêques, si vous êtes député, pour rassurer maman, si vous avez dix-sept ans. Catholiques sans foi vivante, sans aucune charité, catholiques comme on fume, comme on regarde le hockey, comme on boit sa petite caisse de bière.
Nation catholique ? Oui. Passons !
En passant, je n'aime pas entendre Marcotte dire « qu'il en est de l’écrivain comme du peintre ». Le peintre donne à voir, ses ouvrage s’adressent surtout et essentiellement à nos sens. L'écrivain donne aussi à penser. Il y a là un monde qui les sépare. Le domaine des idées, celui de la pensée, sont, et seront de plus en plus, exclus du travail du peintre.
Au fait, je me demande où l'abbé Louis O'Neill l'a pris son « catholique » à la foi manifeste, drue, simple mais « authentique » cité par Marcotte. Les « authentiques » ne courent pas les rues - pas même celles de Québec, je présume. Il est plus raisonnable quand il parle du Canadien français catholique comme de quelqu'un qui « admet ce qui est transmis sans trop l’analyser »Marcotte est bien bon de ne dire que ceci - « Ce portrait manque de nuances, sans doute. » En fait, il semble qu'on a imposé ce thème comme un devoir d'écolier et que l'auteur de cette communication n'a pu compléter son travail sans sueurs arides !!! Dès qu'il nous embarque avec Les angoisses et les tourmente de Léo-Paul Desrosiers et ce Romain Heurfils au « thomisme d'arrière-saison », on a tout de suite compris qu'il serait ardu de dénicher la part religieuse dans nos romans contemporains. Et Marcotte, oh ! avec des soins de « fine cuisine », tâche d'expliquer à l'auteur - et à nous-mêmes - l'horreur de ce héros canadien-français et catholique. Il parle de l'inconscience de l'auteur, d'une sorte de fatalité ; que cela est poli comme « sauce retournée ». Et Marcotte de conclure, cocassement, que les vertus réelles... « peut-être » ... ne résistent pas à la « terrible épreuve » que leur fait subir l'imagination créatrice. Vous avez bien entendu !
Notre critique national - et il est souvent lucide - se met à parler en religieux enseignant des années 30-35. Plus haut, il écrit : « entrer en littérature » ; on dirait que l'écrivain entre dans les ordres. C'est peut-être un involontaire décollage des lectures édifiantes obligées, pour rédiger son « devoir » de Faculté à ce colloque.
Et immédiatement après, maigre bilan, Marcotte va vers l’erreur, vers l'envers du décor, du côté de la « révolte et du refus ». Donc, il pouvait d'ores et déjà conclure après ce funeste coup au pauvre Desrosiers : « La religion dans nos romans contemporains ? Zéro, nulle. Connais pas ! » Et s'en aller, les mains vides !
Monsieur Marcotte, pour que les romanciers « mangeassent du curé » de façon plus abominable, il faudrait que ces derniers donnent à mordre. Et notre clergé est chétif, il n'a que la peau et les os, notre clergé.
Pour un abbé Dion, des milliers de susurreurs de messes basses, d'administrateurs en sacrements, de comptables en vertus et en fautes. Pour [196] un frère Jérôme exilé promptement par panique, des milliers de grands benêts, dévots, fuyant toute réalité. Des ombres ! des saints empaillés !
Alors que vouiez-vous qu'il mangeât ? Et moi, je trouve merveilleux que Thériault, Lemelin, Vac et les autres aient pris le parti d'en rire ! C'était navrant et ils ont ri. C'est d'une rare santé, ce parti d'en blaguer. Il faut une sorte de courage pour oser faire de l'humour et rire devant le lessivage des cerveaux de l'enseignement confessionnalisé à outrance - et rien que du côté dévotionnettes et piéticailleries, - devant les abus, le viol des consciences - « veuillez trouver à votre enfant au moins trois péchés d'impureté pour le premier de ce mois »,- devant la prédication de soumission, devant l'instruction « publi-privée » pour arriérés mentaux - « je lis le livre de « lectures » de ma fille de 6e année, du D. I. P. » - oui, il fallait une rude écorce à ces écrivains.
Et puis, le romancier n'est pas auteur de thèse, du moins lorsqu'il rédige un roman, un récit. L'art ne loge pas à l'enseigne des dogmatismes, négatifs ou positifs.
Vaut mieux l'ironie devant « I'œuvre-des-vocations-de-collège ». Et à propos de la foi, Marcotte a bien raison d'oser écrire : « La contestation n’a pas lieu. » Et c'est bien la plus définitive condamnation publique de cette immense entreprise cléricale au Québec depuis le « débarquement des missionnaires », en passant par la conquête et le loyalisme britannique du clergé. La fin du règne : « juvénats et petits séminaires égalent, en échange, soumission loyale ».
Il n’y a pas de religion dans nos livres et il n'y a pas d'amour - et bien peu de révolte. C'est vrai. En fait, il n'y a que des signes. Il y a surtout que notre société, notre collectivité à bien du mal à se refléter pour la bonne et simple raison qu'elle a bien du mal à être, à avoir un visage réel, personnel, une figure propre, autonome.
Nous ne sommes pas, surtout nous n'étions pas. Pas encore. Pas vraiment.
Mais patience, courage, ça vient, à ce qu'il paraît. À voir la panique dérisoire, l'agitation des partisans du loyalisme, du statu quo éternel, des crypto-traîtres-à-la-nation qui grugent un fromage fédéral à Ottawa, ou même à Montréal.
Mais la où je tire mon chapeau à Gilles Marcotte, c'est bien lorsqu'il admet avec un accent de sincérité qui ne trompera personne :
- « Il manque à notre littérature d'imagination un délié, une liberté de mouvement, une souplesse, une maturité intellectuelle et spirituelle, qui lui permettraient de décrire les débats personnels ou sociaux sans trahir le mouvement même de l'imagination. Les thèmes religieux, comme tous les thèmes dans notre littérature, s'expriment dans le clair-obscur... »
C'est faire un lumineux aveu. C'est avouer carrément la faillite de notre éducation, le vide de notre foi officiellement catholique romaine. C'est avouer qu'on nous a tenus en laisse comme des enfants, et moi, j’avoue que l'adolescent que nous sommes, collectivement, devenus a un grand besoin d'air pur et que pour respirer il a grande envie de casser tous les carreaux du beau et tiède (et puant-le-moisi) séminaire-maternelle, pépinière de sous-hommes, d'invertis moralement, intellectuellement, sexuellement, spirituellement.
[197]
Je le répète, le « constat » de Marcotte est véridique. Lucide.
Car, quoi qu'en disent certains jeunes aspirants écrivains, il est normal et même avantageux qu'un chroniqueur de nos lettres soit double d'un moraliste voire même d'un philosophe. La littérature, à mon avis, a partie liée, et intimement, avec toutes les facultés de la réflexion et de l'intelligence.
Mais foin de l'ancienne morale, sclérosée et aliénante.
Enfin, cette littérature d'os, de tombeaux, de masochisme, de sourde culpabilité s'achève, du moins, je l'espère. Même s'il faut reconnaître que la littérature de la culpabilité a produit, ici, de beaux joyaux et quelques écrivains de race : Grandbois, Garneau, Hébert, Giroux, Lasnier, j'en laisse. Mais l'infection devrait maintenant faire sa « galle » !
Et j'en arrive au cher portrait de l'amour dans nos livres. van Schendel a parfaitement raison d'écrire : « L'amour est le plus grand mythe littéraire ». Et on sait que même le bon grand frère Lockquell soupirait après notre premier roman d'amour, des 1959, en plein « Devoir du samedi ».
Tous les défroqués dont parle si justement Marcotte ne sont certes pas les élus par excellence pour parler d'amour avec précision. Ils sont encore à effacer les plis de soutanes indélébiles et imperméables dans certains cas. Malgré eux. Jusqu’ici, une femme c'était une mère. Plus : une vierge, une madone, bref une « sainte » que nos pères violaient la nuit ! Comme le décrit assez franchement Marcotte, en illustrant la sémantique du Torrent de Anne Hébert.
Quand une femme, donc une mère, se mêle de jouir, d'avoir du plaisir, de penser à la chair, et bien, c'est une p… une misérable catin que l'on vomit, ou que l’on plaint, qu'on veut sauver, comme il se constate dans mes propres écrits.
Romantisme maladif, misère des sens atrophiés. Non, dans notre littérature : ne cherchez pas la femme. Elle n'y est pas encore. Elle arrive cependant. Elle approche.
Et Michel van Schendel met le couteau dans le vif de notre plaie quand il écrit : « L'inversion plus ou moins exprimée des rapports amoureux a une grande signification culturelle et historique. Elle reflète les conditions particulières de la colonisation au Québec. »
J'y reviendrai.
Cet enseignement à fortes illustrations effrayantes - souvenons-nous de ce cours d'art vivant qu'est l'iconographie jésuite ou sulpicienne de la chair pécheresse et mortifiée - ces tabous savamment entretenus, ce sur-respect de la « femme-mère », à n'importe quelle condition, ont fait se remplir le pays d'intellectuels douceureux, d'écrivains efféminés aux tendres et délicats sentiments : inutile de dresser l'imposante liste.
Ces âmes timorées sont utiles. Leurs livres pieux servent de prix-de-fin-d'année dans nos écoles et collèges. Ils sont classes : « A, pour tous chez Fides, sans réserve ».
À nous nourrir d'aventures grises, ternes et édifiantes, nous fécondions à cœur d'année des lavettes, des sous-alimentes du cerveau. Et les tablettes, chez le libraire, sont encombrées d'histoires pieuses ou bien de récits-de-défroqués-souffrants, ou de libertaires-sans-discernement.
Car, dans l'épaisse mélasse de la révolte, l'hydre de la mollesse se reproduit encore. Tous n'ont pas le talent incisif d'un André Langevin, [198] la santé de style du Thériault inspiré, la verdeur d'un Marcel Godin, ou encore le sarcasme lucide d'une Claire Martin. Tous absents à ce colloque, c'est remarquable et je suis presque fâché d'avoir été invité !
Gilles Marcotte, tantôt, prêchait la charité. Et je sais bien qu’il a raison. je suis croyant, par mégarde, par miracle ou par défi. Mais il faut bien dire à Marcotte - et à combien d'autres - qu'ils sont ou de grands distraits ou, et ce serait comique, de grands pressés !
Ils passent une heure.
Ils veulent sauter une étape ! Ça n'est jamais l'heure de la haine, mais c'est bien l'heure de la colère. Et il était temps. La colère est une vertu, peut-être pas théologale, qu'importe ! Et il y a des aveugles impénitents qui se refusent à cette réalité. Il faut promettre à ces grands rêveurs du bon-ententisme à n'importe quel prix qu'ils se préparent de douloureux réveils, des lendemains fort désagréables.
Il parle aussi d'amitié - commentant un roman de Robert Élie l'amitié est un mot inconnu de nous. C'est un mot nouveau, un mot qu'il faudra enseigner à ceux qui viennent. Car, nous, il nous embarrasse, car nous sommes à faire le ménage. Et allez donc jouer dans la cour, en arrière, à l'abri, ceux que ça dérange, les petites-natures, les sensibles l'ouvrage à faire, c'est l'ouvrage à faire. Pas vrai ? Et je cite encore « Le roman n’a pas à conserver, mais à inventer ! »
Je dis d'aller faire un tour à tous les inquiets, les bilieux, les amants de « la tranquille possession de la vérité ». Je le dis aussi à monsieur Jean Filiatrault qui parle pourtant intelligemment du Mathieu de Loranger et des romans de Langevin et qui ose écrire : « Nos romans récents, fort beaux et fort bien faits par ailleurs, à mon sens relèvent plus de la perversité que de la révolte, même inconsciente. »
Et plus loin, davantage péremptoire, il dit : « Jamais ou presque on y découvre une tentative de dépassement ... Ce n'est qu'un long blasphème contre la vie, contre la société. C'est une littérature du désespoir, plus encore, de la désespérance. » Je dis que c'est montrer de la graine de réactionnaire !
Enfin, et hélas, je ne pourrai m'étendre sur le sujet - et je l'aime bien - et il est vital, dans une enquête comme celle que vous menez. Il s'agit de notre rôle d'invertis que l'étranger, le conquérant de cette nation, nous fait jouer malgré nous. Nous sommes les pédérastes, les valets, les troubadours latins, à petites gages, les fous-du-palais, de l'autre nation.
Je ne me contenterai que de lire ce qu'un homme, bien autorisé pour le faire, a déclaré récemment à un quotidien du matin de la métropole : « La recherche de la plus grande maîtrise possible de son destin, de l'indépendance est non seulement un droit mais un devoir même pour chaque nation, car une situation de dépendance est incompatible avec l'épanouissement d'un groupe humain, avec l'originalité créatrice. » C'est Jacques Berque qui parle et il faudrait citer encore, du moins ceci : « L'indépendance c'est quelque chose qu’on conquiert et qu'on utilise pour l'avenir et nullement pour le passé. »
Et tout à l'heure, nous écoutions Marcotte, affirmer : « Le roman n’a pas à conserver, mais à inventer. »
Et si tout allait de soi ? Si ces deux problèmes allaient de pair ? Je pose la question.
Claude JASMIN
[199]
III
par Georges-André Vachon, s.j.,
Collège Jean-de-Bréboeuf, Montréal.
De ce qui a été dit ce matin, je retiens surtout que le thème de la révolte semble absorber les deux autres, du moins dans le roman. Le monde de la religion, lorsqu'il n'est pas absent de l'univers romanesque, devient une réalité menaçante, susceptible de déclencher toutes les manifestations d’une agressivité toujours latente. De même, le thème de l'amour est-il traité, dans la plupart des cas, par le biais de la transgression des interdits moraux. Ce n'est pas à dire que l'aventure spirituelle dont témoignent nos romanciers soit un échec pur et simple. Mais ce qui est vrai, c'est que le bilan de cette aventure est négatif.
C'est que la révolte dont il est ici question se déroule essentiellement sous le signe de l'aliénation. Telle est deuxième conclusion qui semble se dégager des exposés que nous avons entendus. M. Filiatrault a noté combien nos héros révoltés sont démolis, écrasés par leur propre révolte. Cela est si vrai qu’aucun d'entre eux ne se sent la force d'affronter une image paternelle vraiment consistante. De là, remarquait M. Marcotte, cette galerie de protagonistes orphelins, ou juxtaposés à un père à peu près inexistant. Le héros de roman demeure donc seul devant sa mère, et c'est souvent face à celle-ci que va cristalliser toute la révolte. Mais on a trop peu insisté, me semble-t-il, sur le fait que les rapports entre les fils ou les filles, d'une part, et la mère, d'autre part, sont extrêmement ambivalents. Pour ne rien dire du Torrent d'Anne Hébert, et des autres romans dont il a été question dans les communications de ce matin, il est certain qu’une œuvre comme Le temps de jeux de Diane Giguère, est très révélatrice, à cet égard. Peu de romans de avec autant de force le thème de la haine de la mère. Mais cette haine est si forcenée, et l'image de la mère, si envahissante, qu'elles apparaissent très tôt comme l'envers d'un amour et d'une image qui ont 1’intensité même de l'obsession. Cet amour est trop fort, il menace l'intégrité de la personne, et c'est par le jeu d'un mécanisme de défense qu'il se tourne en haine. La même ambivalence se retrouve dans la dernière œuvre d'Anne Hébert, Le temps sauvage, et, sur un tout autre registre, dans Simone en déroute, de Claude Mathieu.
D'un mot, disons que les protagonistes de nos romans sont incapables de se situer par rapport à leur père et à leur mère ; ils n'arrivent pas à se définir par rapport à eux comme des personnes, c'est-à-dire comme des êtres pleinement autonomes, et susceptibles d'entretenir avec eux des rapports d'égalité. Le père, on le supprime dès le point de départ, pour n'avoir pas à le regarder en face. (Notons en passant que les protagonistes du Temps des jeux et de Simone sont orphelins, eux aussi !) Par rapport à la mère, on passe de l'extrême de l'amour l'extrême de la haine. Dans chacun de ces trois cas, le héros romanesque ne s'appartient pas, il est totalement dévoré par la présence de l'autre : il est aliéné. Chez lui, la haine est aussi « compulsive » que l'amour.
Ajoutons que l'amour, ou du moins ce qui en tient lieu, est aussi « compulsif » que la haine. C'est ce qui donne souvent à notre roman son climat de tragédie grecque. L'héroïne du Temps des jeux est conduite par la fatalité. Elle n'est surtout pas libre de voler ou de ne pas voler l'amant de sa mère, de pousser celui-ci à tuer son épouse, ou de l'en empêcher. De même, dans d'autres contextes, les protagonistes ne sont-ils pas libres d'enfreindre ou de ne pas enfreindre les interdits moraux. Dans bien des [200] cas, on sent que les gestes de l'amour se développent et s'organisent contre les interdits d'une certaine morale. Cette morale présentait un extrême danger, dans la mesure où elle était centrée sur le salut des « âmes ». C'est encore un mécanisme de défense qui rejette nos héros de romans à l'autre extrême, et leur fait tenter l'expérience de la rédemption du corps. Ce faisant, ils continuent de se référer à des interdits moraux les contredire, comme d'autres s'y réfèrent pour s'y conformer aveuglément. Et c'est pourquoi notre roman, qu'il soit conformiste ou anti-conformiste par rapport à une certaine morale, n'offre guère le témoignage d'un amour vraiment réussi. En effet, l'amour ne peut intervenir qu'entre des personnes, non entre des « âmes » ou des « corps ». Et une morale digne de ce nom vise toujours le salut de l'homme, non celui du corps seul, ou de l'âme seule
Échec de la révolte, échec de l'amour : c'est dire que le roman, chez nous, est le témoin - le témoin nécessaire -d'une certaine aliénation. Il en va tout autrement de notre poésie. Là, la révolte réussit, et l'amour réussit. Qu'il suffise de rappeler ici les noms que M. van Schendel a retenus : ceux de Gaston Miron, de Paul-Marie Lapointe et de Paul Chamberland. Chez ce dernier, la révolte est liée à un engagement politique bien précis, et son expression poétique a la même netteté, la même précision. Mais c'est peut-être sur le traitement du thème de l'amour qu'on peut le mieux saisir le décalage qu'il y a, chez nous, entre poésie et roman. Dans nos romans, l'expression de l'amour, et spécialement de l'amour physique, se déroule presque toujours dans un climat d'extrême tension, de culpabilité et d'angoisse. Rien de cela dans l'œuvre de Chamberland ; et je pense qu’elle témoigne pour toute une génération. À cet égard, il est remarquable que le dernier recueil de Chamberland, intitulé Terre Québec, soit en grande partie un recueil de poèmes d'amour. C'est qu'il y a, chez lui, une identité profonde entre la femme aimée et le pays. Le recueil traduit une expérience de possession pleinement réussie. Et, chose que l'on chercherait en vain au niveau du roman, on trouve là un érotisme extrêmement sain, et qui opère un véritable renouvellement du regard que l'on peut jeter sur la terre de Québec, comme sur la femme.
Il est normal que la poésie enregistre cette réussite, avant le roman. La poésie opère à un niveau plus symbolique, elle. transpose davantage la réalité sociologique. À cet égard, tout se passe ici comme dans le rêve nocturne, qui se prolonge, qui « réussit », dans la mesure où le contenu latent demeure masqué par les images symboliques. Dès que celles-ci laissent percer, d'une manière trop évidente, leur véritable sens, le rêve s'interrompt, il tourne court. Ainsi, le poète peut-il traverser de bout en bout l'expérience de la révolte ou de l'amour, parce qu'il peut la vivre exclusivement au niveau des symboles. Et s'il utilise un langage hermétique, comme le font beaucoup de nos jeunes poètes, il rend encore plus improbable la confrontation toujours possible entre l'expérience poétique et le monde objectif. Cette confrontation, le romancier ne peut l'éviter, car la réalité sociologique objective fait justement partie de la matière romanesque. En d'autres mots, le romancier utilise un langage qui est sans cesse menace d'aliénation ; et le roman est comme un rêve nocturne dont le contenu latent ne cesserait d'affleurer à la conscience claire. Et à chaque affleurement de la réalité sociologique objective, voici revenir l'angoisse, le sentiment de culpabilité ; et du même coup, voilà menacée la réussite de l'expérience romanesque.
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D'un autre côté, il ne faudrait pas oublier qu'un roman contient autre chose que des personnages et les comportements sociaux qui leur correspondent. Il existe, en particulier, un aménagement du temps, et surtout de l'espace, fait par le romancier, dont il est très important de tenir compte. C'est le plan cosmologique de l'univers romanesque ; et il arrive souvent que l'expérience tentée par le romancier réussisse sur ce plan-là, alors qu'elle échoue, au niveau des rapports entre les personnages. Dans Le temps des jeux, par exemple, le père est supprimé dès le point de départ, puisque l'héroïne est orpheline ; et pourtant, on retrouve partout, sans cesse présent à l'horizon du paysage romanesque, un certain fleuve - le Saint-Laurent, sans doute - qui circonscrit dans des limites précises le champ d'action des personnages. Ceux-ci poursuivent une expérience de totale aliénation, mais dans un espace cosmologique parfaitement cohérent et solide. Au plan des rapports inter-humains, l’expérience échoué, mais elle est parfaitement réussie au plan des rapports que l'homme entretient avec le monde. On pourrait faire les mêmes observations, au sujet d'Amadou de Louise Maheu-Forcier.
Si on lisait le roman canadien dans cette optique, on constaterait peut-être que le bilan de l'aventure spirituelle dont il témoigne est moins négatif qu'il ne paraît au premier abord. Mais pour y arriver, il faut prolonger l'analyse psychologique et sociologique par une méthode qui permet de traiter le roman comme une œuvre littéraire, c'est-à-dire comme une construction imaginative. Cette méthode se trouve illustrée par les ouvrages de Georges Poulet, de Jean-Pierre Richard et de Jean Rousset, qui l'ont élaborée à partir des travaux de Bachelard, de Merleau-Ponty et de Sartre. Il faut relire, en particulier, les pages maintenant classiques que Sartre a consacrées au problème des rapports entre critique et sciences humaines. Dans le dernier chapitre de L'être et le néant, il examine les rapports entre critique littéraire et psychanalyse, et dans l'Introduction à la Critique de la raison dialectique, les rapports entre critique littéraire et méthode sociologique. Ces pages sont d'un grand intérêt méthodologique, spécialement pour la solution des problèmes abordés dans ce colloque.
Georges-André VACHON, s.j.
Collège Jean-de-Brébeuf,
Montréal.
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