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Anthologie des 350 ans de Petit-Goâve
(AYITI)
I
“Connaître et comprendre
Petit-Goâve au 20e siècle.
L’inscription de la population
dans l’espace urbain et l’aménagement du bâti
après l’incendie de 1902.”
Hugues FOUCAULT
Plusieurs clés et portes d’entrée peuvent permettre de connaitre et comprendre Petit-Goâve au 20e siècle. Dans le cadre de cet article, nous proposons une première clé qui nous permet d’ouvrir une première porte d’entrée. C’est l’inscription de la population dans l’espace urbain et l’aménagement du bâti après l’incendie de 1902.
1.- Mise en perspective contextuelle
Le 20e siècle s’ouvre avec l’incendie du 8 août 1902 vers une heure de l’après-midi. La ville est consumée par le feu. Les usines centrales situées à Vialet ouvrent leurs portes et accueillent les sans-abris. Treize (13) ans plus tard, c'est l’occupation américaine de 1915 à 1934, les embarquements pour les cannaies de Cuba et de la république dominicaine, les vêpres dominicaines de 1937, les répercussions des deux guerres mondiales provoquant la réduction des échanges commerciaux et la rareté des produits importés de première nécessité. Petit-Goâve s’adapte, consomme local, achète 2 kobs allumettes et 3 kobs gaz, fait la lessive et lave son linge à la « savonnette », fruit non comestible d’un arbuste tropical. La deuxième moitié du siècle débute par l’incendie de 3 maisons de la rue St Paul le vendredi saint d’avril 1952 vers une heure du matin jetant l’émoi dans la ville. Les riverains se soudent et circonscrivent le feu. Les cataclysmes naturels, les cyclones Hazel en 1954, Flora le 3 octobre 1963, Inès le 21 septembre 1966, les cyclones David et d’autres intempéries décapitalisent la population. Les commotions politiques des années 60, les rafles politiques du 26 avril 1963 frappant les intellectuels et professionnels de la ville et l’affaire des petits soldats enfermés au Fort-dimanche tétanisent les citoyens. Petit-Goâve, endormie un quart de siècle durant, trouve des ressorts psychologiques, se réveille et se place à l’avant-garde des turbulences politiques menant à la chute des Duvalier. Elle est encore aux avant-postes dans la longue et difficile période de transition et d’incubation de la démocratie.
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Le 20e siècle à Petit-Goâve, c’est aussi des avancées significatives et positives d’espoir. C’est l’accès du plus grand nombre d’écoliers à l’éducation primaire grâce à la présence d’écoles congréganistes catholiques et d’écoles nationales laïques installées à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle. C’est aussi l’accès à l’enseignement secondaire public dès octobre 1946. C’est aussi la mise en place des institutions de services publics dès les décennies 20 et 30 et des services de base (eau potable, électricité, télégraphe, téléphone, hôpital public). C’est l’accès du plus grand nombre aux moyens de communication de masse, radio, télévision, téléphone.
La première décennie du 21e siècle semble confirmer les rendez-vous de Petit-Goâve avec le sort. C’est l’assassinat du journaliste Brignol Lindor en 2003, c’est l’hécatombe de la rue Dessalines où un câble électrique électrocuta près d’une douzaine de jeunes basketteurs au cours d’une partie de basket. A chaque fois, la ville et ses habitants se relèvent, prouvant leur capacité de résilience face aux catastrophes. La capacité de résilience dont la ville a fait montre existe-t-elle encore ?
L’année 2010 s’en vient. Le 12 janvier, à 16 heures 53 pour être précis, le destin frappe encore la ville. 35 secondes de secousses ont suffi pour renverser des maisons, tuer des centaines de résidents et rendre des milliers d’autres sans abris.
2.- La population de Petit-Goâve
Une population issue d'immigrants venus des quatre coins du monde et d’Haïti au 19e et au 20e siècle. Quelle est la population qui occupe cet espace territorial urbain ? L’espace territorial Petit-Goâvien a abrité et accueilli deux catégories de migrants : les migrants d’origine étrangère et des migrants d’origine haïtienne.
La première regroupe des amérindiens, des espagnols, des français, des polonais, des esclaves africains. Au milieu du 19e s, elle a accueilli des allemands de l’usine Simmonds de torréfaction du café à partir de 1883, les maisons import-export du café, des arabes de Bethleem et des palestiniens au début du 20e s, des américains de l’occupation américaine (1915-1934). Certains patronymes témoignent de l’ascendance des porteurs et même certaines habitations des sections communales sont réputées abriter des descendants d’origine polonaise et juive.
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La deuxième rassemble les diverses vagues de migrants haïtiens qui ont aussi atterri à Petit-Goâve entre les 18e et 20e siècles. On y repère un mélange formé d’esclaves des plantations des colons et de marrons de la liberté, de membres de l’administration publique et privée (officiers et soldats de l’armée, de l’administration publique, des usines centrales etc.). Certains n’y ont fait que transiter laissant parfois au hasard et au gré de leur bonne foi leur patronyme, d’autres y ont fait souche dès le 19e siècle en s’alliant légalement aux familles trouvées sur les lieux. Ils sont arrivés en diverses occasions : lors des guerres cacos/piquets, lors de la construction de la route du sud, lors du projet canado-haïtien DRIPP à partir des années 1976, après le tremblement de terre de janvier 2010.
Au début du 20e siècle, on retrouve particulièrement les originaires de Grand-Goâve, de Bainet, de Côtes-de-fer. A partir des années 80, certaines familles de la Gonâve ont fait de Petit-Goâve leur point de chute. Comment cette population a-t-elle occupé l’espace territorial urbain ?
3. - L’espace territorial urbain
Une greffe endogène sur un aménagement colonial
structuré et daté de la colonie ?
Moreau de Saint Mery donne une description du bâti de la ville du temps de la colonie. Ce bâti consumé par l’incendie du 8 août 1902 a été reconstruit durant la première moitié du 20e siècle et détruit au quart lors du séisme du 12 janvier 2010. Les tracés des trois rues principales parallèles, rue du quai, rue républicaine et rue St Paul, allant du nord au sud et de sept rues transversales et perpendiculaires orientées nord-ouest/sud-est évoquent la présence de la colonie. Le centre-ville porte encore la marque de la colonie. La marque haïtienne de l’aménagement du territoire est visible et se laisse lire dans les prolongements successifs des rues transversales en direction du sud-est montagneux.
À partir des années 75 et après 1986, la ville gagne en extension toujours en direction de la montagne et ensuite vers Chabannes en direction de la route du sud. Une vingtaine de rues forment la nouvelle Petit-Goâve. Depuis les années 1990, un effort d’asphaltage des rues contribue à changer le visage de la ville. Le bâti de la première moitié du 20e siècle suit un projet d’aménagement urbain répondant à la vocation de la commune. Terroir caféier, la ville est portuaire. Elle est dotée d’un port facilitant le transport par voie maritime des produits agricoles vers l’étranger. La rue du quai loge les bâtisses qui servent d’entrepôt aux entreprises d’exportation [13] du café. Les bâtisses d’un étage de la rue républicaine sont destinées au commerce au rez-de-chaussée et l’étage sert de résidence aux propriétaires. La rue St Paul est un mélange de grandes et moyennes bâtisses abritant des résidences agglutinées l’une à côté de l’autre, mais logent aussi l’administration et les services publics. Les rues transversales sont réservées aux résidences. Les rues Lamarre et Louverture et, à un degré moindre, les rues « la justice et Dessalines » abritent des maisons hautes en bric ou en bois. Les autres rues sont dotées de maisons, basses pour la plupart, servant de résidence.
Le projet de résidences de banlieue est expérimenté dans des quartiers périphériques, distantes de moins d’un kilomètre de la ville. Deux modèles s’offrent à la vue de l’observateur averti. Un premier modèle comprenant cour fleurie et pavée de petites pierres blanches et noires, arrière-cour et parfois espace pouvant accueillir un véhicule nous est offert au bas de la Hatte, précisément au lieu dit « portail » situé à l’entrée nord de la ville. Un deuxième modèle peut se lire encore dans trois autres quartiers périphériques, Haut de la Hatte, Haut de l’avenue Gaston, Haut de Desvignes. Dans ces quartiers, jusqu’au milieu des années 70, la superficie des espaces de résidence pouvait atteindre entre 1/8 d’hectares et parfois jouxtaient une propriété plus grande allant jusqu’à 3 à 5 hectares de terre.
L’exode rural, la pression démographique, les jeux de la succession et de l’héritage foncier, les enjeux de la rente immobilière ont fait voler en éclats ces modèles d’aménagement du début du siècle. « Meilleur eau », un cinquième quartier résidentiel qui aurait abrité les occupants américains, a été le premier à disparaitre et aucune trace matérielle n’est aujourd’hui visible. Ce projet pouvait être encore visible à « Desvignes » et au haut de l’avenue « Gaston » jusqu’ au milieu des années 70 avant la percée de la nouvelle route du sud. 1986 a ruiné ce modèle et entamé sérieusement « La Hatte ». Actuellement en 2013, le quartier de la Hatte est aussi parcellarisé en une dizaine de rues même si certains îlots de taille réduite offrent l’apparence d’une résistance à l’émiettement.
Au centre-ville, c’est le même constat. Le souci des générations du début du siècle de respecter le tracé colonial originel fait de rues droites et à angle droit n’a pas résisté à l’épreuve du temps. A quel moment les premières déviations ont-elles commencé ? L’observateur avisé note ces déviations déjà au haut de la rue St Paul dans le prolongement sud-est des rues transversales. La ligne droite n’est plus respectée, l’alignement des maisons et des galeries ne [14] suit plus une droite rectiligne, les caniveaux et trottoirs n’existent plus. Depuis 1986, le style architectural des nouvelles maisons au centre-ville contraste avec l’architecture ancienne faite d’harmonie.
En 2013, la tendance dominante actuelle confond zones commerciales et zones résidentielles. Le couple, espaces commerciaux au rez-de-chaussée de l’immeuble d’habitation et résidences à l’étage en vogue à la rue Républicaine durant la première moitié du siècle, est repris sur une partie de la route nationale #2. Cependant, le modèle d’aménagement distinguant zones commerciales au centre-ville et zones résidentielles en banlieue tend à se limiter à certaines poches et alvéoles spatiales isolées.
Qu’est-ce qui explique l’abandon de ce modèle à Petit-Goâve, alors qu’il est en plein regain en Floride ? Les facteurs de cet abandon sont multiples et ne seront pas abordés dans le cadre restreint de cet article. La tertiarisation de l’économie urbaine inclinerait-elle à transformer quasiment les moindres rues et devantures des maisons d’habitation et tout espace jugé approprié en échoppe commerciale augmentant ainsi les risques de conflits sociaux et la pollution sonore et environnementale ? Voilà autant de préoccupations fondamentales qui méritent des éléments de réponse.
Hugues FOUCAULT,
Né à Petit-Goâve, il est professeur et chercheur à l’Université d’État d’Haïti.
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