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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Louis FOURNIER, “Le Fonds de solidarité (FTQ): une petite révolution syndicale.” In revue Interventions économiques pour une alternative sociale, No 17, hiver 1987, pp. 39-46. Numéro intitulé: “L’État en question #1.” Montréal : Les Éditions coopératives Albert Saint-Martin, hiver 1987, 197 pp. [Madame Diane-Gabrielle Tremblay, économiste, et professeure à l'École des sciences de l'administration de la TÉLUQ (UQÀM) nous a autorisé, le 25 septembre 2021, la diffusions en libre accès à tous des numéros 1 à 27 inclusivement le 25 septembre 2021 dans Les Classiques des sciences sociales.]

[39]

Interventions économiques
pour une alternative sociale
No 17
NOTES D’ACTUALITÉ

LE FONDS DE SOLIDARITÉ (FTQ) :
UNE PETITE RÉVOLUTION SYNDICALE.”

Louis FOURNIER

Nous avons publié dans le numéro 14-15 portant sur les politiques industrielles un article de Louis Gill sur le partenariat social et l'actionnariat ouvrier (Louis Gill, « Partenariat social et actionnariat ouvrier. Du rachat d’entreprise au Fonds de solidarité », Interventions économiques, nos 14-15, printemps 1985, pp. 261-272). Louis Gill y abordait deux questions : les politiques actuelles de concertation et de participation, d’une part, et l’opportunité du Fonds de solidarité, d’autre part. L’auteur y défendait deux thèses : la première, que l’intérêt actuel au Canada et au Québec du mouvement ouvrier pour les formules de partenariat social et de concertation reflétait le refus persistant des directions syndicales de s’engager dans la direction d’une alternative politique de classe ; et, la seconde, qu’indépendamment des risques élevés que représentent ses investissements et des concessions demandées aux travailleurs-ses des entreprises financées [40] par celui-ci, le Fonds de solidarité des travailleurs du Québec revenait à demander à ces derniers de subventionner par l’actionnariat ouvrier, le capital des entreprises.

Louis Fournier, directeur des communications au Fonds de solidarité répond à l’argumentation de Louis Gill en développant dans le texte qui suit, dans (2) contre-arguments. Premièrement, Le Fonds de solidarité contribue, en investissant dans le capital de risque, à préserver et à créer des emplois. Formule révolutionnaire en Amérique du Nord, le Fonds constitue, en second lieu, selon Louis Fournier un moyen nouveau que se donne le mouvement syndical dans sa lutte pour le plein emploi et la réalisation d’un socialisme industriel démocratique.

I.E.



Une petite révolution est en cours dans le monde syndical au Québec, et elle va prendre de l’ampleur dans les mois et les années qui viennent.

Cette petite révolution, qui représente une voie d’avenir pour le syndicalisme, c’est le Fonds de solidarité des travailleurs du Québec (FTQ), une institution unique en son genre en Amérique du Nord.

Le Fonds de solidarité est un fonds d’investissement qui contribue à créer et maintenir des emplois permanents et syndiqués dans des entreprises québécoises viables et rentables. C’est également un fonds de placement qui fait fructifier les épargnes de ses actionnaires, tout en constituant un des meilleurs abris fiscaux qui soient.

Le Fonds de solidarité a été mis sur pied à l’initiative de la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ), la plus importante organisation syndicale québécoise, en vertu de la Loi 192 adoptée par l’Assemblée nationale en juin 1983. Il fait appel à l’épargne publique depuis février 1984.



La crise de l’emploi

Le fonds de solidarité est né de la pire crise économique survenue depuis les années 1930. Le chômage a atteint des proportions catastrophiques, les mises à pied, les licenciements et les fermetures d’entreprises se sont multipliées. La crise de l’emploi dans le secteur privé — nouvelle crise cyclique du système capitaliste — a eu des répercussions dans le secteur public, sous forme [41] de coupures de services et de salaires. L’emploi est devenu le problème numéro un. Il le sera pour plusieurs années encore, surtout dans un contexte de changements technologiques radicaux et de compétition internationale accrue.

À la FTQ, des milliers de membres, dans tous les secteurs, ont fait appel à leur organisation syndicale pour protéger leur bien le plus précieux : leur « job ». La protection et l’amélioration de l’emploi sont devenues aussi importantes, et parfois davantage, que la protection et l’amélioration des conditions de travail et de salaires.



Un bilan positif

Deux ans après son lancement, le Fonds affiche un bilan très positif ; en mai 1986, en effet :

  • Un actif de plus de 40 millions $ ;
  • Près de 20 000 adhérents, dont le quart viennent de l’extérieur des rangs de la FTQ ;
  • Plus de 2 000 emplois créés et maintenus dans des entreprises québécoises, ce qui a valu au Fonds un « Prix PME 1985 » ;
  • Une hausse de valeur des actions en un an de 10 $ à 10.51 $, qui s’ajoute aux économies d’impôt substantielles offertes par le Fonds ;
  • Et surtout, une participation active du mouvement syndical au développement de l’emploi et de l’économie au Québec, et la mise en place de nouvelles formes de démocratie économique.

Les quelque 20 000 adhérents au Fonds se répartissent comme suit : environ 75% sont membres de syndicats affiliés à la FTQ, 12% sont membres d’autres organisations syndicales — en particulier la CSN, la CEQ et le Syndicat des fonctionnaires provinciaux — et les autres sont des non-syndiqués.

La majorité des membres de la FTQ adhèrent par déduction à la source sur le salaire, pour des montants d’environ 7 $ par semaine. La déduction est en vigueur dans près de 300 entreprises et institutions dont les plus grandes au Québec : les gouvernements du Québec et d’Ottawa, Hydro-Québec, Bell Canada, les grandes villes, Stein- berg. General Motors, Canadair, Bombardier, les compagnies de pâtes et papiers, Sidbec, O’Keefe, la STCUM, la STRSM, Québécor, la Presse, le Soleil, etc.

En un an, le Fonds de solidarité, grâce à son aide financière et technique, a contribué à créer et maintenir plus de 1 500 emplois, dans des entreprises syndiquées et rentables. Les projets en voie de réalisation totalisent plus de 1 000 autres emplois et les demandes vont croissant.

[42]

Des exemples d’intervention des Fonds de Solidarité

•   Chez Pierre Thibault à Pierreville, le NO 1 des fabricants de camions à incendie au Canada, un investissement de 700 000 $ en capital-actions permet au Fonds de posséder le quart (23,5%) de cette entreprise en expansion et d’augmenter le nombre des emplois de 150 à 300 d’ici deux ans, et à 400 d’ici cinq ans. Les ouvriers sont membres du Syndicat des travailleurs unis de l’automobile (TUA).

•   À la Scierie des Outardes à Baie-Comeau, l’une des plus grandes scieries au Québec, propriété majoritaire de Rexfor, un prêt garanti de 500 000$ du Fonds permet de hausser les emplois de 700 à quelque 900. Les ouvriers, membres du Syndicat canadien des travailleurs du papier (SCTP), ont également obtenu une participation aux bénéfices.

•   À Luxorama à St-Jérôme, le No 2 des fabricants d’armoires de cuisine au Québec, le Fonds a investi 300 $ sous forme de prêt convertible en capital-actions. L’opération permet de consolider 175 emplois, syndiqués avec les Métallos, et d’en créer une cinquantaine d'autres progressivement.

•   Les Aciers Truscon (ex-Sidbec) à LaSalle : l’intervention du Fonds a permis la réouverture de l’usine, en collaboration avec le Syndicat des Métallos et un partenaire privé, et le maintien de 50 emplois. La contribution du Fonds est de 260 000$ (prêt de 230 000$ et 30 000 $ en capital-actions).

•   La future usine de panneaux MAF pour l’industrie du meuble à Mont-Laurier : dans ce projet mis de l’avant par la communauté locale et la Fraternité des Charpentiers-menuisiers, le Fonds investit 1 million $ en capital-actions et sous forme de prêt. 300 emplois seront maintenus et créés.

•   Les Produits d'Acier Anjou à Ville d'Anjou : un investissement de 650 000$ du Fonds (600 000 $ en prêt, 50 000$ en capital-actions) permet de maintenir une cinquantaine d'emplois syndiqués avec les Métallos.

Des investissements ont également été autorisés, mais non finalisés, dans 5 autres entreprises situées dans cinq régions différentes : l’Outaouais, l’Estrie, l’Abitibi et les Laurentides. Au total, les 11 dossiers autorisés représentent des sommes de quelque 4,5 millions $ dont 2,5 millions ont été déboursés. À cela s’ajoutent une douzaine d'autres dossiers qui sont à l’étude de façon approfondie. Depuis les débuts, le Fonds a reçu plus de 200 demandes d’aide financière et technique.


D’autre part, en adhérant à la nouvelle Fédération des coopératives de travail du Québec (coopératives de productions et de services), le Fonds a jeté les bases d’une collaboration avec celles-ci ainsi qu’avec des groupes qui œuvrent à la création d’emplois dans des entreprises communautaires. Notons d’ailleurs que le Fonds participe également au lancement de coopératives de travail.

En vertu de la Loi qui l’a créé, le Fonds investit 60% de son actif dans la [43] participation à la propriété des entreprises (capital-actions, parts sociales, etc.) et 40% dans des placements à rendement fixe (prêts garantis, hypothèques, obligations, etc.).



Des conditions

Dans tous les cas où il intervient, le Fonds de solidarité Fixe des conditions, sous la forme d’une convention d'actionnaires signée avec l’entreprise. L’accessibilité à une information fiable est essentielle, ce qui implique la possibilité d’être présent là où les décisions se prennent. Dans certains cas, les syndiqués ont des représentants au conseil d’administration. Dans d’autres cas, c’est le Fonds qui est représenté.

Le Fonds de solidarité œuvre toujours en étroite collaboration avec le groupe de travailleurs et de travailleuses concernés et leur syndicat, d’autant plus que l’information et la formation économique sont l'un des objectifs centraux du Fonds.

L’ouverture des livres de l’entreprise, et donc une meilleure information, contribuent à établir les bases d’un nouveau partenariat. Des formes de gestion participative peuvent se développer, l’un des plus beaux exemples étant celui de l'usine Pierre Thibault.

Les syndiqués des entreprises aidées par le Fonds sont évidemment invités à investir eux-mêmes dans le Fonds de solidarité, ce qu’ont fait la grande majorité d’entre eux. Outre le fait qu’ils peuvent ainsi bénéficier d’un plan d’épargne des plus avantageux, il est préférable, de façon générale, que les syndiqués investissent dans le Fonds plutôt que dans leur propre entreprise, ne serait-ce que pour minimiser les risques. C’est notamment ce qu’ont fait les syndiqués de la Scierie des Outardes : la direction de leur entreprise les avait sollicités mais ils ont préféré placer leurs épargnes dans le Fonds qui, lui, a investi dans la Scierie.

Par ailleurs, lorsqu’il s’agit d’une entreprise en difficulté temporaire, l’intervention financière du Fonds permet généralement au syndicat d’éviter de faire les concessions réclamées par l’employeur. En effet, une entreprise plus forte, en meilleure santé financière, est davantage en position pour répondre aux revendications des travail- leurs/euses. La présence du Fonds, loin d’affaiblir l’action syndicale, la consolide, voire la renforce.

Plusieurs syndicats affiliés à la FTQ ont aussi commencé à obtenir une participation financière de l’employeur au Fonds de solidarité, pour le compte de leurs membres-adhérents. Ainsi, pour chaque dollar placé dans le Fonds par un membre, l’employeur verse également un dollar au nom du syndiqué, jusqu’à [44] concurrence d’un certain montant annuel. Grâce aux économies d’impôt obtenues sur sa part et sur celle de l’employeur, le syndiqué récupère la totalité de sa mise et même davantage dans l’année même, tout en ayant un fonds qui fructifie au fil des ans. Ce gain, inclus dans plusieurs conventions collectives, est particulièrement avantageux pour les syndiqués qui n’avaient pas de caisse de retraite.

De cette façon, non seulement le Fonds aide-t-il à canaliser et à gérer l’épargne collective des travailleurs et travailleuses, mais encore permet- il d’aller chercher une contribution financière du patronat pour des investissements créateurs d’emplois.

Le Fonds commencera également à recueillir bientôt des contributions provenant de caisses de retraite, d’institutions financières, de syndicats et d’autres groupes, grâce à la création d’une nouvelle catégorie d’actions « B ». S’ajoutant aux actions de catégorie « A » destinées aux individus seulement, les actions « B » permettront une participation collective au Fonds de divers organismes. Les syndicats, par exemple, au lieu de placer tous leurs fonds dans des institutions qu’ils ne contrôlent pas — et qui ne créent pas nécessairement des emplois — pourront en canaliser une portion dans le Fonds de solidarité.

Une institution rentable

Faut-il insister sur le fait que le Fonds de solidarité, voué à l’emploi, est aussi une institution rentable qui offre des garanties financières solides aux épargnants. Sans parler de la valeur de l’action qui a monté, rappelons simplement que le Fonds a reçu un appui massif des deux gouvernements qui y ont injecté 20 millions $ tout en offrant aux actionnaires un programme unique d’économies d’impôt.

Au prêt de 10 millions $ du Québec, à des taux avantageux, s’est ajouté récemment une subvention fédérale de 10 millions $ versée à la FTQ pour être investie en capital- action dans le Fonds. Cette dernière contribution a pour effet d’assurer encore plus de sécurité aux épargnants, qui peuvent aussi compter sur l’expertise d’une équipe de gestionnaires compétents et expérimentés.



Un modèle au Canada

En conclusion, on doit noter que le Fonds de solidarité constitue un modèle qui est en bonne voie d’être imité ailleurs au Canada et même aux États-Unis. Le Congrès du travail du Canada (CTC), la grande centrale syndicale canadienne à [45] laquelle la FTQ est rattachée, a recommandé à tous ses affiliés de mettre sur pied des fonds semblables dans les autres provinces. Des démarches sont en cours à ce sujet, en particulier au Manitoba où l’on trouve un gouvernement social- démocrate (M. Ed Broadbent, leader du NPD, est d’ailleurs l’un des plus fervents supporteurs du Fonds de solidarité).

Il faut dire aussi que le Fonds de solidarité s’inscrit dans une tendance fort active, depuis quelques années déjà, au sein du mouvement ouvrier européen, notamment dans les pays Scandinaves, en Allemagne et en France. La Confédération européenne des syndicats (CES) a appuyé la création de « fonds d’investissement des travailleurs ».

En Suède, l’instauration d’un « Fonds salarial » fut voté en 1983. Employés-ées et employeurs y contribuent par un prélèvement obligatoire sur les salaires et les profits. En France, la CFDT prône l’établissement de Fonds salariaux, du même genre, mais par entreprise. Depuis 1984, de tels fonds ont été développés dans une centaine d’entreprises. En Allemagne (RFA), de telles initiatives commencent également à se développer.



L’outil de travail

En ces temps difficiles, seul le retour à la croissance économique permettra d’assurer de nouveaux progrès sociaux ainsi qu’un meilleur partage de la richesse collective et des gains de productivité — notamment par la réduction du temps de travail. Or, il faut créer de la richesse collective si tant est qu’on veuille mieux la partager. Et pour créer cette richesse, il faut investir dans l’entreprise.

Vouloir renforcer la viabilité et la rentabilité des entreprises, améliorer leur productivité et leur compétitivité, ce n’est pas affaiblir le mouvement syndical mais le renforcer. C’est protéger l’outil de travail, lutter pour l’emploi et poser les bases de nouveaux gains pour les travailleurs et les travailleuses, grâce à leurs luttes syndicales.

C’est dans cette perspective que les syndicats doivent « se préoccuper des conditions qui feront que les entreprises vont rester ouvertes et que les emplois se maintiendront, voire augmenteront », comme le soulignait l’ex-vice-présidente de la CSN, Francine Lalonde (LE DEVOIR, 30 avril 1983).

Le socialisme démocratique

En conclusion, il faut souligner que si le fonds de solidarité est un moyen nouveau que se donne le [46] mouvement syndical québécois dans sa lutte pour le plein emploi, ce n’est, bien sûr, qu’un outil parmi d’autres dans le « coffre à outils ».

Pour la FTQ, la mise en œuvre d’une politique intégrée de plein emploi doit être le pivot central de la politique économique du Québec pour les années à venir ; et c’est le gouvernement du Québec qui doit en être le maître d’œuvre. Une telle politique doit s’articuler, entre autres, autour des moyens suivants : rôle moteur de l’État et développement des entreprises publiques ; contrôle plus strict des entreprises privées ; canalisation des épargnes collectives vers le développement économique du Québec ; loi pour contrer les fermetures d’entreprises et les licenciements ou en minimiser les effets par des programmes de formation et de recyclage et enfin — le dernier mais non le moindre — réduction du temps de travail.

     Tous ces moyens — y compris le Fonds de solidarité — visent à changer progressivement les règles du jeu. Ils peuvent ouvrir la voie à des changements plus profonds qui correspondent au projet de société de la FTQ : le socialisme démocratique.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 26 juin 2022 5:59
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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